Marc Thiébaud

Psychologue, spécialiste de l’accompagnement et de l’animation de groupe
thiebaud[arobase]formaction.ch


Résumé

La co-animation pose question. Elle n’est pas une panacée et ne va pas de soi. Comment décider de l’utilité d’une co-animation d’un groupe d’APP ? Quels sont les paramètres qui entrent en jeu et en interaction ? Que faire pour en favoriser le succès ? Ce texte a pour but de proposer quelques repères pour aborder ces questions dans une visée de mise en perspective des multiples facteurs impliqués. Dans une seconde partie, il aborde des aspects pratiques en lien avec les questions suivantes : Quelles modalités de co-animation privilégier ? Comment mettre en place un travail en binôme ? Comment s’y préparer ? Quelle concertation assurer ? Il discute aussi de la co-animation dans le cadre des formations à l’animation de groupes d’APP et évoque des alternatives et perspectives complémentaires à la co-animation.

Mots-clés 

co-animation, plus-values, limites, modalités de mise en œuvre, formation

Catégorie d’article 

Synthèse et mise en perspective ; texte de réflexion en lien avec des pratiques

Référencement 

Thiébaud, M. (2016). Coanimer un groupe d’APP : 1+1=…?  In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 9, pp 37-50. http://www.analysedepratique.org/?p=2271.


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1. Introduction

Ce texte comprend deux parties que la rédaction de la revue a souhaité publier en deux fois compte tenu de sa longueur. Dans la première, je présente tout d’abord, de manière résumée, les principales connaissances développées à ce jour sur la co-animation. Puis j’analyse plus spécifiquement ce qu’il en est pour les groupe d’APP, en étudiant les potentialités et plus-values de la co-animation de groupes d’APP ainsi que ses limites et risques possibles. Dans la seconde partie, j’aborde les questions plus pratiques concernant les modalités de préparation et de mise en œuvre de la co-animation ainsi que les différentes formes qu’on peut lui donner. Je discute aussi de la co-animation en lien avec le développement des compétences d’animation de groupes d’APP et j’évoque des perspectives complémentaires et des alternatives à la co-animation de groupe d’APP. Cette seconde partie sera publiée dans cette même revue en automne 2017.

Les lecteurs qui désirent lire dès maintenant la version complète de ce texte avec ses deux parties peuvent y accéder via le lien suivant : www.formaction.ch/co-animer-un-groupe-app.


1.1 De nombreuses questions … pas de réponses toute faites

Les pratiques de co-animation de groupe d’APP sont relativement fréquentes et peuvent poser question. Si à ma connaissance, aucun texte n’a été publié à ce jour sur la co-animation d’un groupe d’analyse de pratiques professionnelles (APP), le sujet revient souvent dans les réflexions des animateurs. Quels sont les avantages et inconvénients d’une telle co-animation ? Quand est-elle indiquée ? Quelle forme lui donner ? Comment assurer que les bénéfices soient optimaux ? Comment ne pas « se marcher sur les pieds » l’un l’autre quand on co-anime ? Comment faire lorsque les deux intervenants n’ont pas la même vision, à un moment donné, de ce qu’il serait utile de faire pour faciliter le groupe ? Etc.

Par ailleurs, dans les formations à l’animation de groupe d’APP, durant lesquelles les participants sont invités à s’entraider dans l’animation, de nombreuses questions sont aussi soulevées. Comment se préparer ? Comment se répartir les rôles ? Comment intervenir en complémentarité ? Comment faire le bilan ensemble après une séance et en tirer les meilleurs apprentissages ? Etc.

Il n’y a pas de réponse simple ou absolue à ces questions. Tout d’abord, la co-animation n’est pas une panacée et elle ne comporte pas que des avantages. Ensuite, pour qu’elle soit bénéfique, il importe de trouver le meilleur équilibre entre plusieurs facteurs en ajustant les modalités de co-animation à la situation et en veillant à la qualité du fonctionnement et de la communication dans le duo. Les animateurs se sentent souvent plus en sécurité de pouvoir co-animer, notamment lorsqu’ils débutent et sont en formation et qu’ils ont besoin de trouver du soutien et de la confiance. Cependant, on constate que la tâche d’animation n’en est pas forcément facilitée et qu’elle gagne à être pensée et préparée avec soin.

1.2 Combien font 1+1 dans la co-animation ?

Dans les faits, les réponses aux questions évoquées ci-dessus peuvent se traduire dans des configurations différentes. Que peut apporter la co-animation ? En la matière, la logique mathématique ne fonctionne pas toujours de manière exacte. En voici quelques exemples présentés de manière caricaturale et vus sous l’angle des bénéfices pour les participants :

1+1 = 1 : pas (ou peu) de plus-value significative par rapport à une animation par une seule personne ; c’est le cas par exemple lorsque les deux animateurs interviennent à tour de rôle d’une séance à l’autre (l’un restant uniquement en position d’observateur) ou lorsque durant l’APP chacun s’exprime en redisant ce que l’autre a déjà dit.

1+1 = 2 : plus-value réelle, dans la mesure où les deux animateurs apportent chacun une part dans le travail de facilitation et de prise en compte de la complexité des processus en jeu durant la séance d’APP, en se partageant les rôles et en se coordonnant (dans cette logique des chiffres, on peut cependant considérer ici que le bénéfice n’est pas toujours plus grand que celui qu’aurait produit la séparation du groupe en deux sous-groupes avec chacun un animateur).

1+1 = 3 : plus-value exceptionnelle, liée notamment au fait que la co-animation favorise non seulement une complémentarité d’apports mais encore une créativité qui ouvre des possibilités nouvelles (par exemple parce que, en intervenant seul, aucun des deux animateurs n’aurait pu imaginer ni assurer l’utilisation d’une démarche ou d’une méthodologie particulièrement fructueuse pour le groupe d’APP).

1+1 = 0 : perte des apports du travail de facilitation, qui équivaut à un groupe qui ne bénéficierait d’aucune animation ; les contributions des deux animateurs s’annulent, par exemple parce qu’ils se contredisent et proposent des processus de travail qui ne sont pas coordonnés, sans que cela puisse être régulé dans le groupe.

1+1 = -1 : situation extrême qui peut se produire en cas de conflit entre les animateurs qui mettrait en péril à la fois la dynamique du groupe d’APP et son existence même.

Il est évident que la réalité est plus subtile que ce que laissent entrevoir ces équations et qu’il faudrait différencier les apports de la co-animation en fonction des moments particuliers d’une séance d’APP. L’évocation de ces exemples, sous forme pseudo mathématique, met en évidence le fait que les plus-values peuvent être selon les cas plus ou moins importantes et qu’il faut aussi envisager les moins-values potentielles.

Comment décider de l’utilité d’une co-animation d’un groupe d’APP ? Quels sont les paramètres qui entrent en jeu et en interaction ? Que faire pour en favoriser le succès ?

Les lignes qui suivent ont pour but de proposer quelques repères pour aborder ces questions. Elles reprennent un premier texte que j’avais rédigé en 2008 à des fins pédagogiques. Il a été enrichi par les fructueux échanges développés avec toutes les personnes, collègues et participants de groupes de formation, supervision et intervision, avec lesquelles j’ai eu le privilège de travailler et que je remercie chaleureusement.

Depuis 1989, j’ai eu l’occasion de co-animer de nombreux groupes d’APP différents et de vivre, en tant que participant, diverses APP co-animées. Plusieurs échanges dans le réseau GFAPP (Groupe de Formation à l’Analyse de Pratiques Professionnelles ; voir : https://www.analysedepratique.org/?p=3509) ont donné lieu à de riches réflexions à ce sujet. Par ailleurs, avec Jürg Bichsel, nous avons été sollicités à plusieurs reprises entre 2008 et 2014 par des animateurs désireux de se former spécifiquement à la co-animation de groupe d’APP après avoir constaté que sa mise en œuvre n’allait pas de soi. Outre ces formations, j’ai travaillé sur le sujet dans de nombreuses supervisions que j’ai animées ainsi que dans un groupe d’intervision auquel j’ai la chance de participer depuis plus de 10 ans. Enfin, j’ai pu expérimenter combien l’utilisation de la co-animation par deux formateurs ouvre de riches possibilités dans les formations à l’animation menées depuis plus de 15 ans (voir Thiébaud, 2015).

2. La co-animation de groupe

2.1 Qu’est-ce que l’on sait sur la co-animation de groupe en général ?

La co-animation de manière générale s’est développée au cours des dernières décennies dans de nombreux champs de pratiques, tels que :

  • la formation (Pfeiffer & Jones, 1975 ; Knight, 1998 ; Lalanne, 2015),
  • la conduite de réunion (Panisse, 2015 ; Laure, 2004),
  • les groupes de parole, de partage d’expérience, d’entraide, de soutien,
  • la thérapie (Soulié, 2001),
  • les interventions dans le travail social (Côté, 1990),
  • le coaching d’équipe et l’accompagnement de projets collectifs,
  • l’intervention dans les grands groupes et les organisations,
  • la médiation (Epstein, 2006 ; Keys, 2009).

On parle également parfois de co-facilitation ou de co-intervention. L’idée principale consiste toujours à travailler en coopération et à prendre en charge conjointement l’animation selon des modalités variables. Si ces pratiques de co-animation n’ont pas été l’objet de beaucoup de recherches et les écrits ne sont pas nombreux dans ces différents champs, ils offrent cependant des éléments de réflexion importants sur deux plans : a) général, transversal à ces différents champs ; et b) spécifique aux réalités de chacun d’eux.

a) Sur un plan général

Les écrits mettent en évidence des aspects transversaux que l’on retrouve dans tous les champs de pratiques et qui sont résumés ci-après.


Apports généraux potentiels de la co-animation de groupe :

  • une synergie de compétences (en considérant que personne ne maitrise l’ensemble des habiletés requises dans l’animation),
  • une diversité d’éclairages et une complémentarité d’apports et de perspectives,
  • une écoute facilitée, une présence et une attention accrues pour les participants (ceci est d’autant plus vrai que le groupe est grand),
  • une meilleure appréhension de la complexité et des différents aspects des processus de groupe (notamment lorsque les aspects émotionnels sont fortement présents ou lorsque la dynamique relationnelle est délicate, voire conflictuelle, dans le groupe),
  • plus de variété (de styles, d’approches, de méthodes) et plus de dynamisme potentiels dans l’animation,
  • une illustration, voire une modélisation de compétences utiles pour le groupe (notamment dans la communication, par l’exemple donné par les co-animateurs),
  • la possibilité de travailler plus facilement avec un grand groupe et de dédoubler au besoin les interventions (en proposant et en accompagnant un travail en deux sous-groupes),
  • le développement et l’enrichissement mutuel des deux co-animateurs.

Limites générales de la co-animation, liées notamment à :

  • à la nécessité de construire un duo qui fonctionne et qui apporte de la complémentarité, ce qui peut nécessiter du temps (choix des deux personnes, développement de la confiance réciproque, articulation des modes de travail de chacune, apprentissage ensemble de la co-animation, etc.),
  • à l’attention et à l’énergie supplémentaire requise pour la communication et la coordination dans le duo avant, pendant et après les séances,
  • au surcoût financier impliqué par la présence de deux animateurs (et/ou au gain moindre engrangé par chacun d’eux).

Par ailleurs, des risques sont également évoqués qui reviennent dans la majorité des écrits. Ils se produisent en particulier lorsqu’il y a :

  • un décalage trop grand entre les personnes qui animent (qui peut provoquer de la gêne chez les participants et chez les personnes qui animent),
  • des redondances (les co-animateurs se répètent ou se marchent sur les pieds),
  • des incohérences, des contradictions, un court-circuitage entre les interventions des deux animateurs,
  • une rigidité, un manque de liberté et de capacité au sein du duo à s’ajuster à ce qui se passe dans le groupe,
  • un déséquilibre gênant au niveau de la place, des rôles assumés par chacun des deux co-animateurs.

Différents aspects viennent moduler ces potentialités, limites et risques et peuvent accroître les bénéfices de la co-animation, notamment :

  • la connaissance l’un de l’autre, la confiance, l’appréciation et le respect mutuels présents entre les co-animateurs,
  • la reconnaissance de leurs compétences respectives, sans rivalité ou volonté de savoir mieux que l’autre,
  • la qualité de leur communication et leur capacité à « faire équipe »,
  • la clarification et l’explicitation, pour les participants, du fonctionnement du duo,
  • la concertation entre co-animateurs avant, pendant et après l’animation.

Je reviendrai ultérieurement sur certains de ces facteurs en lien avec les groupes d’APP pour les préciser et les nuancer.

b) Sur un plan spécifique

Les écrits mettent en exergue des réalités propres à chaque champ de pratiques, en lien avec leurs finalités propres. Les plus-values et les modalités de co-animation varient passablement d’un champ à l’autre, ainsi qu’en fonction des approches adoptées au sein de chacun d’eux.

Ainsi, dans la formation, la diversité des connaissances et expertises que peuvent avoir deux formateurs est souvent considérée comme un atout lorsque les apports des formateurs sont essentiels, ce qui est moins le cas dans les approches expérientielles. En thérapie, certains courants systémiques ont mis en avant l’importance du regard de « l’observateur » et ont valorisé des co-thérapies avec l’utilisation d’un miroir sans tain (derrière lequel un des thérapeutes reste dans une position « méta »). En ce qui concerne les interventions dans les organisations, la gestion des grands groupes est facilitée par la présence de deux intervenants, notamment parce qu’ils peuvent utiliser des méthodologies qui la nécessitent. Dans les médiations, il s’agit davantage de favoriser une position « neutre » ou « multipartiale » face à deux parties en conflit.

Il importe donc de préciser, nuancer et compléter les facteurs généraux, transversaux résumés plus haut concernant la co-animation en tenant compte du type de groupes concernés, de leurs finalités et de leurs processus de travail.

2.2  La co-animation des groupes d’APP

Les groupes d’analyse de pratiques présentent des spécificités (par rapport aux champs de pratiques évoqués ci-dessus) et une variété qui questionnent les plus-values de la co-animation, ses limites et la manière dont elle gagne à être mise en œuvre.

En voici quelques exemples. Dans un groupe d’APP, on cherche au maximum à mobiliser les ressources des participants : cela interroge la place que vont prendre deux animateurs et celle qu’auront les participants. Les apports d’un facilitateur de l’APP se situent essentiellement au niveau du processus, non au niveau du contenu : quelle nécessité à prévoir deux personnes ? Quelle complémentarité peuvent-elles avoir si leur expertise des contenus travaillés en analyse compte peu ? Ou encore, sur un plan plus économique : on admet généralement qu’un groupe d’APP est d’autant plus fructueux qu’il comprend un nombre restreint de participants (ne serait-ce que pour favoriser la circulation de la parole entre eux) ; cela questionne le bénéfice comme la « rentabilité » d’une co-animation dans des contextes de formation qui tendent, pour des raisons financières, à demander que les groupes aient une taille assez importante (15 personnes par exemple).

Il s’agit donc de réfléchir à la question de la co-animation de manière plus spécifique en lien avec l’APP. Je me référerai avant tout aux approches que je pratique ou que j’ai eu l’occasion d’expérimenter. Elles ont pour but commun un travail de recherche, d’analyse et de prise de recul par rapport à un vécu, une pratique professionnelle apportée par un participant dans le groupe selon le principe d’un accompagnement mutuel : chaque participant peut bénéficier successivement des apports de tous les autres participants. Ce travail est collectif et réflexif, il favorise la multiplicité des lectures et subjectivités, le partage des ressources et compréhensions ainsi que l’apprentissage et la mise en question de toutes les personnes présentes dans le groupe. Dans cette perspective, les groupes d’APP sont caractérisés par la présence simultanée au minimum des cinq éléments suivants (voir Thiébaud, 2013) :

  • travail sur des vécus de la pratique professionnelle,
  • processus d’accompagnement de l’exposant par l’ensemble du groupe,
  • questionnement et recherche en commun (qui priment sur les savoirs d’experts),
  • dynamique d’analyse collective avec croisement de multiples éclairages,
  • posture réflexive, développement d’un regard « méta » au sein du groupe.

Je m’attacherai donc dans la suite de ce texte à considérer la co-animation en regard des groupes correspondant à ces spécificités. On peut mentionner notamment les dispositifs d’APP développés en France tels que le GEASE (Etienne et Fumat, 2014), le GAP (Lévy, 2002) et le GFAPP (Robo, 2002) ; ou encore, pour autant que leur mise en œuvre valorise effectivement les aspects d’analyse des pratiques, les méthodes du codéveloppement professionnel (Payette et Champagne, 1997) et de la réflexion sur l’expérience (Bourassa, Serre et Ross, 1999 ; Schön, 1987) au Québec ainsi que celle de l’action – formation ou action learning (McGill & Beaty, 1995) dans les pays anglo-saxons.

3. Plus-values, limites et risques de la co-animation de groupes d’APP

D’après les échanges que j’ai pu avoir avec de nombreux collègues animateurs, je constate que les bénéfices de la co-animation sont souvent plus grands pour les animateurs que pour les participants. Ces deux niveaux doivent donc être distingués.

Par ailleurs, si au début de leur pratique d’animation de groupes d’APP, les animateurs tendent à privilégier la co-animation, ils l’utilisent moins avec le temps et l’expérience, notamment parce qu’ils en ressentent moins le besoin. Ce fut le cas en ce qui me concerne. En revanche, je privilégie de plus en plus le travail à deux pour mes formations (dans l’animation de groupe d’APP ou dans d’autres domaines et pour mes interventions dans de grands groupes. Sur les deux dernières décennies, cela correspond à plus de 150 heures de co-animation en moyenne par année. Je reviendrai dans la seconde partie sur les aspects liés à la formation.

3.1 Quelles potentialités et plus-values de la co-animation pour les participants

Concernant les avantages de la co-animation d’un groupe d’APP pour les participants, on constate plus spécifiquement les éléments suivants :

  • la diversité d’éclairages et d’apports: elle ne représente pas un atout particulier dans l’APP ; en effet, ce qui importe, c’est d’abord que les membres du groupe puissent développer de multiples perspectives ; trop d’expertises au niveau du contenu peut même comporter un risque pour la facilitation de l’APP ; en revanche, deux animateurs peuvent être davantage susceptibles de catalyser des regards croisés ; l’un d’entre eux peut par exemple au besoin venir à cet effet avec des questions ou des mises en perspective alors que l’autre se concentre sur les personnes et la circulation de la parole ;
  • la diversité de styles d’animation et de communication : un ou l’autre participant peut avoir plus de facilité à comprendre ce qui est proposé et à s’impliquer lorsqu’il entend un des animateurs plutôt que l’autre, parce qu’il arrive mieux à se relier à lui ; ceci est d’autant plus important que la confiance des participants dans la démarche et dans leur propre capacité à s’y investir de manière fructueuse est essentielle dans l’APP ;
  • l’écoute et la capacité de présence: elles sont extrêmement importantes dans un groupe d’APP ; l’attention doit pouvoir être portée aussi bien à la personne qui expose, aux participants qui l’accompagnent, à soi et à l’ensemble des relations présentes dans le groupe, ce qui est exigeant ; le fait d’être deux accroît la probabilité que des aspects essentiels ne soient pas négligés, notamment lorsque le groupe est assez grand ; ce sera d’autant plus le cas si les deux co-animateurs veillent à se compléter dans leurs observations ;
  • la synergie de compétences et d’actions : la complexité de certaines dynamiques de groupe peut être mieux appréhendée à deux ; par exemple, lorsque l’APP se fait au sein d’une institution, avec des personnes qui se connaissent et travaillent par ailleurs ensemble, des enjeux et des tensions peuvent apparaître, diverses émotions peuvent être exprimées et des régulations peuvent s’avérer nécessaires qui vont bénéficier de la présence de deux animateurs ;
  • en ce qui concerne le dynamisme : il ne devrait pas venir à proprement parler des animateurs ; ceux-ci devraient plutôt tendre à s’effacer dans la mesure où leur rôle consiste à faciliter la mobilisation des ressources des participants ; il pourrait y avoir le risque, si les animateurs en font trop, qu’ils « accaparent » l’attention des participants qui gagne à se porter sur la personne qui expose sa pratique et sur le travail d’analyse par le collectif ;
  • la variété : le fait d’être deux est susceptible de favoriser une variété dans les méthodes de travail, ce qui peut être un avantage (les participants ont l’occasion de découvrir et d’apprécier différentes façons d’animer et de travailler l’analyse des pratiques) ; cela dépendra des groupes ainsi que des attentes des participants … ainsi que des préférences des animateurs ; il y a aussi le risque que cela génère de la confusion si la coordination entre les animateurs n’est pas optimale ;
  • complémentarité de rôles : une richesse de la co-animation d’un groupe d’APP réside dans la possibilité de travailler de manière plus aisée à plusieurs niveaux, en se répartissant les rôles (facilitation de la parole, position « méta », prise de notes, etc.) ; dans cette optique, j’ai pu expérimenter de multiples formes d’analyse « méta » dans les groupes d’APP que j’ai eu l’occasion de co-animer ; j’y reviendrai ultérieurement (voir la second partie) ;
  • l’exemplarité: la co-animation peut faciliter la mise en évidence de comportements propices à l’APP en groupe, par exemple, dans la transparence de la communication au sein du binôme, l’absence de jugement manifestée entre les animateurs, leur ouverture, leur capacité à exprimer leurs doutes, à se questionner, voire se remettre en question l’un face à l’autre et au groupe ; comme la capacité des participants à développer différentes perspectives est importante dans l’analyse, la pluralité des regards des co-animateurs sur les processus d’APP et de facilitation ainsi que dans la méta-analyse peut être bénéfique au groupe.
3.2 Quelles potentialités et plus-values pour les co-animateurs ?

De manière générale, on constate que les co-animateurs de groupes d’APP apprécient de pouvoir :

  • s’apporter du soutien et de la sécurité (c’est d’autant plus valorisé lorsque des difficultés surviennent au niveau de la dynamique relationnelle dans le groupe et que des régulations s’avèrent nécessaire) ;
  • assurer une meilleure disponibilité et avoir le temps pour se ressourcer ou se préserver durant la séance d’APP (notamment lorsque l’on travaille avec un groupe assez grand et sur une longue durée) ;
  • avoir un meilleur recul (notamment lorsque l’un des deux reste en position « méta ») ;
  • varier les plaisirs en se répartissant et en alternant les rôles d’une séance à l’autre (voire d’une étape à l’autre du processus d’APP) ;
  • développer leur créativité et de nouvelles options dans la démarche d’APP et dans leurs interventions de facilitation ;
  • prendre plus facilement en note ce qui se passe durant l’APP ;
  • apprendre l’un de l’autre, que ce soit avant, pendant ou après les séances (par les apports réciproques, le travail d’explication de leurs postures et de leurs approches de l’APP, le partage de feed-back mutuels, des remises en question ainsi que … des valorisations entre eux).

Il est clair que les avantages pour les participants et pour les animateurs peuvent se renforcer l’un l’autre. Un exemple de cela réside dans l’expérience acquise par un duo qui a pu co-animer ensemble à de nombreuses reprises, de se soutenir et de s’apprécier mutuellement et qui a su ainsi développer, au fil du temps, une co-animation adaptative, à l’écoute des participants, attentive à la dynamique de groupe, capable de travailler dans la complémentarité et habile à utiliser toutes les ressources et potentialités présentes.

En même temps, il peut arriver aussi qu’une animation par un duo ayant la même expérience, les mêmes soutiens et appréciations mutuels ne soit pas perçue comme aussi bénéfique par les participants (par exemple si les deux animateurs sont trop centrés sur eux-mêmes ou s’ils prennent trop de place, au détriment de l’implication des participants).  J’évoquerai ci-après quelques-uns de ces risques.

3.3 Quelles limites et risques possibles de la co-animation de groupes d’APP ?

Les limites générales de la co-animation évoquées sous 2.1 existent également dans les groupes d’APP. Elles prennent cependant encore souvent plus de relief. En effet :

  • la construction du duo nécessite une construction ensemble de la co-animation conséquente si l’on veut que celle-ci apporte véritablement un enrichissement ; il ne s’agit pas de simplement additionner des apports, le défi consiste à assurer en commun une posture de facilitation et d’accompagnement du groupe ;
  • le surcoût financier peut être d’autant plus source de problèmes si l’on considère qu’un groupe d’APP gagne, d’après mon expérience, à comprendre entre 6 et 10 personnes.

Par ailleurs, le but étant de laisser le maximum de place à l’intelligence collective dans l’APP, les personnes qui co-animent ont peu de temps de parole. Il s’agit ici d’une limite partielle, dans la mesure où l’intérêt de la co-animation peut résider dans la possibilité pour l’un des animateurs de rester en recul et de n’intervenir qu’au besoin ou dans des temps déterminés (méta-analyse, bilan de la séance). On peut aussi considérer que le bénéfice à être deux se trouve davantage dans les échanges avant et après chaque séance d’APP. Ce partage peut effectivement apporter une plus-value importante dans la mesure où il permet d’expliciter les choix d’animation développés et de prendre conscience de réalités difficiles à percevoir parfois dans le « feu » de l’animation. Cependant apparaît ici aussi une limite liée au temps et à la disponibilité que requièrent ces échanges.

Compte tenu de la complexité des processus en jeu dans l’APP, les risques (évoqués en 2.1) de décalage entre les co-animateurs, d’incohérences ou de contradictions entre leurs interventions sont accrus. Ils peuvent être réduits si le duo s’organise bien en se répartissant les rôles et en préparant leur animation pour chaque étape. Mais ce faisant, les co-animateurs peuvent perdre en liberté et en capacité à s’ajuster à ce qui se passe dans le groupe. Le risque est moindre s’ils conviennent que l’un des deux reste dans un rôle « méta » et n’intervient que sur demande. Le défi d’une co-animation continue à deux réside dans le développement d’une capacité à faciliter ensemble les processus de groupe au fur et à mesure qu’ils prennent forme, à travailler avec les analyses émergentes dans le groupe, sans casser le fil par manque de synchronisation des interventions au sein du binôme.

D’autres risques peuvent apparaître si les co-animateurs sont en « fusion » l’un avec l’autre, accordant davantage d’importance à leur relation qu’à celle qu’ils ont avec le groupe. Egalement s’ils en « font trop » et induisent (sans le vouloir) chez les participants de la passivité ou s’ils les submergent (d’autant plus si le groupe est très petit). Cela peut survenir parce que chacun des co-animateurs veut se montrer le plus compétent possible ou parce qu’ils s’entrainent mutuellement sur une voie d’expertise qui n’est pas propice à de l’analyse de pratique collective. Parfois aussi, les participants ont tendance à considérer les analyses des animateurs comme plus pertinentes, à attendre leurs apports et à brider inconsciemment leur créativité et leur propre capacité de production et de « divergence ». Cela peut être d’autant plus fort face à deux personnes. En même temps, la dépendance qu’il peut y avoir face à un animateur peut être réduite si le binôme intervient peu et veille à mettre en avant les ressources des participants.

Les effets d’incompréhensions mutuelles, de désaccords, d’exercices d’influence, voire de rivalités et de compétitions dans le duo peuvent être nocifs pour la clarté du processus et affecter le climat et la dynamique collective. Compte tenu de la confiance nécessaire pour un travail d’analyse en groupe et de la complexité des processus à faciliter, ce risque gagne à être pris en considération en permanence. Il importe de vérifier que l’on se comprend bien dans la co-animation ; un malentendu peut vite s’installer, parfois d’autant plus que l’on se connaît bien et que l’on n’imagine pas que cela puisse survenir (je m’en suis rendu compte à deux reprises … à ma grande surprise). Dans le meilleur des cas, la connaissance réciproque, l’alchimie et la complicité développées font que les participants ne perçoivent plus qu’une unité dans l’animation par le duo (parfois, ils se demandent comment les deux parviennent ainsi à communiquer et se comprendre sans mots ni gestes).

3.4 En résumé

De nombreux aspects sont à considérer au moment d’envisager une co-animation pour un groupe d’APP. Aucun d’eux ne permet à lui seul de décider de son utilité, il s’agit d’envisager leur configuration d’ensemble. Certains facteurs peuvent être travaillés au sein d’un binôme afin de favoriser les meilleures probabilités de succès. Il en est ainsi par exemple des atouts que peuvent représenter la complémentarité de rôles et la capacité à assurer une écoute et une attention optimales pour le groupe. Il en va de même pour la gestion de certains risques, par exemple liés à la communication et à la compréhension réciproque entre co-animateurs ou à la place trop importante qu’ils peuvent prendre.

Cependant, comme cela a été évoqué, il s’agit d’équilibres délicats à construire et cela demande un travail conséquent. Par ailleurs, il est souvent difficile de repousser certaines limites, que ce soit sur le plan du temps que cela requiert ou du surcoût financier de la co-animation. D’après mon expérience et celles partagées par de nombreux collègues, il importe qu’il y ait des bénéfices autant pour les participants que pour les animateurs… et il n’est pas rare que ce qui fait pencher la balance du côté de la co-animation soit lié au plaisir que l’on trouve, en tant qu’animateurs, à coopérer et à se stimuler mutuellement dans le développement de ses compétences avec des collègues que l’on apprécie.

Quelles sont les modalités de préparation et de mise en œuvre de la co-animation qui sont les plus à même d’en favoriser les plus-values et d’en réduire les risques et inconvénients potentiels ? Comment s’y prendre pratiquement ? Quelles formes de co-animation peuvent être envisagées ?

Ces questions font l’objet de la seconde partie de ce texte qui peut être lue via le lien suivant : www.formaction.ch/co-animer-un-groupe-app.

 

Références bibliographiques

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Côté, I. (1990). La co-animation en travail de groupe : de la théorie à la pratique. Service social, vol. 39, 3, pp. 157-169. https://www.erudit.org/fr/revues/ss/1990-v39-n3-ss3505/706506ar/.

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