Francis Kaftel

Enseignant d’EPS, Marignane
francis.kaftel[arobase]laposte.net

Résumé

Cet article relate les réflexions menées lors du 10ème séminaire du réseau GFAPP (Groupe de Formation à et par l’Analyse de Pratiques Professionnelles) qui s’est tenu les 13 et 14 mai 2017 et a été principalement consacré à la mise en place et au démarrage d’un groupe d’APP. Diverses questions ont été soulevées: le choix de l’APP est-il d’emblée pertinent ? Quels éléments peuvent influencer la légitimité de l’animateur ? La posture de l’animateur doit-elle être au service du groupe ou bien des individus qui le constituent et pour quoi ? Que faire dans les cas où des conflits d’intérêt naissent à cause de la constitution même du groupe de départ sur laquelle l’animateur peut n’avoir aucun droit de regard.

Mots-clés 

cheminement, contrat, démarrage,  légitimité, posture

Catégorie d’article 

Compte-rendu

Référencement 

Kaftel, F. (2017). Retour sur le 10ème séminaire GFAPP à Lyon – 13 et 14 mai 2017. L’APP : un éternel recommencement qui s’interroge. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 11, pp. 55-59. http://www.analysedepratique.org/?p=2759.


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1. Des rencontres nouvelles et un éternel recommencement

La richesse d’un séminaire tient à la fois dans la rencontre entre des personnes d’horizons différents[1] et à la réflexion qui peut en émerger. Une ligne directrice, choisie en lien avec la parution d’un numéro de la Revue sur le même thème (Thiébaud, 2017), portait ce séminaire : la mise en place et le démarrage d’un groupe d’analyse de pratiques professionnelles (APP). Des textes pour une réflexion en amont (voir références bibliographiques) avaient introduit l’apport théorique et un programme devait en scander le temps. Dans cet article personnellement rédigé, je rapporterai vers où la dynamique de réflexion s’est orientée plus spécifiquement tout en soulignant que l’apparente organisation des idées ne traduit ni la multitude de thèmes[2] et allers-retours réflexifs qui traversèrent les échanges, ni leur apparition chronologique ni, enfin, le climat mêlant en continu sérieux et convivialité.

2. L’APP : un choix pertinent ?

Le choix de la mise en place d’un groupe d’APP ne peut faire l’économie d’une réflexion sur sa pertinence. Formulé autrement, c’est l’idée que le choix de l’APP, son maintien, voire son abandon, doit rester présent à l’esprit non seulement dès sa mise en place mais aussi par la suite. Des enjeux majeurs marquent la négociation en amont. D’une part, il s’agira de vérifier si l’APP constitue l’approche opportune par rapport à la demande de départ du client ou de l’organisme. D’autre part, cet accord de départ ne garantit aucunement, par la suite, sa pertinence lors du démarrage de l’APP avec le groupe à qui elle est destinée.

En d’autres termes, si l’APP peut prendre le rôle d’un révélateur ou d’un facilitateur de sens, elle n’est en aucun cas toute puissante ni universellement appropriée ; avec pour conséquence l’idée d’envisager que la négociation de départ puisse intégrer cette idée d’inapproprié pour permettre, éventuellement, un possible changement par rapport à la demande institutionnelle initiale. Ce faisant, l’introduction d’autre chose que de l’APP exige de l’animateur·trice qu’il·elle[3] puisse disposer de compétences et d’outils pour le faire et pose en creux la question de sa propre formation et de sa légitimité. Au final, l’APP n’est donc pas un choix exclusif. Elle se pose comme un possible en devenir.

3. Quelle légitimité de l’animateur ?

La réflexion sur la légitimité de l’APP rebondit naturellement sur celle de l’animateur et de

sa(ses) posture(s) : légitimité et postures furent ainsi beaucoup discutées. L’alternative intégrant la possibilité de « bouger » le cadre contractuel s’accompagne d’un certain nombre d’interrogations pour l’animateur. En premier se pose la question du rapport qui le lie contractuellement, symboliquement et éthiquement avec l’instance qui l’a recruté : puis-je faire autre chose que de l’APP si mon contrat me lie pour de l’APP ?  En second, se pose la question de la compétence ou non de l’animateur de pouvoir faire autre chose que de l’APP. Au final, ces deux questions rejoignent une troisième : celle concernant son désir. Dans ce contexte de départ incertain, où tout est finalement possible, bien des enjeux peuvent traverser, voire bousculer, la posture de l’animateur.

4. La posture[4] de l’animateur : au service de qui et de quoi ?

Les échanges s’orientèrent dans deux directions distinctes. La première, et sans doute la plus évidente, fut d’envisager la posture au service du groupe. Comment la mettre en acte pour qu’elle n’enferme pas le groupe mais, au contraire, installe et fasse vivre la compétence groupale du savoir analyser ? Une posture mise au service d’une évolution potentielle, espérée et recherchée vers un savoir en construction. Une posture garante du cadre, d‘une possibilité de toujours mettre en avant du sens partagé, pour laisser l’intelligence du groupe libre de vivre et grandir tout en préservant en permanence l’implication de tous. La seconde, plus inattendue, fut le constat que la posture devait aussi être au service de l’animateur proprement dit. Elle devait « porter » l’animateur. Un dispositif d’APP n’est qu’un outil et ce dernier ne devient efficient que parce que celui qui l’anime le porte en fonction de ce qu’il est[5]. D’où l’importance d’explorer comment l’animateur vit sa propre posture, l’accepte, la considère comme légitime pour animer et la fait évoluer. La posture prend corps et, pour autant, comment la garantir ou la préserver tout au long de l’accompagnement d’un groupe dans une démarche congruente ?

5. La constitution d’un groupe d’APP

Cette constitution n’est jamais laissée libre à la seule initiative de l’animateur. C’est une donnée de départ qui, parfois, peut s’avérer poser bien des difficultés. Ainsi, à titre d’exemples, lors de ce séminaire, furent évoquées deux situations : la présence dans le groupe d’APP d’un supérieur hiérarchique (ou supposé comme tel par les participants) pouvant se révéler comme une situation embarrassante à la fois pour l’animateur et le fonctionnement du groupe ; la présence de liens préalables d’affinité entre l’animateur et certains participants. De tels cas de figure ont été l’occasion de s’interroger sur la pertinence ou non de baliser un contrat excluant ces éventualités quand cela reste possible.[6]Sans doute, appartient-il à l’animateur, de (se) mettre en garde sur les possibles dysfonctionnements que de telles situations peuvent introduire dans la dynamique du groupe à analyser. Prévenir en amont lors du contrat de départ et, éventuellement, mettre des garde-fous avec le groupe constitué restent toujours possibles. La réflexion durant le séminaire ne s’est jamais refermée sur une ligne directrice figée mais est restée ouverte.

6. L’APP pensée à travers le groupe ou à travers chaque personne qui le constitue ?

En APP, il existe une mise en tension de la place de chaque individu dans le groupe. Les interactions orchestrées par la posture de l’animateur doivent-elles se soucier de conserver à chacun une place privilégiée dans le groupe ou en faire l’impasse ? En d’autres termes, comment faire pour qu’une interaction plus spécifiquement orientée, destinée à l’un des participants, puisse cependant faire l’objet d’un savoir partagé et d’une possible interaction avec l’ensemble du groupe ? Là encore, beaucoup d’interrogations ont été soulevées, sans épuiser le sujet.

7. Une première séance : inaugurale ?

La mise en place de l’APP ne peut faire l’économie d’une réflexion sur ce premier moment de double rencontre : celle du groupe avec l’animateur et celle du groupe avec l’APP. Le choix parmi les manières de démarrer l’analyse avec un groupe en APP est multiple6 et n’augure pas forcément ce que sera la séance suivante. Ce premier moment reste une invitation susceptible d’être remise en cause par le groupe ou simplement par l’un des participants. C’est un moment où la légitimité de l’animateur et celle de l’APP sont questionnées. Un moment où la posture de l’animateur va s’ancrer. Certes, une première séance oblige à faire des choix. Pour autant, ces choix ne sont qu’un point de départ. Le cheminement et la progression de la mise en place de l’APP restent à construire au fil du temps, avec, parmi d’autres, cette question : est-il pertinent de réaliser une APP groupale lors de la première séance ? Par exemple, quand un groupe n’est pas prêt psychologiquement ; quand il y a des conflits interpersonnels connus entre des participants ; lorsque les (des) participants ne sont pas volontaires pour faire de l’APP ; etc. Dans ces circonstances, des exemples possibles d’action ont été évoqués : plutôt que de réaliser une « vraie » APP, proposer une étude de cas ou une APP par écrit en binômes ou analyser une vidéo de quelqu’un en situation professionnelle non connu par les membres du groupe…

8. En guise de conclusion

Deux constats s’imposent. Le premier se résume facilement : ce séminaire aura porté bien des questions et soulevé autant de pistes de réflexion sans apporter de réponses dogmatiques ou définitives. Ceux et celles qui font vivre l’APP n’ont de cesse encore et toujours d’interroger à la fois leurs outils et leurs pratiques. Le second constat met en évidence le fait qu’une réflexion sur l’analyse de l’APP recroise souvent les mêmes objets d’attention mais rarement, voire jamais, dans les mêmes direction, intensité ou profondeur. Ce dixième séminaire en fut le témoin : l’APP reste un éternel recommencement qui s’interroge.

Références bibliographiques

Calmejane-Gauzins, C. (2017). Premiers pas dans la mise en place d’une analyse de pratiques. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 10, pp 42-52. http://www.analysedepratique.org/?p=2435.

Robo, P. (2017). Vers un mémento pour mettre en place et démarrer un groupe d’APP… In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 10, pp 23-41. http://www.analysedepratique.org/?p=2433.

Thiébaud, M., Chocat, J., Robo, P., Vacher, Y. (2017). Mettre en place et démarrer un groupe d’APP : une problématique complexe avec de multiples facettes et processus en interaction. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 10, pp 4-9. http://www.analysedepratique.org/?p=2427.

Thiébaud, M. (2017). Mettre en place un groupe d’analyse de pratiques qui fasse sens et inspire confiance. Quels défis ? Quels repères ? Quels chemins ? In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 10, pp 9-22. http://www.analysedepratique.org/?p=2431.

Thiébaud, M., Chocat, J., Robo, P., Vacher, Y. (2017). Mettre en place et démarrer un groupe d’APP: perspectives et ouvertures pour la poursuite des réflexions. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 10, pp 158-165. http://www.analysedepratique.org/?p=2459.

Thiébaud, M. (coord.) (2017). Mettre en place et démarrer un groupe d’analyse de pratiques professionnelles. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 10, 165 pages.  http://www.analysedepratique.org/?p=2461.

 

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Notes

 

[1] De milieux professionnels, d’expériences dans l’animation…

[2] Citons entre autres : la place de l’écrit, les critères et les modalités pour choisir la situation, le cadrage temporel de la situation, l’espace d’animation, la posture et le mode d’interaction de l’animateur, les formes d’APP…

[3] Il ne sera plus fait de distinction par la suite dans le texte par souci d’économie de texte.

[4] Posture au sens large du terme. Il n’en fut pas donné une définition académique.

[5] Au point, sans aucune connotation négative, de qualifier une animation du nom de la personne qui la met en œuvre (cf. faire du intel).

[6] Citons, entre autres, l’entrée par le théorique ou la pratique, l’entrée par l’écrit ou l’oral, l’entrée par l’analyse individuelle ou collective, l’entrée par des exemples fournis par l’animateur ou par les participants.