Marc Thiébaud

Psychologue, animateur, formateur, Suisse
thiebaud[arobase]formaction.ch

Jürg Bichsel

Psychologue, animateur, formateur, Suisse
j[arobase]bichsel.net

 

Résumé

Ce texte concerne les temps « méta » dans les groupes d’analyses de pratiques professionnelles (APP). Une phase « méta » est généralement prévue en fin de séance. Elle permet une prise de recul entre autres sur l’analyse développée ainsi que sur le vécu et le fonctionnement de l’APP. Dans notre pratique, nous proposons également des moments « méta » dans le cours de la séance et en début de celle-ci, pour favoriser notamment un questionnement sur le vécu et des prises de conscience en lien avec la manière de communiquer, d’analyser, de procéder durant l’APP. Ces divers temps « méta » peuvent prendre différentes formes que nous explorons et illustrons dans cet article, tout en discutant de leurs effets possibles et de leur mise en œuvre.

Mots-clés 

temps « méta », processus collectifs, réflexivité, formation à l’animation, régulation

Catégorie d’article 

Texte de réflexion en lien avec des pratiques

Référencement 

Thiébaud, M. et Bichsel, J. (2019). Temps « méta » dans les groupes d’analyse de pratique.
In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 14, pp. 97-112. http://www.analysedepratique.org/?p=3190.


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« Meta » time in practice analysis groups
Abstract

This text concerns « meta » times in professional practice analysis groups (PPA). A « meta » phase is usually scheduled at the end of the session. It allows a step back, among other things, on the analysis developed as well as on the experience and functioning of the PPA. In our practice, we also offer « meta » moments in the course of the session and at the beginning of the session, to promote questions about the experience and awareness of how the group communicates, analyzes , proceeds during the PPA. These diverse « meta » times can take various forms that we explore and illustrate in this article, while discussing their possible effects and their implementation.

Keywords

« meta » time, collective processes, reflexivity, animation training, regulation


 

Comment développer des temps « méta », de prise de recul, à différents moments d’une séance d’analyse de pratiques professionnelles (APP) ? Dans quels buts ? Sous quelle forme ? Ce texte a pour but de partager nos observations et réflexions à ce propos. Nous nous référerons aux expériences que nous avons vécues depuis plus de 20 ans dans l’animation de groupes d’APP et dans la conduite de formations à l’animation de tels groupes. Notre présentation commencera par des éléments de définition. Puis nous explorerons les effets potentiels des moments « méta » dans les groupes d’APP et nous distinguerons différents contenus sur lesquels ils peuvent porter. Nous évoquerons ensuite, à l’aide d’exemples, plusieurs formes que nous leurs donnons. Nous aborderons également l’utilisation des temps « méta » à des fins de formation à l’animation avant de conclure par quelques réflexions sur les manières de rendre ces temps, durant les APP, les plus bénéfiques possible.

1. La notion de temps « méta »

« Pour caractériser l’activité d’analyse de l’analyse, la métaphore de la descente du vélo pour se regarder pédaler est souvent utilisée. On comprend à travers cette figure de style qu’il s’agit de développer un regard sur son activité, d’en prendre conscience. »

Yann Vacher

« Méta » est un préfixe venant du grec (μετά) qui signifie « après », « au-delà de », « au-dessus de ». L’expression indique quelque chose qui englobe, un niveau supérieur d’abstraction, une posture consistant à prendre du recul, de la hauteur. Elle renvoie également à la réflexivité, à la récursivité, à l’auto-référence et à une mise en abyme.

Dans une APP, les temps « méta » correspondent à des moments du travail dédiés à une prise de recul. Ils favorisent une observation et une réflexion sur les processus à l’œuvre (individuels et collectifs) et sur les analyses produites. Dans notre pratique, ces temps « méta » peuvent être de durée variable et avoir lieu à trois moments du travail : 1) en cours de séance ; b) à la fin de celle-ci ; c) au début d’une nouvelle rencontre d’APP. Nous y reviendrons dans le point 4.

Le mot « méta » est inclus dans plusieurs termes qui font sens dans le contexte d’une APP :

  • méta-analyse : travail consistant à exploiter, dans un deuxième temps, les analyses produites pour en dégager une mise en perspective ;
  • métacommunication : l’acte de communiquer sur la communication, d’expliciter comment un message ou une situation de communication peut être comprise ou interprétée ;
  • métacognition : le fait de penser sur ses propres pensées et processus mentaux ; cela implique une capacité d’introspection et de réflexivité ;
  • métanoïa, qui inclut la racine du verbe νοέω (percevoir, penser, concevoir) : signifie un changement de vue, un renversement de la pensée ; renvoie à une prise de conscience des modèles de représentation et d’action en vue de leur possible dépassement ;
  • métaboliser, du grec ancien βάλλω (lancer, jeter) : indique une transformation, un mouvement.

Les temps « méta », comme nous le détaillerons ci-après dans la partie 2, sont susceptibles de favoriser des développements et des bénéfices dans le travail d’analyse de pratiques qui correspondent peu ou prou aux processus indiqués par les termes ci-dessus. C’est pourquoi, dans les groupes que nous animons, nous les évoquons sous cette dénomination que nous explicitons généralement en parlant, d’une manière simplifiée, de temps de prise de recul.

2. Quels effets potentiels des temps « méta » ?

Première case : « J’ai décidé de m’accorder une case sabbatique »

Deuxième case : ………  (vierge)

                        Troisième case : « ça fait un bien fou. »

Philippe Geluck

À mesure qu’ils en font l’expérience, les participants disent apprécier de plus en plus les temps «méta». Ils en témoignent ainsi :

  • Ça permet de sortir la tête du guidon, on ne voit pas comment on est dans le groupe.
  • Il ne faut pas être poisson pour juger de la forme d’un aquarium.
  • Il est nécessaire de s’arrêter pour prendre du recul sur sa manière de penser.
  • C’est fou cette tendance à regarder la réalité toujours avec les mêmes lunettes.
  • Sans pause, difficile de parler du processus quand on est pris par le contenu.
  • Cela permet de se rendre compte de la manière dont on fonctionne et de s’ajuster.

Un temps « méta » est susceptible d’apporter des bénéfices de plusieurs ordres qui peuvent se produire simultanément ou séparément. Ils concernent à la fois les processus d’APP, les analyses produites dans le groupe et les apprentissages individuels et collectifs développés. Les effets les plus fréquemment observés peuvent être regroupés en cinq catégories.

2.1. Se poser, ralentir, prendre du recul, sortir le nez du guidon

Les temps « méta » dans le cours d’une séance d’analyse de pratiques ne sont généralement pas vécus comme une rupture dans le processus d’APP. Le plus souvent, ils apportent plutôt ce qu’une pause peut favoriser dans le contexte d’une analyse de pratique : une prise de distance, une forme d’interrogation sur l’expérience vécue, une possible prise de conscience en lien avec la manière de lire la réalité, de communiquer, d’analyser, de procéder. Ils offrent un espace pour décanter, pour permettre à l’attention de se déplacer, pour laisser émerger aussi d’autres perceptions et réflexions, un espace qui fait souvent défaut dans le quotidien et qui peut aussi manquer dans l’APP, lorsque le groupe est focalisé sur l’analyse.

Un temps « méta » dans le cours d’une séance d’APP aide également à mettre sur « pause » les modes de pensée « automatiques » et de passer le relais (basculer) vers une réflexion d’un autre type. À ce propos, Kahneman (2012) fait la distinction entre système 1 (pensée automatique, rapide, instinctive, émotionnelle) et système 2 (pensée plus lente, plus réfléchi, plus logique). Ses recherches ont mis en évidence le fait que ces deux systèmes ont des avantages et des inconvénients et qu’ils ne fonctionnent pas à la même vitesse et de la même manière. A sa suite, Houde (2014) a développé des études qui montrent la nécessité d’une fonction (système 3) qui inhibe le système 1 et aide la bascule entre système 1 et système 2. En effet, le cerveau humain tend à l’économie et il mobilise à cet effet préférentiellement le système 1. Il tend à être en quelque sorte « paresseux » et réticent à développer les efforts de concentration demandés par le système 2, alors même qu’ils seraient requis. L’expérience développée avec les temps « méta » facilite ce relais et la mobilisation du système 2.

2.2. Approfondir, élargir l’analyse de la pratique

Pour reprendre les termes de Bateson (1979) : « Qu’est-ce qu’une plus vaste perspective ? Une perspective sur les perspectives ! » C’est dans l’élargissement de ce regard qu’émergent de nouvelles compréhensions qui peuvent porter sur la pratique analysée comme sur les processus d’analyse individuelle et collective mobilisés. Sans un temps dédié à cela, il est rare que ce travail d’analyse puisse s’élaborer. Les bénéfices de l’APP sont d’autant plus importants que chaque participant peut consacrer son attention à cette prise de recul et à cet approfondissement. Le partage des perceptions dans un temps « méta » contribue au développement d’une intersubjectivité. Il est fréquent de constater que, suite à un tour de table des perceptions de chacun, une nouvelle vision se fait jour qui aide à dépasser les limites de sa propre subjectivité. Des liens sont par ailleurs élaborés entre différentes réflexions déjà partagées. La poursuite de l’analyse dans le groupe en est d’autant enrichie. Cela nécessite de la disponibilité et un entraînement qui sont favorisés notamment par ces temps spécifiques.

2.3. Développer la réflexivité

Dans le prolongement de cet effet d’approfondissement de l’analyse, les temps « méta » favorisent une prise de conscience de ses modes d’apprentissage et logiques d’action. Ils offrent « la possibilité pour le participant de se concevoir comme sujet analysant et d’en faire un objet d’analyse » (Vacher, 2014, p. 25). Vacher explicite ainsi très précisément le développement de la réflexivité (du réfléchissement à la réflexion et à la méta-réflexion) et l’utilisation d’une phase « méta » prévue à cet effet. Dans une même perspective, Faingold (2006, p. 25) met en évidence la manière dont les apprentissages suivent des paliers de réflexivité : « les prises de conscience qui s’opèrent grâce à un processus de réfléchissement lors d’entretiens de formation ou de séances d’analyse de pratiques ne sont souvent l’objet d’une réelle appropriation par les praticiens débutants que si elles donnent lieu à un second temps de réflexion en différé. » Les temps « méta » permettent de revenir sur les analyses effectuées et de mieux comprendre les processus, les modèles mentaux et les savoirs d’action qui ont été mobilisés ainsi que ceux qui pourront être développés. Le plus souvent, un espace est prévu à cet effet à la fin d’une séance d’APP, parfois également lors d’une séance ultérieure. Ce travail peut être facilité si par exemple les participants sont invités, dans le cours de la séance d’APP, à noter sur une feuille les premiers éléments de compréhension d’une situation après l’exposé, puis à reprendre ces notes, ultérieurement, après la phase d’analyse pour nommer, mesurer les changements et enrichissements qui ont pu se produire. La réflexion peut se poursuivre entre autres en s’interrogeant sur la manière dont ce développement s’est réalisé et sur les compétences que cela révèle.

2.4. Partager un bilan des processus vécus, développer des compétences collectives

Les temps « méta » permettent par ailleurs d’effectuer un bilan du travail à des moments spécifiques (en particulier à la fin d’une étape dans l’APP ou à la fin de la séance). Ce bilan peut porter sur différentes dimensions du fonctionnement du groupe (voir partie 4 ci-après). Il aide à clore une étape, à rassembler les éléments produits. Il permet aussi de vérifier que tout le groupe est au diapason et de donner la parole aux participants qui en auraient encore besoin. Souvent, à la clôture d’une séance, l’animateur propose à chacun de s’exprimer sur la manière dont celle-ci a été vécue. Cela offre la possibilité aux participants de déposer un éventuel inconfort (par exemple : « je ne me suis pas exprimé car j’ai mal vécu l’invitation de l’animateur à parler des résonnances que la situation avait chez nous… ayant été très remuée par la situation présentée »). Un tour de table à la fin d’une séance d’APP sur le fonctionnement de celle-ci donne l’occasion de développer un partage apprenant relativement aux processus. Le fait de les nommer, de mettre en commun les observations relatives par exemple aux éléments facilitants et empêchants permet un apprentissage collectif de l’APP et de son animation. Souvent, l’animateur pourra aussi faire des liens éclairants entre les observations des participants et ses ressentis face au déroulement et à la conduite des processus.

2.5. Réguler, rééquilibrer les processus de groupe

Un autre bénéfice réside dans une réflexion menée dans le temps « méta » qui permet de rééquilibrer ou de redéployer les processus collectifs d’APP. Cet effet de régulation est parfois l’objectif premier du temps « méta » et cela est explicité (voir, pour plus de détails, Thiébaud et Bichsel, 2019). Mais ce n’est pas forcément le cas. En enrichissant la compréhension des processus en cours, un temps « méta » peut ouvrir vers des modifications significatives de ceux-ci, sans que cela soit recherché expressément. Celles-ci viennent, grâce à la prise de recul gagnée, comme un effet secondaire bienvenu, qui peut se produire de diverses façons. Par exemple :

  • Par une autorégulation sans qu’une verbalisation ou une concertation ne soit nécessaire : durant la production d’analyse, un groupe formule des hypothèses qui induisent de plus en plus que l’exposant gagnerait à s’engager sur un autre chemin (marquant une dérive par rapport à un travail de recherche de compréhension) ; l’animateur propose une pause de cinq minutes visant à permettre à chacun dans le groupe de faire le point sur ce qui a été produit jusqu’à présent dans l’analyse ; à la reprise de celle-ci, les hypothèses apportent de nouvelles compréhensions stimulées par la prise de recul.
  • Par un partage des vécus du moment : l’animateur invite le groupe à un mini stop et à une mise en commun ; cela fait émerger une clarification (notamment en lien avec des besoins insuffisamment pris en compte d’écoute, de respect, etc.) et favorise une régulation.

Un temps « méta » peut donner l’occasion à l’animateur comme aux participants de faire un bilan, prendre du recul et apprécier si des régulations gagneraient à être effectuées. Il peut être mis en œuvre dans une perspective heuristique, qui laisse apparaître, dans le cours du moment « méta », que cela peut apporter plusieurs des bénéfices que nous venons d’évoquer.

3. Sur quoi peuvent porter les temps « méta » ?

Leurs contenus peuvent être multiples. Ils peuvent concerner les vécus dans l’APP, les processus de pensée et d’apprentissage (individuel et collectif), le déroulement de l’analyse, le fonctionnement du groupe, etc. Parfois, ils sont très larges et ouverts, d’autres fois, plus ciblés sur une ou l’autre dimension des processus. Vacher (2014, p. 29) évoque des éléments de différents niveaux, « relatifs aux ressources affectives, aux connaissances/références du sujet ou encore aux savoir-analyser ». Il développe plus particulièrement trois aspects : l’émotion vécue durant la séance, le regard sur le dispositif d’analyse et l’interrogation du processus d’analyse élaboré par chacun des participants (Vacher, 2014). Pour notre part, nous nous référons assez souvent aux différentes dimensions des processus de groupe (voir Thiébaud et Bichsel, 2015, 2019). Les participants peuvent être invités à mettre l’accent sur :

  • Le sens de l’APP : la façon dont le groupe est centré sur l’analyse de la pratique exposée.
  • L’organisation et le déroulement du travail: la manière dont le groupe suit les étapes prévues (plus ou moins à l’unisson ou non).
  • L’implication de chacun : la prise de parole des différents participants (plus ou moins égale ou non), les émotions vécues etc. ; par exemple : « J’ai décroché un peu parce que je ne sais pas bien ce que je suis invité à faire » ou « Je suis épuisée, je n’arrive pas à être présente à ce qui se passe ici et maintenant… ».
  • Les relations dans le groupe : la manière dont les participants interviennent et communiquent entre eux.
  • Les analyses développées : les liens entre elles, les niveaux abordés, etc.
  • L’animation du groupe.

Parfois, il peut être intéressant de cibler le temps « méta » sur un aspect particulier, dans le but d’en approfondir la compréhension. Ces dimensions sont cependant en interaction les unes avec les autres comme le montre l’exemple ci-après dans lequel elles apparaissent toutes : dans une APP où les échanges tournent de plus en plus à un débat, les participants expriment dans un moment « méta » la prise de conscience qu’ils élaborent progressivement ; il en ressort notamment qu’une partie d’entre eux connaît la situation exposée ; ils ont chacun une représentation différente ; plutôt que d’identifier les aspects subjectifs vécus, ils ont voulu transmettre leurs connaissances, afin que l’analyse puisse porter sur « la réalité » ; le sens de l’APP (travailler autour de la pratique exposée) s’est peu à peu perdu ; certains ont préféré se taire ; ceux qui avaient connaissance de la situation ont voulu en débattre, alors qu’une posture d’observation et une pensée réflexive auraient été plus appropriées ; l’animateur est intervenu une fois pour inviter les participants à se centrer sur le vécu de l’exposant ; quelques minutes après son intervention, deux participants ont repris leur argumentation ; etc.

Les temps « méta » peuvent porter sur des vécus du présent (voir l’exemple ci-dessus). Ils peuvent aussi être plus rétrospectifs (réflexions en lien avec le passé, la séance vécue ou des rencontres antérieures) ou prospectifs (partage, souhaits orientés vers le futur de la séance). Par ailleurs, nous alternons volontiers les temps « méta » plus ciblés et plus ouverts. Pour choisir l’option préférable, nous sommes attentifs à ce qui émerge dans le groupe et nous nous concertons avec lui. Nous tenons aussi compte de l’expérience qu’il a déjà acquise (ou non) dans ce travail de prise de recul : nous organiserons davantage la réflexion selon besoin, en proposant de la conduire par étapes. Souvent, ce sont les liens qui peuvent être tissés entre plusieurs aspects qui sont le plus apprenants. Dans ces cas, le « méta » débouche sur une mise en perspective qui peut nourrir les analyses développées par la suite au sein du groupe. En voici un exemple qui concerne la prise de conscience de parallèles entre la pratique analysée et les processus de réflexion à l’œuvre dans le groupe d’APP : un exposant, dans son récit, présente des informations centrées surtout sur les comportements d’un de ses collègues avec lequel il a des tensions et dont il vit mal l’influence ; le groupe d’APP, durant l’étape des questions, interroge les représentations de l’exposant en le poussant à examiner d’autres éléments ; celui-ci se sent mal compris et exprime au groupe  sa frustration ; après une pause « méta », un participant formule l’hypothèse d’un parallélisme entre ce que l’exposant relate de la relation avec son collègue et ce qui se produit, sur le moment,  entre le groupe d’APP et l’exposant ; cela favorise d’autres hypothèses pour la suite de l’analyse et une régulation relationnelle (anticipation, vigilance à ne pas reproduire le même schéma d’influence). Le groupe a vécu un fonctionnement en miroir, une sorte d’isomorphisme (correspondances entre des éléments de la situation exposée et les processus du groupe qui produit l’analyse).

4. Quand mettre en place un temps « méta » dans une séance d’APP ?

« Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images. »

Jean Cocteau

Dans de nombreux dispositifs d’APP, une phase « méta » est prévue en fin de séance (voir Vacher, 2014). Elle est inscrite dans le protocole prévu et elle permet de tirer davantage profit de l’APP en élaborant un regard entre autres sur le vécu de la séance, sur son déroulement et sur le processus d’analyse proprement dit. Dans certains dispositifs (voir par exemple ARPPEGE ; Vacher, 2018, annexe), la démarche est fortement structurée avec un ou l’autre moment de réflexion « méta » qui intervient également comme une phase distincte dans le cours de l’APP. Le travail « méta » est ici au cœur des objectifs visés et le dispositif est conçu pour être au service de l’apprentissage de la réflexivité.

Dans notre pratique, nous prévoyons non seulement une phase « méta » à la fin d’une séance d’APP, mais plusieurs pauses « méta » durant celle-ci. Elles consistent alors à chaque fois en un arrêt, plus ou moins court ou long, dans le travail, pour favoriser une prise de recul. Il peut s’agir d’un moment de réflexion individuelle ou d’une analyse et d’un partage dans le groupe. Dans l’approche que nous utilisons, le travail collectif se développe selon les étapes généralement suivies dans l’analyse d’une pratique apportée par un exposant (voir Thiébaud, 2001). Le déroulement « habituel » est cependant enrichi à différents moments par une pause réflexive susceptible d’amplifier les bénéfices de l’analyse de pratiques. Autrement dit, les temps « méta » s’inscrivent dans le fil de la séance, souvent sans avoir été programmés. Ils ne constituent pas seulement une phase spécifique du processus. Ils ne sont par ailleurs pas un but en soi, même s’ils peuvent prendre une importance particulière, comme c’est le cas notamment dans les formations à l’animation de groupes d’APP (voir la partie 6).

Un temps « méta » peut également être mis en place au début d’une nouvelle séance d’APP. Il permet de partager dans le groupe des réflexions en lien avec la séance précédente, notamment son fonctionnement. Il peut donner l’occasion aussi de penser à des modifications souhaitées par les participants et l’animateur du groupe face aux processus collectifs d’APP.

Les temps « méta » en cours de séance, à la fin de celle-ci et au début d’une nouvelle rencontre sont complémentaires. Les éléments issus d’un de ces temps vont nourrir l’analyse à d’autres moments. Cette dynamique est à penser aussi en lien avec le travail réflexif que les participants peuvent développer entre les séances. Ceux-ci témoignent notamment du fait que les temps « méta » individuels comme collectifs vécus dans le cours de la séance d’APP et au terme de celle-ci les stimulent à se rendre disponibles pour poursuivre personnellement pour eux le travail d’analyse effectué en groupe. Le retour qu’ils font, au début d’une nouvelle rencontre, sur les apprentissages réalisés à l’issue des précédentes, en est par ailleurs d’autant enrichi.

5. Quelles formes peuvent prendre les temps « méta »

«    Celui qui ne voit pas qu’il ne voit pas est aveugle. Celui qui voit qu’il ne voit pas, voit. » 

Heinz Von Foerster

Dans les temps « méta », nous utilisons diverses modalités selon les situations et nous apprécions de pouvoir varier. Un des aspects clés réside dans la combinaison de temps individuels et de partage collectif. Les deux sont bénéfiques et complémentaires. Les temps « méta » de réflexion personnelle, effectués en silence, permettent aux participants d’explorer de manière introspective leurs vécus et réflexions, de les mettre en lien, de les rassembler, de les laisser décanter. Dans la mise en commun, le jeu des multiples regards favorise des mises en perspective, des résonances, la reconnaissance de similitudes et différences, des prises de conscience en lien avec les subjectivités qui s’expriment. Des dynamiques d’intelligence collective sont ainsi stimulées (voir Thiébaud, 2018). Pour l’exposant, ces dynamiques sont encore amplifiées, dans la mesure où son travail réflexif bénéficie de l’accompagnement du groupe, des énergies et des regards croisés de tous les participants. Dans les premières étapes d’une séance d’APP, nous privilégions souvent des temps « méta » en individuel, qui sont plus courts et favorisent la réflexivité ; ou parfois en duos ou trios (ce qui, dans certains groupes, mobilise davantage les participants). Dans les étapes ultérieures et en fin de séance, il est intéressant de proposer des temps « méta » de partage nourri par les réflexions individuelles, et dont la durée est plus longue. Mais ce n’est pas systématique, nous tenons compte des processus à l’œuvre dans le groupe et des participants, de ce qu’ils expriment de leurs vécus, réflexions et apprentissages. De manière générale, nous utilisons donc diverses modalités :

  • réflexions en individuel, en duos, en sous-groupes ;
  • partage en plenum, avec ou sans temps de réflexion individuel préalable ;
  • prise de notes personnelles, écriture (pour un possible partage ultérieur), utilisation de post-it qui pourront être exploités en groupe, production de schémas ou de dessins, etc. ;
  • invitation à une réflexion ouverte ou ciblée sur une ou l’autre dimension des processus ; organisée ou non en fonction d’éléments issus de l’analyse, convergente ou divergente ;
  • prise de parole libre ou structurée (tour de table, une idée par personne, synthèse en quelques mots, etc.).

Ci-après, nous en présentons des exemples en distinguant les différents moments évoqués.

5.1. Temps « méta » dans le cours d’une séance d’APP

Les temps « méta » peuvent prendre plusieurs formes, qui sont souvent décidées en concertation entre le groupe et la personne qui l’anime. Dans nos APP, nous les évoquons volontiers dès le démarrage du groupe en précisant que chacun peut en faire la demande à tout moment. Cette possibilité n’est pas forcément utilisée au début, mais il n’est pas rare que quelqu’un y fasse appel durant la première séance, et ce d’autant plus si nous donnons l’occasion d’en faire l’expérience. Voici quelques exemples de temps « méta » :

Au passage d’une étape à l’autre, l’animateur ou un participant peut demander une pause pour se questionner :

  • Qu’est-ce qui m’a frappé durant l’étape qui vient d’être vécue ?
  • Dans quelle mesure étions-nous au diapason par rapport à l’objectif de cette étape ?
  • Quelles sont les premières réflexions, ou les hypothèses, qui me sont venues en écoutant le récit de l’exposant (ou en écoutant les questions et les réponses aux questions)?
  • Comment cela résonne-t-il avec mes vécus ? avec ma pratique professionnelle ?
  • Comment avons-nous formulé nos questions ? ou nos hypothèses de compréhension ?
  • Qu’est-ce que cela nous apprend ?

L’animateur peut en profiter aussi pour réfléchir à la manière dont il veut animer la suite.

Lorsqu’il se passe quelque chose qui gagne à être relevé immédiatement ou qu’un travail d’analyse important a été produit qui peut nécessiter un temps de « digestion », l’animateur ou les participants peuvent, par exemple :

  • demander un stop pour échanger sur ce qui s’est passé et les impacts que cela peut avoir sur l’analyse de pratique ;
  • souhaiter avoir du temps pour réfléchir aux analyses produites, faire des liens avec d’autres éléments (de la pratique analysée comme de sa propre pratique) avant de poursuivre le travail en commun ;
  • demander du temps pour prendre note de leurs ressentis ou de leurs observations ; identifier aussi ce qui dans l’animation les a aidés ou leur serait utile ;
  • inviter à une modélisation, une mise en perspective ;
  • souhaiter une pause, en silence (pour pouvoir bouger, aérer la salle, laisser se poser les réflexions qui se bousculent dans la tête, etc.) ;
  • exprimer des attentes particulières par rapport à la poursuite de l’APP ; ou proposer une régulation au niveau des processus de groupe (voir Thiébaud et Bichsel, 2019).

Exemples de questions pour une réflexion individuelle ou un partage « méta » dans le groupe

Comment est-ce que mes réflexions, mes hypothèses cheminent en moi ?

Qu’est-ce qui a pu amener un changement, une réflexion, un élargissement de mes analyses ?

Et des analyses partagées dans le groupe ?

Qu’est-ce que j’apprends sur mon propre fonctionnement ? mes processus de réflexion ?

Dans quelle mesure la façon dont le groupe travaille répond-elle à mes attentes ?

Comment est-ce que j’ai pu m’impliquer personnellement ?

Est-ce que je vis un inconfort, est-ce que j’aurais un besoin à exprimer au groupe ?

Comment notre communication favorise-t-elle le travail collectif ?

Comment est-ce que je perçois que les autres membres du groupe ont pu s’impliquer ?

Quels parallèles pourraient être faits éventuellement entre les contenus qui émergent (comme compréhension de la pratique analysée) et les processus collectifs d’APP présents ?



5.2. Temps « méta » à la fin d’une séance d’APP

A la fin d’une séance d’analyse de pratiques, les temps « méta » visent particulièrement une mise en lien des analyses effectuées, une prise de recul sur plusieurs dimensions et l’écoute des vécus de chacun. Dans l’animation, nous cherchons à favoriser la prise de parole de tous les participants et nous contribuons à structurer ou synthétiser des éléments partagés. Ainsi :

  • Un temps de réflexion individuel pour commencer permet souvent à chacun de prendre un peu de recul par rapport aux analyses produites dans le groupe.
  • Un tour de table (sans ordre prédéfini) peut favoriser ensuite la prise en compte d’un maximum d’éléments de réflexion et de vécus présents dans le groupe.
  • Les observations et réflexions notées dans les pauses « méta » qui n’ont pas fait l’objet d’une mise en commun peuvent être reprises dans ce temps de fin de séance.
  • Un retour peut être partagé sur la manière dont les hypothèses de compréhension ont cheminé tout au long de la séance ; pour chacun ; et au niveau de l’analyse collective.
  • Chacun peut exprimer son vécu et ses apprentissages en lien avec l’analyse de pratique, les processus de travail en APP, les comportements aidants et freinants de l’animateur.

Exemples de questions pour un partage « méta » en fin de séance
(en complément des exemples de questions déjà évoqués dans la partie 5.1)

Concernant les analyses produites, ce que j’ai appris, ce que cela m’a apporté :

Quels sont les niveaux évoqués durant l’analyse ? Quelles dimensions ont été abordées ou non pas été abordées ? Quels cadres de référence ont été mobilisés ?

Qu’est-ce que je retire de la réflexion en groupe : pour moi-même et pour ma pratique ?

Quels liens peuvent être faits entre ce qui a été fait et vécu durant cette séance et d’autres aspects plus ou moins similaires de ma pratique professionnelle ?

Qu’est-ce que je compte faire de ce que j’ai appris durant cette séance ?

Comment est-ce que je pourrai mobiliser ces apprentissages dans des actions à venir ?

Concernant les relations et les processus de travail vécus dans le groupe :

Comment est-ce que j’ai vécu le déroulement et les différentes étapes de cette séance ?

Comment le climat et la communication ont-ils favorisé le travail de réflexion collective ?

Comment est-ce que j’ai pu m’impliquer personnellement ?

Par rapport à la suite du groupe d’APP :

Quelles améliorations ou modifications est-ce que je souhaite que le groupe puisse mettre en place pour l’animation et le déroulement de la (ou des) prochaines séances d’APP ?



5.3. Temps « méta » au début d’une nouvelle séance d’APP

Deux modalités principales sont utilisées au début d’une séance. Les personnes qui ont été exposantes antérieurement peuvent être invitées à faire un retour suite à la séance d’APP précédente. Cela leur permet de partager leurs réflexions par rapport à leurs apprentissages, le cheminement de leur prise de conscience et les actions qui s’en sont suivies. Ce retour est apprenant pour les participants, sans qu’il soit nécessaire de développer un échange à ce propos, dans la mesure où ils font des liens notamment avec leurs vécus de la séance. Parfois, ce temps « méta » se prolonge dans un approfondissement avec l’exposant de sa réflexion.

Une autre modalité consiste à développer avec l’ensemble des participants un partage sur le déroulement des séances de l’APP, sur l’évolution de la dynamique du groupe et sur les apprentissages élaborés par chacun. Cela donne aussi la possibilité d’exprimer des besoins ou des souhaits en lien avec la séance à venir. En voici un exemple : au début d’une séance d’APP, l’animateur invite les membres du groupe à dire leur vécu concernant la manière dont les situations et exposants ont été choisis durant les séances précédentes. Il se trouve que certaines personnes ont déjà amené deux situations et d’autres aucune. Il en ressort que les critères de choix utilisés (à savoir le degré subjectif de motivation à présenter une situation et l’intérêt de la thématique pour les autres participants) ne permettent pas à certaines personnes de prendre leur place. Décision est prise d’introduire un nouveau critère : priorité pour celles et ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion d’être exposants.

6. Les temps « méta » dans les formations à l’animation de groupes d’APP

Dans le but de favoriser les apprentissages de l’animation, nous élargissons parfois l’utilisation des temps « méta ». C’est le cas dans les formations à l’animation ainsi que dans les groupes d’APP dont les membres souhaitent développer des compétences pour animer. Ces formations reposent sur une logique expérientielle : c’est par la pratique de l’APP et de son animation que s’effectuent les apprentissages (voir Thiébaud, 2015). Les temps « méta » y prennent une place importante. Ils permettent d’analyser in situ ce qui se passe dans l’APP, de réfléchir aux processus en cours au niveau du groupe et de l’animation. C’est d’ailleurs dans ces formations que nous avons commencé à expérimenter les potentialités de ces temps que nous appelons parfois « arrêts sur image ». Les participants expriment à la fois combien cette pratique de réflexion « méta » est nouvelle pour eux et combien elle est féconde pour leurs apprentissages et pour une utilisation dans les groupes qu’ils animent. Dans ces formations, nous invitons ainsi les apprenants à prendre conscience des hypothèses qui les habitent, des registres et des grilles de lecture qu’ils privilégient à différents moments de l’APP ; à identifier ce qu’ils vivent et observent en lien avec les dimensions des processus collectifs, avec des questions telles que : Comment les relations favorisent-elles un travail en intelligence collective ??      Quelle place chacun a-t-il dans l’APP ? Quelle régulation serait utile ?

Nous détaillons ci-après trois exemples qui illustrent quelques possibilités spécifiques offertes par les temps « méta » en formation.

Lorsque nous intervenons à deux formateurs, chacun a un rôle spécifique visant à faciliter les apprentissages. Par exemple : l’un sert de coach à la personne qui anime (qui peut demander un arrêt quand elle le souhaite pour échanger avec son coach et partager ses interrogations) ; l’autre peut proposer des temps « méta », donner la parole au groupe, faire des observations sur le processus qui est en train de se dérouler. Ainsi, à un moment ou un autre, il peut inviter les participants à apporter des suggestions (en explicitant la consigne qu’ils donneraient, la régulation qu’ils feraient, etc.). Cela permet à la fin du tour de table de découvrir autant d’alternatives qu’il y a de participants. L’animateur s’en inspirera pour la suite.

Au moment de l’étape de bilan d’une séquence d’APP, l’animateur – apprenant nomme trois apprentissages qu’il a pu faire durant cet APP, puis d’une voix plus basse, il dit qu’il s’est senti comme un élève passant un examen. Il se demande si les autres partagent la même impression. Nous l’invitons alors à citer des moments, des comportements observés qui lui ont donné cette impression, puis nous donnons la parole à chaque participant. Ce partage a permis à tous de relever tant les éléments stimulants que les éléments d’inconforts ressentis au moment d’être, en tant qu’apprenant « sur la sellette ». Il a ouvert la voie aussi vers le développement d’une analyse de la pratique d’animation et d’APP.

A mesure que progresse la formation, les participants s’approprient ces espaces réflexifs et développent leurs capacités de régulation. Ainsi lors d’une séance d’APP, l’apprenant – animateur passe rapidement d’une étape à l’autre sans vérifier avec l’exposant comment il se sent. Celui-ci ne réagit pas. Les participants se regardent un peu interloqués avant que l’un d’entre eux ne se tourne vers le formateur pour qu’il intervienne… ce qu’il ne fait pas, laissant le groupe s’autoréguler. Quelqu’un s’adresse alors à l’animateur en disant son inconfort face à cette absence de concertation avec l’exposant. L’animateur l’écoute, puis dit qu’il a choisi délibérément cette option. Il propose que le groupe en discute en fin de séance. Les échanges sont alors riches sur les avantages et les inconvénients de différentes manières d’animer.


Exemples de questions pour des temps « méta à des fins d’apprentissage de l’animation
(en complément des exemples de questions déjà évoqués dans la partie 5)

Quelles observations est-ce que je peux apporter concernant l’animation de cette séance ?

Quelle(s) suggestion(s) pour l’animation est-ce que je pourrais apporter ?

Quels autres choix dans le déroulement auraient pu être faits ? Avec quels effets possibles ?

Qu’est-ce que j’en retire ? Comment est-ce que je peux mettre en œuvre ces apprentissages dans des animations à venir ?

Qu’est-ce que je comprends de ma manière de fonctionner ? de mes compétences ?
des habiletés que je peux développer ?

Quelles observations pouvons-nous faire concernant la communication dans le groupe et la manière dont elle a favorisé le travail de réflexion collective ?

Comment est-ce que l’on peut analyser les différentes dimensions des processus de groupe à l’œuvre en ce moment / dans cette APP ?

Quelles améliorations ou modifications est-ce que nous pouvons mettre en place pour l’animation et le déroulement de la (ou des) prochaines séances ?



7. Comment favoriser la mise en œuvre des temps « méta » en APP ?

« La pleine présence est la capacité d’être attentif au présent tout en portant son attention à son attention. »

Otto Scharmer‏

Les lignes qui précèdent ont mis en évidence la multiplicité des temps « méta » qui peuvent être envisagés ainsi que leur intérêt pour l’animation de processus de groupe favorisant l’analyse de pratiques. Nous explorerons encore quelques questions : Comment les utiliser à bon escient ? Avec quel dosage ? Quelles compétences sont requises de l’animateur ?

De manière générale, nous constatons que ces temps servent à la fois aux apprentissages, à une prise de recul bénéfique au travail d’analyse et à de possibles régulations dans le groupe. S’ils correspondent à un arrêt dans le déroulement proprement dit de l’analyse de la pratique exposée, le travail se poursuit habituellement là où il s’était arrêté. Parfois, cela s’avère plus difficile de reprendre. Ainsi, nous nous interrogeons toujours sur l’équilibre à trouver entre les réflexions « méta » en cours d’APP et celles partagées dans le bilan en fin de séance, qui permet une analyse plus complète et systématique. Nous veillons donc à un dosage optimal. Un équilibre dans les temps « méta » est tout aussi important que l’équilibre des processus d’APP. L’un contribue également à l’autre ! Il s’agit de stimuler à la fois des prises de conscience réflexives et le déroulement de l’APP, de manière en particulier à ce que personne ne perde le fil du processus. Dans cette perspective, les temps « méta » doivent être régulés comme le sont les autres processus de l’APP (voir Thiébaud et Bichsel, 2019). Ils doivent aussi être clairement définis et délimités dans la durée, afin que chacun sache où on en est.

Nous sommes attentifs au timing. Le fait de proposer un temps « méta » plutôt lors d’un changement d’étape ou à un moment de l’APP où le groupe exprime un besoin de prise de recul peut être aidant. Il s’agit aussi de considérer la durée des temps « méta ». Une dose optimale permet à chacun d’apprendre un maximum dans la réflexivité sans s’épuiser. Notre expérience nous montre que le plus bénéfique consiste dans des arrêts « méta » en cours de séance d’une durée de 5 à 20 minutes chacun ; cela dépend de leur forme (individuelle ou interactive) et de la taille du groupe. Nous nous limitons généralement à deux ou trois temps en cours de séance d’APP. Cela nécessite que nous disposions au total d’une durée suffisante (idéalement deux heures). Selon les groupes, le pourcentage de temps « méta » varie, de 10 % jusqu’à 50 % (notamment dans les formations à l’animation). Souvent, les temps « méta » en cours de séance peuvent représenter un quart ou un tiers du temps global dédié au « méta ».

Cela varie cependant beaucoup en fonction de ce qui se passe dans l’APP et de l’appréciation qu’en font les participants. Nous prenons en compte les objectifs qui ont été définis et le sens partagé qu’a l’APP pour eux. Nous adaptons l’utilisation des temps « méta » à chaque groupe, en cherchant à identifier et actualiser au maximum ses potentialités. Ces temps n’ont rien d’obligatoire ; ils ne sont pas programmés. L’analyse de pratiques peut également se dérouler sans eux (même si elle risque d’être moins riche). Il y a donc toute latitude pour décider de la place qui leur sera donnée. Nous constatons que celle-ci croit en général à mesure que le groupe apprend à travailler dans la réflexivité tout au long de l’APP. Parfois, un participant s’y perd. Il peut être aidé à s’y retrouver. Des ajustements peuvent être évoqués dans un moment de bilan en fin de séance, durant lequel le groupe partage la manière dont ces temps sont vécus et les bénéfices qui en résultent. Dans les formations à l’animation, les apprenants en retirent énormément et nous avons donc tendance à les multiplier et à les expérimenter dans leur diversité et leur complémentarité. Leur utilisation a alors une visée avant tout formatrice.

8. En conclusion

« Le silence est la plus haute forme de la pensée »

Christian Bobin

Les temps « méta » offrent un espace, une respiration, une suspension de l’action, dont les effets dans le cours et à la fin d’une séance d’APP peuvent être multiples : ils permettent de prendre du recul, d’approfondir l’analyse, de développer la réflexivité, de partager un bilan, de réguler les processus de groupe. Ces effets peuvent se traduire en objectifs dans l’APP, concertés avec les participants. Nous utilisons ces temps de manière variée en les tissant au sein du déroulement même de l’APP. Le travail se fait à la fois sur les pratiques vécues et apportées par les participants et sur les processus collectifs à l’œuvre ici et maintenant. Autrement dit, l’attention se porte aussi sur la pratique du groupe en train de faire de l’APP. Ceci permet et nécessite tout à la fois une grande souplesse. Selon la maturité du groupe, selon les capacités réflexives de ses membres, nous proposons plus ou moins de temps « méta ». Nous observons que dans la durée, la plupart d’entre eux développent une aisance et une autonomie croissantes dans ces réflexions en « double piste » ; ils sont capables ainsi de les mobiliser tout au long de l’APP, et pas seulement durant les temps dédiés au « méta ».

Cette façon de travailler s’inscrit dans une approche qui vise à favoriser l’intelligence collective en APP et à concerter les processus d’APP en lien avec ce qui émerge dans le groupe (voir Thiébaud et Vacher, 2018). Les temps « méta » se développent et sont ajustés ainsi progressivement. Pour l’animateur, cela requiert des compétences pour faciliter et réguler à la fois le déroulement de l’analyse de pratiques proprement dite et la dynamique des temps « méta » ; une attention à plusieurs niveaux, tant individuel que collectif ; et une capacité à opérer soi-même en mode « méta », à être mobile et conscient de ses propres processus mentaux et affectifs. Pour nous, il en résulte des apprentissages passionnants en lien avec les potentialités que recèlent les analyses de pratiques et avec les défis de leur animation.

Références bibliographiques

Bateson, G. (1979). Mind and Nature : A Necessary Unity. New York : E. P. Dutton.

Faingold, N. (2006). L’explicitation des pratiques, réflexivité, construction identitaire. Expliciter, 63, pp 17-25.

Houdé, O. (2014). Apprendre à résister. Editions Le Pommier.

Kahneman. D. (2012). Système 1, système 2. Les deux vitesses de la pensée. Flammarion.

Thiébaud, M. (2018). Intelligence collective et analyse de pratiques en groupe : six dynamiques mobilisées. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 13,
pp 18-38. http://www.analysedepratique.org/?p=3048.

Thiébaud, M. (2015). Animer un groupe d’APP, ça s’apprend. Oui mais comment ? Retour sur les formations et l’expérience développées en Suisse. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 5, pp 31-47. http://www.analysedepratique.org/?p=1681.

Thiébaud, M. (2001). Groupes d’analyse de pratiques professionnelles. Présentation résumée.  http://www.formaction.ch/wp-content/uploads/thiebaud-groupe-analyse-de-pratiques-presentation-resumee.pdf.

Thiébaud, M. et Bichsel, J. (2019). Animer un groupe d’APP : mobiliser diverses formes de régulation. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 14, pp 74-96. http://www.analysedepratique.org/?p=3188.

Thiébaud, M. et Bichsel, J. (2015). Faciliter la coopération au sein de groupes et d’équipes professionnelles. Communication présentée à la Biennale de l’éducation au CNAM à Paris. http://www.cooperer.org/wp-content/uploads/faciliter-cooperation-thiebaud-bichsel.pdf.

Thiébaud, M. et Vacher, Y. (2018). Explorer les dynamiques d’intelligence collective en APP favorisant l’émergence de l’inédit et de plus-values qui dépassent les apports individuels. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 13, pp 4-17. http://www.analysedepratique.org/?p=3042.

Vacher, Y. (2018). Dynamiques d’interaction et intelligence collective en APP : un regard sur la communication. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 13, pp 51-74. http://www.analysedepratique.org/?p=3046.

Vacher, Y. (2014). Phase méta en APP… quels contenus, quelles fonctions ? In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 4, pp 23-34. http://www.analysedepratique.org/?p=1379.

 


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