Marc Thiébaud

Psychologue, spécialiste de l’accompagnement et de l’animation de groupe, Suisse
thiebaud[arobase]formaction.ch


Résumé

Ce texte s’inscrit dans une réflexion sur la construction de dispositifs d’analyse de pratiques professionnelles (APP). Ma participation depuis de nombreuses années à des séances d’ARPPEGE a nourri mes réflexions sur la manière dont je conçois et j’anime des APP dans différents milieux. L’article en présente quelques aspects selon une organisation en trois parties : a) un témoignage sur les éléments d’ARPPEGE qui m’ont le plus inspiré ; b) une mise en parallèle avec mes pratiques en APP selon différents paramètres ; c) une évocation de quelques possibilités d’intégration d’une phase ou l’autre d’ARPPEGE dans d’autres dispositifs d’APP.

Mots-clés 

ARPPEGE, animation, co-construction, variations, modalités d’APP

Catégorie d’article 

Témoignage ; texte de réflexion en lien avec des pratiques

Référencement 

Thiébaud, M. (2022). Le dispositif ARPPEGE : source d’inspirations et de réflexions. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 22, 67-77. https://www.analysedepratique.org/?p=5320.


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The ARPPEGE system: a source of inspiration and reflection
Abstract

This text is part of a reflection on the construction of professional practice analysis (PPA) mechanisms. My participation for many years in ARPPEGE sessions has nourished my reflections on the way in which I conceive and facilitate PPAs in different settings. This article presents some aspects of it in three parts: a) a testimony on the elements of ARPPEGE that inspired me the most; b) a comparison with my practices in PPA according to different parameters; c) an evocation of some possibilities of integration of one or the other phase of ARPPEGE in other PPA systems.

Keywords

ARPPEGE, animation, co-construction, variations, PPA modalities


 

Ce texte est structuré en trois parties. Tout d’abord, je m’exprimerai en tant que participant à des séances ARPPEGE pour témoigner de mes vécus.  Puis, mon propos s’inscrira dans la perspective de la conception et de l’animation de démarches d’analyse de pratiques professionnelles (APP). Je ferai ainsi dans la deuxième partie une mise en parallèle avec mes pratiques en APP selon quelques paramètres qui peuvent être utilisés dans la construction d’un dispositif. Enfin, j’évoquerai des possibilités d’intégration d’une phase ou l’autre d’ARPPEGE dans des APP.

1. Mes vécus dans des séances d’ARPPEGE

J’ai eu l’occasion de participer ponctuellement, à plusieurs reprises, à une séance ARPPEGE. La richesse des apprentissages et des interactions dans le groupe a été à chaque fois étonnante. Lors de ma première expérience, je ne connaissais pas le dispositif et j’ai été extrêmement intéressé par la manière dont il a permis un approfondissement du travail, phase après phase. Nous avons eu l’occasion d’en discuter avec son concepteur et animateur, Yann Vacher, si bien que j’ai pu en développer une certaine compréhension. Dans les séances suivantes, l’aspect « découverte initiale » n’était plus présent, mais j’ai pu aller plus loin dans les réflexions développées dans et avec le groupe… et le temps (trois heures) s’est révélé systématiquement trop court pour en tirer tous les bénéfices.

Mon vécu avec ARPPEGE a correspondu à chaque fois à une démarche d’exploration progressive et structurée. C’est pour moi une de ses caractéristiques fortes. L’expérience que j’en ai est en partie paradoxale. En effet, l’approche très cadrée, avec des consignes précises, conduit pas à pas dans l’élaboration de l’analyse. Si j’en apprécie la clarté, son côté programmé et minuté aurait tendance à me rebuter en raison de ses contraintes. Pourtant, au fur et à mesure, je vis de nouvelles prises de conscience, je me réjouis de la phase qui va suivre et je (re)découvre à chaque séance combien ce processus favorise l’enrichissement du travail réflexif. Je ressens en fin de compte un élargissement et une libération de mes capacités de réflexion et de celles du groupe.

Cinq éléments clés complémentaires contribuent, dans mon expérience, à la valeur du dispositif. Je les évoque brièvement ci-après.

a) Le travail sur différents matériaux constitués au fur et à mesure de la séance

J’ai trouvé passionnant de pouvoir travailler successivement sur une variété de matériaux :

  • la pratique exposée (phases 2, 3 et 4, puis 6 ; voir Vacher, 2022a) ;
  • les premières réflexions et projections individuelles (phase 5) ;
  • les décalages constatés et mis en commun par l’ensemble des participants (phase 5 bis) ;
  • les modélisations (hypothèses de compréhension) développées en sous-groupes pour éclairer la pratique exposée (phase 7) ;
  • et enfin le vécu de l’ensemble de la séance (méta-analyse ; phase 8).

En se portant successivement sur cinq matériaux complémentaires, la réflexion s’enrichit tout au long de la séance d’une manière souvent insoupçonnée au départ. Au premier abord, cela peut sembler compliqué, voire déroutant, de passer ainsi d’un matériau à l’autre. Mais cela n’a pas été le cas pour moi, j’ai davantage perçu cela comme un enchaînement logique. Par ailleurs, le travail « méta » de la première partie d’ARPPEGE et celui de la seconde partie présentent des similitudes, même s’ils portent sur des objets différents.

b) L’exploration des décalages de diverses natures

L’élaboration à partir de ces matériaux permet différentes prises de conscience sur la façon de les appréhender via l’identification et l’analyse de divers types de décalages. Ainsi dans la phase 5 (lorsque chaque participant compare le contenu de ce qu’il a écrit durant les phases 2 et 4), des décalages internes apparaissent au niveau des projections élaborées. Le fait d’explorer la forme de ces décalages (transformations, renforcements, approfondissements) et les domaines concernés a été à chaque fois une découverte, même si le caractère inhabituel et artificiel (pour moi) de la consigne de la phase 2 pourrait a priori en limiter la portée. Dans la phase 7, les décalages externes qui ont pu être conscientisés en lien avec le matériau produit lors de la phase 6 (modélisations) ont été également très apprenants. Ces décalages concernent des élaborations en sous-groupes, ce qui apporte une dimension nouvelle. J’y reviendrai ci-dessous dans le point 2.

c) L’alternance entre différents formats de travail

L’alternance entre temps individuels, en sous-groupes et en grand groupe favorise pour moi à la fois les possibilités d’introspection et d’interactions apprenantes dans le collectif. J’apprécie en particulier les échanges à trois ou quatre (phase 6) qui suivent les moments de réflexion individuelle de la première partie d’ARPPEGE. Ils permettent un travail en co-construction et l’approfondissement des prises de conscience antérieures.

d) L’alternance entre les réflexions développées en lien avec l’analyse de la pratique exposée et celles issues des échanges en lien avec les processus réflexifs

Dans les phases 1, 3, 4 et 6, l’élaboration, centrée sur la pratique exposée, s’apparente au déroulement de la plupart des dispositifs d’APP (Thiébaud & Vacher, 2000). Les phases 5 bis, 7 et 8 prennent la forme de partages qui portent sur les processus mis en œuvre et sur les décalages identifiés. Dans mon vécu, cette complémentarité a donné à chaque fois un relief important aux éléments conscientisés. L’écoute des autres participants et les échanges permettent une mise en perspective des analyses et prises de conscience apportées par chaque membre du groupe.

e) Le travail réflexif en continu

Si la phase 5 est dédiée explicitement à la réflexivité, j’ai fait l’expérience que dès la consigne de la phase 2, un processus réflexif s’est enclenché qui ne s’est plus arrêté. À tel point que souvent, le travail élaboré durant une phase se poursuivait et se complétait pour moi durant les phases suivantes, par une réflexion individuelle effectuée en simultané. Dans la deuxième partie du dispositif, si en phase 6, l’analyse porte à nouveau sur la pratique exposée, ce travail réflexif continue dans l’élaboration en sous-groupes, puis dans l’analyse des productions.

Chacun des éléments évoqués ci-dessus (exploration progressive et structurée, variété des matériaux, identification des décalages, alternance entre formats et entre modalités de travail, développement de la réflexivité en continu) me sont apparus en eux-mêmes riches en potentialités. C’est cependant leur cohérence qui me semble particulièrement porteuse. J’ai pu constater dans les séances d’ARPPEGE que ma conscience de la manière dont je réfléchis ne se développe pas par hasard, elle résulte d’un processus conçu pour mobiliser les capacités d’introspection et l’élaboration d’échanges construits. Ce processus permet véritablement de faire l’expérience de l’approche multiréfléchie (Vacher, 2014). Le principal bémol pour moi a résidé dans les contraintes de temps. Les trois heures à disposition ont limité à chaque fois l’exploration et l’approfondissement des analyses.

2. Mises en parallèle

ARPPEGE a enrichi également ma pratique de concepteur – animateur de démarches d’APP. J’ai eu le privilège de faciliter depuis plus de 20 ans de nombreux groupes différents dans divers milieux ce qui m’a conduit à élaborer de multiples formes pour répondre au plus près des demandes et des réalités propres à chaque contexte d’intervention. Lorsque j’ai découvert ARPPEGE, j’ai rapidement fait plusieurs parallèles avec mes pratiques. Le dispositif à première vue se différencie assez fortement des démarches que je mobilise, en ce sens qu’il est très structuré alors que je privilégie un travail dans la souplesse (Thiébaud, 2022). Cependant, les logiques de conception se rejoignent sur de nombreux points. Mes réflexions à ce propos m’ont conduit d’une part à approfondir l’orientation vers la réflexivité que je cherche à favoriser (Thiébaud & Vacher, 2020). D’autre part, elles m’ont renforcé dans ma compréhension et ma confiance relatives aux possibilités de variations et d’alternance des formes de travail dans les séances d’APP. J’en évoque ci-après quelques aspects.

a) Développement de la réflexivité et temps « méta »

La visée première d’ARPPEGE réside dans le développement de la réflexivité sous forme de prises de conscience dans les différentes manières d’analyser la pratique. À cet effet, le dispositif est construit pour produire du matériau pour le regard réflexif. Dans les APP que j’anime, les visées et les bénéfices peuvent être multiples (Thiébaud, 2013). J’élabore en effet avec les participants une démarche sur mesure en réponse à leur demande, en fonction de leur contexte. Au moment de sa contractualisation, j’inclus toujours une part de réflexivité, qui s’incarnera le plus souvent dans des temps dits « méta » intégrés tout au long de la séance d’APP (voir Thiébaud & Bichsel, 2019b). Ceux-ci consistent en un arrêt, plus ou moins court ou long, dans le déroulement du travail, visant en premier lieu à une prise de recul réflexive et parfois, à une régulation des processus de groupe (Thiébaud & Bichsel, 2019a).  Diverses modalités peuvent être utilisées :

  • réflexions en individuel, en duos, en sous-groupes ;
  • écriture personnelle, production de schémas, de dessins, etc. ;
  • partage collectif, plus ou moins ouvert ou ciblé, avec ou sans temps de réflexion individuel préalable.

Le principe général de ces temps « méta » est similaire à celui notamment des phases 5 et 5 bis d’ARPPEGE dans la mesure où l’objet sur lequel se porte l’attention réside dans des productions préalables. Dans ma pratique, ces productions peuvent avoir été élaborées, comme dans ARPPEGE, en individuel ou collectivement.

De nombreuses différences sont en même temps à mettre en évidence. Tout d’abord, les consignes d’ARPPEGE portent sur des aspects spécifiquement ciblés (j’y reviendrai ci-dessous en lien avec la question des décalages). Ensuite, les temps « méta » intégrés dans le cours d’une séance d’APP peuvent, selon les situations, également concerner (outre les réflexions / projections produites), les cadres de référence identifiés, les processus de travail collectif, les relations et les vécus dans le groupe, le sens et l’évolution de la démarche d’APP, etc. Dans le dispositif ARPPEGE, ces aspects plus larges sont considérés uniquement dans la phase 8, à la fin du déroulement. Enfin, les temps « méta » dans les APP que j’anime sont introduits le plus souvent de manière souple, en concertation avec les participants et parfois à leur demande.

Dans ARPPEGE, les effets attendus et produits par les phases réflexives concernent directement des prises de conscience chez chaque participant sur sa manière d’appréhender la pratique apportée par l’exposant. Dans les APP que j’anime, les effets sont plus diffus. Le fait que la démarche s’inscrit dans un accompagnement de l’exposant met parfois en tension deux visées : le développement de la réflexivité chez l’ensemble des participants et l’élaboration d’analyses en lien avec la demande de la personne exposante/accompagnée. Dans mon expérience, ces deux visées peuvent correspondre à deux activités complémentaires dont les effets se soutiennent et s’enrichissent mutuellement. Ainsi par exemple, il est fréquent que l’exposant développe de nouvelles perspectives en lien avec sa pratique à mesure qu’il découvre, dans le partage collectif, le produit du travail réflexif (méta) effectué dans le groupe. Je constate cependant qu’un apprentissage à cet égard est nécessaire et qu’il requiert un processus sur plusieurs séances d’APP et l’élaboration d’un sens partagé dans le groupe (Thiébaud, 2018).

b) Moyens pour favoriser la conscientisation de décalages

Une des spécificités d’ARPPEGE réside dans la manière dont les participants sont aidés à conscientiser des évolutions dans leurs projections (entre la phase 2 et la phase 4). Dans les démarches d’APP que j’ai eu l’occasion de vivre, rares sont les moments des décalages internes qui peuvent être identifiés de cette manière. Cela tient tout d’abord au fait que de telles conscientisations ne sont pas provoquées comme c’est le cas dans ARPPEGE. Cela tient également au fait que les méta-analyses sont en général produites au terme de la séance d’APP et portent souvent sur l’ensemble de l’analyse développée collectivement (par exemple dans un travail d’identification des dimensions et/ou des cadres de référence mobilisés ; voir le GFAPP, groupe de formations par l’analyse de pratiques professionnelles, Robo, 2002 ; ou le GEASE, groupe d’entraînement à l’analyse de situations éducatives, Etienne & Fumat, 2014). Les prises de conscience que chaque participant peut développer par rapport à sa propre façon d’appréhender la pratique sont ainsi moins favorisées de manière directe.

Dans les groupes que j’anime, selon la manière dont j’introduis et dont se vivent les temps « méta », l’identification des décalages peut-être plus ou moins stimulée. J’y reviendrai dans le point 3 ci-dessous.

c) Complémentarité de l’analyse centrée sur la pratique exposée et de l’échange de pratique

Comme je l’ai évoqué, ARPPEGE alterne des temps d’analyse et d’échange. Dans les APP, j’ai de plus en plus expérimenté ces dernières années les possibilités d’utilisation de ces deux modalités de travail en complémentarité, soit séquentiellement, soit parallèlement durant une séance (voir Thiébaud, 2020). Elles s’enrichissent mutuellement, l’analyse d’une pratique exposée permettant d’élaborer de multiples éclairages sur un même objet, les échanges portant quant à eux sur les différentes pratiques des participants. Dans ARPPEGE, ce sont les décalages constatés dans la phase 5 qui sont tout d’abord objets d’échange, puis les productions (modélisations) élaborées en sous-groupes dans la phase 7. Cela favorise la conscientisation de décalages externes. Et dans la phase 6, les partages portent sur l’analyse de la pratique apportée par l’exposant.

De manière similaire, dans les échanges de pratiques que je développe, les deux matériaux peuvent être pris comme objet de travail. Parfois, je constate que les participants préfèrent échanger sur leurs expériences, attirés par la découverte en premier lieu des façons d’agir des autres membres du groupe. Puis, à mesure qu’ils conscientisent leurs propres représentations, leurs manières spécifiques d’analyser, ils s’intéressent à explorer davantage ces aspects pour identifier leurs différences et similitudes à cet égard. À mon sens, ARPPEGE prépare mieux à la réflexivité grâce notamment à la première partie du dispositif. Dans tous les cas, il m’apparaît que l’échange est vraiment productif lorsqu’il est développé en co-construction et que les participants sont aidés à écouter la diversité des logiques présentes, à rebondir, à relier, à comprendre comment se développent leurs réflexions individuellement et en intelligence collective (Thiébaud, 2018 ; Thiébaud & Vacher, 2018) pour accéder à une pensée multiréfléchie (Vacher, 2014).

3. Intégration d’une phase ou l’autre d’ARPPEGE dans d’autres dispositifs d’APP

Je n’ai pas eu l’occasion à ce jour d’animer le dispositif ARPPEGE, principalement parce que les contextes dans lesquels je suis intervenu ces dernières années ne s’y sont pas prêtés (Vacher, 2022b). J’espère que l’opportunité se présentera. Cependant, j’ai  commencé à en intégrer des parties dans les démarches que j’anime et je prévois de continuer à le faire. Yann Vacher (2022b) évoque quatre exemples d’utilisation de tout ou partie du dispositif :

  • emploi du protocole intégral (à l’intérieur d’une autre démarche d’APP se déroulant sur plusieurs séances) ;
  • utilisation de la première partie d’ARPPEGE (jusqu’à la phase 5 bis) pour favoriser l’enclenchement de la réflexivité ;
  • intégration d’un travail de modélisation en sous-groupes (phase 6 d’ARPPEGE) au sein d’un autre dispositif d’APP ;
  • emprunt de certaines phases d’ARPPEGE pour construire un dispositif sur-mesure en réponse à une demande et à un contexte spécifiques.

Chacun de ces exemples correspond à un type d’utilisation du dispositif. Si dans les deux premiers cas, la logique de conception et la visée en sont intégralement conservées, il n’en est pas forcément de même dans les deux derniers exemples. Mon expérience d’utilisation de certains éléments d’ARPPEGE s’inscrit dans une perspective de développement de la réflexivité, mais insérée dans un déroulement différent de la séance d’APP (voir Thiébaud, 2013 ; Thiébaud & Vacher, 2020). J’en présente brièvement ci-après deux formes principales.

a) Intégration d’une partie inspirée d’ARPPEGE dans le déroulement de l’APP

La phase 5 d’ARPPEGE permet la mise en perspective en individuel de ce qui a été produit précédemment. La consigne est formulée pour aider les participants à repérer les cadres de référence qu’ils ont mobilisés et l’origine des évolutions qu’il a pu y avoir dans leurs analyses. Dans les APP et que j’anime, lorsque les conditions sont réunies (temps suffisant à disposition, objectifs correspondants visés dans l’APP), je propose volontiers une phase similaire. Celle-ci peut intervenir à l’issue des questions à l’exposant ou après l’élaboration d’analyses sur la pratique exposée. Précédemment, j’invite les participants (dans un temps « méta » ; voir Thiébaud & Bichsel, 2019a) à prendre des notes pendant quelques minutes, pour eux-mêmes. De telles mini pauses peuvent intervenir avant le récit de l’exposant (le groupe n’a encore que quelques informations très résumées sur le sujet et la demande apportés par l’exposant), pendant le récit, après celui-ci ou au terme de la phase des questions. J’annonce aux participants que ces écrits serviront à une phase de métaréflexion ultérieurement. Je peux leur suggérer d’écrire leurs réactions spontanées ou ce qu’ils feraient à la place de l’exposant ou encore leurs analyses immédiates.

Le regard réflexif qu’ils portent ensuite sur leurs analyses peut se faire en individuel, en duos ou trios, et/ou en grand groupe. Le degré de disponibilité des participants à ce travail est déterminant en général pour en définir la durée. J’ai pu constater que cette disponibilité peut aller croissant une séance à l’autre. C’est donc par petites touches que je procède le plus souvent pour cette intégration dans le déroulement de l’APP. Tous les participants n’en tirent pas des apprentissages équivalents, mais ils en découvrent progressivement les bénéfices, que ce soit pour eux-mêmes ou pour la suite de l’analyse. En effet, celle-ci s’avère souvent enrichie par l’inclusion de ces temps « méta ». Il n’est pas rare que lors du bilan de la séance, des membres du groupe évoquent comment l’aller-retour qu’ils ont pu effectuer entre l’analyse de la pratique exposée et le regard réflexif sur les analyses produites a permis d’ouvrir de nouvelles perspectives.

b) Utilisation d’une partie d’ARPPEGE en prolongement de l’APP

Dans les l’APP que j’anime, la dernière phase (bilan et apprentissages) peut être prolongée de différentes manières, selon le temps à disposition et la concertation développée avec les participants en lien avec leurs souhaits. Parfois, cela prend la forme d’un échange de pratiques (Thiébaud, 2020). D’autres fois, l’attention est davantage portée sur des élaborations réflexives. Dans ce cas, le travail proposé correspond grosso modo à ce que le dispositif ARPPEGE prévoit dans la deuxième partie de la phase 7 et/ou dans la phase 8 (analyse méta), même s’il n’y a pas eu nécessairement production de modélisations en sous-groupes au préalable. Parfois, les analyses ont pu être produites en duos et/ou dans des formats variables (liste d’hypothèses de compréhension, scénario, etc.). Comme dans ARPPEGE, le travail effectué porte sur la forme des analyses et sur leur processus de production. Des différences observées peuvent faire l’objet d’une réflexion et mettre en lumière des décalages apprenants.

Les utilisations que j’ai faites et que j’ai évoquées d’ARPPEGE sont davantage inspirées du dispositif que déployées selon les consignes prévues dans celui-ci. Si je peux appliquer dans certaines séances d’APP directement ce qui est proposé par ARPPEGE, je constate que je l’adapte souvent à la situation et au contexte du groupe. Par ailleurs, il ne s’agit pas nécessairement d’une intégration élaborée préalablement, avant ou au début de la séance. Si elle est parfois contractualisée en amont, souvent, je la propose comme une variation dans le cadre d’une démarche d’APP dynamique et évolutive (voir Thiébaud, 2022). Dans ces cas, son utilité apparaît en cours de processus, les apports d’ARPPEGE figurant dans un répertoire de possibles que j’ai développés avec l’expérience.

Il arrive aussi que dans les temps « méta » (que j’inclus presque toujours dans les APP), les réflexions et échanges rejoignent finalement, d’une certaine façon, ce qui est proposé par ARPPEGE sans que je l’aie conscientisé comme tel. Dans une approche de l’APP qui travaille dans l’émergence et dans une dynamique d’intelligence collective (Thiébaud, 2018), j’ai par ailleurs vécu assez souvent des moments où des participants partagent spontanément des évolutions qu’ils ont observées dans l’analyse ainsi que des décalages (internes ou externes) et/ou des mises en perspective (isomorphismes ; Thiébaud & Bichsel, 2019b) entre les analyses produites et les processus mis en œuvre durant leur élaboration. Je retrouve ici, sous une forme proche, des expériences vécues dans les phases 7 et 8 d’ARPPEGE.

4. Pour conclure

Le dispositif ARPPEGE recèle d’après mon expérience énormément de potentialités. Celles-ci peuvent être d’autant plus actualisées que la priorité dans la visée est clairement et explicitement donnée au développement de la réflexivité et que les participants y adhèrent. C’est un aspect sur lequel je compte à l’avenir davantage travailler en amont avec les groupes que j’anime.

Un autre élément concerne le temps nécessaire pour que le dispositif (ou l’utilisation d’une partie de celui-ci) puisse porter pleinement ses fruits. Je pense ici à la fois à la durée de la séance et au nombre de rencontres susceptibles de permettre un apprentissage progressif du travail réflexif. Dans mes animations, j’ai la chance de pouvoir travailler avec des durées relativement confortables, ce qui m’incite à m’inspirer des apports d’ARPPEGE. Les bénéfices du dispositif m’apparaissent par ailleurs également très importants pour les formations à l’animation de groupes d’APP, d’autant si celles-ci s’inscrivent sur des temps longs (Thiébaud, 2019, 2021).

Heureusement, je n’ai pas fini d’explorer et d’expérimenter les possibilités d’utilisation d’ARPPEGE ! 

Références bibliographiques

Etienne, R. & Fumat, Y (2014). Comment analyser les pratiques éducatives pour se former et agir ?  Bruxelles : De Boeck.

Robo, P. (2002). «L’analyse de pratiques professionnelles : un dispositif de formation accompagnante», Vie pédagogique, n° 122 avec errata dans le n° 123, Ministère de l’Éducation du Québec, p 7-10 / 57. http://probo.free.fr/ecrits_app/A_propos_APP_Vie_Pedagogique.htm.

Thiébaud, M. (2013). Multiples bénéfices de l’analyse de pratiques professionnelles en groupe : quels éléments clés les favorisent ? Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 1, 61-72. https://www.analysedepratique.org/?p=54.

Thiébaud, M. (2018). Intelligence collective et analyse de pratiques en groupe : six dynamiques mobilisées. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 13(18-38). http://www.analysedepratique.org/?p=3048.

Thiébaud, M. (2019). Se former à l’animation de groupes d’APP : processus et expériences. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 15. https://www.analysedepratique.org/?p=3333.

Thiébaud, M. (2020). Analyse de pratiques <-> échange de pratiques. Quels points communs ? Quelles différences ? Quelles complémentarités ? Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 16, 51-80. https://www.analysedepratique.org/?=3629.

Thiébaud, M. (2021). Se former à l’animation de groupes d’APP : processus et expériences (2ème partie). Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 19. https://www.analysedepratique.org/?p=4359.

Thiébaud, M. (2022). Une démarche d’APP dynamique et évolutive. In S. Boucenna, M. Thiébaud, et Y. Vacher. Comment accompagner avec l’analyse de pratiques professionnelles ? De Boeck (à paraître).

Thiébaud, M. & Bichsel, J. (2019a). Animer un groupe d’analyse de pratique professionnelles : mobiliser diverses formes de régulation. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 14, 74-96. https://www.analysedepratique.org/?p=3188.

Thiébaud, M. & Bichsel, J. (2019b). Temps « méta » dans les groupes d’analyse de pratiques. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 14, 97-111. https://www.analysedepratique.org/?p=3190.

Thiébaud, M. & Vacher, Y. (2018). Explorer les dynamiques d’intelligence collective en APP favorisant l’émergence de l’inédit et de plus-values qui dépassent les apports individuels. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 13, 4-17. https://www.analysedepratique.org/?p=3042.

Thiébaud, M. & Vacher, Y. (2020). L’analyse de pratiques professionnelles dans une perspective d’accompagnement, d’intelligence collective et de réflexivité. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 18, 43-69. https://www.analysedepratique.org/?p=3716.

Vacher, Y. (2014). Phase méta en APP… quels contenus, quelles fonctions ?
Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 4, 23-34. https://www.analysedepratique.org/?p=1379.

Vacher, Y. (2022a). ARPPEGE : présentation générale du dispositif et du protocole.
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Vacher, Y. (2022b). ARPPEGE : liens entre protocole et dispositif. In S. Boucenna, M. Thiébaud, et Y. Vacher. Comment accompagner avec l’analyse de pratiques professionnelles ? De Boeck (à paraître).

 

 

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