Jean Chocat

Cadre de Santé – Formateur en soins infirmiers
Jean.chocat[arobase]orange.fr


Résumé

Le regard que l’on porte sur le processus de formation oriente significativement le dispositif pédagogique proposé au sujet apprenant. L’enjeu actuel est de mettre au cœur de nos préoccupations, un travail d’articulation entre différents espaces didactiques, à savoir, l’institut de formation en soins infirmiers, le stage clinique en cohérence avec le monde du travail et de repenser ce qui est pertinent comme dynamique d’apprentissage. Dans le cadre des formations professionnelles, se développe de plus en plus une approche didactique centrée sur les savoirs dégagés par l’analyse de l’activité de l’étudiant en situation d’apprentissage, et servant comme point d’ancrage au développement de compétences professionnelles. Cet article vise à présenter comment positionner la démarche réflexive et l’analyse de pratiques professionnelles, comme dispositifs aptes à répondre aux attentes actuelles en matière de formation professionnelle.

Mots-clés 

formation en soins infirmiers, compétences, réflexivité, analyse de pratiques professionnelles.

Catégorie d’article 

Texte de réflexion en lien avec des pratiques ; modalités d’analyse de pratiques professionnelles.

Référencement 

Chocat, J. (2013). Du référentiel de formation en soins infirmiers au dispositif d’analyse de pratiques professionnelles : quel parcours à explorer ?. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 1, pp 14-33. http://www.analysedepratique.org/?p=343.


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Cet article introductif à une série de contributions apporte, dans le cadre de la formation initiale en soins infirmiers, des éléments de réflexion à la question suivante : en quoi positionner la démarche réflexive au cœur du projet pédagogique et proposer des dispositifs d’analyse de pratiques professionnelles 1 favorisent-ils un processus de formation apte à développer les compétences attendues dans le référentiel de formation en soins infirmiers ?

Tout d’abord, des arguments conceptuels seront exposés en faveur de ce positionnement réflexif. Puis, sera présenté dans le cadre du référentiel de formation, un cadre d’application de la démarche réflexive associé à des dispositifs d’analyse de  pratiques professionnelles.

1.   Une lecture complémentaire au référentiel de formation en soins infirmiers : vers de nouveaux points d’ancrage au projet de formation

Comment concevoir le référentiel de formation en soins infirmiers ? L’annexe III de l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier précise les finalités de la formation, les principes pédagogiques, la durée des études, la formation théorique et clinique en stage. Il s’élabore en lien avec les annexes I et II du même arrêté relatif aux référentiels d’activités et de compétences. De nombreux écrits, des travaux de recherche 2 et des journées d’études précisent clairement la structuration de la formation ainsi que les tendances en matière de dispositifs pédagogiques. Sont présentés la notion de compétence, l’alternance intégrative, la dynamique de professionnalisation, la place de la réflexivité, la construction identitaire, l’autonomisation, les pratiques pédagogiques, le tutorat, les pratiques de validation… Il serait fastidieux de vouloir tout réécrire et nous renvoyons le lecteur aux textes réglementaires et travaux déjà existants.

Cependant, nous souhaitons apporter une compréhension complémentaire au référentiel de formation et positionner des arguments en faveur de la question initiale. Nous rattachons nos cadres de référence au courant de la didactique professionnelle (P. Pastre, G. Vergnaud, P. Mayen…) ainsi qu’aux divers travaux portant sur l’activité professionnelle (J.M. Barbier, Y. Clot…). Ils interrogent fortement la cohérence entre les structures de formation 3  et le monde du travail : leur articulation, le rapport entre la théorie et la pratique, la nature des savoirs mis en jeu dans l’activité professionnelle et son développement, la dynamique d’ingénierie de formation, la place du sujet comme acteur de sa formation et celle accordée à la démarche réflexive et à l’analyse de pratiques professionnelles. L’étudiant construit son parcours professionnalisant en cohérence avec le métier et développe en particulier la compétence de praticien réflexif. Quels sont les arguments en faveur de ces orientations ?

1.1 Le rapport entre les structures de formation et le monde du travail : un travail de mise en lien et de complémentarité

Il y a de réels enjeux qui argumentent le fait de positionner des dispositifs de formation aptes à répondre aux attentes du monde professionnel et sociétal : un niveau optimal de performance professionnelle, une adaptabilité, être polyvalent, capable d’élaborer de nouveaux savoirs, avoir la compétence de réfléchir sur sa pratique, de former et savoir se former tout au long de la vie. Nous appréhendons ainsi un réel rapport entre les structures de formation et le milieu du travail (qui englobe le métier et l’emploi).  Nous pourrions préciser ce rapport ainsi : comprendre le travail pour se former et se former pour travailler. La formation initiale doit être en phase avec le métier et l’emploi et produire une possible évolution de ces derniers. Cette articulation formation – métier conduit l’étudiant à devenir un professionnel compétent et capable, par la suite, d’une double évolution touchant le sujet professionnel et le métier. Trois arguments significatifs répondant à ces problématiques de formation et d’évolution sont énoncés par le groupe « Savoir d’action » 4 du CNAM 5 dirigé par J.M. Barbier : « un intérêt pour l’apprentissage et la construction des sujets en lien direct avec l’exercice de l’activité » (Barbier & Galatanu, 2004, p. 117), « la confrontation à la diversité des événements couplés à l’intensité de la confrontation réflexive » (Barbier & Galatanu, 2004, p. 116) et « un intérêt pour la question des métas compétences, des métas savoirs, et plus généralement pour la construction chez les sujets de compétences à générer des compétences » (Barbier & Galatanu, 2004, p. 116).

L’institut de formation et le terrain de stage deviennent alors des médiateurs pédagogiques entre l’étudiant, sa pratique et l’apprentissage d’un métier. En particulier, le stage clinique, en tant que lieu de formation et contact direct avec le monde du travail (ce double ancrage, lieu de formation – milieu du travail, peut être source d’un conflit entre former et travailler, en lien avec des logiques différentes 6) permet, l’intégration d’un savoir professionnel, met en dialogue la pratique soignante et situe l’étudiant au cœur de sa future fonction. Ce travail nécessite un double mouvement : faire et savoir porter un regard réflexif sur ce faire.

Cependant, une remarque émerge. Elle fait lien avec la question des différents cadres d’analyse, préalable à la construction actuelle des projets pédagogiques et des savoirs de référence valorisés et enseignés. Il nous semble, sans vouloir généraliser, que la démarche actuelle vise trop souvent à occulter l’analyse de l’activité réelle, avec une non prise en compte suffisante des savoirs mobilisés par les professionnels et de certaines dimensions propres au sujet en activité d’apprentissage. G. Pineau (2009, p. 19) l’évoque en présentant le tournant réflexif : « ce n’est plus la science avec ses théories, lois et modèles qui est à réfléchir pour l’appliquer, mais l’inverse, la pratique non scientifique, avec ses contraintes, ses aléas, ses limites, son subjectivisme. » Cependant, deux logiques sont encore bien présentes avec un clivage entre les différents lieux de formation, c’est-à-dire les I.F.S.I. d’une part et les terrains cliniques d’autre part. Comment sont discutés en I.F.S.I. les savoirs pragmatiques et comment lors du stage clinique est réfléchi le lien entre ce qui est enseigné et ce qui est mobilisé par le professionnel ? Ce clivage réduit pour l’étudiant son potentiel de compréhension, de développement et crée des conflits sociocognitifs non résolus. Nous pensons qu’il ne faut pas occulter certains savoirs, mais les mettre en évidence et les discuter.

Nous verrons, que positionner des dispositifs d’analyse de  pratiques vise à ré-articuler les différents lieux de formation, introduire des éléments d’analyse autour de la tâche, de l’activité réelle, de l’activité d’apprentissage, et que ces dispositifs d’analyse sont sources potentielles d’apprentissage et de développement d’une pratique soignante plus effective.

1.2  La question de la multiplicité des savoirs en jeu dans le travail : savoir mettre en cohérence différents types de savoirs à visée professionnelle

Se posent les questions suivantes : quels savoirs utiles à travailler et acquérir au cours de la formation et selon quels rapports sujet – savoirs ? Le premier point porte sur la nature des savoirs mis en jeux. Ils sont identifiés sous différents angles, comme par exemple : savoirs théoriques, pratiques, procéduraux, savoirs faire, savoir être, savoir devenir… Cependant, D. Schön énonçait : « les savoirs rationnels ne suffisent pas à faire face à la complexité et à la diversité des situations de travail. L’enjeu est donc de réhabiliter la raison pratique, les savoirs d’action et d’expérience, l’intuition, l’expertise fondée sur un dialogue avec le réel et la réflexion dans l’action et sur l’action » (P. Perrenoud, 2006). Il est de plus en plus évoqué la question du savoir d’action 7 et défini comme étant : « la communication par des acteurs-énonciateurs d’énoncés relatifs à la génération de séquences actionnelles construites et considérées comme efficaces par eux-mêmes » (Barbier & Galatanu, 2004, p 22). L’étudiant l’observe auprès des professionnels, peut en être le promoteur, l’expérimente, le manipule, échange à son sujet. Ce savoir est dynamique, fonctionnel, a une utilité intrinsèque (car il répond à des besoins du sujet agissant), et doit être considéré positivement dans le sens où il permet de faire. La question de cette efficacité est centrale. Elle crée un rapport pragmatique au savoir retenu, il est reconnu et renforce l’apprentissage.

Cependant, elle amène à interroger la validité du savoir en question : un savoir sur le savoir. L’étudiant doit l’analyser et le mettre notamment en discussion avec des critères de validité issus des bonnes pratiques. Ce travail de confrontation l’amène à construire son référentiel de savoirs à visée pragmatique, qui se restructure au fur et à mesure du développement de ses compétences. Par conséquent, le processus de formation s’articule autour d’un double rapport au savoir  à enseigner : un rapport qui permet au soignant de pratiquer en tenant compte des réalités professionnelles 8, et un rapport qui met en avant les bonnes pratiques soignantes.

Le deuxième point porte sur le niveau de conscience que l’on a des savoirs en situation pratique : du savoir conscientisé en situation au pré réfléchi. Cette notion revient tout particulièrement aux travaux de P. Vermesch 9. Une grande part de notre activité est non consciente, pas au sens Freudien du terme, mais au sens d’un pré réfléchi conscientisable, grâce à un travail d’explicitation. Il est alors nécessaire d’accompagner l’étudiant à rendre ce savoir visible et lisible, au sens de prendre conscience de, et à en faire un objet d’étude.

Ainsi, nous appréhendons l’importance d’élargir notre vision sur les savoirs à enseigner, de les considérer comme étant des entités structurant les compétences, de favoriser le rapport au réel, et de proposer une dynamique d’analyse intéressant l’étudiant dans son rapport au savoir mobilisé. Ceci lui permet d’apprécier la validité du savoir qu’il mobilise en situation et d’en faire une ressource pour son action future. Le savoir enseigné prend ainsi un sens à visée pragmatique. La démarche réflexive, couplée avec des dispositifs d’analyse de pratiques, sont à même d’apporter une réponse pertinente à ces problématiques de formation.

1.3  La question de la compétence : « Un attracteur étrange 10 »

Le programme de formation positionne un référentiel de dix compétences à acquérir. La compétence est la réponse apportée à une situation, produit une performance conforme au résultat attendu, différent de la tâche prescrite, et s’inscrit au sein d’un processus d’actions propre au sujet qui s’engage. Elle se construit au travers d’un travail d’apprentissage, est située, reproductible et stabilisée. Il y aurait une part visible et non-visible : le visible serait la performance produite, le non-visible le processus par lequel on y arrive. Un travail d’explicitation permet d’en faire un objet d’étude.  Comment se structure cette compétence ? Selon M. Nagels (2008), la compétence est structurée autour d’un ensemble d’éléments formant un système dynamique : la compréhension de la tâche, les attentes du milieu, les connaissances mobilisées, les procédures de raisonnement, les représentations qu’a le sujet de la situation, ses valeurs et le sentiment d’auto-efficacité à engager une action. Elle mobilise un ensemble de ressources. G. Leboterf (2007) en identifie trois : savoir agir, vouloir agir, pouvoir agir.

En formation initiale, la rencontre avec l’expérience vécue et son analyse sont déterminantes. Grâce à cette dynamique, la compétence se structure, évolue dans son processus au fur et à mesure de l’apprentissage, suivant des paliers de performance.  L’étudiant produit alors une performance relative à son niveau d’acquisition 11. De plus, nous émettons comme hypothèse le fait que la particularité du passage de novice à expert 12 montre qu’une double compétence est en jeu. L’étudiant, et plus tard le jeune professionnel, développent prioritairement une compétence à tenir compte de soi 13 en situation, donc centrée sur soi, tout en cherchant à répondre au mieux aux situations rencontrées, donc centrée sur l’autre, en l’occurrence, les patients, familles. Ceci crée une zone de tension possible d’où la recherche d’un compromis dans l’agir soignant entre le désir de tendre vers son « propre équilibre 14 » de soignant et les attentes du milieu. Puis au fur et à mesure du développement d’une forme d’expertise, le soi en situation va s’articuler harmonieusement avec le soi soignant et produire une performance de plus en plus professionnelle. Analyser cette tension soi personnel – soi soignant au travers de situations vécues et travailler le mode de résolution souhaitable est une voie intéressante pour développer une « bonne » pratique et créer une réelle identité soignante. Ce travail sécurise l’étudiant dans le sens où il est à la base de la création de repères stables pour soigner.

1.4  Les classes de situations : des structures conceptuelles à visée pragmatique

Le référentiel de formation engage une dynamique pédagogique par l’approche par les situations apprenantes. Différents types de situations sont identifiés : typiques, atypiques, emblématiques, dégradées… Une situation a une double visée en formation : elle est représentative du métier, dans le sens d’un rapport de fidélité aux situations rencontrées par le professionnel, en ciblant les compétences à travailler ; et apprenante, dans le sens que le traitement de la situation par l’étudiant engage aussi un processus d’apprentissage. Cependant, il serait réducteur de ne considérer que le niveau situation, dans le sens d’une construction située, relative à un contexte singulier. Une situation s’inscrit dans un système de niveau supérieur, appelé classe de situations 15. Cela permet, au sein d’une classe, d’agir dans toutes situations similaires (ce qui engage la question du transfert) et de s’adapter aux changements rencontrés.

Les classes apparaissent implicitement dans les référentiels de formation et commencent à se structurer 16. Comment peut-on définir la classe de situations ? Elle est issue des travaux menés en didactique. Elle représente, cognitivement, un ensemble de situations professionnelles ayant des caractéristiques communes.

La classe 17 se caractérise par différents éléments :

– Chaque classe partage une même dimension d`action : toutes les situations visant à…

– Elle est en lien avec une finalité et un ou des objectifs attendus.

– Elle engage une dynamique d’action pouvant être explicitée, selon G. Vergnaud, au sein d’un schème opératoire. C’est une structure dynamique, à visée systémique, qui détermine le cours de l’action ou en faisant un parallèle avec l’approche systémique « ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d`un but » selon J. de Rosnay.

Elle se structure autour : des invariants opératoires, des objectifs poursuivis, des règles d’action, la prise d’informations et de contrôle, les inférences (P. Pastre, 2011, p 165).

– Elle se rapporte à la mobilisation des compétences en situation réelle par le professionnel.

– L`ensemble des classes se rapporte au référentiel métier infirmier (J. Chocat 18, 2013).

– Elle s’articule selon quatre niveaux 19 : niveau référentiel métier (en lien avec le référentiel métier), niveau générique (représente une orientation finalisée, relativement large), niveau spécifique (précise une finalité générique et donne une orientation à la pratique soignante, niveau du transfert), niveau local (spécifique à un lieu et domaine d’exercice, très contextualisé et faible possibilité de transfert vers d’autres situations hors cadre d’élaboration) (J. Chocat, 2013). Par exemple : prévenir des risques (niveau métier) – sécurisation du parcours patient (niveau générique) – vérification de l`identité patient (niveau spécifique) – la vérification de l`identité patient au sein du bloc opératoire de Neuro-chirurgie au Centre Hospitalier Universitaire de… (niveau local).

– Elle s’actualise et potentiellement se coordonne 20 au sein de situations supports (situations réelles, traitées par l’infirmière).

– Elle permet, en formation, de poser des cibles d’apprentissage en y intégrant le référentiel de compétences.

Nous proposons à l’étude une classification niveau métier suivant huit classes identifiées (J. Chocat, 2013) :

1. Evaluer les composantes biologiques – psychologiques – sociales en vue d’élaborer (concevoir et conduire) un projet de soins infirmiers.

2. Promouvoir un état de confort ou de bien-être.

3. Promouvoir un processus de développement bio – psycho – social.

4. Restaurer un état de santé.

5. Prévenir des risques potentiels.

6. Organiser le travail et concourir à la continuité de l’ensemble des activités.

7. Transmettre un savoir infirmier dans le but de former des professionnels.

8. Améliorer les pratiques.

En formation, les dispositifs pédagogiques permettent d’identifier les classes à partir de l’analyse des situations rencontrées en I.F.S.I. ou lors des stages cliniques. L’étudiant en fait progressivement des structures conceptuelles à visée pragmatique. Le rôle du tuteur est d’accompagner l’étudiant à construire les modes opératoires relatifs aux classes locales. Le rôle du formateur est de les transférer au niveau spécifique 21.

1.5 La question du statut de l’activité : d’une vision procédure à une vision développementale

Apprendre une pratique soignante ne se limite pas à en faire une tâche par le jeu d’une procédure. Il y a en effet plus dans la tâche réalisée que dans la tâche prescrite. Derrière cette activité, il y a un sujet qui engage une pratique en situation avec un niveau d’acquisition et de performance variable selon son degré d’expertise. Selon le courant de la clinique de l’activité 22 (Clot, 2006), la pratique est adressée à différents destinataires : à l’objet même de cette dernière, au sujet qui la réalise, aux autres professionnels, au métier, à l’institution, à la société. L’étudiant a rarement conscience de la portée de sa pratique, d’où l’intérêt de travailler avec lui le sens et la nature de son investissement. Ce travail d’analyse l’accompagne à structurer son style au sein d’un genre professionnel et à envisager la pratique comme l’ensemble de ce qu’il est possible d’engager en situation. Au fur et à mesure de son apprentissage, l’étudiant va comprendre, agir, transférer 23, pas au sens de la reproduction mais dans le sens de l’élaboration et la « création » d’une pratique performante. Il développe sa pratique et prend conscience de ce qui peut l’empêcher d’aller vers un autre mode de réponse en situation. Les temps d’analyse de  pratiques ont pour vocation de créer ce champ des possibles en situation.

1.6  L’apprentissage : une dynamique de construction d’un sujet en devenir et porteur d’une richesse expérientielle

Nous posons comme postulat : l’activité, produite par l’étudiant lors des différents temps et lieux de formation, et son analyse, contribuent au développement de ses compétences et à l’émergence de savoirs utiles pour l’exercice professionnel. L’apprentissage se centre alors sur le sujet en activité, porteur d’un savoir sur soi et sur l’activité professionnelle. L’un des points d’ancrage de cet apprentissage fait référence au cycle expérientiel (ou plutôt une spirale d’évolution)  comprenant quatre étapes : l’expérience concrète, l’observation réfléchie, la conceptualisation abstraite et l’expérience active (D. Kolb, 1984). Il s’inscrit principalement dans une dynamique socio-constructiviste. Toute séquence d’apprentissage peut être engagée soit par une entrée par l’expérience vécue, soit par un apport théorique à visée d’application 24.

Cependant, dans le cadre de la formation professionnelle, la place accordée à l’expérience vécue et son analyse par l’étudiant est à valoriser, et ce, pour deux raisons essentielles : d’une part, nous projetons l’étudiant dans son futur métier (le principe du rapport à la réalité), et d’autre part, dans toute activité réalisée, il existe une double dimension. P. Rabardel postule que « l’activité humaine, y compris bien sûr l’activité de travail, est doublement constituée par sa dimension productive (par son activité, l’individu transforme le monde) et sa dimension constructive (par son activité, l’individu se transforme et apprend) » (E. Bourgeois & M. Durand, 2012, p. 11). Par le biais de différents dispositifs de formation, saisir cette activité se faisant ou réalisée, c’est catalyser ces deux dimensions présentes et les réinvestir comme source de formation. À cela s‘ajoute le fait que, l’apprentissage s’adresse à un sujet singulier (on parle de style d’apprentissage), trouve sa dynamique dans l’articulation avec l’ensemble des dispositifs pédagogiques 25 et la mise en lien entre trois éléments : les expériences vécues et leur analyse, l’ensemble des savoirs mobilisés par l’étudiant, et l’analyse des résultats obtenus en terme de performance grâce à  une démarche réflexive et compréhensive. O. Bataille (2010, p. 7) précise aussi la place de l’apprentissage informel qui représente une source relativement puissante en formation.

Ainsi, l’alternance intégrative trouve tout son sens en favorisant le travail d’articulation entre les différents lieux de formation et les savoirs investis par l’étudiant dans une visée professionnalisante.

Tous ces éléments montrent qu’il faut positionner des dispositifs de formation propices à travailler autour, du métier, de l’apprentissage de l’étudiant en lien avec la dynamique d’acquisition des compétences. L’étudiant est au cœur de notre attention pédagogique, vers un professionnel en devenir. Le formateur prend progressivement une nouvelle place au sein du dispositif de formation. Il devient un « penseur » de formation, un accompagnateur du « sens se faisant » 26. Il crée le fil conducteur sur lequel se construit le futur professionnel.

Selon quels dispositifs de formation ? Un dispositif n’a d’intérêt que pour la plus-value qu’il apporte à un programme de formation et pour son efficience. À ce jour, sont investis des dispositifs classiques de formation et d’autres qui prennent une place de plus en plus importante : la simulation en salle de travaux pratiques, la visioconférence, l’e-Learning, la recherche, le tutorat, et en parallèle de ces dispositifs, le portfolio comme outil de positionnement, d’échanges, d’aide à la validation. Cependant, sont aussi investis les dispositifs d’analyse de pratiques professionnelles intégrés au sein de la démarche réflexive. Ce sont ces derniers qui retiendront toute notre attention. Il faut souligner à l’heure actuelle une certaine ambiguïté. Se développe de plus en plus l’idée du bien-fondé des formations à distance où chacun peut apprendre chez soi (ou dans le train et autres lieux), à son rythme. Ce qui n’empêche pas suivant le scenario envisagé, d’y inclure une activité socioconstructiviste, et des approches par résolution de problèmes. En même temps, se positionne l’intérêt en présentiel de cette réflexivité et  de temps d’analyse en groupe. Faut-il voir cela comme dispositifs complémentaires ou la recherche d’une légitimité d’un dispositif sur l’autre ? Pour notre part, aucun dispositif n’est supérieur à un autre. La complémentarité et la mise en synergie semblent être une vision à retenir.

2.   L’intégration de la démarche réflexive et l’analyse de pratiques professionnelles en formation initiale en soins infirmiers : cadres théoriques et méthodes

Ce sont des approches didactiques qui « offrent en effet la possibilité pour ces professionnels ou ces stagiaires d’une mise à distance de leur expérience pour qu’ils en fassent une relecture porteuse pour eux de nouvelles significations à saisir qui deviennent source de créativité. » (J.P. Boutinet, 2009, p. 7), ayant comme finalités : « soit pour aider les débutants à passer le cap difficile des débuts et à se constituer des savoirs pratiques plus opérants ; soit pour aider des praticiens plus expérimentés à résoudre les problèmes que leur posent leurs pratiques, à sortir de certaines visions stéréotypées des situations et à dépasser les routines et les réponses rigides à des situations inédites » (N. Mosconi, 2001). De plus, les temps d’analyse de pratiques permettent, au-delà de la formation, la rencontre et la mise en synergie de l’ensemble des professionnels intervenant autour du projet de formation de l’étudiant.

Le nouveau programme de formation en soins infirmiers (2009), avec l’approche par compétences et les ancrages présentés précédemment, confortent la démarche réflexive comme étant un axe prioritaire des projets pédagogiques en I.F.S.I 27. Est évoqué, dans les principes pédagogiques du référentiel de formation : « l’entrainement réflexif est une exigence de la formation permettant aux étudiants de comprendre la liaison entre savoirs et actions, donc d’intégrer les savoirs dans une logique de la compétence… Ainsi sont nommés et valorisés les principes de l’action, les références scientifiques, les schèmes d’organisation… » 28

Comment intégrer ce dispositif pédagogique relevant de la démarche réflexive et l’analyse de pratiques au sein d’un projet pédagogique ?

2.1 La finalité du dispositif réflexif et son articulation au sein d’un projet pédagogique

2.1.1 La finalité  et objectifs poursuivis : vers le développement des compétences, du praticien réflexif et l’émergence de savoirs professionnels

J.P. Boutinet (2009) dans la préface de l’ouvrage Pratiques réflexives en formation : Ingéniosité et ingénieries émergentes, présente l’émergence de la réflexivité. Il évoque : « Une telle réflexivité est à situer à un double niveau, réflexivité vis-à-vis du monde dans lequel nous vivons par un travail d’élucidation et de théorisation des situations vécues pour mieux les comprendre, réflexivité vis-à-vis de soi-même, de son expérience, de sa pratique, de sa construction identitaire… » (p. 10).

En formation initiale en soins infirmiers, le dispositif réflexif articulé avec l’ensemble des dispositifs de formation, vise l’acquisition des compétences professionnelles et, en transversalité, la validation de la compétence 7 : L’étudiant développe une compétence à « Analyser la qualité et améliorer sa pratique professionnelle » 29. Pour ce qui est de la finalité, deux axes sont proposés : l’axe de la professionnalisation de l’étudiant (développer une pratique performante et devenir un praticien réflexif) et celui lié à l’émergence de savoirs issus de l’action analysée. L’analyse de pratiques professionnelles travaille ainsi autour de quatre objectifs centrés sur l’étudiant et la pratique soignante : (1) savoir analyser sa pratique (prendre de la distance, développer une vision multi-référentielle, savoir questionner l’angle cognitif, clinique, pragmatique), (2) développer son agir en situation (structurer ses connaissances, développer son activité, faire émerger son style au sein d’un genre professionnel), (3) développer une identité de praticien réflexif (savoir réfléchir dans et sur l’action), (4) comprendre les situations professionnelles et produire des savoirs d’action valides. Les objets (au sens porter attention à) sur lesquels la démarche réflexive porte sont : le sujet en formation, la gestion et le statut des situations, son activité en situation, ce qui englobe bon nombre d’éléments : les savoirs mobilisés, les modes de raisonnement, les règles d’action, les prises d’informations et de contrôle, les objectifs poursuivis, les représentations, les valeurs, la question de l’identité, le sentiment d’auto-efficacité, le vécu émotionnel, les savoirs pragmatiques, etc…

Indirectement pour les formateurs, la finalité est de développer un autre rapport aux savoirs, c’est-à-dire apprendre à les articuler, à les questionner. De plus, ces pratiques réflexives visent à déplacer notre attention, plus centrée sur l’apprenant et moins sur des contenus théoriques à enseigner, ce qui en retour, nous renseigne sur la manière dont l’étudiant apprend et s’engage dans la construction de ses compétences.

2.1.2   L’articulation au sein du programme de formation : un travail de mise en lien au sein du projet pédagogique

Les temps d’analyse de pratiques s’intègrent et s’articulent au sein des différents temps de formation. En I.F.S.I., le travail d’analyse peut-être réalisé lors des unités d’enseignement et d’intégration, par exemple : lors d’une unité d’enseignement, l’étudiant explicite un travail réalisé, confronte et développe son approche avec celle des autres étudiants, prend conscience de son mode de raisonnement, des savoirs qu’il  mobilise. Il peut aussi analyser une situation vécue lors du stage clinique et en dégager des savoirs transférables. Lors du tutorat : analyse réalisée lors ou en retour du stage et portant sur sa pratique clinique, son vécu en situation et pouvant être retranscrites au niveau du portfolio (cadre des situations et/ou activités demandées par semestre). Dans le cadre du suivi pédagogique, par exemple : aide apportée lors d’une demande ponctuelle de la part de l’étudiant et engagement d’un dispositif réflexif comme moyen permettant d’accéder à la problématique exprimée en lien avec un processus d’apprentissage. L’étudiant appréhende : son mode de raisonnement, ses connaissances mobilisées, ses représentations, les facteurs favorisant ou limitant son apprentissage. Nous voyons ainsi la diversité des situations de formation, potentiellement intéressées par l’introduction d’une dimension réflexive.

Cependant, une démarche d’analyse réflexive peut être réalisée ponctuellement et non programmée à l’avance. Par exemple, un étudiant pose une question au sujet d’une activité soignante. Il demande le bien-fondé d’une pratique observée lors du stage clinique. La manière de l’interroger avant de lui apporter une réponse, l’amène à s’interroger sur la compréhension qu’il en a et sur les  liens qu’il réalise. Notre attention se focalise sur l’étudiant et non sur la réponse souhaitable.

Quel que soit le temps d’analyse, le principe qui guide le positionnement relève de la mise en lien des dispositifs d’analyse avec les cours magistraux, travaux dirigés, suivi pédagogique, stages cliniques et des compétences travaillées  lors des semestres. Différents schémas sont possibles : par exemple : apport magistral de connaissances puis travail sur des situations emblématiques en travaux dirigés, analyse réflexive du mode de résolution et retour sur expérience, ou à l’inverse : en lien avec une thématique prédéfinie, analyse réflexive d’une situation vécue lors du stage clinique, travail de validation des savoirs pragmatiques avec retour sous forme magistrale.

Ainsi, il faut raisonner en termes de cohérence pédagogique, suivant un schéma défini dans le projet pédagogique et qui positionne les temps d’analyse au cours des six semestres de formation.

2.2   Le positionnement et la spécificité des temps d’analyse de pratiques professionnelles au cœur de la démarche réflexive

2.2.1   Le positionnement au cœur de la démarche réflexive : une succession d’étapes

Nous avons abordé précédemment la question de l’articulation au sein des différents temps et méthodes pédagogiques. Comment structurer lors du temps d’analyse de pratiques notre approche méthodologique ? Lors de la réalisation d’un temps d’analyse de pratiques, l’étudiant suit chronologiquement différentes étapes se rapportant au cycle d’apprentissage 30. La première partie du cycle s’intéresse de la situation vécue par l’étudiant à l’émergence d’un savoir transférable. Huit étapes sont identifiées : (1) le vécu d’une situation, la positionner au statut d’expérience vécue et l’explorer en la revisitant, (2) « je cible maintenant mon attention sur… » (3) « je pose un questionnement » (4) « j’analyse ma pratique » (ici vient s’inscrire le dispositif d’A.P.P 31), (5) « j’apporte une réponse au questionnement initial » (« Quoi de neuf ? »), (6) « je pose une question de recherche », (7) « j’y réponds » en établissant des liens avec des cadres théoriques valides, (8) « j’énonce un savoir d’action transférable ». L’ensemble des étapes vise à explorer finement le vécu en situation et/ou la pratique, à apprendre à analyser et en apprendre des savoirs. Puis, la deuxième partie du cycle consiste à investir ce nouveau savoir dans d’autres situations (lors d’un stage clinique, en lien avec un enseignement) et en apprécier la pertinence.

2.2.2   La spécificité du travail réflexif : en lien avec le programme de formation, mettre l’étudiant au cœur du travail d’analyse

La  consigne de travail donnée aux étudiants est la suivante : choisir une situation professionnelle rencontrée par l’étudiant en I.F.S.I. ou lors du stage clinique. Cela peut-être : une problématique à résoudre ou rencontrée, une situation réussie, un vécu, une activité soignante réalisée. L’utilisation du « je 32 … » est requise. Sur certains temps d’analyse, des thématiques servant de points d’ancrage au travail réflexif peuvent être proposées, en lien avec les unités d’enseignement ou d’intégration du semestre correspondant. Par exemple : la relation d’aide, les comportements et postures professionnelles, les concepts en philosophie et éthique, la capacité à être autonome, la gestion des risques, la relation soignant-soigné, le raisonnement clinique, etc. Ce qui se dégage des temps d’analyse est alors réintroduit comme nouveau savoir (ou réflexion), venant enrichir les apports théoriques, pratiques réalisés lors d’autres séquences pédagogiques.

2.3  Les cadres théoriques et méthodologiques des dispositifs d’analyse de pratiques professionnelles  33

L’analyse de pratiques repose sur des dispositifs et se structure autour de références conceptuelles et pratiques. De ce fait, il faut choisir les dispositifs qui conviennent le mieux au travail à réaliser, au formateur suivant sa formation, en tenant compte du contexte de réalisation. La question de la validité des dispositifs d’analyse de pratiques se pose pleinement, ainsi que la dimension éthique. Le risque d’un dispositif mal conduit ou inapproprié est de produire un travail d’analyse qui amène plus de biais que de véritables éléments intéressants, ce qui risque d’engendrer des effets négatifs sur l’étudiant, et en tout premier lieu, celui du non-sens à s’analyser 34.

2.3.1   La question des cadres théoriques : la dynamique d’analyse réflexive en œuvre

Nous l’abordons autour de deux axes. Le premier axe concerne la dynamique d’analyse. Tout travail d’analyse sur sa pratique doit faire référence à un cadre théorique et pratique qui génère une analyse réflexive et assure la protection de l’étudiant. Aucune analyse « sauvage » ne doit être entreprise. Ce n’est pas une méthodologie de résolution de problèmes, ni une conversation entre étudiants et/ou formateurs. Le dispositif d’analyse  repose sur la pratique réflexive de Schön et Argyris, dans la filiation de Dewey 35 . Le cadre de travail doit fixer clairement les limites, les bénéfices attendus, la confidentialité, le respect de chacun, le non-jugement, la régularité des temps de travail. Le cadre formateur est garant des principes énoncés et son rôle est clairement identifié. Il est celui qui accompagne, guide, catalyse la dynamique d’analyse, coordonne les temps d’analyse.  Le cadre du travail doit être présenté aux étudiants et fait l’objet d’un contrat de formation. Par exemple, l’engagement de la part de l’étudiant est requis et des règles de « bonnes pratiques » en analyse sont partagées et respectées. Pour l’étudiant, des compétences en analyse doivent être attendues. Selon P. Robo 36, nous retenons : « accepter d’être responsable de ses actes sans culpabiliser, accepter d’être confronté à soi, admettre l’incertitude, savoir mettre en récit, savoir questionner, savoir s’écouter, prendre du recul, savoir poser des hypothèses en ayant une vision multi référentielle. » La dynamique socioconstructiviste est mobilisée. Le groupe 37  a pour vocation de « jouer » pour le narrateur le rôle du tiers séparateur, il apporte un éclairage nouveau et aide le narrateur (en l’occurrence l’étudiant) à explorer sa situation. Par ce travail d’élaboration et de confrontation aux pairs, cela amène une autre résonance à la situation vécue et enclenche une prise de conscience individuelle et collective, source d’un nouveau savoir.

Le deuxième axe porte sur les cadres servant à questionner et à émettre des hypothèses explicatives. Suivant l’objet analysé, un cadre théorique est préférentiellement investi. Par exemple, pour analyser l’activité soignante au sens opératoire, l’étudiant explicite les éléments relevant d’un schème opératoire. Pour d’autres situations, la référence à la clinique de l’activité (Y. Clot) peut être un guide au questionnement. Nous pouvons analyser l’activité sous l’angle du travail adressé, en explorant ce que l’étudiant a fait, ce qu’il aurait voulu faire ou pensé faire. D’autres modèles peuvent être retenus en lien avec des approches psychanalytiques, psychologiques, sociologiques, institutionnelles, ce qui engage d’autres dispositifs d’analyse : les groupes Balint, les récits et histoires de vie en formation (G. Pineau), jeux de rôles, etc. Cependant, il faut maîtriser, à minima, les modèles et méthodes au risque d’en faire une pâle copie ! Pour terminer, nous pouvons mentionner le fait que, ce qui est enseigné dans les unités d’enseignement, peut servir comme grille de questionnement complémentaire et apporter des réponses à une problématique analysée. Un travail de recensement au niveau des unités d’enseignement, montre pas moins de 21 séquences potentiellement transférables lors d’un exercice d’analyse de pratiques, ce qui ouvre un champ de possibles relativement riche, avec l’intérêt pour les étudiants, de donner un autre sens aux savoirs enseignés comme étant une ressource pour l’analyse réflexive.

2.3.2   La question des dispositifs d’analyse de pratiques : vers une complémentarité

Devant la multitude des dispositifs possibles, il faut faire un choix méthodologique. La complémentarité est à privilégier, sans proposer aux étudiants trop de dispositifs. Le premier dispositif présenté fait référence au G.E.A.S.E 38 et se rapproche des groupes de co-développement professionnel. Il s’agit « d’une approche de formation qui mise sur le groupe et sur les interactions entre les participants pour favoriser l’atteinte de l’objectif fondamental : améliorer la pratique professionnelle » (A. Payette & C. Champagne, 2008, p. 7). Il comporte différentes étapes : le choix d’une situation et sa mise en problématique, le questionnement par le groupe, les hypothèses explicatives et un temps de retour sur analyse. Puis au final, chaque étudiant, au sein du groupe, peut répondre à trois questions : « Pour votre pratique future, qu’avez-vous entendu de significatif ? », « quels liens avec les enseignements théoriques ? » et « comment envisagez-vous un possible réinvestissement ? » Une synthèse est réalisée en lien avec une unité d’enseignement. Les savoirs et la réflexion dégagés deviennent source d’enseignement. Un dispositif d’analyse de pratiques doit être positionné régulièrement au cours de la formation, par groupe de quinze étudiants et accompagné d’un cadre de santé formateur. Un professionnel extérieur peut y être invité suivant la thématique retenue : par exemple, la présence d’un psychologue clinicien lors d’une analyse portant sur des situations vécues en soins palliatifs. D’autres dispositifs d’analyse sont possibles. Ils relèvent des dispositifs d’auto-confrontation, l’instruction au sosie, la technique de l’entretien d’explicitation 39.

D’autres dispositifs et supports sont porteurs d’un intérêt grandissant et déjà investis dans certains I.F.S.I. Nous mentionnons par exemple : l’écrit réflexif, l’utilisation de la vidéo, l’analyse portant sur les objets professionnels 40. Nous pourrions par exemple accompagner l’étudiant à faire émerger les concepts de soins qu’il mobilise en situation clinique au travers d’une mise en récit réflexif.

2.4    Les sources de difficultés et limites du dispositif réflexif

Nous ne pouvons quitter ce parcours sans évoquer les sources de difficultés et limites du dispositif d’analyse de pratiques. Que ce soit pour les étudiants ou les formateurs, la question du sens se pose. Notre culture cartésienne, nos habitudes dans notre relation à l’autre, notre histoire scolaire, nous poussent à considérer la réflexivité comme étant hors du cadre habituel de pensée. La crainte de se rapprocher d’une forme de thérapie « sauvage », surtout pour des situations à dimension clinique, peut apparaître. Nous pouvons remarquer donc des sensibilités différentes à ce genre de travail.

Ce dispositif nécessite donc de respecter le cadre présenté précédemment, de se former au travail d’analyse et de prévoir, pour les cadres formateurs, une supervision. Afin de ne pas amener trop de résistances et de biais au travail d’analyse, il serait pertinent de positionner des paliers d’apprentissage à ce travail. Par exemple, au cours du semestre 1, l’étudiant reçoit des éléments théoriques sur la place du stage clinique dans un processus de formation, l’articulation I.F.S.I. – Stage clinique, l’alternance intégrative et la notion de réflexivité 41. Les dispositifs d’analyse de pratiques sont présentés. Commence alors l’étape de familiarisation. Des temps d’analyse sont réalisés. Au cours des semestres 2 et 3, l’étudiant intègre les différentes étapes, et notamment, pour commencer, celles du G.E.A.S.E. Au cours des semestres suivants, il travaille sur la qualité de l’analyse produite.

Comme autres sources de difficultés, se rajoute le temps disponible au travail d’analyse et le nombre d’étudiants. Le temps de l’analyse est rarement le même que le temps institutionnel. Il faut savoir poser le  » bon » temps, celui qui ouvre un espace d’élaboration, sécurise mais qui donne des limites 42. Pour ce qui est des effectifs étudiants, les dispositifs d’analyse demandent des groupes restreints 43 (variable suivant le dispositif mené), ce qui limite les possibilités sur des promotions ayant un effectif important d’étudiants.

3.  En conclusion : vers une ouverture théorique et méthodologique

Ce premier article a pour objectif de poser le cadre de la démarche réflexive et l’application des dispositifs d’analyse de pratiques, où comment passer d’un effet de mode à un réel projet d’application ? Au cours des prochains articles, des focus feront l’objet d’études particulières d’un point de vue théorique et méthodologique, autour de questions intéressantes à explorer : le statut de l’expérience vécue, la problématique liée à la mise en récit, le travail de mise en mouvement du sujet en analyse et du groupe, les cadres d’analyse, la méthodologie des dispositifs d’analyse, la question de la formation des formateurs et des étudiants à l’analyse de pratiques professionnelles.

 

Références bibliographiques

Ouvrages :

Albarello, L., Barbier, J.M., Bourgeois, E. & Durand, M. (2013). Expériences, activités, apprentissage. Paris : PUF.

Barbier, J.-M. & Galatanu, O. (Dir.) (2004). Les savoirs d’action : Une mise en mot des compétences ?. Paris : L’Harmattan.

Bataille, O. (2010). Les apprentissages professionnels informels : comment nous apprenons au travail pour se former toute sa vie. Paris : Editions Lamarre.

Boissart, M. & Moncet, M.-C. (2013). Le référentiel de formation infirmière : un levier de la professionnalisation. Paris : Editions Lamarre.

Bourgeois, E. & Durand, M. (Dir.) (2012). Apprendre au travail. Paris : PUF.

Clot, Y. (2006). La fonction psychologique du travail. Paris : PUF.

Guillaumin, C., Pesce, S. & Denoyel, N. (Dir.) (2009). Pratiques réflexives en formation : Ingéniosité et ingénieries émergentes. PARIS : L’Harmattan.

Kolb, D. (1984). Experiential learning: Experience as the source of learning and development. Englewood Cliffs, N.J.: Prentice Hall.

Le Boterf, G. (2007). Professionnaliser : le modèle de la navigation professionnelle. Paris : Editions d’Organisation.

Lagadec, A.M. (2009). L’analyse des pratiques professionnelles comme moyen de développement des compétences : ancrage théorique, processus à l’œuvre et limites de ces dispositifs. Recherche en Soins Infirmiers (97), 4 – 22.

Mosconi, N. (2001). Que nous apprend l’analyse des pratiques sur les rapports de la théorie à la pratique entre théorie et pratique. P. 30. In : Claudine Blanchard-Laville & Dominique Fablet (Dir.). Sources théoriques et techniques de l’analyse des pratiques professionnelles. Paris : L’Harmattan.

Perrenoud, P. (2006). Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant. PARIS : ESF Editeur.

Pastre, P. (2011). La didactique professionnelle. Paris : PUF.

Payette, A. & Champagne, C. (2008). Le groupe de co-développement professionnel. Québec : Presses de l’Université du Québec.

Vermersch, P. (2000). L’entretien d’explicitation. Issy-Les-Moulineaux : ESF Editeur.

Textes réglementaires :

Annexes II et III de l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier.

 

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Notes 

  1. Au sens d’une analyse portant sur l’activité de l’étudiant, en situation clinique ou en institut de formation en soins infirmiers (I.F.S.I), dans un contexte d’apprentissage.
  2. Et notamment un travail de recherche mené par M. Boissard et Moncet (2013)  aux Editions Lamarre, sous le titre : Le référentiel de formation infirmière : un levier de la professionnalisation. Est présenté d’une manière exhaustive les courants théoriques auxquels se réfère le référentiel de formation en soins infirmiers.
  3. Qui englobent pour notre formation, les I.F.S.I. et terrains de stage, en tant qu’entités de formation.
  4. Le centre d’étude Groupe « Savoir d’action » coordonné par  J.M. Barbier et O. Galatanu du CNAM, ayant publié de nombreuses contributions autour de la question des savoirs d’action, s’interroge notamment sur l’articulation entre le savoir et l’action comme étant deux éléments en correspondance et non dissociés.
  5. CNAM : Conservatoire national des arts et métiers.
  6. N’est-ce pas là le rôle du tuteur de stage de remettre en lien ces deux entités, former et travailler ?
  7. Dans le cadre de la Conceptualisation dans l’action, P. Pastre évoque les concepts pragmatiques.  Un forme de savoir qui oriente (qui guide) l’action et qui structure les invariants opératoires. Nous voyons la complexité de délimiter un champ conceptuel précis du savoir  à enseigner en formation professionnelle.
  8. Réalités qui tiennent compte de soi en situation, des contraintes et ressources institutionnelles, de l’organisation du travail…
  9. P. Vermesch ayant développé la technique d’entretien d’explicitation, permettant au sujet de reprendre contact avec son action, d’en saisir son essence. Pour plus d’informations, vous pouvez consulter le site du GREX : http://www.grex2.com/
  10. Formule que l’on doit à G. Leboterf.
  11. Ne pas confondre compétence et expertise.
  12. Expert au terme d’un certain nombre d’années d’exercice. Donc, bien au-delà de l’obtention du diplôme d’Etat.
  13. Le soi au sens de son potentiel d’agir, de son identité.
  14. Equilibre au sens d’une pratique soignante positive, qui se veut « écologique » pour le sujet soignant.
  15. Issue de travaux menés en didactique des mathématiques par G. Vergnaud et qui sont présentés dans l’ouvrage de P. Pastre (2011) portant sur le courant de la didactique professionnelle.
  16. Dans le référentiel de formation est évoquée la question des situations et non des classes.
  17. Compte-tenu de notre réalité professionnelle, nous pourrions aussi parler de catégories de situation.
  18. Travaux personnels menés dans le cadre du développement d’une approche par situations apprenantes.
  19. Travail d’explicitation des classes de situations en cours d’exploration et de validation. La finalité est de proposer un cadre servant à la construction de situations apprenantes. De plus, l’intérêt est d’éviter les cibles de formation uniquement centrées sur des tâches.
  20. Par exemple : auprès d’un patient diabétique et lors de la réalisation d’une glycémie capillaire, je peux, suivant l’analyse faite de la situation (classe n°1 : évaluer les composantes biologiques – psychologiques – sociales en vue d’élaborer (concevoir et conduire) un projet de soins infirmiers.), mobiliser la classe correspondante au maintien de l’équilibre glycémique (classe n°4 : restaurer un état de santé) mais aussi si nécessaire engager la classe relative à l’éducation du patient (classe n° 3 : promouvoir un processus de développement bio – psycho – social.) Mon activité finalisée sera donc dépendante des classes considérées au moment de ma pratique soignante et orientée significativement.
  21. Lors des formations au tutorat, nous appréhendons bien le positionnement des tuteurs. Ils évoquent le fait « qu’ils ne sont pas les formateurs. » Ils  posent clairement la question du positionnement et des limites à cette fonction tutorale.
  22. Référence aux travaux menés par Y. Clot. Notre volonté est d’élargir notre perception de l’activité et d’y inclure un ensemble d’éléments significatifs : le mode opératoire, la dimension du sujet, le métier, les destinataires concernés. En effet, le cadre du schème opératoire vu précédemment est pertinent mais, selon nous, ne prend pas assez en compte les dimensions de l’activité propres au sujet et liées au contexte socio-professionnel.
  23. Ces trois éléments sont énoncés dans le référentiel de formation comme étant des paliers d’apprentissage.
  24. Correspond aussi à des profils d’apprentissage préférentiels.
  25. Le principe de construction d’un projet pédagogique est de formaliser un tout cohérent avec l’ensemble des séquences d’enseignement, dans un souci de progression et de validation. Isoler les unités d’enseignement, stages cliniques, c’est aller à l’encontre des principes directeurs qui guident le nouveau référentiel de formation.
  26. Expression empruntée à P. Vermesch (2000).
  27. Nous relevons, lors des journées d’études, l’importance du nombre de formateurs sensibilisés et intéressés par ces approches d’analyse de pratiques.
  28. Nous notons une forte relation à la didactique professionnelle : la question épistémologique relative à la nature du savoir, la place du milieu du travail dans la formation, le concept de schème d’organisation.
  29. Il faut relever que cette compétence mobilise d’autres points : les évaluations des pratiques professionnelles, l’étude des protocoles soignants, la démarche qualité… L’analyse de la pratique venant en complément de ces approches citées. Par contre, se pose la question de la validation de cette compétence d’analyse réflexive. Nous pouvons implicitement la proposer lors des études de situations et/ou activités validant chaque stage clinique. C’est un choix à discuter en équipe.
  30. Pour le modèle, se référer au cycle d’apprentissage expérientiel de D. Kolb cité précédemment.
  31. A.P.P : ce sont des dispositifs d’analyse de pratiques professionnelles avec l’utilisation de différentes  méthodes exploratoires : technique d’entretien d’explicitation, groupe d’entrainement à l’analyse de situations éducatives, auto-confrontation et autres (vidéo, écriture…)
  32. L’utilisation du « je » amène l’étudiant à se positionner comme la source et le destinataire du travail d’analyse. Cependant et face à certaines problématiques vécues et difficiles, l’emploi du « je » ne doit pas enfermer l’étudiant et l’empêcher de prendre suffisamment de distance réflexive.
  33. Un excellent travail de présentation complémentaire à consulter sur le site de l’A.R.S.I : Lagadec A.M. (2009), L’analyse des pratiques professionnelles comme moyen de développement des compétences : ancrage théorique, processus à l’œuvre et limites de ces dispositifs. Site disponible à l’adresse suivante : http://www.asso-arsi.fr/
  34. Pour certaines problématiques vécues, le risque est d’être perçu par l’étudiant comme une forme d’intrusion « psychologisante » dans sa sphère intime.
  35. Référence aux auteurs cités dans l’ouvrage De l’analyse des pratiques professionnelles en formation (2005), p 65.
  36. Travail à consulter sur le site de l’auteur : http://probo.free.fr/
  37. Le groupe peut être remplacé dans certains dispositifs par le cadre formateur ou travail en binôme étudiants.
  38. Groupe d’entrainement à l’analyse de situations éducatives.
  39. Une question se pose alors : comment préciser ce qu’est un dispositif d’analyse de pratiques professionnelles ? Quelles sont ses caractéristiques, ses composantes ? Sujet qui reste à débattre lors des prochaines contributions.
  40. Voir à ce sujet le travail mené par E. Drutel et présenté dans ce numéro.
  41. Formation à réaliser dans l’unité d’enseignement : Méthodologie de travail.
  42. Pour un temps d’analyse en groupe, une durée de 2 h 30 représente une moyenne satisfaisante.
  43. 15 étudiants maximum par groupe d’analyse type G.E.A.S.E.