Caroline Bell

Enseignante, Nice
bell.caroline[arobase]free.fr

Résumé

Le 12ème séminaire du réseau du Groupe de Formation à et par l’Analyse de Pratiques Professionnelles s’est tenu à Lyon les 15 et 16 juin 2019. Cet article vise à rendre compte des réflexions et des questions qui y ont émergé. Les thématiques retenues concernaient les temps et la posture « méta » en analyse de pratiques professionnelles (APP) ainsi que la supervision des animateurs de groupes d’APP. De supervision, il a été très peu question. Le groupe s’est longuement interrogé sur ce que revêt le « méta » au cours des séances d’APP.

Mots-clés 

méta, réflexivité, posture, compétences, outils

Catégorie d’article 

Compte-rendu

Référencement 

Bell, C. (2020). Les temps et la posture « méta » en APP : compte-rendu du 12ème séminaire GFAPP. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 16, pp. 130-137. http://www.analysedepratique.org/?p=3612.

 


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“Meta” times and postures in Professional Practices Analysis. Minutes of the 12th Seminary of the GFAPP
Abstract

The 12th seminary of the Group of Formation to and by the Professional Practices Analysis network took place in Lyon the 15 and 16 of june 2019. This article aims to present the reflexions and questions that appeared there. The themes selected concerned « meta » time and posture in professional practice analysis (PPA) and the supervision of PPA group leaders. Very little was said about supervision. The group discussed at length what « meta » means in PPA sessions.

Keywords

meta, reflexivity, posture, skills, tools


 

Un grand merci à tous les participants au séminaire, et plus particulièrement à Céline Calmejane-Gauzins, Jean Chocat, Pierre Cieutat, Philippe Péaud, Patrick Robo et Marc Thiébaud, pour leurs apports à ce compte-rendu !

Le 12ème séminaire du Groupe de Formation à et par l’Analyse de Pratiques Professionnelles (GFAPP) s’est tenu les 15 et 16 juin 2019 à Lyon. Ce séminaire a été possible grâce à l’organisation et l’animation sans faille de Rachel Aubert et de Blandine Bousquet. Merci à elles ! Seize participants s’y sont réunis afin d’échanger et de s’enrichir de points de vue émanant de différents horizons (social, médical, éducatif). Les thèmes de réflexion choisis par les participants étaient : les temps et la posture « méta » en APP ainsi que la supervision des animateurs de groupes d’APP. De supervision, il a été très peu question. Le groupe a essentiellement exploré ce que revêt le « méta » au cours des séances d’APP.

En lancement du séminaire, les animatrices nous ont invités à exprimer « quelque chose de soi » en lien avec des cartes de photolangage. Nous avons ensuite formulé, en un seul mot, ce qui nous avait conduits à nous inscrire à ce séminaire. Voici, ce qu’il en est résulté, sous forme de nuage de mots :Ce séminaire a donc ouvert « une faim » à explorer, à engager, à développer, à outiller ces temps « méta ». Cependant, une certaine frustration a été également ressentie : celle de ne pas les avoir suffisamment vécus durant ce séminaire…

Le groupe a tenté d’approfondir le sujet en vivant deux séances d’APP et plusieurs moments de retour sur ces séances, notamment à la fin de chacune d’elles.

Le matin de la première journée, les participants ont vécu une première séance d’APP, suivie d’un travail en trois sous-groupes thématiques, puis d’une mise en commun :

  • un sous-groupe centré sur la dimension didactique de ce qui venait de se vivre, c’est-à-dire ce que le groupe avait appris sur le « méta » ;
  • un sous-groupe centré sur la dimension pédagogique de ce qui venait de se vivre, c’est-à-dire comment l’animateur avait organisé la séance d’APP pour faire vivre un ou plusieurs temps « méta » ;
  • un sous-groupe centré sur la notion de « méta », c’est-à-dire sur le ou les processus à l’œuvre dans un temps « méta ».

Durant l’après-midi, les participants ont vécu une seconde séance d’APP avec deux co-animateurs, suivie de retours partagés dans le groupe.

Au cours de la seconde matinée du séminaire, un travail en trois sous-groupes a permis de développer les réflexions autour de la thématique retenue, suivi d’une mise en commun :

  • un sous-groupe centré sur la clarification de la notion de « méta » (ce qui est du « méta » ou ne l’est pas) ;
  • un sous-groupe centré sur l’intérêt de mettre en place une méta-analyse ;
  • un sous-groupe centré sur la manière dont la méta-analyse avait été vécue au cours de la seconde séance d’analyse de pratiques de la veille.

Il n’est pas possible de rendre compte ici de toute la richesse des réflexions élaborées notamment durant les échanges en sous-groupes. Quelques éléments saillants seront présentés de manière synthétique.

Avant cela et sans revenir sur les éléments développés dans deux articles publiés préalablement (voir Thiébaud & Bichsel, 2019 et Vacher, 2014), il nous a semblé important de rappeler la définition de « méta  » : « Méta est un préfixe qui provient du grec μετά (méta) (après, au-delà de, avec). Il exprime, tout à la fois, la réflexion, le changement, la succession, le fait d’aller au-delà, à côté de, entre ou avec [1]. » Méta est souvent utilisé dans le vocabulaire scientifique pour indiquer l’autoréférence (réflexion) ou pour désigner un niveau d’abstraction supérieur, un modèle.

De nombreuses questions ont été soulevées. Comment définir ce temps « méta » ? Quels sont ces temps « méta » ? Quels sont leurs objectifs et finalités ? Comment gérer et identifier leurs contenus (savoir analyser, animer, etc.) ? Quelle place et quelles formes leur donner en fonction de la dynamique et des ressources du groupe ? Quels outils développer ?

Afin de rendre compte des réflexions élaborées, seront évoqués dans un premier temps : la manière de percevoir le « méta » et les temps « méta » lors d’une séance d’APP, les objectifs poursuivis et les contenus sur lesquels ils portent. Puis la question de savoir comment les activer et comment les intégrer dans un processus d’apprentissage sera abordée, avec les outils et méthodes pour structurer les temps « méta » en APP. Ce compte-rendu se conclura par un bref bilan du séminaire.

1. Les temps « méta » en APP, les objectifs poursuivis et les contenus 

1.1 Qu’est-ce qu’un temps « méta » ?

Il est apparu important pour le groupe d’apporter une clarification sémantique à l’appui de l’étymologie et notamment en étudiant plusieurs termes proches :

  • L’introspection : une enquête sur soi-même ;
  • La réflexivité : un retour sur des objets de pensée qui sont réordonnés, envisagés différemment et reconstruits ;
  • Le « méta » : cela englobe quelque chose de plus vaste. « Méta » est un préfixe qui n’a de sens que s’il est « méta » de quelque chose : ici, c’est la méta-analyse.

La méta-analyse permet de transformer la réalité du matériau pour produire quelque chose qui va faire avancer le sujet et le collectif vers une plus grande conscience de soi et développer entre autres le savoir analyser et le savoir animer. Les objets de cette méta-analyse peuvent être pluriels. Ils peuvent concerner par exemple les réflexions élaborées, les effets du langage utilisé, les effets de la technique d’animation sur le groupe (modalités de choix de l’exposant, modalités de l’animation), les processus de groupe, etc.

Nous verrons ultérieurement que le « méta » peut être représenté par un mouvement, induit et accompagné dans un contexte qui amène à ce processus de décentration.

1.2 Dans quels temps apparaît le « méta » ?

Il apparaît que ce temps « méta » n’est pas unique. Il peut s’inscrire comme un fil rouge dans le cours de la séance ou dans la durée de plusieurs séances, même si des moments peuvent lui être entièrement dédiés dans le cours de la séance. Pendant l’APP, les participants sont en autoréflexion, confrontés à leur propre expérience. Les partages des membres du groupe vont semer des graines qui permettront de se questionner et de progresser ensemble. En dernier lieu, la phase « méta » permettra d’analyser ce qui s’est joué durant la séance.

1.3 Quels sont les objectifs poursuivis par ces temps « méta » et selon quel processus ?

Le processus « méta » vise à développer des compétences individuelles et collectives dans l’élaboration d’une nouvelle pensée sur soi et sur le groupe. Ces différentes méta-analyses ont pour objectifs de travailler sur de multiples objets, d’éprouver un vécu de « méta », de donner du sens et de développer des compétences collectives d’analyse. C’est un processus lent qui s’inscrit dans la durée, un développement dans la pratique. Ce qui implique une progressivité au sein de la construction des compétences individuelles et du groupe, afin de favoriser l’autonomie dans l’acquisition du savoir analyser. Ainsi, chaque participant et le groupe cheminent dans ce développement selon leur propre dynamique.

Ces compétences « méta » visent à provoquer une position « dissociée », engageant différents niveaux de perception et de réflexion. Elles permettent des résonnances, la création de liens conduisant à trouver du sens par rapport à la complexité à appréhender, à comprendre, à réguler.

Ainsi, au niveau individuel, le travail « méta » invite à connecter le sujet participant qui ressent et qui vit la situation exposée, à faire des liens, à chercher du sens dans la complexité d’une situation et d’une pratique. Il renvoie au métier, mais aussi à l’intime, à son rapport aux autres. Ce mouvement vers soi étant induit à des moments précis par une circulation entre la raison et le corps, qui crée en retour une émotion, qui peut être source d’une surprise, d’un étonnement. Cela implique d’accepter l’incertitude, de la justesse dans le sens de ce qui résonne en moi, de ce qui me parle (Piguet, 1975) [2].

Ainsi, la position « méta » nécessite une position «  dissociée », symboliquement ou physiquement, qui se manifeste à travers une disposition à l’introspection, à cette présence à soi.

Au niveau collectif, ce travail invite à développer des compétences d’analyse sur la pratique. Il permet d’analyser les ressources émergentes dans l’explicitation de la situation exposée et d’appréhender la dynamique du groupe, en cherchant à comprendre ce qui s’y passe.

Différents bénéfices peuvent en être retirés, notamment :

  • Le développement d’une faculté à s’exprimer et à être entendu : il est évoqué une libération, une émancipation et la capacité à élaborer un questionnement spécifique permettant des allers-retours entre la situation et les réflexions provoquées (ce sentiment éprouvé étant transférable dans d’autres moments de la séance d’APP) ;
  • L’apprentissage de la réflexivité et du savoir analyser ;
  • La redynamisation du groupe, la mise en lien et en synergie des participants (avec le développement d’un sentiment d’appartenance collective).

Au-delà de ces bénéfices, il apparaît aussi que ces temps « méta » permettent de ralentir le processus d’analyse, ce qui peut avoir un effet positif ou négatif. Le temps « méta » impose donc une forme « d’arrêt sur image ». Il va favoriser un approfondissement, permettre d’éviter ce que l’on rencontre parfois lors de séances d’APP : une analyse superficielle, qui n’explore pas la problématique issue de la situation sous différents angles, dans la multi dimensionnalité et la multi référentialité.

2. Comment activer le temps «  méta » et son intégration dans un processus d’apprentissage : les outils et méthodes pour structurer le temps « méta » en APP

Les outils et les méthodes vont permettre de mieux structurer ce temps, en interrogeant la manière de déclencher, d’activer ce processus et de l’intégrer dans la démarche d’apprentissage. Il est tributaire de la dynamique et des ressources du groupe, qui évoluent au fil des séances. C’est un temps qui nécessite un accompagnement spécifique dans le développement des compétences « méta » du groupe.

2.1 Les gestes professionnels de l’animateur

Le développement de ces temps « méta » relève à la fois de la posture de l’animateur, des ressources et limites qu’il perçoit dans le groupe et de la responsabilité des participants qui co-construisent ensemble ces réflexions. Cela demande à l’animateur la capacité à sentir le collectif et ses potentialités, à percevoir l’intérêt des participants et leurs attentes, à mettre en mouvement les personnes. Par le questionnement partagé, le groupe engage sa réflexivité dans des allers-retours. Comme cela a été vécu durant le séminaire, l’animateur invite les participants, par petites touches continues, à réfléchir à la fois aux contenus, aux processus de groupe et à la communication développée.

2.2 Différentes formes

Le groupe a évoqué diverses propositions pour la mise en œuvre de temps « méta » en cours de séance. Par exemple :

À l’échelle individuelle :

  • Pendant une minute, choisir une question à poser sur le « méta » ;
  • Faire un travail réflexif individuel durant les cinq minutes à venir ;
  • Échanger deux à deux pendant trois ou quatre minutes au maximum en lien avec une question réflexive (cela pose un jalon, c’est-à-dire que cela « met » les participants en travail réflexif, donc cela les prépare à partager des temps « méta » ultérieurs).

Il s’agit ainsi, progressivement, d’ouvrir des espaces de prise de recul et de conscience qui pourront donner du matériau pour des échanges collectifs ultérieurs. Cela permet aussi de développer la capacité des participants à se décentrer.

À l’échelle collective :

C’est un temps qui a pour but notamment d’identifier les différentes dimensions explorées ainsi que les différents cadres de référence mobilisés. Différents niveaux de « méta » peuvent être distingués :

1er niveau : L’animateur invite les participants à exprimer leur analyse « méta » de leur point de vue.

2e niveau : L’animateur propose au groupe de relever les différences et similitudes dans ce qui a été abordé. L’objectif consiste à faire prendre conscience à chacun de ce qui se construit chez les autres. Des déplacements sont possibles, amenant possiblement à d’autres réflexions pour chacun.

3e niveau : L’animateur peut aider le groupe à prendre conscience de méta-analyses qui n’appartiennent à personne en propre mais dont chacun peut se saisir. L’attention est portée sur des questions telles que : « Qu’est-ce qui s’est passé dans le processus collectif ? » « Quel mouvement collectif est en train d’avoir lieu ? »

4e niveau : L’animateur peut favoriser l’émergence collective de mises en lien de vécus et d’analyses entre des moments différents de la séance (voire entre différentes séances). Des résonances avec d’autres éléments peuvent se produire (expériences de vie des participants, bouts d’histoires communes, liens entre les personnes, etc.).

Cependant, plusieurs points de vigilance sont à souligner ; ils concernent entre autres le choix du moment opportun, la nature des vécus individuels et collectifs, la délicatesse des interventions d’animation ainsi que le choix de la forme ou de l’outil mis en œuvre. L’outil est au service du groupe et non l’inverse.

Au cours de la séance d’APP, il peut se produire comme un effet de bascule. Il s’agit d’une résonance émotionnelle liée par exemple à des effets de surprise ou une consigne donnée par l’animateur. C’est une expérience « libératoire » qui ouvre un espace « méta ». Dans cet espace s’élaborent de nouvelles compréhensions qui coexistent et se nourrissent par le partage. À noter la place du corps, comme un signal ; la première manifestation du sens est expérientielle, le corps exprime et manifeste.

Ces mouvements « méta » sont tout à la fois construits, fragiles, et en spirale ; ils prennent forme par touches subtiles ou en tension, comme sur une corde raide. Ils doivent pouvoir inclure des points de vue différents et de la pensée divergente. Ils émergent, disparaissent et réapparaissent au fil de l’analyse. Certains affirment que c’est un vécu, un mouvement dynamique vers une méta-analyse, un tissage spiralaire dans les différents niveaux de vécus individuels (sensation corporelle, intuition, émotion, cognition,) et entre les personnes. À ces moments précis, il y a un partage de prises de conscience individuelles avec des mises en lien (différences et similitudes) et des transpositions possibles pour chacun.

3. Bilan du séminaire

Au terme de ce séminaire, les réflexions ont fait émerger de nouvelles questions méritant une méta-analyse. Elles nous renvoient à nos expériences en APP, en tant que participants et animateurs.

Pour conclure, ce séminaire a souligné l’importance primordiale de ces temps de méta-analyse, pour le mouvement qu’ils engagent et leurs contributions au développement du savoir analyser. Ils permettent une clarification de ce qui est produit par l’APP. Ils favorisent la vitalité des individus et du groupe en stimulant une réflexivité constante, traversée par des mouvements et tensions variés. Leur finalité est l’autonomisation des individus et du groupe.

Rendez-vous a été ainsi pris pour le prochain séminaire GFAPP en juin 2020.

 

Références bibliographiques

Piguet, J.-C. (1975). La connaissance de l’individuel et la logique du réalisme. Neuchâtel : Éditions de la Baconnière.

Thiébaud, M. & Bichsel, J. (2019). Temps « méta » dans les groupes d’analyse de pratique.
In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 14, pp. 97-112. http://www.analysedepratique.org/?p=3190.

Vacher, Y. (2014). Phase méta en APP… quels contenus, quelles fonctions ? In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 4, pp. 23-34. http://www.analysedepratique.org/?p=1379.

 

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Notes

[1] Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9ta_(pr%C3%A9fixe).

[2] Cet imprévu doit d’abord être accueilli. Le premier temps consiste alors à se référer au vécu, à se focaliser sur l’expérientiel : mettre en mots son vécu avant de chercher à l’interpréter. C’est ce que Piguet (1975), philosophe phénoménologue, appelle le « renversement sémantique » : « le terme de renversement sémantique que nous employons déborde largement le cadre de la seule sémantique comme science. De manière générale, il envisage un renversement de la manière qu’a l’homme de se relier au monde en le déterminant, au profit d’une liaison “passive”, où l’homme accueille d’abord le sens du monde afin de pouvoir, sans le dénaturer, le transmettre par voie de connaissance. »