Kévin Toupin

Docteur en psychologie (UTRPP, Université Sorbonne Paris Nord), psychosociologue et attaché temporaire d’enseignement et de recherche (PCPP – Université Paris Cité)
toupin.eif@gmail.com 

Nolhan Bansard

Docteur en psychologie clinique sociale (CLiPsy, Université d’Angers), psychologue clinicien (Cabinet Psycho Bien Être, Lomé)
nolhan.bansard@hotmail.fr

 

Résumé

Seront présentés les freins et leviers en ce qui concerne le recours à des apports théoriques par le conducteur dans des dispositifs d’APP et de supervision.  Nous partagerons deux situations où la transmission d’un même concept théorique psychanalytique eut pour destin, dans l’une, d’être un levier au service de la dynamique groupale. Une seconde où cela fut l’inverse : un élément entravant le processus associatif. Par suite de ces illustrations, nous explorerons la « juste » place pouvant être accordée aux notions théoriques en APP et supervision. Plus encore, c’est leur fonction que nous interrogerons mais aussi les mouvements qu’ils produisent dans la dynamique transféro-contre-transférentielle liant le conducteur et les participants.

Mots-clés 

théorie, pacte narcissique, institution, psychosociologie, supervision

Catégorie d’article 

Texte théorique

Référencement 

Toupin, K et Bansard, N. (2025). Usages des apports théoriques et apports des usages théoriques en analyse des pratiques et supervision. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 27, 4-18. https://www.analysedepratique.org/?p=6080.


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Uses of theoretical contributions and contributions of theoretical uses in practice analysis and supervision
Abstract

This paper presents the obstacles and levers to the use of theoretical input by the driver in PPA and supervision.  We’ll look at two situations where the transmission of the same psychoanalytical theoretical concept was intended, in one case, to act as a lever for group dynamics. In another, it was the opposite : an obstacle to the associative process. Following on from these illustrations, we’ll explore the “right” place that can be given to theoretical notions in PPA and supervision. More than that, we’ll be questioning not only their function, but also the movements they produce in the transferential-counter-transferential dynamic linking conductor and participants.

Keywords

theory, narcissistic pact, institution, psychosociology, supervision


Utilizações de contribuições teóricas e contribuições de usos teóricos na análise  das práticas e em supervisões
Resumo

Serão apresentados os freios e as alavancas no uso de insumos teóricos pelo condutor nos sistemas de Anlise de Praticas Profisionais e supervisão.  Compartilharemos duas situações em que a transmissão de um mesmo conceito teórico psicanalítico teve a intenção, em um caso, de ser uma alavanca a serviço da dinâmica de grupo. No segundo, foi o oposto: um obstáculo ao processo associativo. Após essas ilustrações, exploraremos o lugar “certo” que pode ser dado às noções teóricas no APP e na supervisão. Mais do que isso, é sua função que questionaremos, mas também os movimentos que elas produzem na dinâmica transferencial-contratransferencial que liga o condutor aos participantes.

Palavras-chave

theory, pacto narcisco, instituição, psico-sociologia, supervisão


 

Avant-Propos

Nous avons conscience que la psychanalyse n’est pas un révérenciel clinico-théorique familier pour tous les lecteurs de la Revue de l’Analyse de Pratiques Professionnelles, mais nous souhaitons, par le présent article, pointer sa richesse pour penser la pratique d’intervention psychosociale. En ce sens, notre écrit propose au lecteur d’appréhender comment peut-être penser la clinique psychosociologique à l’aune la psychanalyse, notamment celle en extension (Kaës, 2015). Mais également, nous souhaitons présenter en quoi cette épistémologie peut être un levier (mais aussi parfois un frein) lorsque le clinicien la sollicite en Analyse des Pratiques Professionnelles (« APP » dans la suite du texte) et/ou supervision.

À l’heure où l’épistémologie psychanalytique est particulièrement attaquée et injustement malmenée[1] il nous semble opportun de la maintenir vivante dans les sciences humaines en en présentant la pertinence pour penser la clinique (l’une de ses visées primaires en psychosociologie).

1. Introduction

Cet écrit s’appuiera sur notre expérience de psychosociologue en APP et supervision. La psychosociologie sera entendue comme une investigation des formations et des processus psychiques qui se développent dans la dynamique du lien entre le sujet, le groupe et une ou des institutions (Toupin et Cunin, 2025).  Ainsi, dans le présent article, sera questionnée la place octroyée au partage d’éléments théoriques, par l’intervenant, à l’adresse du groupe. Si la théorie peut être plébiscitée par certains participants et conducteurs, c’est parce qu’elle permet une mise en signification d’éléments diffus et impalpables dans la pratique. La théorie circonscrit des événements vécus subjectivement à un schème de référence[2], relativement commun. Le recours à des notions théoriques dépendra, en premier lieu, des enjeux institutionnels liés à la commande, qui définit le cadre général de l’intervention. En second lieu, il s’appuiera sur les enjeux groupaux, lesquels précèdent, influencent, et déterminent la commande tout en évoluant au fil de l’intervention en fonction des demandes et besoins du groupe. Enfin, la position adoptée par l’intervenant au sein de ces mêmes groupes d’APP ou supervision joue un rôle crucial dans l’articulation de ces différents niveaux.

La position du conducteur dans les groupes d’APP peut varier selon plusieurs méthodologies, étroitement liées au référentiel théorique qui guide sa pratique. Plusieurs auteurs se sont penchés sur cette question. D’un côté, Balint (et d’autres approches qui s’en inspirent) proposent une posture « horizontale », où l’intervenant, en tant que « conducteur » (Foulkes, 1966), s’abstient de se positionner comme un « sachant » (Balint, 1959). Cette posture privilégie un partage collégial entre pairs et s’inscrit dans une logique psychanalytique visant à favoriser les processus associatifs et la libre circulation de la parole. Ces conditions offrent un terrain fertile pour l’émergence et l’analyse des dynamiques transféro-contre-transférentielles. Dans ce cadre, le clinicien adopte un rôle de facilitateur et régulateur : il oriente et soutient les échanges sans imposer son expertise. Bien que Balint reconnaisse l’importance du transfert des participants sur le conducteur, il propose de le mettre provisoirement à distance pour instaurer un climat de travail plus égalitaire, propice selon lui, à la co-construction des réflexions.

D’un autre côté, d’autres approches intègrent pleinement ce transfert faisant du conducteur un référent, typique des dispositifs dit de supervision. Dans ce cadre, il peut jouer un rôle plus directif, en apportant un étayage clinico-théorique et en mobilisant ses connaissances pour éclairer et enrichir la compréhension des situations ou des cas présentés qui posent questions à l’équipe. La supervision favorise dans ce contexte le rapport personnel que le sujet entretient à sa situation à travers l’examen in situ de la relation transféro-contre transférentielle, en s’appuyant sur la dynamique groupale. Tandis que dans les dispositifs d’analyse des pratiques, l’intervention s’adresse à des professionnels et vise à mettre en sens les praxis. Ces deux positions ne sont pas inconciliables et ne s’excluent pas préalablement ; elles peuvent être modulées selon les besoins et la demande du groupe, mais aussi selon les attentes spécifiques exprimées dans la commande institutionnelle. Enfin, ces positions dépendent en grande partie des projections transférentielles qui seront adressées au conducteur et de sa manière de s’en accommoder tout en favorisant l’expression des subjectivités.

En cela, cet écrit présentera, de façon non exhaustive, les freins et leviers concernant le recours à des apports théoriques par le conducteur dans des dispositifs centrés sur les pratiques professionnelles.  Nous nous interrogerons sur les mouvements psychiques que le recours à des notions théoriques suscite dans la dynamique groupale en APP ou supervision, notamment en analysant à quels moments spécifiques ces « interventions » théoriques sont mobilisées dans l’activité psychique du groupe. Nous présenterons, à ce titre, deux situations où le partage d’un même concept théorique eut pour destin, dans l’une, d’être un levier au service de la dynamique groupale. Une seconde où cela fut précisément l’inverse : un élément entravant le processus associatif. À travers ces deux situations nous examinerons la « juste » place pouvant être accordée aux apports théoriques en APP et supervision. Plus fondamentalement, c’est leur fonction que nous interrogerons mais aussi les mouvements qu’ils produisent dans la dynamique transféro-contre-transférentielle[3] liant le conducteur et les participants. Pour rendre compte de ces dynamiques, la coécriture a été méthodologiquement adoptée pour questionner les effets d’après-coup. Le premier auteur, impliqué directement dans chacun des dispositifs évoqués dans cet article (K. Toupin), a sollicité par la suite le second auteur (N. Bansard), non présent dans ces dispositifs, afin qu’il lui permette de se dégager des processus groupaux dont il fut pris et partie prenante.

2. Les théories empirique, fondamentale et appliquée

Pour guider notre analyse, nous proposons de distinguer plusieurs formes d’usage théorique auxquelles le psychosociologue peut se référer dans le cadre de ses interventions ; cette distinction a pour but d’éclairer les enjeux spécifiques que nous aborderons dans les deux groupes étudiés.

  • La théorie empirique: issue de la somme des expériences passées, elle repose sur une généralisation rétroactive des cas particuliers. Elle s’ancre dans le concret et se nourrit directement de la pratique. En APP ou supervision, les sujets du collectif et le groupe lui-même façonnent des théories à partir de leur expérience d’équipe, de la tâche primaire de l’institution, de son héritage et des spécificités de son public.
  • La théorie fondamentale: davantage liée à une idéologie ou à un cadre conceptuel paradigmatique (à l’instar de l’approche psychanalytique), elle s’inscrit dans une perspective d’abstraction et de modélisation. Elle offre un prisme « méta » permettant une compréhension des dynamiques sous-jacentes. Dans nos situations, cela s’illustre par l’apport de concepts psychanalytiques en lien avec la « métapsychologie de troisième type » élaborée par René Kaës (2015).
  • La théorie appliquée: située à un niveau intermédiaire, elle sert de pont entre la pratique empirique et la conceptualisation fondamentale. Elle se traduit par l’élaboration d’outils, de méthodologies ou de dispositifs adaptés à l’articulation entre ces deux dimensions. Elle se place donc au service de la pratique dans la mesure où le groupe pourra appréhender différemment certains gestes de métiers, (re)configurer ses idéologies professionnelles, réajuster son investissement psychique et subjectif dans un accompagnement. En ce sens, la théorie appliquée participe d’un processus d’institutionnalisation dans le travail d’équipe et la dynamique institutionnelle. Elle est à entendre comme un « instituant » (Castoriadis, 1975) soit ce qui permet le passage d’une norme à une autre. Là où la théorie empirique tient davantage de l’« institué », soit ce qu’il est convenu de faire et penser dans la pratique car c’est la norme dans l’institution (Ibid.).

3. Les apports théoriques comme levier en APP

3.1. Vignette clinique

Il s’agit d’une APP que nous conduisons auprès des psychologues du travail de Pôle Emploi. L’institution nous a sollicité en tant qu’« analyste des pratiques/superviseur » mais souhaite que le psychosociologue conduise une analyse des pratiques. Cette confusion des dispositifs fait écho à la commande institutionnelle procédant de son instauration : « permettre aux psychologues du travail de Pôle Emploi de trouver la juste place dans les pratiques, l’équipe et plus généralement à parler de leur profession ». Ajoutons que ce dispositif compte six séances par an, il s’agit de la première année où nous le conduisons. La situation qui suit intervient lors de notre quatrième rencontre.

L’un des participants expose une situation dans laquelle l’un des demandeurs d’emploi, que nous sommerons Sayid[4], met en échec chacune des propositions des agents de l’institution. Le psychologue du travail qui l’accompagne l’invite alors à historiciser son parcours professionnel. Sayid lui partage alors non pas ses expériences professionnelles mais son histoire familiale. Sayid, 23 ans, évolue dans une famille conservatrice sur le plan religieux et, « depuis toujours » dit-il, doit suivre les dictâtes que lui imposent ses parents. De ses relations amicales, familiales, à ses aspirations professionnelles, Sayid est contraint de se soumettre aux désirs de ses parents. En ce qui concerne le travail, il est attendu qu’il s’associe à son père œuvrant dans le bâtiment. Sayid aspire davantage à un métier intellectuel, notamment instituteur, en histoire. Ses parents s’y opposent, si bien que depuis quelques années il erre d’un petit boulot à un autre, sans conviction. La tâche primaire de l’institution visant l’insertion professionnelle se heurte ici aux enjeux culturels de la reproduction des générations où la transmission familiale assigne Sayid à occuper le même emploi que son père.

Avec le psychologue du travail de Pôle Emploi, le groupe propose quelques pistes d’actions concrètes pour ouvrir Sayid à une formation adaptée à ses aspirations. Il n’en reste pas moins que le groupe invite le psychologue à faire fi des exigences qu’impose la famille. Le psychologue du travail devrait l’engager à faire une formation pour devenir instituteur car « c’est sa vie ». De notre place d’analyste des pratiques, nous entendons alors que le groupe s’oppose au pacte narcissique (Kaës, 2009) du groupe primaire (Rouchy, 2008). Constatant que le groupe d’APP ne mesure pas les enjeux psychiques conflictuels dans lesquels Sayid est pris et partie prenante, nous leur partageons quelques aspects théoriques. Ces derniers répondent à un besoin exprimé par le groupe : comprendre comment l’accès à l’emploi d’un sujet se pense lorsqu’il est contingent des désirs du groupe primaire. Malgré les relances du conducteur, cette question peine à s’élaborer car le groupe opère un rabattage sur l’opérationnel. Ici, le conducteur convoque alors de la théorie, entendue comme une médiation : elle se place au service d’une mise en sens, elle induit un média dans le groupe dont chacun pourra s’emparer pour nouer de nouvelles associations, identifications et projections. Dans cette situation, notre apport concerne les concepts de « contrat narcissique » (Castoriadis-Aulagnier, 1975) et de « pacte narcissique » (Kaës, 2009). Le contrat narcissique souligne que « chaque nouveau-né vient au monde dans un groupe, il est appelé à en devenir sujet en étant porteur d’une mission : celle d’assurer la continuité du groupe [familial ici] et des générations successives » résume Kaës (2009, p. 59). Dans le contrat narcissique, le sujet peut progressivement s’émanciper de ces assignations pour développer son sentiment d’identité. Le pacte narcissique, lui, est entendu comme son opposé puisqu’il ne contient pas une violence structurante. Kaës le désigne comme « une assignation immuable univoque ou mutuelle à un emplacement de parfaite coïncidence narcissique » (2009, p. 68). Le sujet est donc prisonnier des désirs, pensés et affects de sa famille ; il est immobilisé sur le plan psychique et subjectif. Ainsi, le pacte narcissique « ne laisse à ses membres aucune possibilité de renoncement, de contestation ou de transformation » (Ibid.).

Le groupe se saisit de ces apports, non pas pour les discuter au niveau conceptuel (théorie fondamentale), mais pour souligner que par effet de contagion, par homologie, le psychologue se trouve aussi pris par ce pacte narcissique touchant Sayid (théorie appliquée). Ainsi, c’est surtout le sentiment d’impuissance qui habite le psychologue du travail qui sera interrogé par le groupe. Par cet apport et en appui sur les élaborations groupales, l’exposant identifiera qu’il s’est senti le devoir de « sortir » Sayid de cette famille « emprisante » (Racamier, 1992). Il dira même en avoir fait « une obsession ». Conscient désormais de ce qu’engage un pacte narcissique (notion lui étant inconnue jusqu’ici), il reconnaît devoir prendre de la distance avec Sayid. Cette prise de conscience procède ici des apports théoriques ayant permis au professionnel de questionner son contre-transfert via ces notions qui, dans leur dimension médiatrice, ont produit un insight : « ce que je vis existe car il y a des concepts pour en parler ».

3.2. L’accès à la réalité subjective du sujet

Dans notre situation, le groupe identifie que l’institution a pour tâche primaire de (ré)insérer des sujets dans le monde professionnel en leur proposant des solutions adaptées qui favoriseront a priori un retour à l’emploi. Cependant, cela n’est possible qu’à partir du moment où l’on considère que le travail relève d’une centralité (Dejours, 1980), qu’il se situe donc au carrefour de nos différentes identités (familiale, amicale, professionnelle…). Ainsi, ces psychologues ne considèrent pas uniquement l’accès à l’emploi lorsqu’ils accompagnent un sujet. Ils investiguent également, bien que secondairement, les espaces du lien pouvant entraver son employabilité. Chez Sayid, il s’agit de sa famille.

Les apports théoriques ont aussi permis au groupe, et particulièrement à l’exposant, de se figurer les conflits psychiques dans lesquels Sayid est pris. Ils purent même poser des hypothèses sur son désir d’être instituteur. Il rejouerait, par le biais de la transmission auprès d’enfants, un discours dont il est pour une fois le seul garant. Manière pour lui de s’émanciper de manière latérale du discours de sa famille. En ce sens, il chercherait à devenir sujet de son histoire par la transmission d’un enseignement traitant de l’Histoire.

Nous le disions, le concept de pacte narcissique partagé a permis que les membres du groupe se représentent plus précisément le conflit psychique de Sayid. En ce sens, la théorie est ici au service d’au moins deux éléments : 1) le sens : car nommer des processus conduits à les faire exister chez ceux qui les appréhendent collectivement ; 2) à transformer leur écoute de la réalité subjective du sujet. Tout ceci cultive une compétence acquise collectivement, celle d’une « position d’empathie » envers les demandeurs d’emploi. La position d’empathie étant entendue ici comme une disposition psychique du clinicien à écouter l’inconscient de l’un et plus d’un autre. Notons tout de même que cette empathie est permise par un alignement de la position idéologique dans le groupe, entre le conducteur et les professionnels, propre à la tâche primaire de l’institution.

3.3. Impact des apports théoriques sur les différents registres de la réalité psychique

Les apports théoriques ont permis à l’exposant d’identifier dans quelle mesure la dynamique transféro-contre-transférentielle fut imprégnée des potentiels effets d’emprise vécus par Sayid. En identifiant les mécanismes d’un pacte narcissique, le psychologue du travail a pu repérer que la passivité éprouvée par Sayid l’a contraint à tenir la part active dans le suivi. Cela l’a invité à prendre de la distance avec la situation et plus globalement penser son positionnement professionnel de psychologue du travail à Pôle Emploi.

Ces apports théoriques ont permis aussi que le groupe dans son ensemble mobilise des processus identificatoires et projectifs en étayage sur cette situation. En ce sens, ces apports offrent à chacun l’occasion de revisiter ses propres contrat- voire pacte-narcissiques. Mais aussi, les apports ont favorisé une compréhension collective du fait que le groupe est un support des projections des uns et des autres. Que cela permet que de nouvelles identifications se nouent : le groupe d’APP est en cela producteur d’un remaniement des identifications. En effet, un lien groupal nécessite pour se construire que chacun éprouve la reconnaissance du similaire et du distinct dans l’espace plurisubjectif : « la reconnaissance, chez le sujet, de sa différence, prenant le semblable comme référence, permet que des liens intersubjectifs se nouent du fait de l’intégration d’une partie du monde interne de l’autre en soi » (Toupin et Maurin Souvignet, 2024, p. 57). Enfin, les membres souligneront, à juste titre, que le collectif dont ils sont membres, est un groupe secondaire (Rouchy, 2008) qui n’est pas épargné de contracter des contrats narcissiques. Ces derniers, cette fois secondaires, se nouent dans des « rapports de continuité, de complémentarité et d’opposition avec les contrats narcissiques originaire et primaire » (Kaës, 2009, p. 61). En cela, le groupe a ouvert la centration du dispositif. D’abord centré sur la tâche, il l’a déplacé sur lui-même, sur le groupe. La théorie s’est ainsi placée au service de la dynamique de groupe car il s’en est saisi afin de la réguler.

Sur le plan intrapsychique, l’apport théorique, dans notre situation, enrichi en premier lieu le bagage théorique de chaque membre. Il contribue par la même occasion à l’acquisition de concepts et de notions nouvelles. Aussi, cet apport a renvoyé chacun à des accompagnements où la problématique des pactes narcissiques s’est posée. Ces apports les ont mis au travail sur les expériences d’assignation qui les concerne personnellement, notamment au sein de leur propre système familial. L’intérêt clinique de ces apports concerne aussi l’exposant. Par leur entremise, il a (ré)interrogé son contre-transfert lui permettant ainsi de soutenir quelque chose de sa position de « sujet du lien » (Toupin, 2025). Soulignons que cela n’a été possible qu’à partir du moment où il a accepté de se donner à penser aux autres membres (Bion, 1962). L’étayage sur le groupe permet donc bien une transformation chez le sujet « singulier-pluriel » (Kaës, 2013).

3.4. En ce qui concerne les théories appliquée, fondamentale et empirique

Dans cette situation, la théorie fondamentale, ancrée dans un cadre psychanalytique partagé, permet de créer une alliance entre le conducteur et le psychologue du travail, en offrant des références communes pour nommer l’intangible. Elle agit comme une médiation, facilitant un consensus au sein du groupe tout en tentant d’objectiver la pratique. C’est, pourrions-nous dire, le succès de cette intervention, puisque la théorie appliquée a émergé d’un insight produit à partir de la théorie fondamentale. Elle n’a pas été directement induite par le conducteur, mais repose sur un « trouver-créer » initié par l’exposant. Par ailleurs, cette théorie appliquée, grâce à la latéralisation du transfert et au jeu des identifications, interroge en retour la théorie empirique à l’échelle du groupe. La théorie fondamentale, en éclairant les spécificités de la théorie empirique, donne sens à l’expérience collective, renforçant la compréhension des dynamiques professionnelles et groupales.

4. Les apports théoriques comme freins dans l’APP/supervision

4.1. Vignette clinique

Dans cette seconde situation, il s’agit d’une intervention que nous conduisons auprès des psychologues cliniciens de l’Aide Sociale à l’Enfance. L’institution nous a sollicité, comme dans la première situation, en tant qu’« analyste des pratiques/superviseur ». En revanche, cette fois les commanditaires attendent de l’intervenant qu’il conduise les deux dispositifs à la fois, dans une forme d’hybridation. Cela, car le groupe avait préalablement une analyste des pratiques d’orientation cognitiviste. Le groupe s’est plaint d’un manque de consistance quant à ses interventions, notamment en ce qui concerne le travail du lien transférentiel entre le psychologue et la famille, le jeune et le couple parental. De fait, l’institution nous a sollicité en tant que clinicien sensible à l’approche psychanalytique des groupes. Ce dispositif compte dix séances par an, il s’agit de la première année où nous le conduisons. La situation qui suit intervient lors de notre deuxième rencontre.

L’une des participantes expose une situation dans laquelle un enfant évolue dans une famille dont le climat serait incestuel[5]. Eko, 13 ans, est placé en famille d’accueil par suite d’un signalement de l’école s’inquiétant de ses absences répétées injustifiées. Lors de l’accompagnement, la psychologue référente du jeune dit avoir affaire à un enfant « qui n’existe pas ». Elle s’emploie corps et âme à « le subjectiver » dit-elle, mais sans succès. Le groupe tente de saisir si les mesures sont adaptées à la situation d’Eko ; l’échange groupal est relativement stérile de notre point de vue. Le groupe interroge non pas la dynamique incestuelle, les effets de résonance qu’à cette situation sur la professionnelle, mais plutôt la manière dont les différents partenaires institutionnels (Éducation nationale et Service d’accueil familial) engagés dans la situation se positionnent.

Comme dans la situation précédente, nous partageons alors des éléments théoriques ayant attrait au pacte narcissique. La visée étant que le groupe s’intéresse à Eko, aux enjeux transférentiels entre le jeune et la professionnelle, plutôt qu’aux missions des acteurs investis dans ce suivi. Notre intervention provoque dans le groupe une certaine sidération et perplexité « c’est un peu farfelu votre truc, je ne vois pas le rapport avec Eko » dira une psychologue (la plupart des membres sont formés à l’approche systémique[6]). Le conducteur espérait leur faire entendre que la psychologue référente semblait prendre la part active dans le suivi conduisant le jeune et les partenaires institutionnels à être passifs. Le conducteur voulait faire comprendre que la psychologue référente, en prenant une place trop active dans le suivi, maintenait involontairement le jeune comme les partenaires institutionnels dans une position passive. Il soulignait qu’un effet de contagiosité psychique était à l’œuvre : par ce que Jean-Pierre Pinel (1989) nomme une homologie fonctionnelle. La psychologue reproduisait malgré elle le fonctionnement de la famille d’Eko, où la dynamique relationnelle tendait déjà à le maintenir dans une posture de passivité. Le groupe entre dans une dénégation de cette théorie. Les membres défendront même que « toutes les familles du ”monde” » (« de l’ASE », c’est-à-dire l’Aide Sociale à l’Enfance, entendons-nous) sont prises par des pactes narcissiques car « c’est normal ». Ils ajoutent que si nous raisonnons avec des théories de cet ordre (qu’une participante qualifiera « d’alambiquées »), alors on ne peut plus travailler à l’ASE ! Ici, cet apport ne permit pas un travail de réflexion mais suscita dans le groupe, à l’inverse, une alliance offensive (Kaës, 2009).

En référence aux théories bionniennes, disons que le groupe mobilise le présupposé de base d’« attaque-fuit » (1961), précisément l’« attaque » à l’endroit du conducteur et plus largement vis-à-vis de la conceptualisation kaësienne. Malgré nos tentatives de mettre le groupe au travail sur ce que ce concept comporte d’effractant[7] eu égard à leur réalité professionnelle (à savoir qu’ils travaillent parfois avec des familles dysfonctionnelles), le groupe prendra la « fuite » (Ibid.). En réaction, le conducteur, pantois, plongera lui, dans une forme de « dépendance » au groupe. C’est-à-dire qu’il se refusera à prendre la parole jusqu’à la fin du groupe (par crainte que ses interventions soient perçues comme persécutantes). Par homologie au sujet traité, voilà que le conducteur se trouve pris et partie prenante du pacte dénégatif conclut dans le groupe : « l’incestuelle, on n’en parle pas ; la violence on ne la peanse[8] pas ». Le groupe a plongé ensuite dans un évitement de l’associativité groupale privilégiant un rabattement de la situation sur l’opérationnel.

4.2. Les stratégies collectives de défense

La psychodynamique du travail nous enseigne que les stratégies collectives de défense (Dejours, 1980) sont des conduites intentionnelles visant à se défendre des souffrances liées à l’activité de travail. Les professionnels peuvent alors édifier des coopérations défensives permettant d’évacuer la perception du risque liée à cette activité. Les stratégies collectives de défense évitent de penser la souffrance pouvant être suscité dans le travail comme, ici, le fait d’accompagner un enfant évoluant dans un climat incestuel. Ces stratégies collectives agissent au niveau symbolique car elles ne déforment pas la réalité mais la perception que le sujet s’en fait (Molinier, 2008). Elles peuvent conduire les membres de l’équipe à percevoir la réalité de leur activité de manière « distordue » (Ibid.), quitte à en dénier la substance. Ici les pactes narcissiques sont considérés comme « normaux » puisque les considérer comme anormaux reviendrait à rendre manifeste le fait qu’ils travaillent dans la clinique de l’extrême.

En ce sens, il est de rigueur pour le conducteur de groupe d’être prudent lorsqu’il interroge ces stratégies collectives de défense. Autrement, il encourt le risque de lever des résistances comme, ici : rabattement sur l’opérationnel, généralisation (« toutes les familles du ”monde” »), fuite de l’associativité groupale, attaque du conducteur comme des théories partagées… Aussi, la théorie menace parfois, étant donné sa froideur et son pragmatisme, d’effracter les défenses du collectif c’est-à-dire ce autour de quoi les professionnels se « pactent ». En revanche, l’une des dimensions salvatrices d’un apport théorique reste que malgré sa dimension effractante, il peut « provoquer l’effondrement des défenses qui permettaient de rendre supportable la perception de sa propre vulnérabilité » (Molinier, 2007, p. 50). Ici, à l’inverse de la situation précédente, cela ne fut pas opérant.

4.3. Rivalité confraternelle

Le conducteur a à être vigilant à ce pour quoi il recourt à des apports. Ils peuvent être une défense de sa part face à la situation groupale. Ici, le conducteur, comme le groupe et l’exposante, se trouve démuni face à la situation présentée. Le groupe est traversé par un vécu dépressif « entendu comme un affect compromettant [le groupe] dans sa capacité à entrevoir toute idée d’omnipotence » (Toupin et Maurin Souvignet, 2024, p. 59). Pour lutter contre ce vécu dépressif, le conducteur sollicite un tiers, la théorie, comme pour lui aussi restaurer quelque chose de son omnipotence entamée ! La théorie est donc parfois un pis-aller pour sauvegarder le sentiment narcissique de l’intervenant que la mise en groupe atteint. Il est ainsi nécessaire de recourir aux apports de manière modérée, au moment opportun, afin d’éviter justement de fuir la tonalité émotionnelle qui traverse le groupe. Quand bien même elle mettrait l’analyste des pratiques à l’épreuve.

Par ailleurs, le conducteur de groupe est un support identificatoire et projectif pour les membres du groupe. Cela est particulièrement vrai lorsqu’il est un psychologue accompagnant des psychologues. Dans cette situation, il n’est pas à exclure qu’une certaine rivalité confraternelle influence cette résistance du groupe à accueillir les apports théoriques. En ce sens où le conducteur est perçu comme un « sachant ». Il se démarque déjà du fait de sa position d’intervenant, mais voilà qu’il se démarque à présent par ses « connaissances », cela est difficilement tolérable pour le groupe. Nous tentons de souligner ici que les apports peuvent être un frein s’ils suscitent de la rivalité dans le lien conducteur-participant. Il faut donc être prudent, sensible à l’accueil qui sera réservé à ces apports. De ne pas omettre que c’est parfois moins ce que ces théories comportent qui est appréhendé par le groupe que la personne qui les transmet. Ici, il s’agit d’un clinicien, psychologue, comme eux mais il est aussi le nouveau conducteur du groupe (nous sommes à la deuxième séance). En ce sens, il « remplace » l’ancienne conductrice, elle mauvais objet du fait de sa déficience à amener des apports. Lui, en contre-point, en apporte, mais est investi de la même manière car ses apports ne sont pas appropriés mais « farfelus ». Il prête à penser que le groupe est dans un positon de « dépendance » (Bion, 1961), c’est-à-dire qu’il est dans l’attente de l’arrivée d’un conducteur messianique. Sans doute que cela se fait l’aveu de leur vécu groupal, celle de psychologues démunis face à une clinique extrême et complexe où eux aussi sont attendus (par les équipes, partenaires et le public) à cet endroit.

Ajoutons qu’une notion théorique, et plus spécifiquement ce qu’elle décrit (ici un pacte narcissique), peut réactualiser dans le réel l’affect dénié eu égard à la pénibilité du travail. Parler des pactes ici, c’est parler d’une réalité de leur activité : ils accompagnent des familles dysfonctionnelles ce qui est éprouvant. La théorie, trop hâtivement partagée ou transmise avec maladresse, ne se place pas au service d’une prise de recul sur les pratiques mais plutôt rend (trop) visible l’ignominie à laquelle les professionnels des institutions spécialisées sont confrontés. Bien qu’un apport permette de mettre des mots sur un réel potentiellement insupportable, il peut aussi le rendre, comme dans cette illustration, trop palpable.

4.4. En ce qui concerne les théories appliquée, fondamentale et empirique

Cette situation met en lumière que la théorie fondamentale, bien qu’elle aspire à la neutralité et à la scientificité, est marquée par une idéologie sous-jacente. Les divergences idéologiques, déjà présentes dans l’histoire du groupe, avaient d’ailleurs contribué à l’échec des précédentes interventions. Le rejet de l’idéologie révèle un manque à élaborer et souligne la nécessité d’établir des références communes à travers une théorie fondamentale partagée, validée collectivement. Comme l’a souligné Kaës (2016), une position idéologique se forme chaque fois que l’espace psychique d’un sujet, d’un groupe ou d’une institution est menacé. Ce groupe exprime donc un besoin explicite d’une idéologie consensuelle, inscrit dans la commande initiale. Cependant, la théorie psychanalytique, bien qu’elle ait été demandée, se révèle ici « insuffisamment bonne » pour traiter la complexité des vécus, et est paradoxalement rejetée. Contrairement à la première situation, la théorie appliquée n’émerge pas ici des professionnels, mais est induite par le conducteur. Cela crée une inadéquation : le concept proposé ne fait pas consensus, et le conducteur est perçu comme un « mauvais interprète » qui tente de forcer l’application d’une théorie fondamentale à la situation empirique par une notion kaësienne.

Il est pertinent de comprendre en quoi cette notion pouvait manquer de pertinence selon la perspective des participants. Peut-être qu’il était davantage attendu des éléments théoriques en lien spécifiquement avec l’objet de l’inceste et de l’incestuelle, plutôt que d’opérer une dérivation des problématiques en jeu via l’analyse du lien interpsychique entre l’enfant et l’adulte, perçu par les professionnels comme « trop généralisante ». Pour se prémunir de ces écueils, et du risque de rejet, il aurait sans doute été plus judicieux dans l’après-coup, de les inviter, à partir de leurs réserves et de leur contrariété, à théoriser eux-mêmes la situation qu’ils traversaient, plutôt que de le faire à leur place avec les outils conceptuels du conducteur. Cela souligne comment la théorie fondamentale, si elle n’est pas partagée ou co-construite, peut, à l’inverse, se révéler contre-productive en générant des effets de sidération, voire de persécution, chez ceux qui ne partagent pas le même socle paradigmatique.

Le besoin latent du groupe semble finalement résider dans la production de sa propre théorie empirique. Pour ce groupe, afin de permettre le processus d’élaboration collective, il apparaît que la théorie fondamentale devrait intervenir en dernier lieu, et non en premier. La priorité réside dans la production d’une théorie empirique, directement issue des expériences vécues et des échanges au sein du groupe. Cette théorie empirique joue également une fonction de revalorisation narcissique, en permettant aux professionnels de se reconnaître dans leur pratique et d’aller « au plus près » des réalités professionnelles qu’ils traversent. En partant de ses propres élaborations, le groupe peut ensuite intégrer des concepts plus abstraits, comme ceux de la théorie fondamentale, dans une logique d’appropriation progressive et consensuelle. Cela permettrait de garantir que la théorie fondamentale ne soit pas perçue comme imposée, mais bien comme un outil venant enrichir et structurer une compréhension déjà construite par le groupe.

5. Conclusion

Si dans la première situation le recours à la théorie fondamentale, par le biais de la théorie psychanalytique des groupes, enclenche un insight chez le professionnel et permet une latéralisation des dynamiques transférentielles à l’échelle du groupe, il engage, à l’inverse, dans la seconde situation, un repli défensif, marqué par des attaques à l’adresse du conducteur et se soldant par une discontinuité de l’alliance. Les deux institutions étudiées, bien qu’ancrées dans des contextes distincts, partagent la spécificité de travailler avec des populations précarisées et de se confronter à des problématiques interculturelles où le lien familial originel entre en tension avec les tâches primaires des institutions du champ social.

Ce double constat met en lumière l’ambivalence des effets que peut générer l’usage de la théorie fondamentale. Ces effets semblent étroitement liés à deux facteurs : d’une part, la manière dont le groupe accueille l’apport théorique et, d’autre part, le moment précis où cet apport intervient dans le processus groupal. Dans la seconde situation, l’introduction de la théorie fondamentale agit comme un élément de rupture, exacerbant une étrangeté idéologique, des incompréhensions mutuelles et une rivalité confraternelle, tout en accentuant un sentiment de décalage entre les réalités du terrain et une abstraction théorique perçue comme étrangère. À l’inverse, dans la première situation, une familiarité idéologique préexistante a permis d’instaurer une fonction intermédiaire entre le groupe et la prise en charge, favorisant une réflexivité constructive.

Ces observations soulignent la nécessité d’un positionnement méthodologique nuancé. Pour des groupes présentant une résistance idéologique, il apparaît nécessaire d’élaborer en priorité une « théorie empirique » propre à la réalité du groupe et à leurs pratiques concrètes avant d’introduire des cadres théoriques fondamentaux. Cette approche vise à refaire corps au groupe, à renforcer sa cohésion et à valoriser narcissiquement les éléments communs et leur potentiel de liaison. Elle s’inscrit dans une logique méthodologique inspirée de l’intervention sociologique, qui place la cohésion et les interrelations au centre du travail initial. En l’occurrence elle permettrait, dans un premier temps, de renforcer les mouvements homomorphiques (liés aux pratiques) et d’atténuer les mouvements isomorphiques (liés à l’idéologie).

Également, un autre défi qui émerge de ces situations, est celui de dépasser pour les praticiens occidentaux, aussi bien du côté du conducteur que du groupe, un positionnement ethnocentriste et d’élargir le travail transférentiel, non pas à la seule dimension intersubjective, mais également en intégrant une réflexion sur le contre-transfert culturel (Devereux, 1967). Le métacadre culturel, dans lequel s’insèrent les tâches primaires des institutions, peut alors être envisagé comme une métareprésentation des théories fondamentales, permettant d’articuler les logiques institutionnelles et culturelles dans un cadre commun. Cette posture ouvre la voie à une différenciation du « singulier-pluriel » (Kaës, 2013) et contribue à une meilleure compréhension des interactions dans des dispositifs qui travaillent avec des familles aux origines plurielles.

Enfin, le positionnement du conducteur de l’APP ou supervision se révèle central. Être « naïf », et adopter une posture « athéorique » de principe, semble ici la position la plus adéquate, notamment pour les groupes qui seraient particulièrement investis par la position idéologique. Cette posture consiste à réutiliser le langage du groupe pour faire sens, à accompagner le groupe dans l’élaboration de sa propre théorie empirique plutôt qu’à introduire des modèles théoriques extérieurs, qui comportent le risque de créer perplexité, sidération ou résistance. Ce n’est qu’en cas de limites évidentes dans la compréhension d’un problème que des éléments théoriques extérieurs pourraient être mobilisés en renfort, et ce, en dialogue avec les productions du groupe. Ce choix méthodologique vise à éviter l’écart entre les pratiques et leur interprétation théorique.

Références bibliographiques

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Bion W.-R. (1962). Aux sources de l’expérience. Puf. 1979.

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Castoriadis-Aulagnier P. (1975). La violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé. Puf.

Dejours, C. (1980). Travail : usure mentale – De la psychopathologie à la psychodynamique du travail. Bayard. 1993.

Devereux, G. (1967). De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement. Flammarion ; 1998.

Foulkes, S.H. (1966). De l’interprétation en analyse groupe. Pratique de la psychothérapie de groupe II. Les techniques, 61.

Kaës, R. (2009). Les alliances inconscientes. Dunod.

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Kaës, R. (2015). L’extension de la psychanalyse : pour une métapsychologie de troisième type. Dunod.

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Molinier, P.  (2007). Une souffrance qui ne passe pas. Mutations du corps féminin et création d’imaginaire dans une industrie pharmaceutique. Actuel Marx, 41(1) : 40-54.

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Racamier, P.-C. (1992). Le génie des origines. Payot.

Rouchy, J.-C. (2008). Le groupe, espace analytique : Clinique et théorie. Érès.

Toupin, K.  (2024). Les destins de l’exclusivité dans le couple contemporain. Psychologie. Université Sorbonne Paris Nord. Français. https://hal.science/tel-04970572v1.

Toupin, K., et Maurin Souvignet, A.  (2024) . L’objet distanciel : la médiation par l’objet pour franchir la barrière de l’écran. Connexions, 121 (3), 51-64

Toupin, K. et Cunin, N. (2025). L’institutionnalisation du droit à la non-exclusivité transgressive : le cas Gleeden. Revue de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe, 84 (1), 43-54.

Toupin, K. (2025). Polyamour et thérapie polyculaire analytique. Dialogue, 246, 105-119.

 

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Notes

[1] Songeons au récent dossier de L’Express à charge : « Faut-il en finir avec la psychanalyse ? » (2024). « Il semble que ses auteurs n’ont pas consulté les rigoureux articles de Chagnon, Houssier et Pinel « La chasse aux sorcières, ça suffit ! » ou encore celui plus que sourcé de Raveyron « L’évaluation et l’efficacité des psychothérapies psychanalytiques et la psychanalyse » (2021) » (Toupin, 2024, p. 549).

[2] Type, principe ou catégorie conçus dans l’abstrait, dont relève quelque chose.

[3] En psychanalyse, les dynamiques transférentielles et contre-transférentielles désignent l’ensemble des réactions inconscientes qui émergent dans toute interaction, et ce notamment lorsque des asymétries de statut sont en jeu. Devereux (1968) souligne que le contre-transfert n’est pas un obstacle, mais un outil d’analyse permettant d’affiner la compréhension de ce qui intervient sur la scène affective et inconsciente entre l’observateur et son objet d’observation. Les dynamiques transférentielles ne se limitent pas à la relation duelle, mais interviennent également dans les situations groupales, où elles se diffractent entre les différents membres du groupe, redistribuant ainsi les investissements affectifs et projectifs sur différentes figures, comme ont pu le conceptualiser les auteurs de la psychanalyse des groupes (Oury, Anzieu, Kaës, etc.)

[4] Le nom ainsi que certains détails ont été modifiés afin de garantir la confidentialité.

[5] Soit : « une relation extrêmement étroite, indissoluble, (celle) entre deux personnes que pourrait unir un inceste et qui cependant ne l’accomplissent pas, mais qui s’en donnent l’équivalent sous une forme apparemment banale et bénigne » (Racamier, 1992)

[6] L’étude du contexte à partir duquel un symptôme apparaît. Pour le patient désigné, elle implique la recherche du sens et de la fonction de ce qui lui arrive dans le contexte dit « écosystémique » auquel il appartient. Autrement dit, la parole et le comportement pathogène du patient prendront sens dans le contexte familial et relationnel dans lequel il vit ; ce qui peut inclure non seulement les dimensions familiales, mais également sociales et la dynamique historique du groupe d’appartenance à travers les générations.

[7] La notion d’effraction en psychanalyse des groupes renvoie à une intrusion brutale dans l’appareil psychique du sujet ou du groupe, générant une tension et/ou un conflit psychique. Lorsqu’une situation est vécue comme effractante, cela signifie qu’elle s’impose de manière soudaine et potentiellement déstabilisante, provoquant des réactions défensives chez les sujets.

[8] Néologisme que nous proposons pour signaler qu’il ne la pense pas (il ne l’élabore pas) et il ne la panse pas (il ne la soigne pas). En ce sens, ce qui n’est pas pensé ne peut être pansé et inversement.