Nir-Haim Zalts
Co-responsable du DAS Accompagnement
Haute Ecole Pédagogique, Lausanne
nir-haim.zalts@hepl.ch
Résumé
« Je pense, donc je suis » ? Pas exactement. Comme l’ont démontré des études dans le domaine des neurosciences, les émotions et les pensées interagissent constamment, influençant ainsi notre expérience et nos actions (Damasio, 1995, 2023). Dans chaque décision que nous prenons et à chaque communication avec autrui, les émotions jouent un rôle. Cet article établit un lien entre ce savoir théorique et la notion de la pratique. Puis, il revient sur les expériences de l’auteur dans l’animation de groupes APP et d’échanges d’expériences, se focalisant sur le travail des émotions, pour favoriser le développement des pratiques.
Mots-clés
émotions, conscience individuelle et collective
Catégorie d’article
Expérience pratique ; témoignage ; texte de réflexion en lien avec des pratiques
Référencement
Zalts, N. (2025). Le travail de la conscience des émotions dans les groupes d’APP et d’échange d’expériences. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 27, 19-27. https://www.analysedepratique.org/?p=6084.
Emotional awareness work in PPA and experience-sharing groups
Abstract
‘I think, therefore I am’? Well, not exactly. As studies in the field of neuroscience have shown, emotions and thoughts interact constantly, influencing our experience and actions (Damasio, 1995, 2023). Emotions play a role in every decision we make and every communication we have with others. This article establishes a link between this theoretical knowledge and the notion of practice. It then looks back at the author’s experiences in facilitating APP groups and exchanges of experience, focusing on working with emotions to encourage the development of practices.
Keywords
emotions, individual and collective awareness
Trabalhar a consciência emocional no grupos de APP e compartilhamento de experiências
Resumo
“Eu penso, logo existo”? Não exatamente. Conforme demonstrado por estudos no campo da neurociência, as emoções e os pensamentos interagem constantemente, influenciando nossas experiências e ações (Damásio, 1995, 2023). As emoções desempenham um papel em cada decisão que tomamos e em cada comunicação que temos com os outros. Este artigo estabelece um vínculo entre esse conhecimento teórico e a noção de prática. Em seguida, analisa as experiências do autor na facilitação de grupos de APP e trocas de experiências, com foco no trabalho com emoções para incentivar o desenvolvimento de práticas.
Palavras-chave
emoções, consciência individual e coletiva
Introduction
Cela fait 10 ans que je me suis orienté vers l’animation de cours et de groupes apprenants dans le domaine scolaire. Lorsque j’ai écouté des acteurs de l’école parler de leurs situations, j’ai été immédiatement frappé par l’intensité émotionnelle vécue par ces personnes dans leur pratique. Leur demande d’accompagnement est souvent exprimée en termes de « comment gérer les émotions, le stress, la colère et l’impuissance ressentis pendant ces situations dites problématiques ». Cela m’a conduit à développer des cours de formation intitulés : « Comment agir dans des situations chargées d’émotions », et à mettre l’accent sur ces thématiques dans le cadre d’interventions variées, telles que les APP (Analyses de Pratiques Professionnelles), les échanges d’expériences ou encore les supervisions.
Dans ce texte, je commencerai par clarifier quelques concepts théoriques relatifs aux émotions et démontrerai leur pertinence dans l’analyse des pratiques professionnelles. Ensuite, j’explorerai les spécificités des APP et des échanges d’expériences, lorsqu’ils sont centrés sur les émotions, notamment dans le domaine scolaire.
1. Qu’est-ce qu’une émotion et quelle est sa place dans la pratique ?
1.1. La définition de l’émotion et ses fonctions
« Tout le monde sait ce qu’est une émotion, jusqu’à ce qu’on lui demande de la définir » nous dit David Sander (2024) en citant Fehr et Russel (1984). Nous les connaissons toutes et tous, car elles font partie intégrale de nos expériences, de nos conversations et de notre vie, mais il n’est pas facile de les mettre en mots. Selon Antonio Damasio (1995), les émotions sont des « programmes d’action » psycho-physiologiques universels qui visent à favoriser la survie et l’adaptation de l’organisme. Elles sont indicatrices de l’état physique et psychique de la personne, ainsi que de la valeur de ses choix. Malgré la nature universelle des émotions, le vécu des émotions dans une situation donnée est par définition subjectif (Sander, 2024). Un but dans une finale de la coupe du monde peut provoquer de la joie chez certain·e·s, et de la tristesse chez d’autres. Cela dépend des motivations de l’individu, son rôle, ses expériences du passé et d’autres facteurs liés au contexte situationnel.
En outre, Damasio démontre dans ses ouvrages que l’être humain est en constante négociation entre ses émotions et son raisonnement logique. Selon David Sander, « les émotions sont rationnelles ». Je dirais plutôt, rationalisées, car le système rationnel est plus lent que la réaction émotionnelle (Kahneman, 2016). Ces processus intégrant les émotions et les pensées ouvrent le chemin à la conscience, laquelle joue un rôle primordial dans la régulation des situations complexes de la vie (Damasio, 2023). Contrairement à la croyance populaire, dit Damasio (1995 / 2010), « nous ne sommes pas des machines pensantes qui ressentent des émotions, nous sommes des machines émotionnelles qui pensent ». Cela suppose d’une part que lorsqu’un événement surgit, l’émotion précède la pensée. En outre, comme les émotions jouent un rôle essentiel pour notre survie, la conscience des émotions par la pensée fonctionne comme une boussole qui nous aide à naviguer dans les « hautes mers » de la vie. Le mot sentiment peut être ainsi compris comme une émotion conscientisée.
1.2. Les émotions dans la relation
Une autre fonction importante des émotions réside dans les relations sociales (Assaraf, 2017) L’expression des émotions, par exemple, permet à nos interlocuteurs de connaître notre état du moment, afin d’en tenir compte dans l’interaction. Cela est rendu possible grâce à l’empathie, qui est la capacité à identifier les émotions chez l’autre, et qui constitue également une aptitude innée chez l’être humain. Ainsi, identifier, comprendre et réguler les émotions semblent être des compétences importantes dans la vie humaine, y compris au travail (Goleman, 2014).
1.3. Quel est donc le lien entre les émotions et la pratique ?
Une pratique est à comprendre comme un ensemble d’activités, de vécus, de représentations, de modèles de pensée et d’actions élaborées par la personne dans la singularité de son contexte et de sa subjectivité (Thiébaud et Vacher, 2020).
Dans cette perspective, il apparaît clairement que les émotions font partie intégrante des pratiques. Elles peuvent même jouer un rôle déterminant en influençant les décisions et les actions, notamment dans des situations où l’enjeu est particulièrement important pour les individus impliqués (Kahneman, 2016).
Cette observation met en lumière les bénéfices potentiels des APP (Analyses des Pratiques Professionnelles) et des échanges d’expériences centrés sur les émotions. Ces approches permettent de développer une meilleure conscience émotionnelle chez les praticien·ne·s, favorisant ainsi l’optimisation de leurs pratiques dans le domaine scolaire, par exemple.
2. La pertinence des émotions pour analyser la pratique
2.1. Les émotions comme des messagers
Les émotions jouent un rôle clé dans notre vie, en envoyant des messages sur notre état interne, celui des autres, et la valeur de nos choix. Mais doit-on s’y fier et agir en fonction de ces messages ? Mon expérience de 30 ans dans l’accompagnement montre que les émotions, bien qu’essentielles, sont influencées par une multitude de facteurs souvent invisibles au premier abord. Leur exploration permet de mettre en lumière des éléments inconscients de la pratique, enrichissant ainsi la compréhension des situations professionnelles complexes. Néanmoins, elles ne peuvent pas être considérées comme des guides fiables, car elles peuvent pousser l’individu à des actions peu réfléchies (se battre ou fuir, par exemple).
2.2. La conscientisation des émotions peut démasquer des croyances
L’analyse centrée sur les émotions peut ainsi faire émerger des aspects « cachés » de la conscience. Prenons l’exemple d’un enseignant ressentant une grande inquiétude avant une leçon, décrivant même une « boule ventre », d’y penser. L’analyse a suggéré que cette anxiété était liée à sa croyance selon laquelle son rôle principal consistait à « faire respecter les consignes ». Il percevait tout écart comme un échec personnel, touchant même à son identité professionnelle. Cela révèle l’importance des croyances sous-jacentes dans la genèse des émotions : elles influencent non seulement la perception de la situation, mais aussi la manière dont les actions sont interprétées. Une fois la croyance démasquée, l’individu peut la travailler, afin de faire évoluer sa représentation de la situation. Dans le cas cité plus haut, l’enseignant s’est rendu compte que l’importance qu’il accorde au respect de consigne est peut-être excessive, menant ainsi à des réactions disproportionnées de sa part.
2.3. L’émotion comme porte d’entrée à la conscience
L’analyse des émotions dans une APP (Analyse des Pratiques Professionnelles) ne se limite donc pas à identifier les ressentis ou à les réguler. Elle implique également une exploration des aspects divers importants qui influencent le lien entre ce savoir théorique et la pratique : croyances, motivations et perceptions du rôle, par exemple. Ces éléments, souvent inconscients, éclairent la singularité et la subjectivité de chaque pratique. Dans cette perspective, l’émotion peut être un point de départ, une ouverture vers une meilleure compréhension de soi et de son environnement professionnel. Ce processus de conscientisation ne vise pas à valider aveuglément les émotions comme des vérités absolues, mais plutôt à les considérer comme des indicateurs précieux. Leur exploration approfondie permet de mieux cerner leur origine et leur impact, ouvrant la voie à une réflexion plus rationnelle et informée sur les actions à entreprendre.
3. Les particularités des APP et des échanges d’expériences focalisés sur le vécu émotionnel
3.1. Le déroulement d’une APP centrée sur les émotions
Dans la plupart des groupes APP que j’anime actuellement, la demande initiale porte sur l’analyse de situations à forte charge émotionnelle. Cet axe de travail est d’emblée perçu comme particulièrement pertinent. Une séance centrée sur les émotions suit un déroulement spécifique, même si les étapes sont semblables à une APP « standard ». Je m’explique.
Elle débute par un exercice de conscience corporelle visant à « préparer le terrain » pour le travail de conscientisation à venir. En fin d’exercice, je propose aux participant·e·s d’identifier leurs besoins pour la séance. S’ensuit un tour de parole, où chacun·e partage son état physique et émotionnel du moment, ainsi que ce qu’il ou elle attend de la rencontre. Ce tour de parole permet fréquemment de faire émerger des situations susceptibles d’être analysées.
Lorsqu’un·e participant·e présente une situation, je l’invite à adopter un langage axé sur le vécu émotionnel. Il m’arrive d’accompagner ce processus en posant des questions telles
que : « Qu’as-tu ressenti à ce moment-là ? », ou « Quelles émotions ont surgi dans cette situation ? » Le groupe réagit ensuite au récit, en faisant écho à ce qu’il a perçu chez l’exposant·e, tant sur le plan verbal que non verbal. Les participant·e·s sont encouragé·e·s à identifier des nuances dans l’expression du ressenti. Puis, des hypothèses sont formulées et explorées, dans le but d’enrichir la compréhension de la situation et d’en éclairer les zones aveugles de la pratique. Je peux alors, ponctuellement, adopter une posture d’expert pour apporter des éléments théoriques utiles à l’analyse.
Une fois vérifié que l’analyse répond au besoin exprimé par l’exposant·e, il arrive que le groupe ressente le désir de partager d’autres expériences similaires. La situation initiale devient alors le déclencheur d’un échange plus large (voir section 3.4).
3.2. Les difficultés de parler de ses émotions
Je constate qu’il n’est pas simple pour les praticien·ne·s de l’enseignement de parler de leurs sentiments. La vision traditionnelle de ce métier peut être résumée par le terme « maître », cité plus haut. Cela suppose que l’enseignant·e est celui ou celle qui maîtrise : son sujet, ses élèves, le programme, la dynamique de la classe et son propre comportement. Et les émotions ? Ce sont des réactions physiologiques qui surgissent sans qu’on puisse les contrôler. Lorsque la pression est forte, elles deviennent difficilement maîtrisables. Alors, avouer qu’on les ressent, partager les difficultés à les maitriser et explorer leurs effets, c’est aussi avouer sa vulnérabilité et son imperfection en tant que maître.
3.3. Comment favoriser l’expression des ressentis ?
Dans les échanges que j’ai animés, j’ai été frappé par la honte que les praticien·ne·s peuvent ressentir face à leurs émotions. Ainsi, l’autorisation collective, et même la valorisation de l’expression des ressentis, sont des éléments essentiels dans la construction de ces groupes d’APP et d’échange d’expérience. De plus, je constate que cette liberté de ressentir et de s’exprimer a déjà un effet bénéfique et libérateur du potentiel professionnel. Elle permet de faire évoluer la vision des émotions, de « l’ennemie » de la performance à une alliée dans l’exploration de sa pratique. La nature universelle des émotions est rapidement perçue par les participant·e·s, ce qui les rassure beaucoup.
3.4. Une modalité intégrative entre APP et échange d’expériences
Souvent, lorsque la situation exposée fait écho chez différents membres du groupe, l’APP peut se transformer en un échange d’expériences, dans lesquels les participant·e·s peuvent apporter leurs pratiques à tour de rôle (Thiébaud, 2020). Le groupe explore alors les similitudes et les différences dans les réactions émotionnelles, permettant une élucidation tant au niveau individuel que collectif.
Pour illustrer, reprenons l’exemple cité plus haut, de l’enseignant qui avait décrit son sentiment de « boule au ventre ». D’autres participant·e·s ont également témoigné de sentiments similaires dans des situations comparables. Nous avons analysé ces expériences comme des manifestations d’un phénomène commun. Ensuite, nous sommes revenus vers l’exposant pour vérifier si cette analyse faisait écho à sa propre expérience.
J’ai constaté que cette souplesse entre les modalités d’APP (Analyse des Pratiques Professionnelles) et d’échanges d’expériences est particulièrement appréciée. Elle permet une démarche enrichissante de visions croisées, favorisant une compréhension partagée et approfondie des situations.
3.5. De la conscience individuelle à la conscience collective
Comme évoqué plus haut, au-delà du travail de la conscience au niveau individuel, il arrive fréquemment que les émotions permettent un accès à la conscience collective. Par ce terme, inspiré par E. Durkheim (1964) et d’autres, je fais référence à une notion de sociologie et de psychologie qui se rapporte aux croyances, comportements et représentations mentales partagés par les membres d’une collectivité. Étant donné que les personnes participant au groupe partagent la même activité professionnelle, et parfois travaillent dans le même établissement scolaire, les sentiments exprimés par l’exposant peuvent résonner chez les autres participants et raviver des souvenirs de situations similaires. Ainsi, le collectif peut prendre conscience des aspects communs, parfois systémiques, de l’expérience professionnelle. L’exemple suivant illustre ce propos.
3.6. Exemple pratique : résonance collective et changements organisationnels
Dans un groupe composé d’enseignant·e·s et de membres de la direction de l’école, l’analyse d’une situation exposée a permis de mieux comprendre les sources de souffrance liées à la relation entre l’établissement et les parents des élèves. Les sentiments d’angoisse et de solitude face à un conflit avec les parents ont été exprimés par plusieurs participant·e·s. Une hypothèse a été émise : les enseignant·e·s pensent que leur responsabilité est de contenter les parents afin que le problème soit résolu à leur niveau, sans » déranger » la direction. À la suite de cet échange, la pratique organisationnelle de l’établissement en cas de conflit avec les parents a évolué vers une meilleure collaboration entre la direction et les enseignant·e·s. Un changement dans les modalités de communication de l’établissement avec les parents a également été mis en place par un groupe de travail, qui a été créé par la directrice qui faisait partie du groupe APP. Cette dernière travaille désormais également à rendre légitime l’expression de la souffrance et la demande de l’aide au cas de conflit entre enseignant·e et parents.
4. Quelques réflexions sur sa posture et ses gestes d’animation
Lorsque je reviens sur l’évolution de ma pratique d’animation dans ces APP particulières, centrées sur les émotions, je peux relever quelques points intéressants.
4.1. Identifier les émotions dans le corps
Je propose souvent, en début de séance, un exercice guidé de conscience pour favoriser la connexion aux sensations corporelles. Les émotions se manifestent toujours dans le corps, et les identifier à ce niveau physiologique aiguise la sensibilité et s’intègrent dans le développement de la conscience émotionnelle. En outre, cet exercice favorise la transition vers l’espace de l’APP et permet au participant·e de ressentir leur état du moment. Grâce à cela, l’identification des situations ou des thématiques pour la séance devient plus facile pour les participant·e·s.
4.2. Encourager et modéliser l’expression authentique
Face à la difficulté récurrente de certain·e·s participant·e·s à exprimer leurs ressentis, j’ai constaté que mes gestes d’encouragement et l’expression de mes propres émotions (par exemple : « cela me touche, j’ai ressenti de la tristesse en écoutant ton récit… ») ont un effet positif sur la dynamique du groupe. Dans ce contexte, il est permis de ne pas tout maîtriser et d’admettre sa vulnérabilité, ce qui est même valorisé par les autres.
Modéliser implique également donc de partager mes sentiments, que ce soit dans l’instant présent ou en lien avec des situations vécues. L’objectif est de montrer que verbaliser ses sentiments est une composante essentielle de ma pratique professionnelle et d’illustrer la valeur que cela apporte au développement des pratiques.
4.3. La valeur de l’expertise de l’animateur et ses expériences
J’ai remarqué que des explications sur le fonctionnement des émotions aident les participant·e·s à mieux comprendre et analyser leurs ressentis. Cette approche favorise une plus grande clarté dans leurs réflexions. Par ailleurs, j’exprime régulièrement mes propres émotions en lien avec les situations décrites, adoptant une posture plus impliquée que dans d’autres types d’APP.
Partager mes expériences personnelles, liées aux émotions enrichit souvent les échanges. Par exemple, lors d’une discussion autour du sentiment d’impuissance exprimé par les participant·e·s, j’ai évoqué des situations où j’ai ressenti la même chose et ce que j’en ai appris. Je me permets de m’impliquer ainsi, car ces expériences, souvent universelles, résonnent avec celles des participant·e·s.
4.4. Faciliter l’analyse centrée sur les émotions
Un des défis majeurs que je rencontre concerne la facilitation de la phase d’analyse des émotions vécues. Comme mentionné précédemment, le langage émotionnel est souvent peu familier pour la plupart des participants. Dès lors, comment aider le groupe à non seulement verbaliser, mais aussi à élucider ce qui se joue sur le plan émotionnel ? Cela implique de comprendre ce qui déclenche l’émotion, ce qui influence le vécu subjectif, ou encore ce qui conditionne la tendance à agir.
Pour accompagner cette exploration sensible, j’ai développé une manière de faciliter cette analyse en posant au groupe des questions ciblées, qui visent à éclairer le processus interne de la personne. Par exemple :
- « Qu’est-ce qui pourrait expliquer l’intensité de la colère ressentie ? »
- « Si tu te mets à la place des élèves concernés, qu’éprouves-tu dans cette situation ? »
J’utilise également des métaphores pour nourrir la réflexion. L’une des plus parlantes est celle de l’éléphant et de son cavalier, qui illustre la difficulté à agir de manière appropriée lorsqu’une émotion intense nous submerge. Dans cette image, la charge émotionnelle est représentée par un éléphant de quatre tonnes, qui s’emballe face à une souris. Le cavalier – notre raison – a alors bien peu de prise sur notre animal agité. Cette métaphore rend concrète la tension entre impulsion émotionnelle et maîtrise rationnelle, et permet souvent de libérer la parole avec plus de légèreté.
5. Conclusion
Au travers de cet exercice de retour sur mes expériences, je démontre combien les émotions jouent un rôle déterminant dans la pratique enseignante. L’école est souvent perçue comme un lieu dédié aux apprentissages et aux évaluations. Or, en réalité, elle constitue également un champ d’interactions complexes entre des protagonistes aux représentations et motivations diverses, parfois même contradictoires. La vision traditionnelle de l’enseignant·e comme « maître » reste encore bien ancrée dans les représentations. Ainsi, des émotions fortes et difficiles émergent lors de situations complexes. Les APP et les échanges d’expériences permettent une prise de conscience à la fois individuelle et collective de ces processus subtils, contribuant ainsi à l’évolution du pouvoir d’agir des participant·e·s.
Références bibliographiques
Assaraf, A. (2017). Toutes les émotions en deux forces. Damasio et le « système JP ». PSN. 15(1), 29-45.
Damasio, A. (1995 / 2010). L’Erreur de Descartes : La raison des émotions. Odile Jacob.
Damasio, A. (2023). Sentir et savoir : une nouvelle théorie de la conscience. Odile Jacob.
Durkheim, E. (1964). The division of labor. NewYork: The Free Press.
Fehr L. et Russel J. (1984). Concept of Emotion Viewed from a Prototype Perspective. Journal of experimental Psychology : General. 113(3), 464–486.
Goleman D. (2014). L’intelligence émotionnelle Intégrale. J’ai Lu.
Kahneman, D. (2016). Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée. Flammarion.
Sander, D. (2024). Comprendre les émotions et leurs fonctions. Cycle. « Avenue centrale. Rendez-vous en sciences humaines ». https://www.youtube.com/watch?v=o5_5i2MlDAw.
Thiébaud, M. (2020). Analyse de pratiques <-> échange de pratiques. Quels points communs ? Quelles différences ? Quelles complémentarités ? Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 16, 51-80. https://www.analysedepratique.org/?=3629.
Thiébaud, M. et Vacher, Y. (2020). L’analyse de pratiques professionnelles dans une perspective d’accompagnement, d’intelligence collective et de réflexivité.
Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 18. 43-69. https://www.analysedepratique.org/?p=3716.
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