Sara Creissen

Adjointe de direction – Responsable de formation Master (ISFEC, Montpellier)
Docteure en psychologie du développement
Membre associée du laboratoire EA 4556 EPSYLON Université Paul-Valéry Montpellier 3

sara.creissen[arobase]gmail.com

Résumé

Cet écrit relate la mise en œuvre d’un dispositif d’APP nommé « L’Analyse de Pratiques Professionnelles » ainsi que d’une variante, menés auprès d’étudiant.e.s en formation initiale de professeur.e.s du premier et du second degré. Ce dispositif prend appui sur la technique des « Trois colonnes » (Robo, 2018). Deux principaux objectifs ont motivé sa mise en place. D’une part de permettre aux étudiant.e.s de revenir sur des situations observées ou vécues sur le terrain, ayant ou non posé problème, de manière individuelle ou en binôme et d’autre part de mettre en route une certaine réflexion nécessaire à court terme à l’obtention du concours de professeur.e et à plus long terme à l’exercice de leur métier.

Mots-clés 

formation initiale, « trois colonnes », posture d’auteur.e, posture réflexive, multi-dimensionnalité

Catégorie d’article 

Témoignage

Référencement 

Creissen, S. (2021). Témoignage sur la mise en place de dispositifs d’Analyse de Pratiques Professionnelles dans le cadre de la formation initiale de professeur.e.s. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 21, pp. 49-71. https://www.analysedepratique.org/?p=5137.


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Testimony on the implementation of Professional Practice Analysis in the framework of initial teacher training
Abstract

This paper reports on the implementation of a APP device called « Analysis of Professional Practices » as well as a variant, conducted with students in initial teacher training in primary and secondary education. This device is based on the « Three Columns » technique (Robo, 2018). Two main objectives motivated its implementation. On the one hand, to allow students to return to situations observed or experienced in the field, whether or not they posed a problem, either individually or in pairs, and on the other hand, to initiate a certain amount of reflection necessary in the short term to obtain the competitive examination for the teaching profession and, in the longer term, to practice their profession.

Keywords

initial training, « three columns », author’s posture, reflective posture, multi-dimensionality


 

1. Contexte

Je travaille en tant qu’Adjointe de Direction – Responsable de formation et Docteure en Psychologie du développement dans un institut de formation qu’est l’ISFEC[1] de Montpellier. J’œuvre au quotidien à la formation des Professeur.e.s des Ecoles et de Professeur.e.s de Lycée et Collège en devenir, dans le cadre de la Formation Initiale (FI), et de celles et ceux déjà en poste en Formation Continue (FC).

Dans le cadre de la formation initiale dispensée auprès de futur.e.s Professeur.e.s des Ecoles ou Professeur.e.s de Lycée et Collège  qui suivent un Master 1 MEEF[2], j’avais pour charge une Unité d’Enseignement (UE) nommée « Observation et analyse pratique de terrain » où il me fallait, sur trois séances de trois heures, non seulement les outiller à la démarche scientifique de recherche mais également leur permettre d’analyser les balbutiements de leur pratique professionnelle. Balbutiements, car ces étudiant.e.s de Master 1 n’avaient, pour la plupart, que quelques jours de stage en pratique accompagnée par un.e professeur.e tuteur.rice. Ainsi, tout le défi résidait dans la proposition d’une Analyse de Pratique Professionnelle (APP) adaptée à une expérience très restreinte du métier, voire à une expérience ne se limitant qu’à de l’observation de leur professeur.e tuteur.rice. De surcroit, il fallait composer avec la contrainte d’une proposition d’APP menée avec un groupe s’élevant à 30-40 étudiants.es en présentiel et en distanciel.

Ces défis qui étaient les miens m’ont poussée à suivre en juin 2018 une formation sur l’APP et les démarches d’accompagnement menée par Patrick Robo et Maela Paul. Dès la rentrée scolaire 2019, je me suis engagée dans l’animation de différents groupes d’APP. Cette contribution est l’occasion de présenter un dispositif et une variante mis en place dans le cadre de la formation initiale d’étudiant.e.s en parcours de professeur.e.s des écoles ou professeur.e.s de lycée et collège. Ce dispositif et cette variante prennent appui sur la technique des « trois colonnes » proposé par Robo (2018), inspiré de GFAPP[3] (Robo, 2003). Cette technique permet d’exposer des situations professionnelles vécues, à l’écrit, via l’utilisation d’un tableau à trois colonnes.

2. La technique des « trois colonnes »

2.1 Présentations de la technique initiale

La technique des « trois colonnes » proposée par Robo (2018) est basée sur l’écrit de situations professionnelles vécues ayant ou non posées problème. Elle consiste, en binôme, à « auto-analyser » (i.e., la personne exposant sa situation – personne A – va l’analyser via l’émission de questions et d’hypothèses de compréhension, tout comme le fera également l’autre membre du binôme, la personne B) et « co-analyser » (i.e., la personne A va aussi proposer une analyse de la situation de la personne B, suite à sa découverte, en posant des questions et des hypothèses de compréhension, tout comme le fera la personne B sur la situation de la personne A) des situations professionnelles vécues (Robo, 2018). Ainsi, les membres du binôme vont bénéficier d’une auto-analyse croisée.

Quatre phases successives sont proposées aux personnes accompagnées :

  1. Une phase d’exposition, par écrit, de la situation choisie respectivement par les personnes A et B (chaque membre du binôme a un tableau et complète la colonne 1 de celui-ci),
  2. Une phase d’élaboration de questions et d’hypothèses sur leur propre situation exposée (chaque membre du binôme renseigne ses colonnes 2 – questions – et 3 – hypothèses de compréhension – du tableau),
  3. Une phase de découverte uniquement du récit de l’autre membre du binôme avec pour tâche de formuler des questions et des hypothèses de compréhension (chaque membre du binôme renseigne d’autres colonnes 2 – questions – et 3 – hypothèses de compréhension – du tableau),
  4. Une phase de découverte des questions et hypothèses formulées par le binôme et d’échange à l’oral.
2.2 Pourquoi cette technique ?

Quatre principales raisons expliquent le choix de cette technique des « trois colonnes ». Tout d’abord, cette technique est basée sur l’écrit de situations vécues (Robo, 2018). Le passage dans un premier temps par l’écrit garantit une certaine sécurité aux étudiant.e.s qui ne souhaitent pas exposer oralement, devant le groupe classe entière ou devant moi, leur situation. Le passage par l’écrit devient un moyen favorable au développement de la réflexion. Il laisse le temps aux étudiant.e.s de se replonger dans la situation, de peser leurs mots, de sonder leurs émotions… Aussi, cette technique permet d’aborder la question de l’entrée dans l’écrit, souvent très difficile pour les étudiant.e.s, puisque très peu pratiquée et enseignée dans leurs études antérieures. Une première partie du travail porte donc sur le langage décontextualisé, c’est-à-dire « hors du contexte immédiatement vécu »[4] nécessitant donc des nombreuses précisions dans l’écrit. Ce que j’appelle, plus simplement, la prise en compte du lecteur.rice qui est vierge de connaissance sur la situation exposée. La compétence visée chez les étudiant.e.s est donc la suivante : savoir exposer par écrit une situation vécue.

Deuxièmement, cette technique permet d’enclencher un travail sur la posture de réflexion entendue comme la « capacité de poser un regard sur [a posteriori] ou dans [en cours d’action] sa pratique » (Guillemette & Monette, 2019, p. 32). Pour certain.e.s étudiant.e.s, il s’agit de les conduire jusqu’à une posture de réflexivité qui en plus d’une nécessaire réflexion doit comporter un autre type de mise à distance mobilisant une compétence métacognitive : « poser un regard sur sa propre façon de réfléchir » (Guillemette & Monette, 2019, p. 32).

La démarche de réflexion peut être qualifiée comme la capacité à se mettre à distance de la situation en regardant « la situation de l’extérieur » et à prendre du recul en se regardant « agir dans la situation » (Donnay & Charlier, 2008, p. 60). Pour Robo (2013, p. 45) c’est aussi « savoir questionner », « savoir émettre des hypothèses de compréhension », « savoir travailler, réfléchir avec [sur] ses émotions » et sur celles d’autrui, savoir articuler des savoirs universitaires à sa pratique professionnelle, savoir s’adapter aux situations, aux imprévus…

La posture de réflexion fait d’ailleurs partie du référentiel de compétences communes à tous les professeur.e.s et personnels d’éducation. La compétence 14 « s’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel » stipule que le professeur.e doit :

  • « Compléter et actualiser ses connaissances scientifiques, didactiques et pédagogiques,
  • Se tenir informé des acquis de la recherche afin de pouvoir s’engager dans des projets et des démarches d’innovation pédagogique visant à l’amélioration des pratiques,
  • Réfléchir sur sa pratique – seul et entre pairs – et réinvestir les résultats de sa réflexion dans l’action,
  • Identifier ses besoins de formation et mettre en œuvre les moyens de développer ses compétences en utilisant les ressources disponibles. » (MEN, BO n°30 du 25 juillet 2013).

Ces postures de réflexion et de réflexivité sont une nécessité à acquérir par les futur.e.s professeur.e.s durant l’action en classe et à la suite de celle-ci. Elles font, bien souvent, l’objet d’un long apprentissage. Elles garantissent « le changement des pratiques » (Perrenoud, 2003, p. 12). Autrement dit, elles sont considérées « comme la meilleure garantie de l’adaptabilité de l’enseignant à des situations, des publics voire des contenus d’enseignement en évolution constante. » (Blanchard-Laville et al., 2006, p. 2).

Troisièmement, la technique des « trois colonnes » semble la plus adaptée au public qui m’est confié, composé d’étudiant.e.s en présentiel (i.e., physiquement présents en cours) et en distanciel (i.e., suivant les cours à distance et ne venant en formation que deux semaines durant l’année de formation). En effet, les « trois colonnes » existent en « support numérique », permettant « de travailler à distance » (Robo, 2018, p. 33).

Enfin, l’idée est de leur livrer « un outil clef en main » (i.e., le tableau avec les trois colonnes), facile d’utilisation pour eux comme pour moi. Il me permet d’expérimenter dans un cadre rigoureux l’animation de mes premières séances d’APP. Stimulée par les découvertes de la formation, rassurée par les précieux conseils prodigués, convaincue de l’utilité de la technique des « trois colonnes » dans mon contexte d’activité, je me suis donc lancée dans l’appropriation et l’adaptation de cette technique pour animer des groupes d’APP. Cette adaptation était nécessaire compte tenu des contraintes qui m’étaient imposées (e.g., nombre d’interventions, nombre d’étudiant.e.s) et des objectifs d’apprentissages que je voulais viser chez les étudiant.e.s (e.g., entrée dans l’écrit, prise de recul, développement d’une réflexivité). À partir de la technique des « trois colonnes », j’ai donc mis en place et en œuvre un dispositif et une variante.

3. Description du déroulement de la démarche adaptée à partir de la démarche initiale

3.1 Présentation de la mise en place : le cadre établi

Il m’a d’abord fallu réfléchir au cadre que je souhaitais poser. Ayant pour triple casquette auprès des étudiant.e.s celle d’Adjointe de direction – responsable de formation Master (bien que je ne sois pas chargée de la mise en stage et de son suivi), celle de Docteure en Psychologie du développement et Psychologue, puis celle de Formatrice, il me fallait réfléchir à ma posture et à la présentation que j’allais en faire.

Les lectures de Castincaud (2003) et de Paul (2009) m’ont été d’une grande aide. Intervenant auprès des étudiant.e.s en situation de Formation Initiale, pour moi l’APP ne devait pas être « menée par un spécialiste qui détient des clés, mais par un formateur qui est le garant du cadre posé et le gardien des règles déontologiques » (Castincaud, 2003, p. 11).

Ensuite, comme le préconise Robo (2018), je me suis mise à la rédaction d’un contrat des droits et devoirs de l’accompagnateur.trice (voir tableau 1) :

Droits Devoirs
  • De rappeler les règles du cadre quand nécessaire,
  • De proposer un temps méta pour échanger sur la démarche précise d’APP.
  • De respecter un refus de participation (clairement explicité par la personne accompagnée),
  • De respecter l’anonymat et la confidentialité,
  • D’une absence de jugement, de ne pas donner de conseils déguisés,
  • De ne pas évaluer ces temps d’APP.

Tableau 1. Droits et devoirs de l’accompagnateur.rice

Et des personnes qui sont accompagnées (voir tableau 2) :

Droits Devoirs
  • De participer aux propositions d’APP,
  • De ne pas prendre part à la proposition faite (en étant du coup dans une posture d’observateur suivant certaines grilles élaborées à cet effet),
  • D’arrêter à tout moment d’être accompagné,
  • D’écouter et de comprendre l’autre, de poser des questions et des hypothèses dans ce sens,
  • De ne pas répondre aux questions posées par les membres du groupe, lorsque l’on est accompagné,
  • De participer à des temps méta sur les outils proposés.
  • De respecter le cadre donné, toutes les règles énoncées et celles pouvant ensuite être ajoutées (anonymat, absence de jugement…),
  • De faire preuve d’une authenticité, d’une « certaine » implication,
  • D’une absence de jugement, de ne pas donner de conseils déguisés.

Tableau 2. Droits et devoirs des personnes accompagnées.

Enfin et dans la continuité de l’élaboration de ce cadre, des règles inspirées de celles énoncées par Robo (2018) ont été pensées pour l’accompagnateur.rice et pour les personnes accompagnées. L’ensemble du cadre (i.e., les droits et devoirs ainsi que les règles à respecter) a été posé auprès des personnes accompagnées avant de démarrer la technique des « trois colonnes » adaptée.

Les règles à respecter impérativement autant à destination de l’accompagnateur.rice que des personnes accompagnées sont :

  • Confidentialité (même pour son chat !) : ce qui se dit dans le temps d’APP reste confiné dans cette salle et dans la mémoire des membres présents du groupe. Autrement dit, de ce qui se dit, rien ne doit sortir de la salle et de la bouche des membres présents du groupe,
  • Anonymat : utiliser des termes génériques pour parler des personnes impliquées dans la situation comme le.a tuteur.rice, l’élève,
  • Non évaluation: les trois temps d’APP proposés ne feront pas l’objet d’une évaluation. Seul un écrit réflexif ciblé sur le vécu de ces temps d’APP sera proposé (il ne sera pas noté),
  • Authenticité : ce temps d’APP n’étant pas évalué, noté… il est attendu de vous une certaine implication,
  • Non jugement: mais empathie, compréhension et bienveillance. Deux types d’empathie sont ici à considérer : l’empathie affective et l’empathie cognitive. « L’empathie affective renvoie à la capacité à percevoir les émotions d’autrui à travers ses mots, mais aussi (et surtout) à travers la communication non verbale (par exemple, le ton de la voix, les gestes) » alors que « L’empathie cognitive relève de la capacité à se représenter les pensées de l’autre » (Shankland et al., p. 7). La définition de la bienveillance a aussi été empruntée aux travaux de Shankland et al. (2018) et adaptée au public concerné par l’APP : des adultes en formation. En effet, dans leur article, la définition proposée concerne les relations entre les enseignants et leurs élèves[5]. Pour définir la bienveillance, dans une perspective de psychologie positive, trois dimensions sont à considérer : (1) « une dimension cognitive » relative à une « attitude de non-jugement », « d’ouverture et d’acceptation d’autrui », (2) « une dimension affective » consistant à accueillir les émotions d’autrui en faisant preuve d’empathie, en prenant « soin d’autrui », (3) et « une dimension comportementale » impliquant de se surveiller pour rester dans le cadre donné (Shankland et al, 2018, p. 5),
  • Interdiction du conseil et de donner des leçons: nous allons accompagner autrui pour l’aider à trouver ses propres solutions. Nous allons être dans l’accompagnement : « être avec et aller vers », « aller où il va » […] en même temps que lui : à son rythme, à sa mesure, à sa portée ». « L’idée de cheminement prévaut sur celle de but à atteindre » (Paul, 2009, pp. 96-97),
  • Pas de téléphone ni d’ordinateur: cette règle est ajoutée lors de la séance 2 d’APP,
  • Ne pas directement s’adresser à la personne exposant sa situation lors de la phase d’émission d’hypothèses de compréhension: cette règle est ajoutée lors de la séance 2 d’APP. C’est-à-dire : ne pas regarder fixement la personne, s’adresser au groupe, ne pas nommer la personne par son prénom mais par sa fonction (e.g., l’étudiant.e stagiaire). Par contre, la phase d’émission de questions permet une adresse directe à l’exposant qui a la possibilité de répondre ou de ne pas répondre aux questions posées.
3.2 Description de la mise en œuvre du dispositif « L’Analyse Pratique »

Les deux objectifs principaux de ce dispositif d’APP consistent à :

  • Permettre aux étudiant.e.s de revenir sur des situations observées ou vécues sur le terrain, ayant ou non posées problème, à l’aide d’une technique pouvant par la suite être facilement utilisée en autonomie,
  • Travailler sur leur posture d’auteur.e en écrivant pour un.e destinataire,
  • Mettre en route une certaine réflexivité nécessaire à court terme à l’obtention du concours et à plus long terme à l’exercice de leur métier.

Le dispositif a donc été pensé sur trois séances de trois heures étalées sur environ deux mois. Afin de permettre aux étudiant.e.s accompagné.e.s d’avoir accumulé un certain nombre de jours de stage en classe ; les séances ont eu lieu au second semestre de formation de l’année universitaire de Master 1 MEEF.

La première séance a consisté à définir l’APP, à l’ancrer dans les commandes ministérielles et à en présenter les bénéfices pour la passation du concours et pour la pratique professionnelle (environ 1 heure et 30 minutes de présentation). Précisons qu’à l’approche du concours, il est nécessaire de convaincre les étudiant.e.s de l’utilité de ce qui est proposé en formation ! Ensuite, le cadre présenté ci-dessus a été posé (environ 20 à 30 minutes de présentation). La technique des « trois colonnes » proposée par Robo (2018), et adaptée quelque peu dans les consignes par mes soins (voir les consignes en annexe 1 ainsi que l’ensemble du matériel construit), a été présentée. Pour commencer à mettre les étudiant.e.s en activité, la feuille concernant l’écriture de la situation a été distribuée. Ce premier travail a été mis en lien avec d’autres notions vues dans d’autres cours dispensés pas mes soins comme le langage décontextualisé, la prise en compte du lecteur qui est vierge de connaissance, l’explicitation (dans le sens d’une clarté de l’écrit) et la posture d’auteur.e. Ainsi, le premier objectif de cette proposition de travail portait sur l’entrée dans l’écrit d’une situation vécue. J’ai laissé environ 20 minutes aux étudiant.e.s pour écrire leur situation (ce temps n’était d’ailleurs pas suffisant pour certain.e.s). À l’oral, nous avons ensuite échangé sur les éléments mentionnés dans le récit afin de prendre en compte un lecteur « naïf ». L’importance de la dimension spatio-temporelle, de la dimension émotionnelle pour aider le lecteur à se mettre à la place de la personne qui écrit a émergé. La bonne utilisation des connecteurs logiques, de la ponctuation a aussi été un point d’importance. La séance a été clôturée en leur demandant de ramener leur écrit de situation pour la prochaine séance.

La deuxième séance a permis de continuer le travail d’APP à l’aide de l’adaptation de la technique des « trois colonnes » (récit écrit) pour tendre ensuite vers un temps de GAPP[6] (récit oral).

Concernant la technique des « Trois colonnes », le cadre a été rappelé en ayant une insistance toute particulière sur les règles. À noter que deux nouvelles règles ont été introduites (voir précédemment). Puis, les étudiant.e.s ont été invité.e.s à repartir de leur écrit de situation (réalisé lors de la séance précédente) ou à produire un nouvel écrit (surtout pour les étudiant.e.s absent.e.s lors de la séance précédente et les étudiant.e.s en distanciel présent.e.s uniquement à cette séance lors d’une semaine de regroupement). Lorsqu’ils repartaient de leur écrit de situation, ils étaient invités à le relire et à le réviser en considérant les éléments mis en exergue lors de la séance précédente concernant la production d’un écrit explicite pour le lecteur (cette phase a duré environ 20 minutes). Par exemple : l’importance de donner des éléments de contexte, comme en mentionnant des informations spatio-temporelles. À la suite de cela, les étudiant.e.s ont produit des questions et hypothèses de compréhension sur leur situation (cette phase a duré également environ 20 minutes). Ils ont ensuite uniquement transmis à leur binôme (ou trinôme puisqu’il y avait un nombre impair de personnes accompagnées) leur écrit de situation. Suite à une lecture attentive de la situation de leur binôme/trinôme, toujours à l’écrit, ils ont été invités à formuler des questions et hypothèses de compréhension sur la situation. L’écrit de la situation ainsi que les questions et hypothèses de compréhension ont été finalement échangés avec leur binôme/trinôme (environ 25 minutes pour ces étapes). Un temps de lecture, en silence, des questions et hypothèses a été prévu puis un temps d’échange entre les binômes et le trinôme a suivi (environ 10 minutes pour ces deux dernières phases). Ce temps d’échange a nécessité un rappel des règles, car les étudiant.e.s avaient rapidement tendance à retomber dans une posture de conseils, à ne plus respecter l’anonymat… Une pause bien méritée a été proposée, permettant aux étudiant.e.s de continuer à échanger, s’ils le souhaitaient. Pour clore cette première tentative d’APP via l’écrit, un temps d’échange méta à l’oral, guidé par trois questions, a permis de compléter le travail sur la posture d’auteur.e :

  • Quelles sont les différentes dimensions abordées dans les écrits (dans la description de la situation, les questions et les hypothèses de compréhension) ?
  • Quel est le type de questions posées (cf. cours du semestre 1 sur les différents types de questions dans un entretien de recherche ou dans un questionnaire comme des QCM, questions ouvertes…) ?
  • Qu’avez-vous remarqué dans les écrits de vécu professionnel (ellipses, manques de précisions, présence d’informations émotionnelles…) ? Nous revenons ici sur votre posture « d’auteur.e » abordée au premier semestre.

Concernant le GAPP (récit oral), il s’est agi premièrement d’identifier les volontaires pour exposer leur situation à l’oral (en prenant appui sur leur situation écrite). Comme il y en avait plusieurs, je leur ai demandé de résumer leur situation en un titre et de le présenter au groupe. Suite à la présentation des titres, une étudiante a d’elle-même laissé sa place. Il ne restait plus que deux étudiants en course, j’ai alors demandé s’il y avait une urgence à présenter aujourd’hui cette situation. Un étudiant a répondu que oui, car il était en distanciel et n’aurait plus la possibilité de participer à genre de proposition par la suite. L’autre étudiante restant en course s’est très gentiment retirée. J’ai senti la nécessité de les avertir qu’une autre proposition de GAPP serait faite lors de la séance suivante et que s’il nous restait assez de temps lors de cette séance, une personne supplémentaire pourrait exposer sa situation. À la suite de la présentation de la situation par l’étudiant, qui fut fort intéressante, car ciblée sur une réussite (ce que je n’avais jamais encore vécu), une phase de questions (de 10 minutes) suivie d’une phase d’émission d’hypothèses de compréhension (de 10 minutes), se sont déroulées. Le temps restant a permis à l’étudiante de présenter également sa situation, qui elle était problématique.

Je précise qu’une organisation particulière avait été pensée compte tenu du nombre élevé d’étudiant.e.s à accompagner. Premièrement, une organisation spatiale de la classe avait été anticipée. Un petit cercle de tables avait été prévu au milieu de la salle, pouvant accueillir 15 personnes environ (moi y compris puisque mon rôle était de superviser le bon déroulement de ce temps d’analyse). Un grand arc de cercle était organisé autour du cercle, permettant de placer le reste des étudiant.e.s. Le petit cercle était prévu pour les étudiant.e.s souhaitant directement participer à ce temps de GAPP en étant acteur dans la présentation/écoute de la situation, dans l’émission des questions et hypothèses de compréhension. L’arc de cercle comprenait les étudiant.e.s : (1) souhaitant être garant.e.s du bon déroulement du GAPP en prenant à leur charge le contrôle du respect du cadre (voir l’annexe 2.1 sur la grille d’observation 1 sur le respect du cadre), ou du respect du temps des différentes phases, ou de la distribution de la parole (voir en annexe 2.3. la grille d’observation 3 concernant la distribution de la parole et du temps) ; (2) désirant être en situation de méta-analyse (voir en annexe 2.3. le tableau d’observation de la multi-dimensionnalité). Ainsi, une répartition des responsabilités a été opérée selon les préférences des étudiant.e.s. La séance s’est clôturée sur un débat, non anticipé au départ, sur la question de la responsabilité et les possibilités d’actions de l’enseignant.e face à la maltraitance d’un élève par un membre familial.

La troisième séance a consisté, après une phase de rappel du cadre et des objectifs de la séance, en un GAPP sans un passage par la technique des « trois colonnes », au préalable. Deux étudiant.e.s ont pu présenter leur situation. La même organisation spatiale et temporelle a été utilisée que lors de la séance 2. À la suite de cela, 1heure et 30 minutes ont porté sur un temps de méta-analyse ciblée sur les deux techniques vécues (i.e., « trois colonnes » et GAPP).

Dans un premier temps, un retour a été fait sur la signification de la pratique réflexive et sur ce que signifiait être un praticien réflexif. La pratique réflexive a été définie comme « un moyen de réfléchir à sa pratique pendant et après l’action » (Buysse et al., 2019, p. 46). Le praticien réflexif ne se limite pas au « simple fait de faire une observation, d’agir ou de vivre une expérience » qui serait « suffisant pour se former une opinion, ou une croyance », mais « insuffisant pour construire un savoir. Dans ce but, le sujet doit faire preuve de réflexivité. » (Buysse & Vanhulle, 2010, p. 89). « Un praticien réflexif ne se contente pas de ce qu’il a appris en formation initiale, ni de ce qu’il a découvert dans ses premières années de pratique. Il réexamine constamment ses objectifs, ses démarches, ses évidences, ses savoirs. Il entre dans une boucle sans fin de perfectionnement, parce qu’il théorise lui-même sa pratique, seul ou au sein d’une équipe pédagogique. Il se pose des questions, tente de comprendre ses échecs, se projette dans l’avenir ; il prévoit de faire autrement la prochaine fois, ou l’année suivante, il se donne des objectifs clairs, il explicite ses attentes et ses démarches. » (Blanchard, 2002, p. 4).

Ces définitions apportées, il a fallu ensuite accompagner les étudiant.e.s à enclencher une certaine réflexivité. Pour cela, il était nécessaire de leur apporter un outil permettant de mieux cerner les indicateurs qui les feraient entrer dans un écrit réflexif. Une grille inspirée de Robo (2013, p. 45) a été transmise aux étudiant.e.s : capacité à « savoir mettre à distance puis prendre du recul » (i.e., « poser un regard sur [a posteriori] ou dans [en cours d’action] sa pratique », Guillemette & Monette, 2019, p. 32), « savoir questionner » (i.e., poser des questions d’éclaircissement, de précision sur la situation exposée), « savoir émettre des hypothèses de compréhension » (i.e., ne pas tomber dans le conseil déguisé ou dans la proposition d’une solution mais aider la personne accompagnée à prendre du recul face à la situation vécue et à trouver ses propres solutions), « savoir travailler, réfléchir avec [sur] ses émotions » et sur celles d’autrui, savoir articuler des savoirs universitaires à sa pratique professionnelle, savoir s’adapter aux situations, aux imprévus… Ils devaient vérifier que leur écrit comprenait certains de ces indicateurs.

Ensuite est venu le temps de la rédaction de l’écrit réflexif suivant ces deux questions :

  • Que m’ont apporté ces deux techniques (« trois colonnes » et GAPP) ?
  • Comment puis-je envisager de m’en ressaisir ?

L’écrit a été limité à 20 lignes, de sorte à les obliger à aller à l’essentiel et à ne pas digresser en présentant de manière descriptive les deux techniques.

En fin de séance, il a été proposé à des étudiant.e.s volontaires de faire part de leur écrit, à toute la promotion, à haute voix, de sorte à vérifier si l’écrit était ou non réflexif. Cette vérification a été réalisée suivant la grille susmentionnée. De nombreux.ses étudiant.e.s ont fait l’apologie de ces deux techniques, n’entrant donc pas dans un écrit réflexif en parlant d’eux-mêmes. De ce fait et à la demande générale des étudiant.e.s, une quatrième intervention, non prévue initialement a été proposée. Lors de celle-ci, pendant 1h30, les étudiant.e.s ont pu réviser leur écrit, au vu des éléments mis à jour lors de la séance précédente, et présenter à l’oral, leur écrit, toujours en considérant la grille proposée. Ainsi, ce premier dispositif s’est achevé sur la finalisation d’un court écrit réflexif.

3.3 Description de la mise en œuvre d’une variante

Cette variante, toujours inspirée de la technique des « trois colonnes », avait pour principaux objectifs d’aider les étudiant.e.s à prendre un peu de recul et à se décharger de ce qu’ils pouvaient vivre en stage.

Même si cette variante est présentée en deuxième position dans cet article, celle-ci a été mise en place bien en amont du dispositif présenté. Elle a été proposée, toujours à la promotion d’étudiant.e.s de M1, au premier semestre universitaire, au mois de novembre. Elle a été présentée comme un atelier d’une durée d’une heure et trente minutes, sur la base du volontariat (cette proposition était faite dans la continuité d’autres ateliers proposés sur d’autres thématiques, comme la collaboration avec un temps de jeux collaboratifs).

Cette variante a été pensée à destination d’un groupe composé d’un maximum de dix étudiant.e.s. J’ai opté pour un espace qui avait déjà vocation à apaisement et à réflexion, permettant aussi de s’asseoir en cercle sur des coussins. Une fois l’objectif de cet atelier rappelé et précisé aux étudiant.e.s, les règles à respecter ont été présentées. Ensuite, les étudiant.e.s ont été invité.e.s à écrire la situation choisie (mêmes consignes que dans le dispositif précédent). À la suite de cela, un.e étudiant.e était invité.e à présenter sa situation (sur la base du volontariat) et à tirer une carte dans le tas contenant trois types de cartes : sur une émotion ressentie par l’étudiant.e stagiaire ou par un autre membre impliqué dans la situation, sur une question suscitée par la situation (au moment du vécu de cette situation ou a posteriori) ou sur une hypothèse de compréhension de la situation (Je fais l’hypothèse que cette situation en est arrivée là parce que…). Ces trois types de carte étaient présentés de manière aléatoire dans le tas. Une fois la carte tirée, l’étudiant.e avait le choix de répondre soit pour lui/elle-même, soit de faire part à l’oral de sa réponse au reste du groupe. En outre, il/elle pouvait aussi autoriser les membres du groupe à émettre également une réponse. Bien entendu, dans ce dernier cas, il fallait au préalable que l’étudiant.e ait choisi de présenter sa situation. Si un.e étudiant.e choisissait de garder sa situation pour elle, alors il/elle continuait tout l’atelier en répondant aux cartes pour lui/elle-même, sans bénéficier des questions et hypothèses formulées par le groupe. Voir l’annexe 3 pour les consignes précises et les cartes proposées.

4. Méta-analyse de la mise œuvre du dispositif L’AP inspiré de la technique des « trois colonnes »

Cette dernière partie sera organisée en deux sous-parties : (1) il s’agira d’énoncer les effets positifs constatés sur les étudiant.e.s ; (2) les apports de la mise en place du dispositif sur ma posture de formatrice et d’accompagnatrice seront exposés.

4.1 Qu’en ont-ils/elles retiré ?

Les séances d’APP proposées dans le cadre du dispositif L’AP ont particulièrement été appréciées par les étudiant.e.s. Un calme, presque olympien, était remarquable durant celles-ci et perdurait même sur le temps du déjeuner et du cours de l’après-midi (aux dires d’autres formateurs.rices).

A l’aide des observations que j’ai pu faire durant ces séances et des écrits réflexifs rédigés par les étudiant.e.s, deux types d’apports d’une telle proposition sont à retenir : (1) un cadre sécurisant permettant de prendre confiance en soi et de mieux interagir avec autrui ; (2) une prise de recul face aux situations exposées conduisant certain.e.s étudiant.e.s à une réflexivité ; illustré ici par les écrits réflexifs des étudiant.e.s.

  • Les étudiant.e.s ont relevé une réelle authenticité et bienveillance durant ces séances. « La bienveillance qui régnait lors de ces échanges me semble essentielle et réconfortante pour les participants qui se confient sur des expériences qui peuvent être difficiles à vivre.».
  • Ils ont aussi noté que ce genre de dispositif participait à la constitution du groupe classe : « La classe passe de lieu de peur de jugement à un lieu de dévoilement commun, lieu fraternel. Ce travail, en plus d’aider à un développement personnel et professionnel, aide à souder la classe.»
  • En outre, il a participé à soulager individuellement certain.e.s étudiant.e.s : « Elle permet de mettre en lumière que le droit à l’erreur existe, même en tant que professionnel, et qu’il est possible d’évoluer et de progresser», « le fait d’avoir eu un avis extérieur, m’a soulagée, et m’a même enlevé une sorte de culpabilité. »
  • Terminons ce premier apport par les mots clefs proposés par un étudiant dans son écrit réflexif, qui me semblent illustrer assez fidèlement ce qui a pu se vivre : « Les mots-clés que je retiendrai sur ces temps d’Analyse de la Pratique Professionnelle sont : l’écoute, la neutralité, le discernement.»
  • Le travail d’entrée dans l’écrit sur les situations a permis à certains étudiant.e.s de structurer davantage leur écrit et discours et à prendre du recul : « L’avantage de cette technique est de passer par l’écrit et de devoir être le plus précis possible dans le récit de la situation. Ainsi, des éléments essentiels qui ont joué un rôle lors de cette situation, auxquels je n’avais pas fait attention au moment des faits, me sont apparus et m’ont permis une analyse différente. », « l’exercice des trois colonnes m’a incité à mettre à plat par écrit le contexte, ce qui s’est passé en détails, les acteurs de la situation et les enjeux. Ce travail m’a permis d’une part de ne pas oublier de détails, et d’autre part de faire remonter certains questionnements que j’aurais pu oublier. L’exhaustivité de cet écrit m’a poussé à faire émerger un maximum d’hypothèses explicatives, posant la base d’une recherche de solutions plus appropriées au contexte vécu, voire même transférables dans d’autres contextes. »
  • De plus, des étudiant.e.s ont pointé l’importance d’analyser également des situations positives : « Cette démarche d’auto-analyse de la pratique professionnelle à partir de situations vécues m’a fait comprendre qu’il est important de me servir de mes échecs sans oublier les réussites lorsque je suis sur le terrain.»
  • Les étudiant.e.s ont accepté de repartir avec des questions, de trouver leur propre solution : « J’ai donc appris que l’on peut « s’obliger » à prendre du recul vis-à-vis d’une situation en incluant des étapes de questionnements et d’échanges avec les autres avant de chercher à résoudre ce qui apparaît comme un problème.»
  • La compréhension de la notion de multi-dimensionnalité (e.g., espace, temps, éthique, psychologique, institutionnelle, règlementaire) est également un des apports de la mise en place de ce dispositif : « Cette technique m’a permis dans un premier temps d’être observateur externe et non acteur de la situation, la classe était séparée en deux grand groupes, le cercle interne où les questions sont posées ainsi que les émissions d’hypothèse et le cercle externe qui prend les notes par rapport à la grille d’observation.» « La grille d’observation permet de garder un cadre identique pour chacun, et assure un sentiment de sécurité à tous ces participants lors de GAPP. Elle permet d’être dans de bonnes conditions d’écoute et de communication saine. Elle permet également de couvrir le sujet dans sa totalité grâce à la colonne de la multi-dimensionnalité. Mais elle permet aussi à tous d’y prendre appui pour, personnellement, prendre le temps de la réflexion et s’auto-poser un cadre favorable à une réflexion saine et utile. »
  • Enfin, ce dispositif a profité à certain.e.s pour faire du lien avec des concepts vus dans d’autres cours (multi-référentialité) : « Ces techniques m’ont aussi permis de continuer à tisser des liens avec différents concepts rencontrés lors de ma formation universitaire et de faire des liens disciplinaires pour avoir une meilleure compréhension de ce qui se joue et se vit sur le terrain. Précisément, j’ai repensé à nos cours sur l’autorité éducative et à la posture de l’enseignant.»
4.2. Qu’en ai-je retiré ?

La mise en place et en œuvre de ce dispositif L’AP et de la variante furent pour moi l’occasion d’une réflexion sur ma posture de formatrice en situation d’APP qu’il me semble intéressant de partager.

Ainsi, il apparaît :

  • Une posture de coordonnatrice: la mise en place de ces séances d’APP m’a permis de nourrir ma réflexion sur le métier de formateur.rice, particulièrement sur la nécessité d’organiser, d’anticiper le temps et l’espace, de construire des consignes très précises, des outils (comme les tableaux, grilles) pour structurer de manière rigoureuse l’accompagnement et garantir la sécurité de tous. Cet apprentissage a pu être transféré dans d’autres interventions,
  • Une posture d’accompagnatrice: dans la même veine, la mise en place du dispositif L’AP m’a engagée à émettre une réflexion sur la progression proposée aux étudiant.e.s (en partant de la technique des « trois colonnes » adaptée, suivie d’un GAPP pour terminer sur un écrit de réflexion voire réflexif). Cette progression a vraiment été pensée pour les étudiant.e.s et non pas au service d’un contenu d’enseignement à dispenser. J’ai aussi pu me détacher d’un contenu d’enseignement dense et réaliser que ma posture et l’intérêt des étudiant.e.s n’étaient pas relatifs à la quantité et à l’exhaustivité du contenu présenté. Autrement dit, mener des séances d’APP ne nécessite pas un apport considérable de connaissances aux étudiant.e.s, mais un accompagnement structuré dans l’action et dans la mise en place d’une certaine réflexion, voire réflexivité ensuite,
  • Une posture de médiation: puisque je me détachais d’un contenu et d’une posture plutôt magistrale, la gestion des imprévus s’est également trouvée être l’une de mes grandes problématiques. Je n’ai jamais autant navigué à vue que dans ces séances d’APP, en prenant en compte des indices chez mes étudiant.e.s pour réguler mes propositions. Cet exercice m’a permis de réaliser que j’étais tout à fait capable de naviguer entre le prévu et les adaptations au fil de l’eau, sans même que les étudiant.e.s ne s’en rendent compte, la plupart du temps. J’ai pu expérimenter un accompagnement dénoué de tout conseil, un accompagnement permettant aux étudiant.e.s de trouver leurs propres solutions, conseils. Du fait de mes différentes casquettes (Adjointe de direction, Docteure en psychologie…), cette posture n’est pas facile à tenir en dehors de ces séances d’APP. J’accompagne aussi les étudiant.e.s en méthodologie du travail universitaire, lors de baisse de motivation… et dans cette situation il est souvent indispensable de prodiguer des conseils ou d’apporter des solutions,
  • Une posture de maîtrise de soi: enfin, même ma posture physique (pour une ancienne danseuse, j’y suis très sensible) a également pu évoluer. En cours, de nature dynamique, blagueuse, avec un débit de parole soutenu, et un souffle parfois coupé, ces temps d’APP m’ont également apaisée. Ma voix est devenue plus douce et posée. Je me suis aussi retenue de faire des blagues, sentant qu’elles n’y avaient pas leur place. L’humour n’a pas toujours des effets positifs sur les apprentissages (e.g., Ziv & Ziv, 2002).

5. En conclusion

Même si les retombées de cette expérience sont plutôt positives pour les étudiant.e.s comme pour moi, il me reste de nombreuses questions principalement basées sur la nature des questions et hypothèses de compréhension ainsi que sur la notion de multi-référentialité.

J’ai pu remarquer que la nature de certaines questions pouvait tendre vers des hypothèses de compréhension (du type : « Est-ce que tu penses que si tu avais agi ainsi alors… »). Pour pallier cette difficulté, j’avais décidé de circonscrire la nature des questions que pouvaient poser les étudiant.e.s : des questions d’éclaircissement, de précision. En effet, je pense que cette phase d’émission de questions doit rester en surface et permettre uniquement la bonne compréhension de la situation exposée, afin d’accompagner en douceur les étudiant.e.s dans celle des hypothèses de compréhension, touchant beaucoup plus en profondeur.

La phase d’émission d’hypothèses de compréhension attire particulièrement ma vigilance. Il n’a vraiment pas été évident pour les étudiant.e.s de formuler des hypothèses de compréhension permettant de conduire la personne accompagnée à une prise de recul et à trouver ses propres solutions. Par mon accompagnement, les étudiant.e.s ont petit à petit commencé à prendre conscience des formulations maladroites de leurs hypothèses de compréhension qui débordaient vers la mise en avant de solutions. Certain.e.s ont même pu développer une capacité d’auto-contrôle en s’auto-corrigeant. Afin d’éviter aux étudiant.e.s de tomber dans le conseil, j’avais fait le choix d’amorcer le début de la formulation des hypothèses de compréhension par une formule toute prête empruntée à Robo (2018, p. 34) : je fais l’hypothèse que cette situation en est arrivée là parce que…). Seulement, cette amorce de formulation me semble limiter la nature des hypothèses pouvant être formulées.

Par ailleurs, j’ai été particulièrement étonnée de la capacité de certain.e.s étudiant.e.s à faire du lien avec des concepts, théories… abordées dans d’autres cours. Il semble donc nécessaire que je réfléchisse à une certaine différenciation afin de permettre aux étudiant.e.s, de travailler également sur la multi-référentialité : « l’écoute des autres situations m’a aussi apporté un éclairage intéressant, en particulier dans la mise en lien des situations avec les apports théoriques du Master : l’autorité éducative, la psychologie du développement, ou encore le concept de résilience travaillé en anthropologie. » (extrait d’un écrit réflexif d’un.e étudiant.e.).

Pour terminer, cette contribution me semble permettre d’apporter un exemple concret de l’utilisation de la technique des « trois colonnes », en binôme, complétant ainsi sa description dans l’article de Robo (2018). Cette contribution devrait ainsi permettre à des personnes voulant se lancer dans la mise en place et en œuvre de cette technique d’en trouver un exposé détaillé dans cet écrit.

Le dispositif mis en place nommé L’Analyse Pratique me semble s’être différencié de la technique des « trois colonnes » de Robo (2018) en deux endroits. Premièrement, la technique des « trois colonnes » adaptée a été utilisée comme une porte d’entrée pour arriver à un temps de GAPP. Elle n’a donc pas été utilisée pour se suffire à elle-même. Deuxièmement, je rappelle que cette technique a été mise en œuvre auprès d’un groupe conséquent en nombre d’étudiant.e.s (30 à 40) n’ayant qu’une toute petite expérience du métier qu’ils souhaitent embrasser  en émettant l’hypothèse que l’entrée par l’écrit serait un départ sécurisant, permettant d’initier une prise de recul.

Références bibliographiques

Blanchard, S. (2002). Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant. L’orientation scolaire et professionnelle, 31(1), 1-4.

Buysse, A., & Vanhulle, S. (2010). Le portfolio : Une médiation contrôlante et structurante des savoirs professionnels. Revue suisse des sciences de l’éducation, 31(3), 87–104.

Buysse, A., Périsset, D. & Renaulaud, C. (2019). Apport potentiel des cours théoriques à la pratique réflexive en formation à l’enseignement. Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, 21(2), 43–63. https://doi.org/10.7202/1061839ar

Ministère de l’Education Nationale, BO n°30 du 25 juillet 2013. Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation. https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?pid_bo=29743

Castincaud, F. (2003). L′analyse de pratiques, à quelles conditions. Cahiers Pédagogiques, Analysons nos Pratiques 2, (416), 9–11.

Donnay, J., & Charlier, E. (2008). Apprendre par l’analyse de pratiques: Initiation au compagnonnage réflexif. Presses universitaires de Namur.

Guillemette, S., & Monette, K. (2019). Le questionnement pour soutenir le passage de la réflexion à la réflexivité. Formation et profession, 27 (2), 32‑44. https://doi.org/10.18162/fp.2019.493.

Paul, M. (2009). Accompagnement. Recherche et formation, 62, 91‑108. https://doi.org/10.4000/rechercheformation.435

Perrenoud, P. (2003). L’analyse de pratiques en questions. Cahiers pédagogiques, 416, 12–15.

Robo, P. (2003). Groupes de Formation à l’Analyse de Pratiques Professionnelles (GFAPP). http://probo.free.fr/ecrits_app/fiche_technique_presentation_gfapp.pdf.

Robo, P. (2013). Développer le «savoir analyser» pour analyser sa pratique professionnelle. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 1, 39–48. http://www.analysedepratique.org/?p=435.

Robo, P. (2018). «Trois colonnes», modes d’emploi Pratiques auto/co-analysées par écrit. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 12, 31–39. https://www.analysedepratique.org/?p=2871.

Shankland, R., Bressoud, N., Tessier, D., & Gay, P. (2018). La bienveillance : Une compétence socio-émotionnelle de l’enseignant au service du bien-être et des apprentissages ? Questions Vives. Recherches en éducation, 29, 1‑24. https://doi.org/10.4000/questionsvives.3601.

Ziv, A. & Ziv, N. (2002). Humour et créativité en éducation: Approche psychologique. Creaxion.

Annexe 1

Matériel adapté de la technique des « trois colonnes » (Robo, 2018). Ce matériel a été proposé en format paysage.

Colonne 1 : récit (personne A).

Consigne 1 : « Décrire librement, par écrit, une situation[7], un moment de vécu professionnel quel qu’il soit, réussi ou non. Décrire ce que vous avez vécu, repéré, ressenti… et que vous souhaitez interroger, revisiter, analyser, comprendre… Le récit doit être anonymisé (pas de référence explicite permettant de connaître l’établissement, le.a tuteur.rice…). À noter que ce récit sera ensuite lu par le binôme. »

 

 

 

 

 

 

 


Colonnes 2 et 3 : questions et hypothèses (personne A).

Consigne 2 : « Ecrire les questions qui ont émergé pendant et après ce vécu, sans y répondre. N’hésitez pas à varier vos questions en explorant différents facteurs, points de vue, dimensions… » Consigne 3 : « Formuler des hypothèses de compréhension, autrement dit des essais de réponses qui vont dans le sens de la compréhension de ce qui s’est passé et non dans le sens de résolution de problèmes, de conseils déguisés (utilisez systématiquement la formulation suivante : je fais l’hypothèse que cette situation est arrivée là parce que…). Je vous invite à tenter d’ouvrir les hypothèses à différentes dimensions (e.g., les élèves, vous-mêmes, la météo du jour, le.a tuteur.rice…). Cette notion d’hypothèse est ici bien différente de celle abordée au premier semestre dans le cadre d’une démarche de recherche hypothético-déductive. »

 

 

 

 

 

 

 

 


Colonnes 4 et 5 :
questions et hypothèses (personne B, une fois le récit du binôme découvert.
Découverte uniquement du récit du binôme, pas des questions et hypothèses de compréhension).

Consigne 4 : « À partir du récit de votre binôme, écrire les questions qui ont émergé à sa découverte. Des questions d’explicitations peuvent être posées. N’hésitez pas à varier vos questions en explorant différents facteurs, points de vue, dimensions… » Consigne 5 : « À partir du récit de votre binôme, formuler des hypothèses de compréhension, autrement dit des essais de réponses qui vont dans le sens de la compréhension de ce qui s’est passé et non dans le sens de résolution de problèmes, de conseils déguisés (e.g., je fais l’hypothèse que cette situation est arrivée là parce que…). Je vous invite à tenter d’ouvrir les hypothèses à différentes dimensions (e.g., les élèves, vous-mêmes, la météo du jour, le.a tuteur.rice…). »

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexe 2

Grilles d’observation

Annexe 2.1. Grille d’observation 1 sur le respect du cadre

Consigne. Vérifier le respect de ces différentes règles. Vous devez stopper le déroulé de l’APP lorsque l’une de ces règles est transgressée afin de la rappeler :

  • Confidentialité (même pour son chat !) et anonymat,
  • Authenticité,
  • Non jugement mais empathie, compréhension et bienveillance,
  • Interdiction du conseil et de donner des leçons,
  • Non évaluation,
  • Pas de téléphone ni d’ordinateur (règle ajoutée lors de la séance 2 d’APP),
  • Ne pas directement s’adresser à la personne exposant sa situation lors des questions et des hypothèses (règle ajoutée lors de la séance 2 d’APP).

Annexe 2.2. Grille d’observation 2 sur la distribution de la parole et du temps.

Consigne. Noter le prénom des personnes levant la main, les uns dessous les autres. La parole doit être distribuée suivant l’ordre chronologique du levé de la main, d’où la nécessité de noter les prénoms les uns dessous les autres sur la feuille.

Consigne. Avec le chronomètre de votre téléphone portable, il s’agira de délimiter les phases d’émission de questions (entre 10 et 20 minutes) et d’hypothèses de compréhension (entre 10 et 20 minutes). A l’approche des 10 minutes, faire un petit signe à la personne responsable de la distribution de la parole pour lui signifier la fin de la phase. Celle-ci signifiera à l’ensemble du groupe qu’une ou deux questions/hypothèses de compréhension (suivant la phase) pourrons être posées avant de clôturer cette phase.

Annexe 2.3. Tableau d’observation sur la multi-dimensionnalité

Consigne. Identifier lors des différents temps de l’APP les différentes dimensions abordées.

Dans le récit Dans les questions Dans les hypothèses de compréhension

 

Annexe 3

Présentation de l’atelier APP

Consigne 1. Décrire librement, par écrit, une situation observée ou vécue en stage qu’elle soit réussie ou non. Décrire ce que vous avez vécu, repéré, ressenti… et que vous souhaitez interroger, revisiter, analyser, comprendre… Le récit doit être anonymisé (pas de référence explicite permettant de connaître l’établissement, le.a tuteur.rice…). À noter que ce récit sera ensuite lu au reste des personnes du groupe.

Consigne 2. Lire cet écrit au groupe et suite à cette lecture tirer une carte (émotion ressentie, question posée, hypothèse de compréhension). Apporter une réponse pour soi ou à haute voix à la carte tirée (voir à la page suivante les cartes à découper prêtes à être utilisées).

Consigne 3. Si la personne exposant sa situation l’autorise, les personnes du groupe qui le souhaitent pourront également apporter à l’oral[8] une réponse à la carte tirée. Les réponses apportées devront être formulées de la manière suivante :

  • Carte émotion ressentie par l’étudiant.e stagiaire/autre membre de la situation : « je fais l’hypothèse que dans cette situation l’étudiant.e stagiaire/autre membre de la situation a pu ressentir… »,
  • Carte question suscitée par l’écoute de la situation : ces questions doivent cibler une explicitation de la situation, autrement dit ces questions doivent être posées dans le but d’obtenir des précisions sur la situation. Par exemple : « À quelle heure s’est déroulée la situation ? »,
  • Carte hypothèse de compréhension : ce sont des tentatives de réponses qui vont dans le sens de la compréhension de ce qui s’est passé et non dans le sens de résolution de problèmes, de conseils déguisés. Chaque émission d’hypothèse de compréhension doit démarrer par la phrase suivante : « je fais l’hypothèse que cette situation est arrivée là parce que… ».

Voici un exemple de chaque catégorie de carte utilisée pour cet atelier (elles ont été plastifiées) :

 

 

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Notes

[1] Institut Supérieur de Formation de l’Enseignement Catholique, sous contrat avec l’État.

[2] Métiers de l’Enseignement, de l’éducation et de la Formation.

[3] Groupes de Formation à l’Analyse de Pratiques Professionnelles.

[4] https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Langage/42/3/Ress_c1_langage_oral_cadrage_456423.pdf.

[5] Shankland, Bressoud, Tessier et Gay (2018, p. 1) présentent la bienveillance comme une « compétence socioémotionnelle déterminante à développer chez l’enseignant qui cherche non seulement à favoriser de manière durable l’apprentissage de ses élèves, mais également leur bien-être. »

[6] Groupe d’Analyse de Pratiques Professionnelles.

[7] Le terme de situation ayant été préalablement défini : « Par situation professionnelle il s’agit de tout acte, activité, action vécue dans le cadre professionnel, en présence d’élèves, de stagiaires, de formateurs, de pairs, de partenaires, de parents, de supérieurs hiérarchiques, etc. au cours desquels des faits, des phénomènes, des relations, des représentations, des ressentis posent question voire problème. » (Robo, 2003, p. 1).

[8] Une variante peut être proposée, consistant à ne pas donner une réponse à l’oral aux cartes mais à l’écrit. A cet effet, il suffit d’utiliser des cartes non plastifiées et dans un format plus grand, afin que les personnes participantes puissent inscrire une réponse au dos de la carte et la transmettre à la personne exposant sa situation.