Catherine Bourdet

Conseillère VAE, coach vie professionnelle
cbourdetcoach[arobase]gmail.com

 

Résumé

Cet article présente une expérience de création d’un groupe d’analyse de pratiques professionnelles avec les accompagnatrices à la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) du réseau « Réuniva 4 » réunissant les quatre universités bretonnes. La mise en place de ce groupe a été pensée en deux étapes : la première était centrée sur la constitution du groupe d’échanges de pratiques portant sur l’accompagnement VAE. Cette préparation a pris deux années, temps nécessaire à la maturité du groupe, à la fidélisation des participantes et à l’ancrage d’un climat relationnel bienveillant et constructif. La maturité du groupe et les formations suivies par ses membres ont permis le glissement vers la seconde étape : l’analyse de pratiques professionnelles à proprement parler.

Mots-clés 

accompagnement, professionnalisation, échange de pratiques, transition, stratégie, glissement, formation complémentaire, maturation du groupe

Catégorie d’article 

Témoignage

Référencement 

Bourdet, C. (2017). Glissement de l’échange de pratiques vers l’analyse de pratiques professionnelles : l’expérience du groupe des conseillères VAE de « Réuniva 4 ». In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 10, pp 85-92. http://www.analysedepratique.org/?p=2446.

 


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Accompagnatrice VAE depuis 10 ans auprès de différents certificateurs, je suis intervenue au bureau REVA (Reprise d’études et Validation des acquis) de l’Université de Rennes 1 entre 2011 et 2016 pour accompagner des candidats et participer à la professionnalisation de l’équipe. Après une première expérience d’animation de séances d’échanges de pratiques avec les accompagnateurs VAE de l’Université de Rennes 1, j’ai mis en place un groupe d’analyse de pratiques professionnelles (APP) avec le réseau universitaire breton des conseillères VAE « Réuniva 4. Cet article présente la démarche de création d’un groupe d’APP, conçue en 2 temps : mise en place de séances d’échanges de pratiques, étape préparatoire (et pensée comme indispensable) avant le glissement du groupe vers de l’APP.

Après une présentation rapide des acteurs et du contexte, j’aborderai la présentation de la première séance d’APP (contrat, modalités, déroulement). Cette expérience sera ensuite analysée pour tenter d’identifier les facteurs facilitant le passage de l’échange de pratiques à l’APP.

1. Présentation de « Réuniva 4 »

« Réuniva 4 » est le réseau régional réunissant les services REVA des 4 universités bretonnes (Brest, Lorient/Vannes, Rennes 1 et Rennes 2). Les  responsables des bureaux REVA se retrouvent régulièrement autour de projets communs : création d’outils d’accompagnement en ligne, d’un guide méthodologique, du dossier VAE, harmonisation des procédures et des tarifs, campagne de communication…

En 2014, j’ai fait un certain nombre de constats sur le réseau :

  • les outils d’accompagnement étaient communs (dossier + guide méthodologique) mais les conseillères avaient peu de connaissances sur les pratiques des autres bureaux Reva ;
  • ces professionnelles (responsables et conseillères) avaient des profils et des formations différents, toutes faisant de l’accompagnement VAE en complément d’autres fonctions : conseil en reprise d’études, gestion des formations en alternance, bilan de compétences. Le nombre de candidats accompagnés par conseillère variait de 10 à 50 par an ;
  • un sentiment d’isolement était ressenti par les conseillères VAE, n’étant pas associées aux rencontres « Réuniva 4 » des responsables. Beaucoup se questionnaient sur leurs pratiques, et avaient le désir de partager, de mutualiser.

Forte de ces constats, j’ai proposé de constituer un groupe de conseillères-  accompagnatrices VAE « Réuniva 4 » et d’en assurer l’animation. La finalité était de contribuer à la professionnalisation des conseillères. Organiser un groupe d’APP était pour moi un des axes pouvant répondre à l’objectif : penser, expliciter et problématiser les expériences des participantes. La réflexion sur l’agir professionnel permet au praticien la conscientisation de savoirs construits dans l’expérience des situations rencontrées. C’est par ce retour réflexif  que l’expérience devient formatrice. Un autre axe étant l’organisation de formations courtes très ciblées sur les demandes des conseillères.

Les membres du réseau se connaissaient très peu voire pas du tout, les conditions de réunion étaient minimales (deux ou trois séances par an). J’ai préféré commencer par travailler avec le groupe avec une approche « échanges de pratiques » : plus neutre, moins « engageante » que l’analyse de situations problèmes. Ce choix était motivé avant tout par une particularité : le groupe était constitué de professionnelles et de leur responsable (N+1), toutes présentes au titre de leurs pratiques d’accompagnatrices VAE. Je voulais observer si la présence des responsables (N+1) limiterait la parole des participantes. Le risque étant que les difficultés présentées par une personne soient réutilisées par sa responsable lors de l’entretien annuel d’évaluation. J’ai évoqué ce risque avec chacune des participantes lors d’échanges informels. Bien que pour la majorité des participantes ce risque ne semblait pas constituer un obstacle à la prise de parole, j’ai souhaité sécuriser le processus en démarrant par de l’échange de pratiques.

A cette étape, je ne pouvais pas savoir si les conditions seraient réunies un jour pour passer à un groupe d’APP, même si j’allais tout mettre en œuvre pour y parvenir ! L’assiduité des membres du groupe aux rencontres, le changement continu des personnes dans les équipes, la pérennité de la demande, la maturité du groupe et le climat de confiance étaient autant d’indicateurs à surveiller pour opérer le glissement vers l’APP.

2. Naissance du groupe d’échanges de pratiques

Le groupe de conseillères (en moyenne une douzaine de personnes) s’est réuni pour la première fois en février 2014 à Lorient. Cette première rencontre a permis de fixer les objectifs et modalités de rencontres :

  • objectifs : partager pour enrichir les pratiques et se former avec l’aide d’un intervenant extérieur au réseau pour permettre la découverte d’autres approches, méthodes ;
  • deux rencontres annuelles sur une thématique particulière tels que les différentes étapes de l’accompagnement, les outils, le jury ;
  • chaque rencontre se fait dans une université bretonne différente afin de connaître les différents environnements de travail, et d’éviter une centralisation sur Rennes.

Le groupe s’est réuni cinq fois en deux ans, deux formations ont été réalisées : l’une sur la posture de l’accompagnateur avec Maela Paul (octobre 2014) et l’autre sur l’Entretien d’Explicitation (EdE) (février 2016) avec Isabelle Danet du centre académique de formation continue de Nantes (cf. Vermersch, 1994). J’ai tout d’abord proposé une intervention de Maela Paul pour répondre aux besoins du groupe : apporter des repères théoriques sur la fonction d’accompagnement afin d’outiller une réflexion sur sa posture. La formation à l’EdE a été demandée par le groupe, elle apparait fréquemment dans les formations « techniques » d’accompagnateur VAE.

Ces deux années de rencontres régulières ont permis aux conseillères de se connaître, d’échanger sur leurs pratiques, leurs outils, leurs difficultés. Cette période était pour moi indispensable pour permettre au groupe de se stabiliser, de développer une dynamique de progression et d’ouverture. La confiance, la bienveillance entre les membres entre eux et  avec l’animatrice constituent à mon sens des prérequis avant de s’engager sur de l’analyse de pratiques. J’ai mesuré au fil des journées animées l’évolution du groupe : les participantes s’engageaient de plus en plus par leur présence régulière, par leur écoute bienveillante, le respect de la parole de chacune, le plaisir de travailler et se former avec le groupe, la volonté de continuer.

J’ai constaté que les échanges de pratiques avaient porté leurs fruits : le groupe était mûr pour passer à un travail plus approfondi. Je devais juste trouver le bon moment pour amener le glissement vers l’APP.  Ce fut le cas lorsque les conseillères ont exprimé, à l’issue de la formation sur l’EdE, leur besoin de pratiquer l’explicitation afin de ne pas perdre les acquis de la formation. Chacune devait trouver son « terrain d’entraînement », et je pensais que le travail d’un groupe d’APP permettrait l’utilisation de l’explicitation. Analyser les pratiques professionnelles nécessite en effet de « savoir questionner » l’action, et les techniques de l’Entretien d’Explicitation peuvent être mises au service de ce travail.  J’ai donc proposé aux conseillères de faire évoluer les rencontres du groupe d’échanges de pratiques vers des séances d’analyse de pratiques professionnelles. Le groupe a validé ma proposition. Il était bien outillé et prêt.

3. Mise en place de la 1ère séance

J’ai demandé à une autre conseillère, qui avait déjà animé des séances d’APP, de préparer et animer ensemble cette première séance. Nous avons travaillé à partir d’un protocole présenté par Nadine Faingold (2014) car nous nous retrouvions bien dans ses propos : « les choix que j’ai opérés pour construire ce dispositif ont été déterminés par l’importance que je donne à la sécurité de celui qui expose et s’implique (le narrateur), à l’organisation spatiale des différentes phases, et aux processus de décentration et de prise de conscience. ». Ce protocole nous a semblé très opérationnel et accessible. Il est très cadré, ce qui était rassurant pour les animatrices peu expérimentées que nous étions et pour les participantes ! Dans le groupe, certaines d’entre elles n’avaient jamais fait d’APP, d’autres avaient une expérience plutôt négative. Il fallait donc démontrer au groupe que ce dispositif pouvait être très riche pour chacune, et répondre à leur besoin de professionnalisation.

En avril 2016, nous avons mis en place la première séance d’analyse de pratiques professionnelles des accompagnatrices VAE. Sept conseillères étaient présentes. Nous avons commencé par proposer une définition de l’analyse de pratiques professionnelles, puis nous avons précisé les objectifs de ce dispositif et son lien avec la professionnalisation des conseillères.

Nous avons pris le temps d’énoncer le postulat du dispositif : c’est le sujet qui sait, le groupe est à son service. La personne décide à tout moment ce qu’elle veut travailler et là où elle souhaite s’arrêter. Insister sur ce postulat a permis de faire écho avec la posture de l’accompagnateur, thématique omniprésente dans le groupe.

Les principales règles de fonctionnement ont été énoncées et écrites sur le tableau afin qu’elles restent visibles tout au long de la séance : implication des membres du groupe, écoute active, bienveillance (respect de la parole, des émotions d’autrui), confidentialité, pas de jugement, pas de conseil, pas d’apport de solution. Nous avons vérifié l’adhésion de chaque membre du groupe à ce contrat.

Enfin, nous avons présenté le rôle des deux animatrices : l’une animait le temps de travail,  (garante du cadre, régulatrice de la parole, pas de rôle d’experte). L’autre avait une position « méta » : elle écoutait les échanges avec une oreille « explicitation » et intervenait pour faire reformuler une question.

« Le groupe travaille à l’accompagnement de la personne qui apporte sa situation et son questionnement. L’animateur fait de même tout en accompagnant le groupe et en facilitant l’analyse et la dynamique collectives » (Thiébaud, 2013, p. 67).

J’ai présenté le protocole de travail au groupe, en inscrivant les grandes étapes sur le tableau, sans les détailler. Le protocole restait visible tout au long de la séance, l’animatrice énonçant chaque passage à l’étape suivante. Il est constitué de six étapes : choix de la situation, récit, questions, phase d’hypothèses, retour du narrateur, retour sur le vécu de chaque participant qui souhaite s’exprimer. L’animatrice énonce chaque passage à l’étape suivante.

La première séance a duré deux heures. L’évaluation des participantes a fait ressortir trois points :

  • le protocole paraît contraignant, mais finalement il est vécu comme sécurisant car très contenant, évitant la dispersion de paroles ; le protocole respecté permet l’exploration de la situation sous tous ses aspects, l’humilité et l’entraide entre les participantes et la narratrice ;
  • le rôle des animatrices est très important pour permettre au narrateur de s’exprimer en toute confiance et sécurité ;
  • l’APP est vraiment très formatrice, la narratrice comme les participantes ont « bougé » dans leur questionnement.

Les professionnelles ont exprimé le besoin de recommencer et de  et de pérenniser ces séances d’analyses de pratiques.

4. Analyse des facteurs facilitateurs du glissement du groupe de l’échange à l’APP

Cette première séance a été une réussite et m’a confortée dans mon choix de départ : la préparation progressive du groupe et les formations suivies ont facilité le glissement entre les deux dispositifs.

4.1 La préparation progressive

Le premier point a été évoqué plus haut : le groupe de conseillères VAE a été mis en place à partir d’un besoin exprimé de rompre l’isolement et de partager les pratiques. La finalité du groupe est la professionnalisation des conseillères VAE.

J’ai senti très rapidement que le groupe était « demandeur » et très ouvert. Les conseillères se questionnent beaucoup sur leurs pratiques ; échanger avec d’autres les rassure tout en les ouvrant sur d’autres « possibles » ou d’autres éclairages.

Le défi pour moi, en tant qu’animatrice du groupe, était de préparer le groupe à un travail d’analyse, plus impliquant, mais plus formateur que le simple échange. Pour cela, je devais travailler dans le temps en étalant sur plusieurs mois la démarche et notamment en organisant des rencontres sur des thématiques « techniques » comme le dossier, le jury, …  sur lesquelles toutes les participantes pouvaient intervenir entre elles.

J’ai donc observé ce qui se passait dans le groupe sur deux ans : la parole circulait bien dans un climat de bienveillance et de confiance. J’étais même surprise de constater que les membres du groupe s’impliquaient plus que je ne l’attendais. Echanger sur les pratiques amenait souvent à se questionner, donc à s’exposer, et à demander l’aide du groupe sous forme de question : « qu’est-ce que vous faites dans ce cas ? », « je ne sais pas si j’ai bien fait ». Cela m’a indiqué que le groupe avait envie d’approfondir des situations, qu’il voulait aller plus loin que des échanges de « recettes ». Le besoin de comprendre ce qui faisait problème dans une situation demandait une autre réponse, proposée dans le dispositif de l’APP.

Mon animation a porté ses fruits : écoute active et vigilance sur le respect de la parole de l’autre, mettant « hors-jeu » toute parole jugeante.

4.2 Les fruits des formations suivies

J’ai senti que le groupe était prêt à aller plus loin dans le travail en mesurant les effets des deux formations mises en place.

Celle sur la posture de l’accompagnateur animée par Maela Paul amena beaucoup d’éléments de réponses (« jusqu’où aller dans l’aide à la rédaction ? », « que faire quand le candidat n’écrit pas ? », etc.) et de nouvelles questions aux conseillères (« comment repérer le dépassement du cadre ? », « suis-je dans la posture d’assistance ou d’accompagnement ? »). Beaucoup d’entre elles ont lu les ouvrages Maela Paul et ont approfondi leur réflexion sur leur posture professionnelle.

La formation sur l’EdE a apporté un outillage concret sur les « techniques » de questionnement. Les accompagnatrices peuvent les utiliser dans différentes phases de la constitution du dossier VAE : exploration d’une activité, approfondissement d’une description entre autres. L’analyse de pratiques professionnelles présentait une autre opportunité pour continuer à s’exercer au questionnement (l’EdE est bien plus qu’une série de techniques de questionnement, je ne prends ici qu’un tout petit bout de l’approche de Pierre Vermesch).

Ces deux formations ont apporté un outillage conceptuel et technique qui a enrichi la réflexion et la posture de chaque conseillère. Cela s’entendait dans leur prise de parole. Ainsi le questionnement sur la posture de la praticienne apparaissait  toujours dans l’évocation d’une situation. Les formulations faisaient elles-mêmes l’objet d’un travail. Le groupe avait donc une culture de questionnement commune. Pour moi, toutes les conditions étaient réunies pour passer à une autre étape de travail du groupe, plus impliquante (car interrogeant les fondements de la pratique et de l’identité des conseillères) et exigeante que l’échange, mais répondant au besoin « d’aller plus loin » exprimé par les conseillères. Elles formalisaient l’envie d’approfondir une situation problème rencontrée, de la « travailler » en la soumettant au groupe, de la revisiter à froid.

4. Conclusion

Dans le cas des conseillères VAE du réseau « Réuniva 4 », la mise en place du groupe d’APP a été rendue possible par une progression lente et réfléchie. Les formations communes et les rencontres biannuelles ont ainsi participé à la construction du groupe. Si les stratégies mises en œuvre ont contribué au passage de l’échange à l’analyse, la motivation des conseillères à se former par et avec le groupe a aussi permis de dépasser les obstacles rencontrés (éloignement géographique, étirement du temps entre chaque rencontre avec six mois en moyenne, renouvellement partiel des membres du groupe). Cette motivation s’est traduite par une forte implication des conseillères qui était nécessaire à la participation au dispositif d’APP.

L’analyse de pratiques professionnelles est en effet un dispositif exigeant : exposer à autrui ses doutes voire ses faiblesses, prendre des risques et accepter une remise en question ne sont pas des processus faciles à enclencher ou accepter. L’implication des participants est cependant une condition indispensable pour un travail d’analyse approfondi et une prise de recul sur son agir professionnel. De ce point de vue, la posture sécurisante et vigilante de l’animatrice a certainement facilité le passage du dispositif « léger » d’échanges vers le dispositif d’APP, plus exigeant, confrontant et  impliquant.

Références bibliographiques

Faingold, N. (2014). Un dispositif d’analyse de pratiques centré sur la question que se pose le narrateur. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 3, 3-12. En ligne http://www.analysedepratique.org/?p=1221.

Thiébaud, M. (2013). Multiples bénéfices de l’analyse de pratiques professionnelles en groupe: quels éléments clés les favorisent ? In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 1, 61-72. En ligne http://www.analysedepratique.org/?p=54 .

Vermersch, P. (1994). L’entretien d’explicitation. Paris : ESF Editeur.

 

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