Claude Champagne

Formateur et animateur indépendant, groupes de codéveloppement professionnel, conseiller en ressources humaines agréé

champagne2c[arobase]gmail.com


Résumé

Cet article résume l’essentiel de la pratique du groupe de codéveloppement professionnel permettant d’en comparer l’exercice avec celui de l’analyse des pratiques professionnelles. Les fondements de l’approche et de la méthode sont évoqués de même que ses principes directeurs avant d’expliciter spécifiquement le déroulement d’une séance de consultation puis de souligner ses éléments-clé. Le lecteur pourra saisir la spécificité de cette forme cousine de communauté de pratique.

Mots-clés 

codéveloppement professionnel, consultation, apprentissages, groupe, apprentissage collaboratif

Catégorie d’article 

Texte de réflexion sur la pratique

Référencement 

Champagne, C. (2020). Le groupe de codéveloppement professionnel. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 18, pp. 24-42 et Le Codéveloppeur, vol 6, no 3. http://www.analysedepratique.org/?p=3721 et https://www.aqcp.org/wp-content/uploads/2.-claude-champagne-revue-app-15juin2020-005.pdf.


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The professional codevelopment group
Abstract

This article summarizes the essence of professional codevelopment practice. In this thematic issue, its content thus constitutes one of the bases for putting codevelopment into perspective with Professional Practices Analysis. The fundamentals of the approach and method are discussed along with its guiding principles before specifically explaining the conduct of a consultation session and highlighting its key elements. The reader will be able to understand the specific nature of this cousin form of community of practice.

Keywords

professional codevelopment, consultation, learning, group, collaborative learning


 

1. Présentation générale

Le groupe de codéveloppement professionnel (GCP) constitue une proposition d’approche et de méthode assez précises définies dans un ouvrage fondateur qui en a établi les balises en 1997 (Payette & Champagne, 1997), parfois qualifiée de « méthode Payette et Champagne ». Le GCP propose une démarche spécifique et structurée de réflexivité, d’échange et de partage. Cette démarche vise l’apprentissage ainsi que le développement de la pratique professionnelle à partir d’une recherche de solutions quant à des situations présentées par les participants. Ils sont amenés à adopter une posture de praticiens-chercheurs dans l’enquête et dans l’entraide. En plus de la méthode et de l’approche GCP, il existe une communauté de valeurs chez les personnes qui l’utilisent et qui se regroupent autour d’elle. Il s’agit d’une pratique assez homogène, bien que l’on trouve aussi des variations qui constituent des adaptations apportées au cadre initial, certaines étant plus doctrinaires que d’autres. Nous allons traiter ici des pratiques qui se sont développées de façon assez homogène à partir du modèle original, mais nous encourageons les expérimentations pour l’améliorer.

Ci-après nous présentons sommairement les fondements et les particularités du GCP en y explicitant son fonctionnement général.

2. Historique et fondements du GCP, quelques idées qui inspirent la pratique

L’approche, la méthode et la pratique du groupe de codéveloppement professionnel ont leurs sources dans la science-action ainsi que dans les pratiques pédagogiques ouvertes et participatives de réflexion sur l’action qui valorisent les savoirs d’expérience. Elle s’inspire aussi des théories du groupe restreint et de celles qui sont centrées sur le client (au sens rogérien de « la personne »). Dans des courants plus contemporains, elle s’inscrit dans les communautés de pratique et dans les outils d’intelligence collective utilisés dans les organisations qui cherchent à se réinventer.

Depuis la fin des années quatre-vingt, la pratique du GCP s’est déployée d’abord au Québec, puis s’est répandue en France, en Belgique et dans d’autres pays francophones et, de façon plus discrète, à l’international. Le GCP est conçu au Québec, dans la foulée de l’émergence de méthodes réflexives et participatives, par Adrien Payette dans sa pratique de professeur en management à l’École nationale d’administration publique et par Claude Champagne en formation des gestionnaires dans le réseau de la santé et des services sociaux. L’ouvrage que nous avons publié en 1997 décrit la proposition et demeure la référence sur le sujet. La pratique s’est initialement développée par un cercle plutôt restreint de praticiens qui ont expérimenté et échangé ensemble pour valider et améliorer cette proposition. Quelques ouvrages ont été écrits sur le sujet par la suite. Le GCP se déploie maintenant dans des organisations des secteurs public, parapublic, entreprises privées, nationales et internationales, bureaux de consultants, organismes associatifs et communautaires, institutions d’enseignement et universités, secteurs professionnels et non-professionnels. Même si l’approche a initialement vu le jour pour être appliquée en formation et perfectionnement des gestionnaires (managers) et particulièrement en gestion des ressources humaines, d’autres groupes de professionnels et de praticiens l’ont aussi utilisée avec succès. Parmi eux, des organisateurs communautaires, des intervenants sociaux, des psychologues, des coachs, des conseillers en ressources humaines agréés, des enseignants. Un groupe de praticiens informel à ses débuts s’est ensuite développé en Réseau de codéveloppement et d’action formation puis s’est constitué formellement dans l’Association québécoise de codéveloppement professionnel (www.aqcp.org). Il existe maintenant d’autres associations, organisations et groupes de personnes qui contribuent à la promotion et au développement de la pratique au Québec, en Europe et ailleurs.

Le GCP n’est pas enregistré sous une marque et les pratiques de codéveloppement respectent généralement une trame assez bien définie. Des organismes et formateurs ont développé des programmes de formation d’animateurs qui mènent parfois, mais pas nécessairement, à des accréditations, notamment en France où certains cursus sont reconnus dans un registre national des compétences. Des praticiens souhaitent une professionnalisation de la pratique comme gage de compétence, de succès et de sécurité des participants ; d’autres n’y voient pas de nécessité, préférant que la méthode soit davantage accessible tout en pouvant être appliquée avec compétence et éthique. Des modulations en intensité, en durée, en rigueur méthodologique existent dans la variété des mises en œuvre. Il y a parfois ajout d’un cadre théorique, d’apport de contenus ou de grilles d’analyse sur la pratique professionnelle concernée. Nous avons toujours encouragé l’expérimentation et l’ouverture dans l’application de la méthode. Il s’agit d’une pratique assez unifiée et homogène à laquelle nous nous intéressons ici.

2.1 Une approche inspirée de quelques champs théoriques

Au-delà des origines en lien avec le questionnement socratique ou avec l’école du pragmatisme, le GCP s’inscrit dans un ensemble de cadres théoriques et de pratiques qui sont relativement parents. Ils sont presque tous inspirés directement ou indirectement des travaux de Kurt Lewin (1948) sur la dynamique de groupe, la science-action et le changement. Parmi ces sources, divers courants de réflexion sur l’action et de reconnaissance de la valeur du savoir expérientiel tel que modélisé par Kolb (1984), de l’action learning de Reg Revans (1982), de la praxéologie de Yves Saint-Arnaud (2002), de l’approche centrée sur le client de Carl Rogers (1968), du praticien réflexif de Schön (1994), de la relation d’aide, de l’entraide et de la consultation telle que structurée par Lescarbeau, Payette et Saint-Arnaud (2003), du questionnement réflexif, ainsi que de l’approche systémique.

Dans le GCP, tout le potentiel du groupe est sollicité. Le groupe facilite un processus d’abord individuel et les interactions entre les participants favorisent des apprentissages et de la coopération à partir du cadre posé. Le groupe prend la forme d’une communauté de pratique (Champagne et Langelier, 2008) dans une perspective sociale de l’apprentissage. Le cadre proposé précise l’engagement mutuel de s’entraider et propose de construire une entreprise commune et un répertoire partagé autour d’une pratique ou d’un ensemble de préoccupations similaires, le tout étant sujet à contrat entre les participants. Il invite à la prise de temps d’arrêt pour réfléchir et interagir, à l’échange, au partage et au soutien. Il s’agit d’une forme de supervision par le groupe, que d’aucuns associent à de l’intervision.[1]

Le GCP peut aussi être considéré avec des dimensions de gestion des connaissances (Champagne et Desjardins, 2010), à partir des savoirs explicites et tacites en cause. Le savoir explicite est celui qui peut être expliqué, documenté, verbalisé par celui qui le possède, s’il le souhaite et en fonction de ses compétences à le faire. Le savoir tacite est plus intangible, non explicite, difficile à verbaliser et à expliquer clairement. La pratique réflexive en codéveloppement, invite à rendre explicite le tacite et vise à expliciter les schémas d’action et d’intervention du participant. Ceci lui permet de prendre du recul sur sa pratique pour ensuite être plus efficace. L’exercice peut amener à identifier les meilleures pratiques du participant en trouvant Comment cela marche-t-il lorsque cela fonctionne bien ?

Méthodologiquement, le GCP procède selon une démarche d’enquête « clinique » et de rôle conseil, qui comporte une similitude avec un processus scientifique, où la collecte de données objective est préalable à des processus de compréhension, d’exploration et de recherche de solutions. Il n’y a cependant pas ici de diagnostic posé, à moins que cela ne soit sollicité par le demandeur.

Le cadre théorique est plutôt d’inspiration humaniste, socioconstructiviste et interactionniste. En misant sur le potentiel de développement humain, il s’appuie sur une prémisse interactionniste selon laquelle, dans une situation donnée, l’individu agit en fonction de la signification que prend pour lui cette situation. La subjectivité de l’acteur est donc aussi importante que l’objectivité de la situation. Les deux sont indissociables. Ceci amène la proposition que chacun, comme auteur de sa vie, est maître et le principal expert de sa situation. La personne qui pose une question, un problème ou une demande et qui par le fait même la dépose et s’expose décide ce qu’elle présente ou pas et comment elle le fait. Elle demeure toujours experte et responsable de sa situation. À chaque moment, une personne fait les meilleurs choix qu’elle peut effectuer. Qui sait vraiment et peut mieux décider qu’elle ?

Le postulat est posé qu’il n’y a pas une seule bonne façon de faire pour aider à s’améliorer et apprendre. Il n’y a pas de quête de la bonne réponse qui existerait en attendant d’être découverte et qui serait parfaite et unique. Chaque échange entre deux ou plusieurs personnes produit quelque chose de totalement unique. Il est déterminé par les participants en présence avec leurs habiletés et leurs expériences, par le temps disponible, par les conversations et les silences, la prise de parole par un membre plutôt qu’un autre, le propos avancé, l’ordre de déroulement d’une idée qui mène à une conversation et pas à une autre, les questions, les observations, les conseils et les partages d’expérience, les biais dans la réceptivité du demandeur et ainsi de suite. C’est comme dans un film dont nous sommes le réalisateur et où l’histoire peut prendre des voies très différentes selon l’occurrence ou non d’un événement.

La posture proposée est proche des approches centrées sur les solutions et non sur les problèmes (De Shazer, 2009). Le travail s’effectue moins dans l’analyse des causes des situations, que dans l’exploration des options dans la zone de pouvoir des personnes. On y considère qu’il n’est pas nécessaire de connaître la cause profonde ou la fonction d’un symptôme pour le résoudre, qu’il importe d’inciter le client à « faire quelque chose » et qu’il faut trouver un filon vers un changement positif et l’encourager. L’orientation des efforts n’est pas vers le passé mais plutôt vers le futur, vers le changement souhaité. Cette approche valorise la simplicité et est orientée vers le mouvement et vers l’action.

Au plan pédagogique, le codéveloppement est en phase avec l’andragogie (Knowles, 1980) où l’apprenant est un être autodirigé avec une motivation interne qui recherche une utilisation plutôt immédiate de la connaissance et qui préfère l’expérience et la solution de problème comme source d’apprentissage. L’approche est aussi en cohérence avec la conception de Jarvis (2010) sur l’apprentissage humain. Ce dernier le décrit comme une combinaison de processus qui se déroulent au cours de la vie où la personne expérimente des situations dans laquelle elle transforme cognitivement, émotivement et/ou de façon pratique (dans l’action) le contenu qu’elle a perçu pour l’intégrer à sa biographie. Il en résulte une personne en continuel changement ou plus expérimentée.

2.2 Principes de mise en œuvre

La méthode du GCP baigne donc dans ces quelques courants théoriques qui ne constituent cependant pas un champ unifié. Les principes de base (Payette et Champagne, 1997) sont :

  • La pratique a des savoirs que la science ne produit pas
  • Apprendre une pratique professionnelle, c’est apprendre à agir
  • Échanger avec d’autres sur ses expériences permet des apprentissages impossibles autrement
  • Le praticien en action est une personne unique dans une situation unique
  • La subjectivité de l’acteur est aussi importante que l’objectivité de la situation
  • Le travail sur l’identité professionnelle est au cœur du codéveloppement.

Actuellement, je les reformule de la manière suivante[2] :

  1. S’améliorer est une quête qui trouve une prise dans l’enquête
  2. L’expérience et l’enquête sont des moteurs de l’apprentissage
  3. On s’améliore et on apprend d’abord seul mais aussi beaucoup avec les autres
  4. L’entraide est un puissant levier d’amélioration et d’apprentissage
  5. En pratique, l’action avec réflexivité suscite l’apprentissage
  6. Être orienté vers les solutions ne signifie pas nécessairement résoudre le problème
  7. Chacun est auteur et acteur de ses solutions, dans sa réalité unique.

La participation à un GCP est associée à une recherche d’amélioration de l’efficacité professionnelle et personnelle de chacun de ses participants. Ceci s’effectue à partir de situations réelles et en mettant à profit les savoirs d’expérience de tous les participants à travers un processus de relation d’aide. La démarche d’enquête vise à résoudre une tension provoquée par un problème ou une situation précise et produit des pistes de solutions immédiates ou des remises en question plus profondes. Le travail se fait à partir de la description de la situation présentée (voir point 4), par laquelle le client s’expose et élabore pour être compris, et, du point de vue des consultants, par une collecte de données pour comprendre avant de tenter d’aider. En partant de l’intention de mieux comprendre pour mieux agir, le GCP permet à chaque participant, à tour de rôle, d’exposer un morceau de sa pratique sur lequel il souhaite travailler en interaction avec les membres du groupe. L’interaction avec des pairs aide à objectiver, à enrichir la vision de la situation et à explorer des options possibles.

La personne qui expose demeure toujours experte et responsable de sa situation. Aussi, des personnes confrontées à une même situation n’en retireront pas une compréhension ni un apprentissage identique selon le sens qu’elles y auront donné (Jarvis, 1987). Dans l’entraide sollicitée avec la méthode d’apprentissage en groupe qu’est le codéveloppement, ceci libère en quelque sorte le praticien-chercheur, qu’il soit participant ou animateur, de cette pression associée à une visée de perfection dans la méthodologie, les questions, les réponses, les conseils ou les propositions. Il n’y a pas de fardeau à faire porter par un groupe ou son animateur. Les participants travaillent ensemble à s’entraider. Ils ne sont pas liés par un contrat thérapeutique et ne proposent pas une aide professionnelle. Ils tentent de créer un espace d’échange, des dialogues, des conversations, susciter des réflexions, des analyses, des prises de recul, faciliter des partages qui soient utiles, créatifs et inspirants et mais en aucun n’imposent les solutions ni des injonctions ni ne sont responsables des décisions prises.

En fait, indépendamment de la posture occupée au sein d’une rencontre (client, consultant[3] ou animateur) chacun est en mode apprentissage et invité à expliciter ses leçons apprises, pour un enrichissement personnel et collectif. La nature et le niveau d’apprentissage des participants peuvent être variables. Il peut être carrément absent, être simplement associé à l’acquisition de nouvelles connaissances ou à un sentiment de compétence augmenté, mais il peut aussi être d’un niveau réflexif beaucoup plus élevé associé par exemple à une remise en question.

3. Éléments au cœur du GCP, le tout plus que la somme des parties

L’appellation de Groupe de codéveloppement professionnel contient les éléments qui sont au cœur de sa pratique : groupe, codéveloppement et professionnel.

3.1 Groupe…

Le groupe est le substrat du processus mis en place. On cherche à réunir des personnes sur une base stable, régulière et mutuellement convenue. On met en place des moments privilégiés ainsi qu’un lieu sécuritaire et stimulant où le respect, la bienveillance et l’ouverture permettent d’interagir en toute confiance à partir de règles de fonctionnement, d’ententes et de rôles. Il ne s’agit pas d’une rencontre ad hoc. Il y a une continuité dans les réunions et les échanges et aussi une maturation dans le temps : le groupe évolue au fil des rencontres, de la maîtrise du processus, de la connaissance mutuelle des participants et de l’approfondissement des échanges. Très souvent on note un « déclic » particulier aux environs de la troisième rencontre : de la confiance, de la complicité, de l’aisance, de la profondeur s’établissent.

Peu importe la façon dont les groupes sont constitués, chaque membre devrait se sentir en confiance et libre ; des ajustements peuvent être nécessaires pour s’assurer que ce soit le cas. Une des règles cruciales concerne la confidentialité qui facilite l’ouverture et la confiance entre les participants. Elle permet aussi la mise en place d’une forme de laboratoire où on peut explorer et expérimenter, incluant la possibilité de commettre des erreurs.

Le groupe convient de règles dans un contrat. L’animation est assumée par un animateur dédié habile en animation de groupe et en relation d’aide. Il est garant du cadre, du respect et de l’approfondissement du processus et favorise les échanges ainsi que la régulation. Il facilite particulièrement les apprentissages et la reconnaissance de ces apprentissages. Il assume notamment des fonctions de clarification, de stimulation, de facilitation et d’organisation.

Le client est le participant qui est au cœur de la rencontre. Il profite des échanges pour faire avancer son problème, sa préoccupation ou son projet qui illustrent un morceau de sa pratique. Être client en codéveloppement signifie d’être au centre du processus. C’est être auteur, décideur et acteur, en relation avec les consultants qui conviennent de l’aider, dans un groupe constitué pour s’entraider. Cela ne comporte donc pas de dimension économique autre que la réciprocité et la mutualité. Ceci réfère à un processus centré sur la personne (approche centrée sur le client) et souligne que celle-ci sera à son tour redevable aux autres, même si son apport sert autant le groupe qu’elle-même. Comme client, le participant demeure responsable de ses apprentissages et de la façon dont il souhaite « travailler » avec le groupe ; il a en quelque sorte le dernier mot. Il peut retenir et assimiler les questions, les éclairages, les conseils, les partages d’expériences selon son bon vouloir à ce moment de sa démarche.

Les autres participants prennent la posture de consultant[4], non pas comme des experts de contenu, mais comme des entraidants. Ils rendent leurs ressources disponibles au client et contribuent à sa demande au meilleur de leurs capacités. Ils font cela en l’aidant à aborder divers volets de sa situation, selon un contrat convenu avec lui dans lequel il aura formulé ses demandes et en étant sensibles à son rythme.

Enfin le groupe constitue plus qu’une simple série de séances de consultation. Il se crée un sentiment d’appartenance et une vie de groupe qui continue à exister entre les rencontres, même si aucune communication formelle n’a cours. Aussi le projet d’action du client exprimé au groupe constitue une forme d’engagement, sachant qu’on l’invitera à un suivi à la rencontre subséquente. Et s’il demeure dans l’inaction, il sera proposé au client d’identifier ce qu’il apprend de ce choix.

3.2 de codéveloppement…

Le codéveloppement réfère d’abord au co : un esprit de corps, de collaboration, de coopération, de complicité, de confiance. On y retrouve l’importance du respect et de la bienveillance, dans le sens de veiller au bien. Il y a dans le groupe de codéveloppement autant une méthode qu’un esprit, une façon d’être. Il y a une recherche de convivialité, de simplicité et d’humilité dans laquelle les participants et les animateurs retrouvent une communauté de pensée.

Le co se développe au sein de l’espace codéveloppementce champ psychologique réflexif et d’apprentissage, cet espace contenant, ce cadre particulier qui est mis en place pour échanger et explorer en toute confiance et bienveillance. Il est aussi important que la qualité du questionnement ou le suivi d’un protocole d’interactions en étapes.

Le co évoque aussi que chacun est à la fois praticien et formateur/aidant. Il n’y a pas de posture de sachant et l’animateur lui-même est d’abord sollicité pour son expertise en animation et en accompagnement de groupe, bien qu’il puisse aussi contribuer autrement à l’occasion. Il n’est généralement pas le porteur d’un cadre théorique ou d’un modèle de pratiques.

Le codéveloppement réfère aussi au processus séquencé dont il sera question plus loin. Ce processus de consultation favorise autant les apprentissages que la résolution de problèmes. Il structure la conversation et les temps réflexifs et est fondé sur l’explicitation, le questionnement, la recherche de solutions, la généralisation.

Le co évoque enfin la dimension contractuelle et d’engagement qui est transversale. Il y a d’abord une charte de fonctionnement et d’engagements qui est établie en groupe. Il y a aussi plusieurs contractualisations à chaque rencontre, dont une qui concerne la demande initiale du client et qui est discutée avec le groupe, qui évolue au fil de l’échange notamment parce qu’elle est périodiquement validée auprès du client/décideur. Enfin l’engagement du client vis-à-vis du groupe (et parfois simplement le fait d’avoir explicité publiquement un sujet qui mérite action) amène aussi à un engagement à agir et à faire échanger à ce sujet avec le groupe lors de la prochaine rencontre.

3.3 professionnel

Le groupe de codéveloppement est centré sur l’action et sur l’amélioration de l’efficacité de la pratique professionnelle à partir du travail avec d’autres sur un morceau de cette pratique. Il faut voir ici la notion de pratique professionnelle de façon large. Elle regroupe généralement des participants d’une même profession et qui ont des pratiques en commun, c’est-à-dire une façon similaire d’exercer cette activité : le management et l’enseignement sont de bons exemples, mais aussi n’importe quel métier ou activité peut constituer le cœur de la vie d’un groupe. Le GCP invite à prendre une perspective méta de praticien-chercheur. Il cherche à identifier et à rendre son modèle d’action plus explicite (tout le moins d’identifier des schémas/patterns) pour être efficace. Par ailleurs, il arrive fréquemment que des participants ne se regroupent pas autour d’enjeux uniquement liés au travail ou professionnels ; des écoliers ont même utilisé la démarche dans leurs classes.

4. Mise en œuvre proposée, du concept à l’action

4.1 Déroulement général

Quatre à huit personnes, d’une origine disciplinaire unique ou variée, qui proviennent d’une même organisation ou d’environnements différents et qui croient que des pairs peuvent contribuer à leur développement professionnel se réunissent pour s’entraider et apprendre ensemble dans une initiative prise en charge par elles ou par l’organisation. Elles se rencontrent régulièrement (généralement par blocs de deux à trois heures mensuellement pour un cycle d’une année à la fois) avec le projet commun d’améliorer leurs pratiques professionnelles et de se conseiller mutuellement afin de devenir plus efficaces à partir du travail sur un morceau ou problème de leur pratique. Il y a généralement autant de rencontres dans un cycle annuel qu’il y a de participants à un GCP, de façon à ce que chacun puisse profiter au moins une fois de la posture de client. Les travaux, facilités par un animateur, s’articulent principalement autour d’un exercice balisé de consultation en quelques étapes qui conjugue la solution de problèmes à une démarche réflexive.

Chacun se présente à tour de rôle comme client pour exposer sa préoccupation, l’aspect de sa pratique ou les interrogations que lui pose un projet pendant que ses collègues endossent la posture de consultant pour l’aider à enrichir sa compréhension (réfléchir) et sa capacité d’action (agir). Chaque cycle de consultation dure entre 75 et 90 minutes et parfois plus selon l’utilisation du temps et la présence d’autres activités dans la rencontre. D’une session à l’autre, des retours permettent de valider la mise en œuvre et la pertinence des actions proposées et de consolider les apprentissages.

4.2 Déroulement formel d’une séance

Après une présentation générale du déroulement de la consultation en codéveloppement dans un tableau synthèse, une illustration concrète est proposée.

On trouvera une description complète de l’approche dans l’ouvrage de Payette et Champagne (1997), mais une série d’étapes est habituellement suivie. Le travail débute après les étapes préalables nécessaires à la mise sur pied du groupe, à l’adoption du contrat de fonctionnement, à la mise en place d’un climat de confiance et de bienveillance et à l’habilitation des participants dans les rôles de client et de consultant qu’ils sont invités à expérimenter. Le client peut être déterminé à l’avance, mais revu si un sujet plus urgent émerge chez un autre participant. Un exercice menant à identifier les intentions d’apprentissage de chacun est aussi réalisé avant de débuter la consultation.

Étape et aspects clés Déroulement
Préparation du client
(souvent désignée étape 0).
Prise de recul pour présenter efficacement.
Habituellement pré-identifié, le client prépare avant la rencontre le sujet qu’il compte présenter pour préparer les consultants à l’aider selon ses attentes.

Étape 1 – Exposé

Exposé du sujet en présentant les informations utiles pour se faire comprendre et être aidé.

En présentant son sujet (un problème, une préoccupation, un projet), le client s’expose en exposant son sujet et précise ses attentes.
Les consultants écoutent.

Étape 2 – Clarification

Questions des consultants pour comprendre, sans inférer de solutions ou de pistes d’action.

Prise de conscience par le client de la clarté de sa présentation.

Les consultants posent des questions de clarification pour documenter et expliciter le sujet d’abord, puis des questions d’exploration pour élargir les perspectives auxquelles le client répond pour s’assurer d’être bien compris. Ils sont invités à adopter une position neutre et à ne pas proposer de solutions d’emblée. Il leur est proposé de s’assurer de bien comprendre le problème, le contexte et ce que vit le client.

Étape 3 – Contrat 

À partir de l’exposé, exploration par les consultants des angles que le client semble vouloir aborder.

Clarification des attentes du client.

Finalisation de la demande et de l’entente convenue.

Après un premier partage des compréhensions de la demande du client, le client précise ses attentes et convient avec le groupe d’un contrat pour la suite de la consultation. Ce contrat doit tenir compte du temps disponible et de la capacité de contribuer des participants.

Si la détermination du contrat amène à identifier de nouveaux angles pour lesquels une clarification supplémentaire est nécessaire, un retour à l’étape précédente peut s’avérer nécessaire.

Étape 4 – Partage (souvent désigné étape de consultation)

Réponses à la demande du client à partir des ressources des consultants.

En fonction du contrat, les consultants soumettent au client, selon sa demande et la logique qui en découle, leurs regards, solutions, conseils, idées, questions, grilles de lecture ou toutes contributions. Ils doivent demeurer sensibles avec souplesse à l’atteinte aux besoins manifestés dans le contrat. La diversité des points de vue est encouragée, le consensus n’est pas recherché et le débat entre les consultants est évité, en incitant simplement le client à accueillir et à capter au maximum ce qui lui est proposé.

Il n’y a pas de diagnostic ou d’analyse posée par les consultants, à moins que cela ne soit demandé. Le client est invité à se laisser inspirer par les propos et à les noter sans jugement.

Étape 5 – Synthèse et projet d’action

Synthèse, impressions, identification de pistes prioritaires.

Le client prend le temps de faire le point dans ses idées et indique où il en est avec son sujet. Il présente ce qu’il compte faire avec ce qui vient de lui être proposé. Il peut présenter cela dans une forme plus générale de projet mais aussi de façon aussi spécifique qu’un plan d’action. Le passage à l’action, même petit, est encouragé.

Étape 6 – Apprentissage et intégration

Prise de recul sur la consultation

Partage de satisfaction, mise en commun des apprentissages

Régulation pour les prochaines rencontres

Les consultants prennent des notes puis partagent leur appréciation de la rencontre, leurs apprentissages et ce qu’ils comptent appliquer dans leur propre pratique ; le client en fait de même par la suite en identifiant comment ceci contribue à son modèle d’action ou à l’identification de patterns dans son activité.

En fin de cette étape, un moment est réservé à la régulation du fonctionnement du groupe et à la prise de recul (perspective méta) sur les apprentissages groupaux.

Préparation de la prochaine rencontre

Identification du prochain client et des ajustements au fonctionnement.

Lors de la prochaine rencontre, un retour à propos de la dernière consultation est effectué

À tout moment, les temps d’arrêt sont permis pour porter un regard méta sur ce qui est en train de se produire au sein du groupe ou pour recadrer des interventions.

Tableau 1 : déroulement de la consultation en codéveloppement

4.3 Illustration

Les paragraphes suivants présentent une illustration à travers le témoignage d’une intervenante en santé mentale, à titre d’exemple.

« Le sujet de ma consultation en quelques mots : Comment obtenir la collaboration de M. X. ? J’ai tout essayé, rien ne va plus !

Notre groupe, composé de sept personnes plus notre animatrice se réunit mensuellement pour s’entraider à propos de notre façon d’intégrer l’approche du rétablissement[5] dans nos interventions. À la dernière rencontre, je me suis proposée pour discuter d’un cas.

La préparation.

Le fait de préparer ma présentation m’a aidée à mettre de l’ordre dans mes interventions auprès de M. X. Même avant d’exposer ma situation, je me suis rendu compte que je n’étais pas toujours si prête que cela.

Le sujet.

J’ai présenté les interventions que j’ai tentées et les résultats mitigés que j’ai obtenus. J’ai tout essayé et malgré des plans d’intervention bien structurés, rien ne fonctionne avec M. X. Je souhaitais faire appel à leur expertise pour voir s’ils avaient connu des situations similaires et pour découvrir de nouvelles façons d’intervenir. Je croyais être assez claire.

Les questions.

On m’a interrogé sur plusieurs de mes interventions en me demandant de les décrire précisément. Je me suis rendu compte que de l’information supplémentaire était nécessaire et bien éclairante.

Le contrat.

J’ai demandé l’avis de mes consultants quant à mes interventions. En ciblant ma demande, j’ai pu identifier le volet particulier sur lequel je souhaitais de l’aide.

L’échange.

J’ai tout noté. Premièrement, les questions et les échanges m’ont permis de prendre conscience que mes attentes étaient peut-être démesurées et que je devrais, dans un premier temps, me satisfaire de petits changements. On m’a donné du reflet, à juste titre, sur mon degré élevé d’exigence. Aussi, il y a des éléments de l’historique familial de M. X. que j’ai oublié de valider, ce que je vais m’assurer de faire pour mieux comprendre sa dynamique. Alors que je voulais connaître de nouveaux modes d’intervention, les consultants m’ont amenée ailleurs et plus loin que le contrat initial, avec mon accord. Ils ont confirmé que sur le plan « technique », je posais les bons gestes. C’est dans la persévérance que je devais regarder. En effet, je note qu’avec M. X., je passe souvent d’une stratégie à l’autre sans laisser le temps faire son œuvre.

Aussi, j’ai été rassurée quant à mes interventions, qui respectaient bien l’esprit de l’approche du rétablissement que j’intègre à ma pratique. J’étais un peu craintive de parler de cela devant mes pairs. Le fait de sentir que d’autres avaient connu des situations similaires m’a fait du bien. Je ne suis pas incompétente !

Mon plan d‘action, en quelques mots : m’organiser davantage, cibler de plus petits objectifs, persévérer… et me faire confiance. Je me rends compte que ma pratique professionnelle peut être plus efficace avec de la planification. J’ai hâte d’expérimenter pour en reparler à notre prochaine rencontre. Je suis impressionnée de la richesse que j’ai vécue dans cette heure et demie où j’ai été cliente, et mes partenaires aussi. »

5. Des éléments clés pour la réussite de la démarche

Les objectifs du GCP sont de s’entraider pour apprendre ensemble et être plus efficaces. Ceci s’effectue en s’exposant, en invitant à penser différemment, à ressentir davantage et en agissant et en interagissant avec bienveillance. On y parvient avec un processus structuré, simple et accessible avec des temps d’arrêt pour réfléchir, interagir, prendre de la distance, en utilisant le groupe et à partir de l’action/ la pratique.

5.1 Un processus structuré, simple et accessible

Le processus exposé précédemment avec des rôles complémentaires encadre les échanges et s’assure d’une rigueur et d’un approfondissement en mettant à contribution l’apport des participants. Il se déroule dans un espace sécuritaire et avec un engagement des participants. L’importance de tenir le cadre est maintes fois reconnu par les participants comme une clé de la création d’une expérience réussie. Il amène à des façons différentes d’interagir en groupe et de réfléchir ensemble.

L’animateur, qui occupe aussi parfois la fonction d’organisateur, n’en demeure pas moins une clé de voute pour aider à s’approprier et à tenir ce cadre de façon fluide. Il est spécialiste du processus de groupe et du codéveloppement. Il intervient pour aider à mettre à profit le potentiel des participants ainsi que pour prendre du recul, mais il peut contribuer au besoin comme consultant. Il peut proposer des activités complémentaires pour aider le groupe. Si un groupe est lié à un programme de formation et sert à faciliter un transfert de compétences (développement du leadership de gestion, appropriation d’un modèle de pratique, par exemple), il doit connaître les contenus pour assumer cette posture pédagogique/andragogique.

La simplicité de la démarche ne la rend pas moins puissante. Plus conviviale, participative et incarnée que cérébrale, intellectuelle et formelle, sa simplicité apparente et sa dimension pratique la rendent assez facilement accessible.

5.2 Des temps d’arrêt pour réfléchir, interagir, prendre de la distance.

La participation à un GCP se construit sur un engagement à prendre du temps pour s’occuper de son efficacité professionnelle. Le premier temps d’arrêt est celui de l’engagement à participer à un groupe, qui constitue une forme d’activité de formation et de perfectionnement qui se différencie des autres formules. Mais aussi, le temps d’arrêt pris pour la préparation d’un cas à présenter est une dimension non négligeable de l’intérêt de la démarche. Ce temps invite à réflexion dès la préparation du client.

Les rencontres privilégiant des moments d’introspection à l’une ou l’autre des étapes contiennent aussi de nombreuses occasions de s’arrêter. Ces temps sont cruciaux, mais n’ont pas à être exagérément longs. Ce n’est pas la durée seule qui est gage d’apprentissages plus profonds en codéveloppement. Il arrive qu’une simple question ait beaucoup d’impact, que des partages d’expériences anecdotiques soient très inspirants, que des conversations courtes aient de grands effets, que des métaphores soient plus percutantes que de longs échanges.

Le processus invite à une objectivation de la situation ou du sujet de consultation et conséquemment à une prise de recul, à l’identification de liens entre les parties, à l’adoption d’une posture méta qui permet un regard différent. Le sujet de consultation du client fait souvent écho chez les consultants et les amène à réfléchir à leur propre pratique professionnelle. L’espace de sécurité créé au sein du groupe favorise aussi cette posture de réflexivité.

5.3 En misant sur le groupe et des participants qui s’engagent

La réflexion s’effectue seul dans un dialogue avec soi-même. Elle s’effectue aussi devant et avec d’autres dans un dialogue avec eux, dans un processus séquentiel et méthodique, dans l’interaction, par le questionnement, par l’exploration, par les contributions. Elle s’effectue aussi par les ressentis et les silences et par l’écoute, la bienveillance, le respect, le non-jugement.

Une attention portée aux choix des participants permet de constituer un groupe qui cheminera en toute confiance. S’assurer qu’on n’y trouve pas de participants en conflit d’intérêt ou qui ne partagent pas, ad minima, une communauté de pratique constitue un facteur de base pour favoriser les échanges constructifs répondant aux besoins de ceux qui se réunissent.

D’une rencontre à l’autre il se développe un esprit de corps chez les participants, une maturation du groupe. À ses débuts, le groupe est en démarrage et exploratoire : les participants s’initient à la démarche, précisent leurs objectifs, explorent les types de sujets qui permettent des réflexions et des échanges : on expérimente le comment-faire, le savoir-être et les possibilités. Puis le groupe devient fonctionnel. Il devient opératoire et efficace dans le comment-faire. Le groupe mature se centre sur l’être. Dans des groupes plus avancés, il y a approfondissement du sens (Champagne, 2018).

5.4 À partir de l’action et de la pratique

Dans l’apprentissage expérientiel en GCP, le travail s’effectue à partir de problèmes et de situations réelles qui occupent la conscience des participants, qu’ils vivent actuellement et qu’ils évaluent avec un potentiel d’apprentissage. Le praticien-chercheur est hautement concerné par la situation et le processus vise à élargir son pouvoir d’agir. Le client est encouragé à tester ses hypothèses d’action pour revenir au groupe et partager les nouvelles leçons apprises et leurs impacts sur son modèle d’action. Et même si le problème n’est pas résolu lors de l’exercice de consultation, l’important est d’en dégager des apprentissages.

Un des objectifs, pas nécessairement toujours réalisé, est d’aider à formaliser son modèle d’action ou à tout le moins d’identifier ses schémas. Ceci se construit dans le temps et à partir d’exercices proposés où l’écriture dans un journal de bord peut avoir une place importante.

5.5 De façon contractuelle et en responsabilité partagée

Tout le processus est mutuellement convenu et suit le rythme des parties en présence. Ceci est d’abord le cas pour la façon de s’investir dans un tel groupe et de convenir des façons de travailler ensemble en mode de GCP. Il y a aussi accord dans le choix des participants et des sujets, ainsi que du déroulement de chaque rencontre, au rythme du contrat convenu et continuellement validé entre le client et le groupe.

Chacun est responsable de ses apprentissages et de leur approfondissement, de sa participation, de son engagement et de communiquer ses besoins et frustrations quant au processus convenu à ses partenaires d’apprentissage. Le succès ne repose ni seulement sur la méthode ni sur le seul animateur.

6. Compétences requises, du savoir-faire pour le pouvoir agir

Sans que ceci ne constitue un absolu, un certain nombre de compétences et d’attitudes contribuent à l’efficacité d’un GCP. On peut en évoquer quelques-unes.

De façon générale, le participant doit partager la conviction qu’il est possible d’apprendre avec des pairs. Il doit être à l’aise avec le processus proposé et que ces temps d’arrêt et l’investissement nécessaire pourront lui être profitables. Il doit être capable de montrer de l’ouverture, une écoute attentive et de l’intérêt à partager/profiter de savoirs d’expérience. Il doit être mesure de se mettre en mode introspection pour identifier ses intentions d’apprentissage et ouvert à l’idée de s’exposer pour apprendre en prenant les diverses postures proposées.

Comme client, le participant accepte de s’exposer en exposant. Il prend le risque de se dévoiler pour apprendre et susciter des apprentissages chez ses pairs. Il s’engage activement et avec responsabilité dans le processus. Il sait se préparer, préciser ses besoins à travers sa demande, s’assurer qu’ils soient respectés. Et puis, il sait aussi écouter, se laisse habiter par les contributions, intégrer le tout, choisir et partager les pistes qu’il mettra en pratique.

Le consultant écoute et sait questionner pour comprendre, pour explorer et pour aider le client, en se demandant continuellement : « Que vit ce client ? Comment puis-je l’aider ? ». Il montre des comportements de relation d’aide, de coaching, et, idéalement, une capacité d’effectuer des lectures variées de la situation (interpersonnelle, systémique, politique, etc.). Il sait harmoniser sa contribution à celles des autres participants, sans nécessairement rechercher de consensus, mais en suivant le rythme du client. L’apprentissage de son rôle s’effectue en grande partie dans l’action.

L’animateur agit comme facilitateur, formateur, accompagnateur, modèle et montre des compétences de clarification, de stimulation, de facilitation et de régulation. En d’autres termes, en plus de ses qualités personnelles, il manifeste une maîtrise globale de la méthodologie ainsi que de l’animation du processus et il sait poser les gestes-clé à chaque étape, il aide à instaurer l’espace codéveloppement, il sait soutenir et encourager le rôle conseil des consultants, il maîtrise le processus de groupe pour susciter de l’engagement et de la coopération, et il manifeste des compétences d‘accompagnement en apprentissage et en pratique réflexive.

7. Usages variés et déclinaisons en fonction des contextes

Comme évoqué précédemment, le GCP constitue une approche relativement homogène, avec quelques variations selon ses utilisateurs, qui sont de l’ordre de l’approfondissement de l’exercice, du temps alloué, de l’expertise de l’animateur.

L’esprit et le cadre du processus de consultation demeureront les mêmes selon que les groupes sont constitués autour d’une pratique spécifique et normée (par exemple pour des membres d’un ordre professionnel) ou autour d’intérêts communs (par exemple des entrepreneurs qui partagent leurs défis et préoccupations). Il en est de même lorsque les groupes sont constitués autour d’un transfert de connaissances en formation (dans le cadre d’un programme de formation en leadership, par exemple) comparativement à une constitution de groupe sans cadre de référence. Dans le premier cas, certaines grilles de lecture ou modèles théoriques contribueront à enrichir le processus.

Si les groupes sont constitués par une organisation qui les finance et regroupant de ses membres (groupes en entreprise, par exemple) ou constitués en milieu institutionnel (programme de formation universitaire ou inter-entreprises), il y aura des éléments de contexte différents que s’ils sont constitués de façon autonome et indépendante (par exemple par un groupe communautaire). Ces différences toucheront des aspects de rapports au commanditaire, en termes de règles déontologiques à mettre en place (notamment en ce qui concerne la confidentialité et l’imputabilité) mais aussi à propos de la prise en compte des relations entre les membres pour éviter les conflits de rôle.

Dans tous ces cas, incluant ceux où il s’avère nécessaire de développer les habiletés des participants pour contribuer efficacement au processus, des adaptations pourront être requises selon le contexte. L’important demeurera la création de cet espace sécuritaire pour échanger et apprendre avec des pairs.

8. Conclusion

Ce texte a présenté à grand traits les origines, particularités et le fonctionnement du groupe de codéveloppement.  Centrée sur la réflexion, l’interaction et l’action, en apparence simple et subtile dans son fonctionnement, l’approche et la méthode du groupe de codéveloppement n’en constitue pas moins le cœur d’une communauté de pratique qui s’est grandement déployée depuis sa formalisation, à la fin des années 90. Bien accueillie pour s’intégrer dans les portefeuilles de méthodes maintenant qualifiées d’intelligence collective, elle constitue de plus une forme de communauté de pratique qui fait ses preuves et qui peut encore fort bien profiter d’expérimentations variées pour se raffiner davantage.

Références bibliographiques

Argyris C. et Schön D. (1978). Organizational learning: a theory of action perspective. Addison Wesley, Reading Mass.

Champagne, C. (2018). Quelques indices de l’évolution d’un groupe de codéveloppement professionnel. Le Codéveloppeur, Vol 4, no 1.

Champagne, C. et Desjardins, M. (2011). Le groupe de codéveloppement professionnel, une communauté (de) pratique pour le transfert des savoirs. In Le Point en administration de la santé et des services sociaux, vol. 6 no 3.

Champagne, C. et Langelier, L. (2008). On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres, Effectif, volume 11, numéro 3, juin/juillet/août 2008.

De Shazer, S. (2009). Explorer les solutions en thérapie brève. Paris: Satas.

Jarvis, P. (2012). « Learning from everyday life ». Human & Social Studies, Research and Practice, vol. 1, no1, p. 1-20.

Knowles, M. S. (1980). The modern practice of adult education: From pedagogy to andragogy. Englewood Cliffs: Prentice Hall/Cambridge.

Kolb, D.A. (1984). Experiential learning. Englewood Cliffs, New Jersey : Prentice-Hall.

Lewin, K. (1948). Resolving social conflicts; selected papers on group dynamics. Gertrude W. Lewin (ed.). New York: Harper & Row, 1948.

Lescarbeau, R., Payette M. et St-Arnaud, Y. (2003). Profession consultant. Montréal : Gaétan Morin.

Payette, A. et al. (2001). Le codéveloppement et autres formes d’apprentissage-action, Numéro spécial de la revue Interactions, 5(2). Département de psychologie, Université de Sherbrooke.

Payette, A. et Champagne, C. (1997). Le groupe de codéveloppement professionnel.
Ste-Foy : les Presses de l’Université du Québec.

Revans, R. W. (1982). The origin and growth of action learning. Brickley, UK : Chartwell-Bratt.

Rogers, C. (1968). Le Développement de la personne. Ed. Dunod.

Schön, D. A. (1994). Le praticien réflexif: à la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Montréal : Éditions Logiques.

St-Arnaud, Y. (2003). L’interaction professionnelle. Les Presses de l’Université de Montréal.

St-Arnaud, Y., Mandeville, L., et Bellemare, C. (2002). La praxéologie. Revue Interactions, 6(1). Département de psychologie, Université de Sherbrooke.

Thiebaud, M. et Rondeau, A. (1995) Comprendre les processus favorisant le changement
en situation de consultation. Psychologie du travail et des organisations, Vol 1 (1),
87-105.

 

 

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Notes

 

[1] Le néologisme intervision est utilisé dans un sens générique pour le distinguer de la supervision professionnelle. La supervision vient métaphoriquement « d’en haut », de quelqu’un en autorité. L’intervision s’effectue avec et par des pairs, sans relation d’autorité. Il existe un dispositif particulier de rencontres entre pairs, professionnels et praticiens intitulé Intervision qui ressemble au GCP, mais cela n’est pas dans ce sens qu’il est utilisé ici.

[2] La formulation de ces principes sera développée dans un prochain ouvrage.

[3] Le client est celui qui expose une situation (problème, projet ou préoccupation) ; les consultants sont les participants qui apportent leurs éclairages et leur aide au client.

[4] Le consultant est celui qui est consulté. En codéveloppement, ce rôle ne correspond pas à la définition traditionnelle du spécialiste qui donne des avis relatifs à son expertise. Ici, il s’agit d’une « démarche entre un client et un intervenant qui fait l’objet d’un contrat temporaire et qui a pour but d’aider ce client à analyser certaines difficultés et à mobiliser des ressources afin de favoriser des changements » (Thiébaud et Rondeau, 1995). La consultation ne se résume pas à donner des conseils. Elle vise davantage à stimuler les capacités du client à résoudre des problèmes en facilitant l’expression, en favorisant l’exploration, en encourageant la réflexion, en élargissant les possibilités d’action et en invitant à l’action.

[5] Une forme d’intervention en santé mentale.