Patrick Robo

Formateur-consultant, Béziers
patrick.robo@laposte.net

 

Résumé

« L’APP relève de l’humain, de la complexité et demande prudence et clairvoyance ». Fort de cette remarque et nourri de l’expérience acquise, cet article se voudra pratique au sens où il pourrait constituer les prémisses d’un mémento permettant d’aborder un certain nombre de cas de figures pour répondre à la double question de la mise en place puis du démarrage d’un groupe d’APP. Un peu à la manière d’un « roman dont vous êtes le héros », chacun pourra y puiser des idées, des pistes, des informations pratiques, des garde-fous…pouvant l’aider à réfléchir avant de se lancer dans cette aventure professionnelle en fonction des contextes singuliers qu’il rencontrera et de son parcours sur les voies de l’APP.

Mots-clés 

contrat, convention, négociation, volontariat, loyauté, rituels, stratégies, variété de groupes,  supervision, mémento

Catégorie d’article 

Synthèse et mise en perspective ; texte de réflexion en lien avec des pratiques

Référencement 

Robo, P. (2017). Vers un mémento pour mettre en place et démarrer un groupe d’APP…
In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 10, pp 23-41. http://www.analysedepratique.org/?p=2433.

 


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Combien de fois ai-je été destinataire lors de formations ou par des demandes directes de la question suivante : Comment s’y prend-on pour mettre place puis démarrer un Groupe d’Analyse de Pratiques Professionnelles (GAPP) ? [1] … Question provenant de personnes issues de différents milieux professionnels et ayant suivi une sensibilisation ou une formation initiale à l’animation de tels groupes, ou de personnes sollicitées par un supérieur hiérarchique informé qu’elles avaient « fait de l’APP », voire de personnes ayant simplement consulté certains écrits et trouvant l’APP intéressante à mettre en œuvre, ou de personnes créant leur structure de formation… Mais comment et que répondre à une telle demande qui ouvre à de nombreuses interrogations et à diverses possibilités d’actions ? Et si l’on s’engageait, avec celles et ceux que cela intéresserait, dans l’élaboration d’un mémento pratique au service de personnes souhaitant se lancer dans de tels projets d’APP ? Cet article pourrait modestement en constituer les prémisses.

Au-delà de cette invite et en propos liminaire, fort de ce que j’évoque dans toutes mes formations, à savoir « L’APP relève de l’humain, de la complexité et demande prudence et clairvoyance » (Robo, 2001), je dirai que si l’on n’a pas bénéficié d’un minimum de formation à l’animation de GAPP, mieux vaut prendre le temps de réfléchir, voire de chercher à se former, avant de se lancer, de proposer de l’APP, de répondre à une demande ou à une commande institutionnelles, même si l’on a vu des animateurs à l’œuvre et/ou si l’on a lu des écrits évoquant cette activité. L’expérience montre que la bonne volonté ne suffit pas à éviter des errances, voire des « dégâts » pour d’autres ou pour l’animateur[2] lui-même. Ceci étant posé, je tenterai dans cet article d’apporter dans certains cas de figures différents quelques pistes de réponses à la double question initiale en envisageant d’abord la mise en place d’un tel dispositif puis le démarrage d’un GAPP.

1. La mise en place d’un dispositif d’APP

Par dispositif j’entends un certain nombre de séances réparties sur une année minimum, pour un groupe constant, avec un/des objectif(s) précis, un contrat et l’utilisation d’une ou plusieurs modalité(s) d’APP (GFAPP, GEASE, GAP, Soutien au Soutien, etc. ; cf. Robo, 2002a). Je n’évoquerai pas ici les situations où l’on procède à une sensibilisation à, voire à une présentation de l’APP pour un groupe sur une ou deux journées. Cette mise en place dépendra notamment de deux orientations différentes : soit l’animateur fait une offre de formation et propose un dispositif, soit il répond à une demande ou à une commande[3]. C’est ce que je vais tenter d’éclairer ici, un peu à la manière d’un roman dont vous êtes le héros, en référence à la collection « Un livre dont vous êtes le héros » et dans lequel le lecteur choisit l’ordre de lecture et les paragraphes qu’il lira, le menant ainsi vers des issues différentes.

1.1 Le contrat

Quel que soit le contexte de cette mise en place, elle devra/devrait se formaliser, se contractualiser, puis se matérialiser par un écrit qui se nommera contrat ou convention, qu’il soit établi entre l’animateur et un organisme, une institution, une association, une entreprise, etc., ou entre l’animateur et des particuliers. Par la suite on utilisera ici le terme de contrat pour les deux appellations, contrat ou convention.

En France, lorsqu’il s’agit d’une participation à une formation à titre particulier il est question de « contrat de formation » – signé entre l’organisme de formation et le particulier, avant l’inscription définitive du stagiaire et tout règlement financier. Dans le cas où l’animateur dépend d’un organisme offrant de l’APP, le contrat peut être signé par le représentant de l’organisme.

1.1.1 Le contrat avec un organisme

Quel qu’il soit, ce contrat, parfois sous forme de convention, devrait contenir des points particuliers, certains obligatoires, d’autres facultatifs, et l’expérience montre qu’il convient, tant pour les responsables de l’organisme que pour l’animateur intervenant, d’être explicite et clair sur les termes et formules employés. Les « mots pour le dire » ont leur importance…

Concernant un contrat avec un organisme il y a des obligations à respecter notamment quand, par exemple, il est question de formation professionnelle continue, de Congé Individuel de Formation (CIF), de Compte Personnel de Formation (CPF), de Compte Personnel d’Activité (CPA), de Développement Professionnel Continu (DPC, dans le milieu de la Santé), etc. et qu’il y a une prise en charge financière.

A titre d’exemple et non de modèle, voir en Annexe 1 comment peut se présenter une convention de formation professionnelle avec un certain nombre de mentions obligatoires.

1.1.2 Le contrat individuel avec un (des) particulier(s)

Dans certains cas de figures, plus particulièrement quand on offre une formation directement ouverte à des personnes provenant ou non d’un organisme, il conviendra d’établir un contrat de formation professionnelle proche du précédent mais avec quelques variantes.

Voir en Annexe 2, à titre d’exemple, comment peut être rédigé un tel contrat.

1.2 L’offre de formation accompagnante

Volontairement j’utilise le terme de « formation accompagnante » (Robo, 2002b) pour signifier qu’elle s’inscrit dans une durée, est basée sur les principes de l’accompagnement, de la formation en alternance et de la formation-action. Dans ce cas de figure, c’est l’animateur qui propose une formation à l’APP et/ou à l’animation de GAPP, rédige le contrat et le propose à des intéressés potentiels, organisme et/ou particuliers.

Soit l’animateur n’accepte aucune négociation, soit il accepte de le réviser suite à des échanges, notamment quand il s’agit d’un contrat avec un organisme, ce qui n’exclut pas des négociations avec des personnes désirant y participer à titre individuel. Cette négociation, quand elle concerne le fond, nécessitera de la part de l’animateur de clarifier en premier lieu et a minima sa conception de l’APP, de préciser dans quel(s) courant(s) de l’APP il se situe, et d’expliciter quels en sont sa « vision » et ses objectifs après avoir si possible entendu les représentations de l’APP et les attentes des intéressés.

Concernant l’aspect financier, s’il y a lieu, cela se traite de gré à gré selon la loi du marché… et là les tarifs peuvent varier du simple au double… voire au triple avec certaines offres visibles sur Internet. L’animateur a peut-être intérêt à se renseigner auprès de pairs ayant une expérience en la matière, sachant que si le tarif est trop bas, cela peut être perçu comme une offre de mièvre qualité et s’il est trop élevé, l’offre risque d’être rejetée en particulier s’il y a eu un appel d’offre par l’organisme dont les critères de choix seront soit le mieux-disant, soit le meilleur rapport efficience/prix.

Il revient ensuite à l’organisme et/ou à l’animateur d’accepter ou non les conditions de mise en œuvre… puis, si accord il y a, de signer le contrat ci-dessus évoqué et qui a valeur juridique et donc d’engagement.

1.3 La réponse à une demande

Dans le cas de figure où un animateur est sollicité par un organisme (soit que l’organisme est à l’origine de la demande, soit qu’il représente un groupe demandeur), deux éventualités peuvent se rencontrer : soit la demande est précise, soit elle ne l’est pas… Autre facteur qui peut avoir une incidence sur la réponse apportée à la demande : soit l’animateur est extérieur à l’organisme et là il a toute liberté pour agir, soit il appartient à l’organisme et sa marge de manœuvre peut varier en fonction de son degré de « dépendance » à la hiérarchie ; il lui revient alors d’apprécier comment s’y prendre dans ce que je nomme une triple loyauté envers l’organisme, le groupe dont il aurait la responsabilité et chaque participant à ce GAPP (Robo, 2004). Entre autres questions qu’il peut alors se poser, il y a celle de savoir s’il s’estime légitime ou reconnu comme tel par les participants au GAPP (parfois des pairs), ou celle de savoir s’il peut animer un GAPP avec des personnes qui sont ses « inférieurs » ou ses supérieurs hiérarchiques.

Si la demande est précise on se retrouve dans la situation d’une offre négociable ou non comme ci-dessus évoquée, avec cette question : est-ce que la demande finale correspond ou non aux possibilités et compétences de l’animateur ? Il lui revient alors, en toute loyauté et dans le cadre de son éthique professionnelle, d’accepter ou non de répondre à la demande éventuellement revisitée.

Si la demande est vague, la démarche de l’animateur sera plus délicate, voire compliquée. En effet, il devra d’abord la faire préciser lors d’échanges préalables oraux et/ou écrits avec le représentant de l’organisme (et si possible avec un représentant du groupe lorsque qu’un groupe est à l’origine de la demande) : d’où vient cette demande, quelles sont les représentations de l’APP du/des demandeur(s), les objectifs visés, le public concerné, etc. ? L’animateur, comme précédemment, devra préciser son positionnement quant à l’APP et à cette demande.

Dans ce cas de figure l’organisme peut demander un devis, un certain nombre de documents, d’attestations[4] pour finaliser le contrat mais aussi pour constater, vérifier les compétences et qualités de l’animateur (diplômes, titres, CV, etc.), ou autrement dit, sa légitimité. A noter qu’une partie de ces informations peut être fournie par l’animateur s’il propose lui-même un projet de contrat, preuve de son professionnalisme. En bout de course il lui appartiendra ou non de répondre, d’une manière ou d’une autre, à la demande.

Dans le cadre d’une demande, il peut aussi arriver que l’animateur soit directement sollicité par un groupe ne dépendant pas d’un organisme. Il lui reviendra, comme ci-dessus, de mesurer la précision de la demande puis d’agir en conséquence tout en étudiant la faisabilité et en la contractualisant, de préférence par écrit.

1.4 La réponse à une commande

Dans cet autre cas de figure il s’agit généralement d’un organisme qui « commande », ordonne à un de ses membres, employé, collaborateur, cadre, etc. de mettre en œuvre de l’APP en son sein, au service de personnels y travaillant. Cette APP pouvant concerner des personnels mono ou pluri-catégoriels, un service, voire l’ensemble des personnels pour un petit organisme. L’animateur se posera ici, entre autres questions, la même que dans le cadre d’une demande : celle de sa légitimité et de sa triple loyauté.

Avec une commande, la position de l’animateur risque d’être plus délicate en fonction de son statut par rapport à l’organisme « commanditaire », de sa marge de manœuvre liée à ce statut, et en fonction de la possibilité ou non de négocier la commande. Si celle-ci n’est pas négociable et s’il a la possibilité, car elle ne lui convient pas, de la décliner sans risque ou dommages pour lui, la décision peut être facile à prendre, arguments à l’appui. Mais s’il se trouve par exemple dans une position de subalterne au sein de l’organisme, l’affaire peut se corser s’il ne souhaite pas accepter la commande pour diverses raisons ! Certes il peut toujours, en insistant un peu, tenter une négociation avec un argumentaire réfléchi et faire évoluer la commande afin qu’elle lui corresponde, puis l’accepter. Mais si la négociation est impossible et la commande « exécutoire », que faire ? Difficile de répondre pour un animateur lambda (ou épistémique comme dirait Piaget, 2007). Soit il s’exécute docilement (sans se détruire) en mettant un mouchoir sur ses convictions, sur ses valeurs… au risque d’une souffrance au travail pour lui et/ou les participants au GAPP. Soit il met en œuvre la commande en la faisant évoluer subtilement de l’intérieur avec le(s) groupe(s) qu’il animera, tout en restant dans la triple loyauté déjà évoquée. Exercice d’équilibriste…

Une autre situation peut aussi se présenter. Bien que la commande ne soit pas négociable, l’animateur l’accepte car elle lui correspond en grande partie et qu’il pense pouvoir la mettre en œuvre… Mais il risque ensuite de se trouver confronté à un groupe réfractaire ou contestataire ; c’est le cas par exemple lorsque les participants ont obligation de participer au GAPP alors qu’ils ne le souhaitent pas.

Bien entendu si la commande est négociable, l’animateur se trouve dans un cas de figure précédent et il lui revient d’agir pour l’amender et déboucher sur un contrat partagé.

1.5 Cas d’une co-animation

Quel que soit le cas de figure ci-dessus abordé, il arrive que le dispositif soit ou doive être mis en place par un binôme de co-animateurs… démarche particulière et sensible qui demande réflexion (cf. Thiébaud, 2016). Dans cette configuration, le préalable à tout ce qui précède sera l’accord entre les deux animateurs sur le fond et sur la forme du dispositif. Qu’il s’agisse des objectifs, des principes, de la ou des modalité(s) d’APP choisies, du financement, de la répartition des rôles, etc. et ce tout particulièrement si les deux n’ont jamais encore proposé et/ou co-animé ensemble de tels dispositifs.

Cette négociation préalable à toute mise en œuvre d’un dispositif d’APP co-animé relève évidemment d’une sorte de contrat explicité entre les deux animateurs, qu’il soit écrit ou non et qui reprendra les éléments évoqués ci-dessus (cf. dans ce numéro l’article de Calmejane-Gauzins).

1.6 D’autres possibles

Une autre possibilité est aussi envisageable, quel que soit le cas de figure avec un organisme et dans un souci de clarification avant de signer le contrat : elle consiste à proposer de rencontrer en amont le groupe de participants potentiels en présence ou non d’un ou plusieurs responsables de l’organisme afin de se présenter, d’exposer le dispositif dans sa globalité et que tous, participants et si possible décideurs, entendent la même chose. Ce qui peut avoir des incidences diverses : refus de participation, rejet ou évolution du projet… et/ou acceptation collective.

Evidemment, d’autres cas de figure peuvent se rencontrer, avec des spécificités particulières, singulières, que ce soit sur le fond et/ou sur la forme… En m’inspirant de Clot (2008), je dirai à ce stade que, s’il existe un genre ou des genres de mise en place de dispositifs d’APP, il peut y avoir autant de styles que d’animateurs qui doivent agir avec prudence et clairvoyance pour contractualiser leur démarche.

Pour clore provisoirement la réflexion sur la mise en place d’un dispositif d’APP en groupe peut-être convient-il de retenir qu’il y a tout un cheminement, tout un travail à mener avant de démarrer la première séance d’analyse de pratiques avec le groupe de participants inscrits dans le dispositif. Cette préparation préliminaire est indispensable ; elle contribue à la réussite de la concrétisation du projet, en particulier lors des premières séances d’APP.

2. Le démarrage d’un groupe d’APP

Une fois le(s) contrat(s) établis avec un organisme, les participants, ou un co-animateur, de préférence signé(s), la mise en route du GAPP mérite également réflexion. Là aussi plusieurs cas de figures peuvent être rencontrés qui nécessitent chacun une adaptation de l’animateur à chaque réalité rencontrée.

2.1 Des incontournables

Si l’on évoque également un genre en matière de démarrage d’un groupe d’APP, on pourra mentionner certains incontournables ou invariants, à savoir : accueillir les participants ; faire connaissance et se présenter ; expliciter le contrat de départ et  le projet de formation, de travail ; clarifier le concept d’APP et les objectifs visés ; établir un contrat andragogique ; présenter la modalité choisie pour la première séance d’analyse avec son protocole ; poser le cadre (organisationnel, matériel, symbolique, règlementaire… avec : la finalité, les objectifs, les principes, les règles de fonctionnement, les consignes, etc.) qui permettra le travail et l’analyse en groupe ; entrer dans l’analyse d’une première situation professionnelle prétexte, au sens de support, de déclencheur, de point de départ, de base, de « pré-texte » à aller vers l’analyse d’une pratique professionnelle… Mais, le premier incontournable pour l’animateur est peut-être de tâcher de savoir quel est le « type » de groupe avec lequel il va travailler, cheminer, agir (sa constitution, sa configuration, son organisation, sa disponibilité à l’APP, les relations internes, etc.). Soit il peut avoir obtenu des informations en amont qu’il pourra conforter ou non en découvrant le groupe, soit il n’en a pas eu et c’est lors de la première rencontre qu’il devra aller à la recherche de ces informations, par exemple lors de présentations, de recueil de représentations, d’attentes, etc.

Cette liste n’est ni exhaustive, ni chronologique ; il revient à chaque animateur, dans le cadre de sa préparation de la première séance, d’être au clair sur les incontournables qu’il souhaitera aborder, évoquer, expliciter, énoncer, mettre en œuvre lors de cette séance inaugurale et de choisir dans quel ordre il procèdera en fonction de sa sensibilité, de ses références théoriques, de sa formation, de ses valeurs… et de la singularité de chaque cas de figure et de chaque groupe qu’il rencontrera. Je ferai une parenthèse à ce niveau en disant que dans le cadre de la formation à l’animation de groupes d’APP j’invite les (futurs) (co) animateurs à élaborer ce que je nomme par déformation professionnelle une fiche de préparation[5] qui pourra éventuellement servir d’étayage « dans l’action » quand on est « pris » par la dimension « multitâche » (Robo, 2003 ; 2004) de ce type d’animation, tout au moins durant les premières séances.

2.2 Commencer par quel commencement avec un GAPP ?

2.2.1 Entrer en contact avec le groupe et créer du liant

Lors de la première séance avec le groupe d’APP, et avant d’entrer dans une démarche d’APP, dans le « vif du sujet », il y a un préalable nécessaire que l’animateur peut mettre ou pas en œuvre, ce que l’on pourrait nommer un rituel de formation, et qui est l’entrée en contact avec le groupe afin d’initier une relation professionnelle et humaine.

La première question à se poser, pour commencer à créer du lien en vue de créer du liant, étant : comment accueillir les participants ? Individuellement, éventuellement de manière personnalisée ; collectivement une fois installés ? avec ou sans collation ? etc. Ce qui conduit l’animateur à anticiper, quand c’est possible, la configuration de la salle en fonction de ses choix liés à ses valeurs et sa posture d’animateur, à la modalité d’APP envisagée.  Le cercle, à la manière des Chevaliers de la table ronde (configuration légendaire qui est symbole d’égalité, de parité, mais aussi de paix, chacun ayant déposé ses armes avant de prendre place), avec ou sans tables, étant l’organisation la plus fréquente qui permet notamment que chacun voit et entende tous les autres. D’autres organisations matérielles sont aussi possibles, chacune induisant ses effets : le quadrilatère, le « U » … la configuration en rangées, par exemple quand les tables sont fixées au sol, étant la moins favorable aux échanges.

Suite à ce temps qui peut être considéré comme une « perte de temps pour en gagner ensuite », il peut être nécessaire d’énoncer, de rappeler, d’expliciter le contrat de départ ainsi que le projet de formation, de travail, d’accompagnement en clarifiant les tenants et aboutissants. On voit différentes façons de mener cette clarification : soit l’animateur le fait lui-même soit il invite, quand c’est possible, le groupe à énoncer ce contrat afin qu’il soit compris et partagé. A ce moment-là peut être évoqué le calendrier des rencontres et ce que l’on pourrait nommer le contrat andragogique en indiquant le programme global (préétabli ou à (co)établir chemin faisant) et des/les modalités qui seront mises en œuvre pour atteindre les objectifs visés par le contrat initial.

Puis dans la logique de cette démarche andragogique l’animateur peut penser au contrat didactique selon Brousseau (1986) pour qui c’est « une relation qui détermine, explicitement pour une petite partie, mais surtout implicitement ce que chaque partenaire, l’enseignant et l’enseigné, a la responsabilité de gérer et dont il sera responsable d’une manière ou d’une autre devant l’autre ». Il pourra alors négocier, installer un contrat pédagogique avec le groupe, contrat évoquant explicitement, souvent sous forme de règles de fonctionnement, les droits et devoirs de l’animateur et des participants (Filloux, 1974 ; Meirieu, 1995). Ce qui permettra de préciser les attentes réciproques dans le travail qui sera entrepris, et qui laissera entrevoir « comment on va s’y prendre et agir ensemble ».

Bien entendu ces préliminaires dépendent à la fois des choix de l’animateur mais aussi du temps imparti pour une première séance. Ce qui peut amener à ne pas entrer dans l’analyse d’une pratique proprement dite lors de cette séance inaugurale, l’animateur faisant alors le choix par exemple de travailler dans le temps restant à partir des représentations initiales de l’APP pour préciser ce que c’est, ce que ce n’est pas, « démonter » les représentations erronées qui font « obstacles épistémologiques » (Bachelard, 1999). L’animateur peut aussi, à ce moment-là, annoncer, évoquer, commencer à décliner avec quelle(s) modalité(s) d’APP il envisage de faire cheminer le groupe. D’autres possibilités sont envisageables à ce moment-là, par exemple préciser le distinguo pouvant être fait entre analyser une situation et analyser une pratique, ou en demandant de citer des « types » de situations professionnelles que l’on peut rencontrer et qui mériteraient d’être analysées, ou en invitant à réfléchir sur des principes de l’APP (respect mutuel, bienveillance, confidentialité vs secret professionnel, non conseil, suspension du jugement…), ou en invitant à réfléchir sur l’approche multidimensionnelle et compréhensive, sur l’approche multiréférentielle (Ardoino, 1993), etc.

Que l’animateur prenne le temps de ces préliminaires ou pas, vient le moment d’entrer réellement dans l’APP, lors de la première ou de la deuxième séance.

2.2.2 Quelles stratégies pour entrer dans l’APP ?

Entre autres cas de figures pour initier le démarrage, pour entamer la première séance d’APP avec le groupe, deux formes, deux stratégies dominent dans les pratiques d’animateurs, à savoir :

  • Après l’entrée en contact avec le groupe, quelle que soit la forme de cette démarche, l’animateur fait le choix de clarifier d’abord le concept d’APP et sa/ses déclinaison(s) à partir des représentations, des expériences, des connaissances des participants, à partir d’un exposé interactif ou non de sa part, avec le projet d’installer un langage commun, une représentation et une connaissance partagées de l’APP. Puis il installe un cadre et enclenche une modalité d’analyse à partir d’une situation évoquée. Il peut terminer la séance par une métacommunication sur le vécu, ou par une méta-analyse sur le fonctionnement, ou par une expression des ressentis, puis dialoguer sur ce que sera la séance suivante.
  • A l’inverse, après l’entrée en contact, quelle que soit sa forme, l’animateur met rapidement le groupe en situation d’analyser à partir d’une situation évoquée et ce avec un cadre et une modalité qu’il aura explicitée ou non en amont. Suite à ce travail d’analyse il en vient à des clarifications sur le concept d’APP et sa/ses déclinaison(s) soit par méta-analyse, par exposé magistral ou non… ce qui pourra éventuellement amener à envisager des évolutions, des choix pour les séances à venir.

Je dirai ici que j’ai expérimenté ces deux formes en demandant quasi systématiquement un retour à la fin de la séance sous forme de métacommunication pour m’aider à analyser ma pratique d’animateur. Résultat : les avis sont partagés selon les groupes et même au sein d’un même groupe. Mais bien entendu ce qui guidera particulièrement la démarche de l’animateur, c’est le type de groupe avec qui il aura à composer car aucune méthode passe-partout ne prévaut en la matière. Par contre des pistes d’animation, d’action possibles sont, pourront être choisies en fonction de différents types de groupes repérés ou repérables.

2.3 Quels types de groupes peut-on rencontrer ?

La réponse à cette question ne sera pas ici exhaustive mais consistera plutôt à un premier repérage de typologies de groupes que l’animateur peut rencontrer, typologies qui auront une incidence sur ses pratiques de démarrage. Entrevoyons ici quelques premières pistes potentielles à explorer selon quelques types de groupes que l’on peut croiser dans cette approche :

  • Un groupe de volontaires : situation relativement confortable pour l’animateur qui aura soin de créer une dynamique apprenante et formatrice.
  • Un groupe de non volontaires : situation très délicate pour l’animateur qui devra « faire avec pour aller contre » quand c’est possible… Dans ce cas il est peut-être préférable de ne pas commencer à vouloir faire faire de l’APP mais travailler sur des études de cas, de la vidéo-formation avant de passer par de l’APP en binômes lors d’une séance avant d’arriver à de l’APP en groupe.
  • Un « groupe-équipe »: c’est par exemple le cas d’un groupe de participants membres d’une équipe de travail dans un organisme, participants qui se côtoient quasi quotidiennement et pouvant constituer une partie ou la totalité de l’équipe. Groupe parfois sensible à gérer et qui nécessite d’être appréhendé par l’animateur en particulier au niveau des relations internes, de hiérarchies possibles entre les acteurs, de son histoire… Groupe ou somme d’individus ? Groupe collaboratif ou coopératif ? Groupe constitué depuis combien de temps ? Groupe serein ou en tension ? Groupe participatif ou opposant ? etc. L’action de l’animateur sera relativement dépendante de ce groupe déjà constitué qui l’accueille positivement ou négativement en « corps étranger » s’il n’appartient pas à cet organisme ou à cette équipe.
  • Un groupe « nouveau »: il s’agira d’un groupe qui se constitue pour faire de l’APP avec des personnes pour la plupart étrangères entre elles. Un des rôles de l’animateur sera de faire passer de la somme d’individus à un groupe.
  • Un groupe de néophytes en APP : dans ce cas l’animateur a tout à faire découvrir concernant l’APP, à mener un travail initiatique et andragogique tout en évitant de devenir une sorte de « gourou ».
  • Un groupe ayant déjà une expérience d’APP avec un autre ou d’autres animateurs. Ici l’animateur tâchera d’avoir des informations sur quel(s) type(s) d’APP a/ont été pratiqué(s) (avec quels objectifs, quelle(s) modalité(s), quelle(s) approche(s), etc.) afin d’adapter sa démarche allant ou non dans la lignée des vécus antérieurs du groupe.
  • Un groupe « professionnel » au sens où les participants exercent, font partie de la même profession (de la santé, de l’enseignement, du commerce, de la magistrature, du bâtiment, de la médiation…) peut-être avec des métiers divers. L’animateur aura à prendre en compte, comme pour un groupe-équipe, les habitus professionnels qu’il connaît ou non, habitus en tant que « système de dispositions réglées » (Bourdieu, 1980). Dans ce type de groupes on pourra rencontrer des groupes mono-professionnels (exerçant le même métier, par exemple des infirmiers) ou pluri-professionnels (exerçant plusieurs métiers dans le même milieu professionnel : éducateur spécialisé, animateur, psychologue, secrétaire…). Plus le groupe sera mono-professionnel, plus l’animateur sera attentif aux allant de soi sources de non-dits… pouvant créer des malentendus.

A titre d’exemple avec les types de groupes évoqués ci-dessus, on peut avoir comme croisements possibles : un groupe-équipe non volontaire ; un groupe professionnel ayant déjà une expérience d’APP avec un intervenant extérieur ; un groupe nouveau composé de néophytes en APP ; etc. D’autres types de groupes existent évidemment et l’animateur aura intérêt à avoir la meilleure approche possible du type de groupe qu’il rencontre. Et si l’on voulait établir un classement, l’expérience montre que, la plupart du temps, les groupes les plus riches, les plus efficients en APP sont les groupes de volontaires avec un public très hétérogène à tous points de vue.

3. En guise de conclusion-invitation

Cet article ne se veut pas un mode d’emploi, mais plutôt comme les prémisses d’un outil pratique pouvant servir de repères à qui voudrait se lancer ou qui s’est déjà lancé, parfois à la manière de Mr ou Mme Jourdain, dans la mise en œuvre de dispositifs d’APP. En abordant d’abord ce qui, de manière incontournable devrait précéder la mise en place d’un groupe d’APP, puis le démarrage, la mise en route de l’APP dans et avec un groupe, il a exploré quelques cas de figures qu’un animateur peut rencontrer, l’invitant ainsi à être prudent et clairvoyant, tout en signifiant par là qu’il n’y a aucune orthodoxie, aucun dogme, en la matière… Et l’aphorisme d’Albert Jacquard, « Ceux qui prétendent détenir la vérité sont ceux qui ont abandonné la poursuite du chemin vers elle. La vérité ne se possède pas, elle se cherche » a tout son sens ici.

Cet article se veut aussi être une invitation à poursuivre ce chemin… invitation destinée à quelques lecteurs, lectrices qui seraient intéressé·e·s par ce projet d’élaboration coopérative d’un mémento pratique à partir de ces éléments pouvant modestement en constituer une base de départ ; un mémento au service de personnes souhaitant se lancer dans de telles démarches d’APP et qui n’ont pas eu la possibilité d’aborder de telles questions dans des formations de formateurs, des formations d’animateurs, voire dans des supervisions pourtant bien nécessaires.

L’invitation est lancée… Si affinité, prendre contact avec l’auteur qui est également preneur de tout commentaire sur et à partir de cet article.

Références bibliographiques

Ardoino, J. (1993). L’approche multiréférentielle (plurielle) des situations éducatives et formatives, Pratiques de Formation, Université Paris VIII, n° 25-26, pp. 15-34.

Bachelard, G. (1999). La formation de l’esprit scientifique. Paris, Librairie philosophique Vrin (1ère édition : 1938), chapitre 1er.

Bourdieu, P. (1980). Le Sens pratique. Paris : Minuit.

Brousseau, G. (1986). Fondements et méthodes de la didactique des mathématiques. Recherche en didactique des mathématiques. Grenoble : La Pensée Sauvage.

Calmejae-Gauzin, C. (2017). Premiers pas dans la mise en œuvre de l’analyse de pratiques. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 10, pp 42-52. http://www.analysedepratique.org/?p=2435.

Clot, Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir. Paris : PUF.

Filloux, J. (1974). Du contrat pédagogique, Paris : Dunod.

Meirieu, Ph. (1995). La pédagogie entre le dire et le faire. Paris : ESF.

Piaget, J. (2007). Le structuralisme, Paris : PUF, coll. « Quadrige » (1re éd. 1968, coll. Que-sais-je).

Robo, P. (2001). L’analyse de pratiques professionnelles, de quoi parle-t-on ? http://probo.free.fr/ecrits_app/APP_de_quoi_parle_t_on.htm.

Robo, P. (2002a).  L’APP, différentes modalités. http://probo.free.fr/ecrits_app/differents_types_d_app.htm.

Robo, P. (2002b). L’analyse de pratiques professionnelles en groupe, un dispositif de formation accompagnante. http://probo.free.fr/ecrits_app/A_propos_APP_Vie_Pedagogique.htm.

Robo, P. (2003). Quelles compétences pour un animateur de G(F)APP ? http://probo.free.fr/ecrits_app/competences_animateur_gfapp.htm.

Robo, P. (2004). Animer un groupe d’analyse de pratiques… ce n’est pas si simple !  http://probo.free.fr/ecrits_app/animer_pas_simple.pdf.

Thiébaud, M. (2016). Coanimer un groupe d’APP : 1+1=…?  In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 9, pp 37-50. http://www.analysedepratique.org/?p=2271.

 

Annexe 1

Exemple de convention avec un organisme :

CONVENTION DE FORMATION PROFESSIONNELLE

(Article L.6353-1 du Code du travail)

 

Annexe 2

Exemple de contrat avec un particulier :

CONTRAT DE FORMATION PROFESSIONNELLE

(Article L.6353-1 du Code du travail)

 

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Notes

[1] Dans cet article on entendra GAPP comme tout type de groupe d’APP quelle que soit la modalité utilisée.

[2] Par animateur on entendra toute personne, quels que soient son statut et sa fonction qui a la responsabilité d’un dispositif d’APP.

[3] Exemple de commande : le Directeur d’un établissement disant à un de ses formateurs : « l’an prochain vous ferez de l’APP avec les étudiants de 1ère année »

[4] Pour ce qui concerne la France : statut professionnel, n° de SIRET, n° de déclaration d’activité délivré par la DIRECCTE (préfecture), autorisation de cumul pour des fonctionnaires, attestation URSSAF, etc.

[5] Sorte de vade-mecum, de pense-bête, d’aide-mémoire… avec ce à quoi je dois penser, ce que je ne dois pas oublier, ce que je devrais faire, jusqu’à, pour certains, ce que je pourrais/devrais dire et comment le dire.