Jürg Bichsel

Psychologue, animateur, formateur, Suisse
j[arobase]bichsel.net

Pierre Petignat

Haute Ecole Pédagogique BEJUNE, Suisse
Pierre.Petignat[arobase]hep-bejune.ch

Marc Thiébaud

Psychologue, animateur, formateur, Suisse
thiebaud[arobase]formaction.ch

 


Résumé

Depuis 2015, la Haute Ecole Pédagogique de Berne, Jura et Neuchâtel, en Suisse, propose une formation certifiante à l’animation de groupes d’analyse de pratiques professionnelles (APP) sur 18 mois. Cet article collectif présente d’une part les buts et le déroulement de la formation et d’autre part sa logique expérientielle développée dans une articulation pratique/théorie/pratique. Il décrit et discute les habiletés visées, les différents moyens mobilisés durant la formation (expérience de l’APP et de son animation par les apprenants, apports conceptuels, accompagnement et suivi réflexif) ainsi que les éléments qui apparaissent favoriser et freiner les apprentissages.

Mots-clés 

formation, animation, accompagnement, réflexivité, méta-analyse

Catégorie d’article 

Texte de réflexion en lien avec des pratiques

Référencement 

Bichsel, J., Petignat, P. et Thiébaud, M. (2019). Apprendre à animer des groupes d’analyse de pratiques selon une approche expérientielle. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 15, pp. 117-137. http://www.analysedepratique.org/?p=3371.

 


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Learn to animate practice analysis groups from an experiential approach
Abstract

Since 2015, the Haute Ecole Pédagogique of Berne, Jura and Neuchâtel, in Switzerland, has been offering a certifying course for the animation of professional practice analysis groups (PPA) over 18 months. This collective article presents on a part the aims and happening of the training and on an other part its experiential logic developed by the articulation practice/theory/practice. It describes and discusses the targeted abilities, the various means mobilized through the training (PPA experiencing and its animation by the learners, conceptual inputs, guidance and reflexive follow-up) as well as the elements wich seems to help or slow down learning.

Keywords

training, animation, guidance, reflexivity, meta-analysis



« La connaissance s’acquiert par l’expériencetout le reste n’est que de l’information. »

Albert Einstein

Ce texte a pour but de présenter une formation expériencielle à l’animation de groupes d’analyses de pratiques professionnelles (APP). Il est le fruit d’une écriture collaborative entre les trois concepteurs de la formation qui est présentée et discutée ci-après. Nous expliciterons tout d’abord son origine, le contexte dans lequel elle s’inscrit et ses buts. Puis nous aborderons la logique d’apprentissage développée ainsi que l’organisation et le déroulement général de la formation. Nous évoquerons ensuite différents moyens mobilisés durant la formation, des éléments facilitants et des difficultés rencontrées avant de conclure par une mise en perspective générale.

1. Origine, contexte et buts de la formation

Le Certificate of Advanced Studies (CAS) à l’animation de groupes d’analyse de pratiques professionnelles (AGAPP) a été créé en 2015 au sein de la Haute Ecole Pédagogique de Berne, Jura et Neuchâtel (HEP-BEJUNE) en Suisse. Cette formation de 12 crédits ECTS est certifiante. Elle comprend environ 300 heures de travail entièrement dédiées à l’apprentissage de l’animation d’APP, sur une durée de 18 mois (ce qui s’est révélé un temps nécessaire pour l’acquisition des compétences). Elle s’adresse spécifiquement à des enseignants et formateurs engagés ou appelés à s’engager dans l’animation de groupes d’APP. Entre 2015 et 2019, elle a été suivie par deux groupes successifs (au total 22 participants).

Elle a été conçue pour répondre à un manque d’animateurs formés en APP. En effet, d’une part, les étudiants de la HEP-BEJUNE bénéficient d’analyses de pratiques durant leur formation initiale pour devenir enseignants. D’autre part, de nombreuses demandes émanant du terrain des établissements scolaires nécessitent d’étoffer l’offre en APP. Or, la plupart des intervenants ne disposent pas d’une formation de base en APP, laquelle s’avère requise pour l’animation de tels groupes d’APP (voir Lepage, Robo & Calmejane-Gauzins, 2014 ; Petignat, 2015 ; Thiébaud, 2015).

Depuis l’an 2000, nous avons été impliqués dans plusieurs formations successives qui nous ont permis d’affiner progressivement les objectifs et les approches de formation à l’animation de groupes d’APP (voir Thiébaud, 2001, 2015). La formation AGAPP vise l’acquisition des habiletés spécifiques nécessaires à l’animation de tels groupes et met l’accent sur les postures nécessaires à l’accompagnement des pratiques réflexives en formation d’adultes. Les participants sont ainsi amenés à développer des savoir-être, des savoir-faire et une capacité de prise de recul en lien notamment avec la mise en place d’une APP, l’animation du groupe, les modalités d’analyse de pratiques.

Les objectifs annoncés dans le descriptif de formation comprennent le développement de la capacité à :

  • concevoir et réguler un accompagnement collectif
  • mettre en place un cadre et un dispositif de travail approprié offrant un espace protégé d’écoute et de réflexion
  • comprendre et utiliser les outils de la communication interpersonnelle et de la dynamique de groupe, mobiliser les ressources du groupe,
  • développer sa propre démarche réflexive sur sa pratique de formateur et d’animateur de groupe d’APP
  • prendre en compte les aspects du contexte institutionnel dans lequel s’inscrit l’APP
  • identifier les principaux courants et approches en analyse des pratiques professionnelles et faire des choix épistémologiques conscients.

Des exemples d’habiletés travaillées durant la formation figurent dans l’annexe 1.

2. Conceptions de l’analyse de pratique et de l’animation de groupe d’APP

2.1. Perspective générale sur l’analyse de pratique

L’analyse de pratiques professionnelles travaillée dans la formation est une démarche qui se déroule en groupe et qui a pour but premier un travail d’élucidation, de recherche de compréhension, de prise de recul par rapport à un vécu, une pratique professionnelle apportée par un participant dans le groupe. Le travail s’inscrit dans un principe d’accompagnement mutuel : chaque participant peut bénéficier successivement des apports des autres participants. Cette réflexion collective favorise la multiplicité des lectures et subjectivités, le partage de ressources et d’angles d’analyse, la prise de recul, l’apprentissage de chacun des membres, même si seule une personne est directement concernée par la situation qu’elle expose (voir Thiébaud, 2001 ; 2018).

Le sens de l’APP en groupe est différent de celui d’un partage d’expériences, d’un échange de pratiques ou d’une étude de cas. Dans l’approche adoptée, l’APP en groupe est considérée comme intégrant au minimum les cinq éléments suivants développés dans Thiébaud (2013) :

  • travail sur des vécus de la pratique professionnelle,
  • accompagnement de l’exposant par l’ensemble du groupe,
  • questionnement et recherche en commun, qui priment sur les savoirs d’experts,
  • dynamique d’analyse collective avec multiplication et croisement de différents éclairages,
  • posture réflexive, développement d’un regard « méta » au sein du groupe avec un climat de sécurité favorisant la réflexivité.
2.2. Types de dispositifs d’APP animés

Plutôt que de développer des habiletés pour animer un dispositif particulier, nous visons à mettre en perspective divers dispositifs et à donner la possibilité aux animateurs d’apprendre à moduler selon les groupes certains aspects du déroulement des APP, tout en restant dans une logique d’APP centrée sur l’exposant. Il importe à cet effet de disposer d’une base et d’une compréhension solides de l’APP pour être à même de varier les dispositifs ou des éléments d’un dispositif sans déstabiliser le groupe ni risquer de perdre le sens même du travail d’APP. Ainsi, nous travaillons avec les apprenants les aspects de mise en place et de contractualisation de l’analyse de pratiques à la fois dans une perspective de concertation des objectifs visés et d’ajustement des modalités de travail aux réalités rencontrées lors de la demande, dans le contexte institutionnel et avec les contraintes présentes (voir Thiébaud, 2017).

2.3. Cadres de référence utilisés

Que ce soit pour l’analyse de pratiques ou pour le développement des habiletés d’animation, nous faisons appel à une pluralité de grilles d’analyse (systémique, humaniste, institutionnelle, etc.) et proposons aux animateurs d’apprendre à mobiliser des approches différentes qui peuvent varier d’une situation à l’autre ou être utilisées en combinaison. De manière générale, nous privilégions la capacité à travailler avec les lectures et cadres de référence des participants eux-mêmes dans la multiplication des regards croisés et dans une perspective multiréférentielle. Cela permet de mobiliser au maximum les ressources et potentialités des participants et l’intégration des acquis dans la durée. Dans cette optique, divers spécialistes sont sollicités pour intervenir dans la formation pour des exposés théoriques et des séminaires pratiques en lien avec des approches telles que le GEASE, le GFAPP, ARPPEGE[1], etc.).

3. Logique d’apprentissage – formation développée

Le dispositif de formation est construit sur l’articulation « pratique / théorie / pratique » exposée notamment par Altet (2002 ; 2005) et visant le développement de la pratique réflexive, par la prise de conscience et l’expérimentation. La logique de base de la formation est similaire à celle qui est au cœur de l’analyse de pratiques elle-même. Elle repose sur le cycle d’apprentissage expérientiel et le principe selon lequel l’acquisition de compétences passe par l’observation, la réflexion, la modélisation, l’expérimentation, la remise en question et l’entraînement en continu. Dans la formation, nous visons à activer le cycle d’apprentissage de Kolb (1984) illustré dans la figure 1 ci-après. Ce cycle d’apprentissage est amplifié lorsque les apprenants peuvent bénéficier d’activités qui stimulent et facilitent le passage d’une modalité à une autre, dans une boucle continue : chaque expérimentation dans l’animation d’APP donnant lieu à de nouveaux vécus qui peuvent être réfléchis et conduire à des ajustements et enrichissements des modèles développés… et ainsi de suite, comme dans une spirale.

 

Figure 1 : le cycle d’apprentissage expérientiel (adapté de Kolb, 1984)

Dans une telle logique, il importe durant la formation de pouvoir impliquer les participants dans les différents rôles présents dans une démarche d’APP (exposant, animateur, participant) et que l’ensemble de la formation soit en cohérence. Autrement dit, nous favorisons la probabilité qu’il y ait une proximité entre les activités et vécus au sein du groupe de formation à l’animation et les activités et vécus mobilisés au sein d’une APP. En effet, nous avons constaté que les participants développent et mettent en œuvre ensuite plus facilement leurs compétences en APP lorsqu’ils peuvent vivre dans le groupe de formation des processus similaires ou parallèles. Cela peut concerner le contrat et la régulation de la formation, le développement du groupe et d’un climat propice, les interactions, l’inter subjectivité et les émergences dans le groupe, le partage de questionnements, la facilitation du travail d’analyse, l’élaboration de méta-réflexions, etc. Dans cette perspective, afin de favoriser les acquis et leur intégration, la formation AGAPP offre aux apprenants une pluralité d’espaces et d’activités pour vivre et analyser l’animation de groupes d’APP. Nous les présentons ci-après.

4. Organisation et déroulement général de la formation

Pour favoriser le cycle d’apprentissage expérientiel, la formation est organisée autour de cinq activités principales (voir figure 2 ci-après). Ces cinq activités se complètent l’une l’autre et sont travaillées en parallèle sur toute la durée.

4.1. Séances d’accompagnement

Les participants sont accompagnés par un formateur spécialiste de l’APP et sont réunis régulièrement du début à la fin de la formation au sein d’un petit groupe d’environ 8 participants-apprenants. Ces séances sont appelées séances d’accompagnement dans la mesure où le formateur cherche à répondre aux demandes des participants et, chaque fois que possible, à adopter une posture d’accompagnement qui mobilise les ressources des participants. Cependant, le formateur est aussi amené durant ces séances à faire quelques apports conceptuels, à mettre en lien les acquis avec les notions utilisées et à animer des temps d’analyse de pratiques.

Durant les deux premières journées, les apprenants (qui ont chacun déjà une expérience de l’analyse de pratiques en tant que participant) ont l’occasion d’expérimenter les bases de l’APP avec l’approche du groupe réflexif d’accompagnement et d’analyse de pratiques professionnelles (GRAAPP ; voir Thiébaud, 2001). Puis, dans les séances suivantes (8 journées ou demi-journées, environ toutes les six semaines, ils abordent, sous la forme d’analyse de pratiques, les questions en lien avec les APP qu’ils ont animées et vécues ailleurs (voir ci-après 4.2 et 4.3). Le formateur qui accompagne le groupe facilite le travail d’articulation et d’intégration nécessaire. Il propose d’explorer des modalités de travail variées pour le traitement des situations rencontrées. Il offre des ouvertures et des pistes nouvelles et il assure le développement des habiletés visées en stimulant la réflexion et les capacités de prise de recul comme de conceptualisation des apprenants.

Le déroulement type pour une de ces séances comprend : a) une mise en commun des questions des participants et des situations à analyser ; b) une ou plusieurs séquences d’APP animées par le formateur ou les participants avec le travail de méta-analyse ; c) des échanges en lien avec les questions soulevées en début de séance ou émergeant en cours de séance ; d) des prolongements méthodologiques et conceptuels.  Les séances d’accompagnement sont un lieu privilégié pour faire en permanence des liens entre l’ensemble des activités de formation. En effet, celles-ci peuvent toutes être réinvesties dans les séances d’accompagnement qui permettent d’activer complètement le cycle d’apprentissage expérientiel.

Voici un exemple : une apprenante présente une situation dans laquelle elle a vécu un certain malaise. Il s’agit d’un moment où elle animait une APP pour un groupe d’enseignants en début de carrière : durant le partage d’hypothèses, elle a perçu que plusieurs personnes avaient tendance à les formuler en y mettant des suggestions d’actions possibles répondant à la problématique évoquée. L’analyse qui s’en est suivit dans la séance d’accompagnement lui a permis de comprendre la difficulté qu’elle a eue à intervenir à ce propos. Elle a ensuite formulé une demande au groupe : comment arriver à différencier plus précisément les hypothèses de compréhension des hypothèses induisant une piste d’action ? L’accompagnant a proposé alors au groupe de participants à la formation de noter sur un panneau tout ce qui aide à les différencier ainsi que tous les éléments de consigne qui permettent à l’animateur d’introduire l’étape d’analyse avec plus de clarté et de précision sur ce qui est attendu de la part des participants à l’APP. Dans les semaines suivantes, les apprenants ont eu l’occasion d’expérimenter cela dans leurs animations et de partager leurs expériences et observations lors d’une séance d’accompagnement ultérieure.

 

Figure 2. Les différentes activités de formation et leur interdépendance
(NB : les flèches visent à indiquer que chaque activité est en lien avec toutes les autres)

 4.2. Pratique autonome de l’APP en groupes de pairs

Parallèlement aux autres activités, les participants se réunissent, en petits groupes autonomes de 5 à 6 personnes, pour mener des APP entre pairs durant au minimum 15 heures au total, réparties sur toute la durée de la formation. Ces APP portent sur leurs pratiques dans leur contexte professionnel et dans leurs animations de groupe d’APP. Dans le groupe d’APP entre pairs, l’animateur est choisi par les participants et il change d’une rencontre à l’autre. Ces APP peuvent ensuite être présentées et analysées durant les séances d’accompagnement.

4.3. Pratique d’APP avec un groupe d’étudiants ou de professionnels

Chacun des participants à la formation assure sur une vingtaine d’heures une animation de groupe d’APP, soit avec des étudiants de la HEP-BEJUNE, soit avec des professionnels du terrain. Ce travail est mené à deux dans une forme de coanimation concertée (par exemple, préparation de la séance en commun et animation en alternance). Le fait d’être deux leur permet de bénéficier des observations mutuelles, de développer des interactions apprenantes, de gagner en confiance et en recul pour leur animation. Les vécus sont repris et analysés dans les séances d’accompagnement.

4.4. Apports d’intervenants spécialisés

Quatre intervenants font des apports spécifiques en lien avec des approches à chaque fois différentes (voir ci-dessus, 2.3.), en alternance avec des séances d’accompagnement. Ils abordent les grandes orientations des APP, décrivent les outils et grilles d’analyse utilisés, favorisent la construction de repères théoriques en lien avec l’approche proposée. Leurs apports comprennent à chaque fois une conférence introductive du sujet suivie d’un travail en séminaire d’une journée qui implique les participants dans des APP et des exercices. Ils aident aussi les apprenants à situer la place des APP dans la palette des activités de formation à visée professionnalisante et à en comprendre et en mesurer les spécificités et les effets possibles.

4.5. Travail personnel

Durant toute la formation, les participants tiennent un journal de bord dans lequel ils consignent leurs remarques, questions, étonnements et réflexions. Régulièrement ils en extraient des questionnements qu’ils apportent dans les séances d’accompagnement. Par ailleurs, ce journal de bord nourrit la rédaction du travail écrit de fin de formation. Celui-ci donne lieu à une certification par des experts indépendants et il comprend des réflexions personnelles en lien avec un ensemble de questions concernant la pratique de l’APP et l’analyse de différentes situations d’APP vécues.

5. Processus mobilisés dans les différentes activités de formation

Ci-après, nous présentons cinq aspects clés qui caractérisent l’approche de formation adoptée. Ces cinq aspects sont exposés successivement mais ils s’appuient en permanence les uns sur les autres.

5.1. La pratique de l’APP et de son animation avec la méta-analyse

La formation permet à tous les participants d’animer des séquences d’APP avec leurs collègues de formation. Il s’agit de l’élément de loin le plus important selon notre expérience. Au début, le formateur anime le groupe, puis les participants prennent ce rôle.  Dans l’espace de sécurité développé au sein du groupe de formation, ils peuvent expérimenter progressivement différentes manières de procéder dans les APP et gagner en confiance. A la fin de la formation, chaque participant a ainsi eu l’occasion d’animer plusieurs séquences d’APP et d’en vivre une trentaine comme participant. Ces APP sont chaque fois singulières, elles mettent en évidence différents processus et permettent d’appréhender peu à peu leur complexité. Chacun des trois espaces de pratiques d’APP comporte des caractéristiques distinctives :

5.1.1 Dans les séances d’accompagnement

Les participants bénéficient des apports des formateurs et des temps « méta », notamment en fin d’APP, animés par le formateur, qui permettent de décortiquer des moments clés des processus vécus. Ces temps peuvent aussi être introduits à la fin de chaque étape intermédiaire ou s’effectuer dans le cours même d’une séquence, sous forme « d’arrêt sur image », ce qui favorise une analyse « en prise directe » avec ce qui se passe. Des observateurs attitrés, la prise de note et l’enregistrement vidéo peuvent soutenir l’analyse. Ces moments de méta-réflexion aident les participants à prendre du recul et relire la réalité de manière différente. Ils sont à chaque fois concertés avec le groupe et la personne qui anime (voir Thiébaud et Bichsel, 2019).

Lorsque nous intervenons à deux formateurs, nous constituons deux sous-groupes qui expérimentent séparément l’APP et peuvent se réunir par moments pour un partage d’expérience. Parfois, nous intervenons à deux avec l’ensemble du groupe, chacun dans un rôle spécifique visant à faciliter les apprentissages, par exemple :

  • l’un sert de coach à la personne qui anime et qui peut demander un arrêt quand elle le souhaite pour échanger de vive voix avec son coach et partager ses interrogations sur la compréhension de ce qui se passe ou la suite à donner ;
  • l’autre peut proposer des pauses « arrêts sur image », donner la parole à des observateurs ou faire des analyses sur le processus qui est en train de se dérouler.

On constate au fil du temps que les analyses « méta » provoquent des prises de conscience très formatrices et que les participants sont de plus en plus à l’aise avec les interruptions qu’elles introduisent dans le déroulement de l’APP. Il importe cependant de veiller à une dose optimale (par exemple, deux pauses « méta » dans une APP), afin de permettre au groupe de ne pas perdre le fil de l’APP tout en apprenant un maximum sur les processus d’APP et leur animation (voir Thiébaud et Bichsel, 2019).

5.1.2 Au sein des groupes de pairs

C’est l’occasion de pratiquer et d’analyser de manière autonome l’animation en utilisant les grilles d’observation et en mobilisant les repères acquis. Cela peut donner aussi l’opportunité de présenter, ensuite, ce qui a été fait et d’y travailler dans les séances d’accompagnement. Cet entrainement est essentiel : il permet d’activer l’ensemble du cycle d’apprentissage expérientiel, dans l’espace « protégé » du groupe de pairs. Moments d’échanges aussi, d’émergence de questions qui peuvent être travaillées dans le groupe de pairs et apportées ultérieurement dans les séances d’accompagnement. Un groupe va par exemple élaborer et utiliser une check-list qui est ensuite partagée et complétée en plenum. Un autre expérimentera et discutera différentes formulations pour introduire la phase de productions d’analyse.

5.1.3 Dans le groupe d’APP avec des étudiants ou des professionnels co-animé par les participants

C’est l’expérience en live. Les participants sont confrontés au défi de mettre en place l’APP et de la conduire de la première à la dernière rencontre. Le fait que ces séquences d’APP soient assurées en co-animation apporte de nombreux bénéfices. Dans les co-animations, les participants ont l’occasion de préparer les séances en commun et de se répartir les tâches, par exemple l’un étant en charge de l’animation proprement dite, l’autre restant observateur, facilitant la méta-analyse en fin de séquence et partageant ses feed-back avec son collègue à l’issue de celle-ci. Ces co-animations aident aussi les participants à s’approprier la démarche et à développer leur confiance dans leurs capacités d’animation. Les vécus d’animation de ces APP sont ensuite fréquemment travaillés et analysés dans les séances d’accompagnement avec les formateurs.

5.2. Le travail autour de notions clés et l’utilisation d’une liste d’habiletés

Dans la logique d’apprentissage expérientiel, les concepts sont abordés avant tout en lien avec les processus vécus en APP et les réflexions et analyses partagées. Ce travail peut prolonger l’étape de l’analyse « méta », par un échange autour de notions fondamentales et par une mise en lien, pour élargir le regard sur la complexité, favoriser l’émergence de sens, donner des repères. Nous nous appuyons aussi sur les lectures proposées et les participants bénéficient des apports des quatre intervenants sollicités pour les conférences et séminaires. Par ailleurs, nous avons élaboré des repères et des grilles spécifiques, par exemple en lien avec la contractualisation et la mise en place d’un groupe d’APP, l’analyse de la demande de l’exposant, la dynamique du groupe, la conduite de l’analyse collective, etc.

Pour faciliter le repérage des habilités à développer, nous avons élaboré une liste d’habiletés structurées autour de différentes dimensions des processus de groupe dont il s’agit de prendre soin dans l’animation. Cela facilite également l’observation ainsi que la réflexion « méta » sur les APP vécues. Les participants l’utilisent également pour identifier leurs ressources ainsi que leurs points d’efforts. Cette liste a été conçue en référence au modèle de la coopération que nous avons élaboré par ailleurs pour l’animation de groupes (voir Thiébaud, 2003 et Thiébaud & Bichsel, 2015). Les dimensions suivantes sont ainsi travaillées en lien avec l’animation (voir des exemples d’habiletés en annexe 1) :

  • La mise en place de la démarche d’APP et sa contractualisation : Quelles sont les indications (et les limites) pour de l’APP ? Comment tenir compte du contexte dans lequel l’APP s’inscrit ?
  • Le rôle et la posture de facilitation de l’animateur et ses relations au sein du groupe : Comment rester centré sur la facilitation des processus ? Comment réguler au besoin ? Quels types d’interventions pour l’animateur ?
  • Le sens partagé : Dans quelle mesure sommes-nous au clair et au diapason sur le sens de ce que nous faisons dans l’APP, sur nos buts et nos priorités ? Comment clarifier les buts et principes de la démarche ?
  • L’organisation : Comment être garant du dispositif, du cadre, des règles ? Comment animer les étapes et le processus de travail ? Comment le groupe prend-il des décisions concertées ? Quels dispositifs peuvent être développés ? Avec quelles variantes ?
  • Les relations collectives : Comment soignons-nous la dynamique de groupe, la communication, la circulation de la parole, le développement de la confiance mutuelle et des synergies ? Que faire pour stimuler l’intelligence collective ?
  • L’implication et la place de chaque membre du groupe : Comment restons-nous centrés sur la personne accompagnée et sa demande ? Comment les besoins et vécus de chacun sont-ils pris en considération ? Quelles place et valorisation chacun trouve-t-il dans le travail de groupe ? Comment est-ce que chacun s’y investit ?
  • La production des analyses : Comment le focus du travail est-il maintenu sur les objectifs et la pratique de l’exposant ? Quelle qualité et pertinence dans les analyses produites ? Quelle variété peut être favorisée dans les modalités d’analyses collectives ? Comment développer une analyse multidimensionnelle et multiréférentielle ?
  • Les liens avec le contexte dans lequel s’effectue l’APP : Quelle relation y a-t-il avec notre environnement ? Quelles sont les attentes de l’institution ? A quelles contraintes faut-il faire face, cas échéant (par exemple, obligation imposée de participer à l’APP) ?
  • La réflexivité dans le groupe : Quelle prise de recul avons-nous collectivement ? Comment pouvons-nous réguler et améliorer notre fonctionnement ?
  • L’évolution dans le temps : Au fil des séances, quelles potentialités émergent, quelles ressources se développent dans le groupe ? Comment est-ce que nous voulons faire évoluer les modalités travail voire les objectifs du groupe au fur et à mesure de son évolution ?

Concepts et liste d’habiletés aident à intégrer et mettre en perspective la complexité des processus impliqués en APP. Ils servent de points d’appui pour les apprenants qui les utilisent de manière variable selon leurs besoins. La plupart élaborent par ailleurs des check-lists personnelles pour leurs animations. Nous constatons que ces éléments gagnent à être travaillés de manière souple en lien avec l’expérience concrète. Ils permettent d’activer le cycle d’apprentissage par un travail de modélisation qui se complexifie au fur et à mesure des apprentissages réalisés.

5.3. La variété des approches et modalités de travail en APP

Avec les quatre intervenants invités et les formateurs des séances d’accompagnement, les participants ont l’occasion d’expérimenter, au fur et à mesure de l’avancement de la formation, différentes approches de l’APP (GRAAPP, GEASE, GFAPP, ARPPEGE, etc.).  Si celles-ci présentent certains points communs (voir 2.1), cela produit de nombreuses questions chez les participants, qui peuvent parfois se trouver déstabilisés en découvrant de nouvelles manières de procéder. Certains tiennent à des habitudes prises, d’autres s’interrogent : quelle modalité de travail faut-il privilégier ? Pour d’aucuns, un modèle unique est rassurant, alors que d’autres apprécient de pouvoir explorer de nouvelles façons de travailler. Ces (re)mises en question se révèlent bénéfiques. Au fil du temps, on constate que les participants développent la capacité de s’approprier différentes approches et de choisir pour eux-mêmes les modalités avec lesquelles ils préfèrent animer le groupe d’APP. Ils découvrent aussi la possibilité d’adapter leur animation selon le groupe et de se concerter avec l’exposant et les participants pour identifier les manières de procéder qui conviennent le mieux. Leur évolution tout au long de la formation est facilitée par les expériences vécues à la fois dans les séances d’accompagnement et dans les groupes de pairs.

5.4. Les questions spécifiques travaillées avec les participants

Au début de chaque séance d’accompagnement, en principe, nous accueillons les questions des participants et nous identifions différentes manières dont elles pourront être travaillées durant la rencontre (ou lors de rencontres ultérieures). Ces questions sont très variables. L’annexe 2 en donne des exemples. Elles évoluent dans le temps, portant sur des aspects de plus en plus fins de l’animation, en lien avec les vécus des participants dans le groupe de pairs et dans les APP qu’ils ont l’occasion d’animer. Nous nous efforçons ainsi de travailler avec ce qui émerge au fil du temps. Certaines questions concernent aussi la dynamique du groupe de formation et la mise en œuvre de la formation. Elles reçoivent une attention particulière, donnent lieu à des régulations au besoin et s’avèrent très formatrices pour l’appréhension des processus de groupe.

Un exemple de question travaillée avec les participants : comment cibler un ou plusieurs objets d’analyse. Souvent la personne qui anime, après avoir fait le tour des questions et compléments d’informations souhaités par les participants, invite le groupe à passer à la phase de production d’analyses et d’hypothèses ; cela peut se produire sans qu’ait été précisé avec la personne qui expose sur quels éléments devrait porter l’analyse collective. Il n’est pas rare non plus qu’en sollicitant l’exposant pour préciser ce qu’il aimerait qu’on cherche à comprendre ensemble, celui-ci demande au groupe des pistes plutôt qu’une analyse… Le groupe, fort du constat de cette difficulté, a alors élaboré une forme de check-list avec des idées de questions et de consignes qui peuvent aider à cibler l’objet d’analyse. Par exemple :

  • Sur quels aspects souhaites-tu que le groupe émette des hypothèses ?
  • Qu’est-ce que tu aimerais que le groupe t’aide à comprendre ?
  • Si je reviens à ta demande exprimée au début de notre séquence, est-ce que pour toi c’est toujours pertinent d’analyser ceci ?
  • On peut chercher à comprendre ce qui fait que les choses se sont passées ainsi, quelle est la logique sous-jacente ; est-ce que cela te convient pour notre analyse collective ?
  • On peut s’intéresser aux raisons qui ont poussé X à agir de la sorte, ou on peut aussi s’intéresser à tes comportements et tes ressentis et les légitimer. Sur quels éléments aimerais-tu prioritairement que l’on porte l’attention ?
5.5. Le travail personnel des participants

Les participants effectuent un travail individuel entre les séances très important pour l’intégration : prise de note dans leur journal de bord personnel, lectures, rédaction du travail de fin de formation. Ces réflexions et l’écriture leur permettent de relier progressivement leurs expériences, d’articuler celles-ci avec les notions étudiées et de développer des repères personnels pour leur animation.

Le travail de fin de formation d’une longueur de vingt à vingt-cinq pages témoigne de la prise de recul et des compétences réflexives développées. Ce travail est l’objet d’une évaluation certificative. Par ailleurs, chaque participant a l’occasion, lors d’une journée qui clôture la formation, de présenter son travail et d’en discuter avec les autres participants (en deux sous-groupes). Il reçoit des feed-back de ses pairs et des formateurs qui ont à la fois valeur de reconnaissance et stimulent son apprentissage et sa capacité à se projeter dans l’avenir du point de vue de ses animations de groupes d’APP comme de sa formation continuée.

6. Eléments facilitants et difficultés rencontrées dans la formation

Dans le cours de la formation et au terme de celle-ci, nous effectuons avec les participants un bilan qui leur permet de nous informer à la fois des apprentissages réalisés et de leurs vécus par rapport au déroulement de la formation. Nous nous intéressons particulièrement à connaître ce qui les a aidés dans leurs apprentissages, ce qui leur a manqué et ce qui a pu les freiner. Ces bilans contribuent d’une part à réguler selon besoin les processus de formation. Ils servent d’autre part à affiner le déroulement des formations futures.

6.1. Eléments facilitants

Nous avons mis en place une démarche qui facilite autant que faire se peut les apprentissages chez les participants à la formation. Les principaux éléments facilitants sont les suivants :

  • Démarrer avec 14 participants volontaires qui sont là de leur plein gré ;
  • Permettre dès les premières rencontres de vivre des animations d’analyse de pratiques, comme participants et très vite comme animateur aussi ;
  • Instaurer dès la première séance des moments de réflexion « méta » permettant de mettre des mots sur les doutes, espoirs et apprentissages ;
  • Permettre à chaque participant d’animer en duo des séances d’APP avec des groupes de 5 à 6 personnes ;
  • Disposer d’une variété d’apports et d’approches de différentes intervenants ;
  • Permettre aux participants de s’entraîner entre eux à animer des séances d’analyse de pratique ;
  • Favoriser la présentation de situations et pratiques provenant des animations d’APP effectuées par les participants ;
  • Mélanger à un moment ou l’autre les sous-groupes pour multiplier les vécus et regards croisés ;
  • Instaurer régulièrement des moments de partage de vécus de doutes et de questions qui surgissent tout au long de la formation ;
  • Inciter chaque participant à trouver sa manière d’animer en s’inspirant des différents modèles découverts durant la formation ;
  • Accompagner individuellement les personnes qui en font la demande, notamment lorsqu’elles rencontrent des situations difficiles à gérer dans le groupe d’APP qu’elles animaient.
6.2. Difficultés rencontrées… souvent leviers d’apprentissage

De nombreuses situations d’apprentissage sont rencontrées et vécues au fil de la formation et deviennent dans les séances d’accompagnement des occasions inestimables d’apprentissages. Par exemple :

  • L’hétérogénéité du groupe (source de diversité, de richesse et à la fois de complexité pour l’animation) ;
  • La confrontation entre différentes manières de pratiquer l’APP (et l’effet déstabilisant que cela produit parfois sur certains participants) ;
  • La place et la forme que l’on peut / veut donner éventuellement aux pistes d’action (après la production d’hypothèses par exemple) ;
  • La gestion du temps (manque de temps qui ne permet pas d’aborder toutes les questions ou toutes les étapes prévues et qui oblige à des choix qui peuvent être plus ou moins mal vécus) ;
  • La communication au sein des duos d’animation (soin apporté à clarifier entre eux leurs représentations ou leur style et préférences d’animation, etc.) ;
  • La gestion de tensions rencontrées dans les groupes animés par les participants (tensions qui ne se produisent guère entre les participants dans le groupe de formation) ;
  • Les disponibilités, contraintes et agendas de chacun au moment d’organiser les rencontres en groupe de pairs ;
  • La gestion d’émotions fortes qui apparaissent parfois dans des temps d’APP (occasion d’apprentissages importants).

Par ailleurs, des difficultés rencontrées ont été sources de problèmes pour certains participants. Notamment, le fait que l’un ou l’autre d’entre eux n’ait pas pu animer rapidement un groupe d’APP (décalage dans le temps qui a pour effet un manque d’occasions de pratique) ; et dans le même ordre d’idée, le fait que les participants n’ont pas tous trouvé la possibilité de poursuivre leur pratique d’animation au terme de la formation (par manque de groupes d’APP à animer).

On constate que la co-animation des APP ne va pas de soi que les participants ont besoin d’apprendre à co-animer, donc de prendre du temps pour cela assez tôt dans la formation. Dans l’approche expérientielle adoptée pour la formation, on est par ailleurs confronté au dilemme suivant : il est utile d’avoir de l’expérience pour pouvoir animer un groupe d’étudiants ou de professionnels… et il est utile d’avoir été en mesure d’animer des séquences avec ceux-ci pour apporter ces vécus dans la formation. Le défi consiste à coordonner au mieux les choses dans le temps, de manière à favoriser une alternance entre les expériences d’animation dans le groupe de formation et avec les groupes d’étudiants ou de professionnels.

Nous travaillons également autour d’une autre difficulté : l’analyse dans les séances d’accompagnement d’une situation vécue et apportée par deux personnes (par exemple, celles qui ont coanimé une APP). On peut se demander s’il n’est pas possible de présenter une situation à deux… Bien sûr que cela est envisageable, mais la question se pose alors de savoir laquelle des deux personnes le groupe va accompagner ou si on accompagne les deux simultanément. Quelle place donner à chacune d’elle. Cette problématique en rejoint une autre : lorsqu’un exposant présente une situation qui implique une ou des personnes qui sont connues par un autre participant à l’APP (il peut s’agir de collègues ou de connaissances par exemple). Il arrive que le récit fait par l’exposant ne corresponde pas à la perception de l’autre et, ce qui rend plus complexe le travail d’accompagnement et d’analyse dans le groupe.

Les réflexions menées dans la formation permettent d’élucider les paramètres et processus impliqués de manière à accepter qu’il n’y a souvent pas de solution toute faite à ces questions mais que l’on peut apprendre à naviguer dans la complexité en concertation avec le groupe.

7. En conclusion

En Suisse romande, on observe une demande accrue d’accompagnement et d’analyse de pratiques professionnelles. Celle-ci est exprimée tant par les enseignants que par les directions d’établissements scolaires, que ce soit dans le cadre de projets d’école, pour développer une pratique réflexive ou pour faire face à des situations toujours plus complexes. Il apparaît qu’il sera de plus en plus nécessaire de disposer d’animateurs de groupe d’APP formés pour les aider à faire face aux défis de l’enseignement actuel.

La formation mise sur pied dans le cadre de la HEP-BEJUNE permet d’y répondre. La formation va être reconduite dans les années à venir. Elle conservera l’articulation pratique/théorie/pratique développée qui s’appuie sur l’expérimentation par les apprenants de l’animation d’APP, les séances d’accompagnement et de méta-analyse de leur pratique d’animation et des apports diversifiés qui favorisent une vision large de l’APP et de son animation.

Les bilans effectués et nos observations montrent que les participants s’investissent énormément dans la formation. A chaque fois, une ou deux personnes ont quitté celle-ci après la première ou la deuxième séance, constatant qu’elle demande un effort trop important. Que cela puisse être clarifié rapidement nous semble positif, même si se pose la question de savoir si les exigences sont suffisamment explicitées avant l’entrée en formation. Celles-ci sont élevées, la durée de la formation requiert un engagement important et la logique privilégiée pour l’apprentissage est impliquante. Tous les participants expriment à l’issue de celle-ci leur satisfaction : cette durée, cet engagement, cette implication leur paraissent nécessaires.

De manière générale, nous constatons que les personnes formées sont désireuses de pouvoir mettre en œuvre rapidement leurs compétences dans l’animation de groupes d’APP. Elles y trouvent beaucoup de satisfactions et elles apprécient notamment d’avoir des occasions pour travailler encore en coanimation. Par ailleurs, elles recherchent des possibilités de poursuivre leur formation continue, entre autres par des rencontres d’intervision, par des échanges au sein de l’association des animateurs de groupes d’APP qu’elles ont créée ainsi que par la participation à des séminaires, qui leur sont proposés par la HEP-BEJUNE. Cela nous paraît important, d’autant que l’animation d’APP amène souvent son lot de difficultés.

Bon nombre des personnes formées animent des groupes d‘étudiants (en formation initiale à l’enseignement). La tâche s’avère souvent ardue parce que ces étudiants ont une pratique limitée et qu’ils se trouvent dans des contextes où l’évaluation peut prendre une place prépondérante dans leurs préoccupations. Comment permettre à ces étudiants de découvrir la valeur de l’APP ? Par ailleurs, lorsqu’elles animent des groupes d’APP avec des professionnels, c’est souvent avec des pairs (collègues plus ou moins proches) qu’elles ont l’opportunité d’animer un groupe d’APP. Cela représente souvent un défi : comment construire sa crédibilité, être reconnu dans sa fonction de facilitation ? La plupart du temps, il s’avère que dans ces groupes, les étudiants, comme les pairs apprécient d’avoir un animateur qui connait bien la réalité du travail d’enseignant, cela inspire généralement confiance. Il n’en reste pas moins que, si ces questions, parmi d’autres, peuvent être travaillées dans la formation à l’animation de groupes d’APP, elles ne sont jamais épuisées. Les séminaires, les échanges entre animateurs, les séances de supervision permettent de les travailler au fil des situations rencontrées dans la pratique d’animation.

Références bibliographiques

Altet, M. (2002). Une démarche de recherche sur la pratique enseignante : l’analyse plurielle. Revue française de pédagogie, 138, pp. 85-93.

Altet, M. (2005). L’analyse des pratiques en formation initiale des enseignants pour développer une pratique réflexive sur et pour l’action. IUFM des Pays de Loire, Nantes: Collections Ressources, 8, pp. 28-34.

Kolb, D. (1984). Experiential learning: Experience as the source of learning and development. Englewood Cliffs, N.J.: Prentice Hall.

Lepage, J.-P., Robo, P. et Calmejane-Gauzins, C. (2014). L’analyse de pratiques professionnelles. Trois questions à Jean Pierre Lepage et Patrick Robo. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 4, pp. 35-41. http://www.analysedepratique.org/?p=1381.

Petignat, P. (2015). L’analyse des pratiques en formation initiale d’enseignants. Quelles perceptions, quelles mises en perspective ? In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 5, pp. 3-15. http://www.analysedepratique.org/?p=1585.

Thiébaud, M. (2017). Mettre en place un groupe d’analyse de pratiques qui fasse sens et inspire confiance. Quels défis ? Quels repères ? Quels chemins ? In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 10, pp. 9-22. http://www.analysedepratique.org/?p=2431.

Thiébaud, M. (2015). Animer un groupe d’APP, ça s’apprend. Oui mais comment ?
In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 5, pp. 31-47. http://www.analysedepratique.org/?p=1681.

Thiébaud, M. (2013). Multiples bénéfices de l’analyse de pratiques professionnelles en groupe : quels éléments clés les favorisent ? In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 1, pp. 61-72. http://www.analysedepratique.org/?p=54.

Thiébaud, M. (2003). Supervision, coaching ou APP ? Les pratiques d’accompagnement formateur se multiplient. Psychoscope, Journal de la Fédération Suisse des Psychologues FSP, 10, pp. 24-26. http://www.animer.ch/wp-content/uploads/art-accomp-formateur.pdf.

Thiébaud, M. (2001). Groupes d’analyse de pratiques professionnelles. Présentation résumée.  http://www.formaction.ch/wp-content/uploads/thiebaud-groupe-analyse-de-pratiques-presentation-resumee.pdf.

Thiébaud, M. et Bichsel, J. (2019). Temps « méta » dans les groupes d’analyse de pratique.
In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 14, pp. 97-112. http://www.analysedepratique.org/?p=3190.

Thiébaud, M. & Bichsel, J. (2015). Faciliter la coopération au sein de groupes et d’équipes professionnelles. Communication présentée à la Biennale de l’éducation au CNAM à Paris le 1er juillet 2015. http://www.cooperer.org/wp-content/uploads/faciliter-cooperation-thiebaud-bichsel.pdf.

Thiébaud, M. et Robo, P. (2014). Comment aborde-t-on dans l’APP la question de la tendance à demander / donner des solutions, savoirs d’expert ou conseils ?
In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 2, pp. 74-90. http://www.analysedepratique.org/?p=993.

 

Annexes

Annexe 1 : exemples d’habiletés travaillées dans la formation

Sens partagé

  • Mettre en place un groupe d’APP et faire un contrat
  • Expliciter les finalités du travail, clarifier le sens de ce qui est fait
  • Préciser les objectifs de chaque étape de la démarche

Organisation

  • Organiser en concertation le déroulement d’une séance d’APP
  • Préciser avec le groupe le cadre et les règles pour l’APP
  • Structurer les étapes du travail et en assurer le bon déroulement (mise en œuvre de chaque étape, transitions entre les étapes, etc.)

Implication

  • Intégrer tous les membres du groupe et les aider à s’impliquer
  • Reconnaître et aider le groupe à reconnaître les apports de chacun
  • Prendre en compte et favoriser la prise en compte des besoins et vécus affectifs de chacun

Production

  • Aider à faire des tris et à dégager l’essentiel selon besoin
  • Canaliser ou recentrer au besoin les échanges
  • Stimuler la production d’analyse multiples par les membres du groupe, sous plusieurs angles de vue

Relations

  • Ecouter activement, avec empathie et favoriser l’écoute mutuelle au sein du groupe
  • Faciliter la circulation de la parole dans le groupe, fonctionner au besoin comme modérateur ou stimulateur de la parole
  • Valoriser le respect et l’authenticité dans le groupe
  • Faciliter la synergie des apports de chaque personne dans le groupe

Réflexivité      

  • Prendre du recul, analyser les processus du groupe et favoriser les régulations qui peuvent s’avérer nécessaires
  • Prévoir et animer les temps de bilan (d’une séquence d’APP, du fonctionnement du groupe, etc.)

Animation générale

  • Développer une posture de facilitation, centrée sur le groupe
  • Savoir ajuster son style d’animation (interventions plus ou moins directes ou indirectes, plus ou moins directives ou non directives) en fonction des besoins et du groupe
  • Ajuster les modalités de travail et ses interventions aux caractéristiques du groupe (maturité, compétences collectives, dynamique relationnelle, etc.)
  • Faciliter l’apprentissage de la démarche d’APP par le groupe
  • Tenir compte de l’environnement (institutionnel, physique, etc.)

Annexe 2

Exemples de questions apportées par les participants dans les séances d’accompagnement   

Questions en lien avec le sens partagé et la finalité :

Comment tenir compte de l’obligation versus du volontariat ? Comment faire avec des étudiants qui ne sont pas volontaires mais qui sont obligés de participer à une APP dans le cadre de leur formation initiale ?

Que faire lorsque l’exposant attend des solutions mais ne demande pas un travail d’analyse dans le groupe ?

Faut-il mettre la demande de l’exposant au centre ou non ?

Quels sont les types de demandes formulées par l’exposant qui n’amènent pas à une APP ?

Quels sont les avantages et les désavantages d’avoir un groupe d’APP dont les participants travaillent dans la même équipe et la même institution ?

Questions en lien avec l’organisation et les modalités de travail :

Comment définir la durée d’une séquence d’analyse de pratiques ? Et son rythme ? Dans quelle mesure faut-il les prédéfinir ou les garder souple ?

Comment faciliter la transition d’une étape à l’autre dans une séquence d’APP de manière claire ?

Dans quelle mesure faut-il intervenir en tant qu’animateur, lorsque par exemple un participant pose une question alors que ce n’est plus le temps des questions ? Comment intervenir ?

Comment choisir les modalités de travail les plus adaptées en fonction des situations et pratiques apportées par l’exposant ?

Quelles méthodes, quels outils peut-on utiliser dans une analyse de pratiques ? Pour quels bénéfices ?

Comment structurer le déroulement de l’analyse de pratiques sans enfermer ou tuer la dynamique et la spontanéité du groupe

Questions en lien avec la production des analyses :

Comment formuler des hypothèses, apporter des lectures et éclairages sans donner de pistes d’action ?

Quels moyens permettent de développer la capacité d’analyse des participants d’un groupe d’APP ?

Comment aider le groupe à approfondir l’analyse, lorsqu’il semble que toutes les hypothèses ont été énoncées ?

Quels moyens peut-on mobiliser pour aider à débloquer le groupe par exemple lorsque la participation et la production d’analyses sont faibles

Questions en lien avec les relations, le climat de travail et l’implication des participants :

De quelle manière favoriser la circulation de la parole dans le groupe durant l’analyse ? Quelle place donner à l’exposant durant l’étape de production d’hypothèses de compréhension ?

Comment prendre soin du groupe dans la durée, lorsqu’il y a des départs et des arrivées ? Comment intégrer un nouveau membre dans un groupe déjà constitué ?

Comment repérer ce qui se passe au niveau de la dynamique de groupe dans le but de prendre soin de chaque participant ?

Comment travailler avec les émotions vécues par l’exposant ou les participants ? Quelle place leur donner ? Jusqu’où aller ?

Que faire lorsque personne résiste et ne veut pas s’impliquer dans l’analyse de pratiques ?

Questions générales en lien avec l’animation et la mise en place d’un groupe d’APP :

Comment tenir compte des différentes attentes présentes parmi les participants au moment de mettre en place un groupe d’APP ?

Comment présenter l’APP à des personnes qui n’en ont pas connaissance ?

Quel cadre instaurer dans un groupe qui démarre ? Quelles interventions de l’animateur avec quels effets sur la constitution et la dynamique du groupe ?

Animation : à quel moment relancer, intervenir au niveau de la dynamique collective ?

À quoi être attentif en priorité en tant qu’animateur/animatrice ?

Quand et comment réguler lorsque par exemple le cadre n’est pas respecté ?

Comment faire pour que les participants ne considèrent pas l’animateur comme un expert qui sait analyser mieux que les participants)

Comment faire lorsque l’on a plusieurs rôles, plusieurs casquettes au sein de l’institution dans laquelle a lieu l’APP ?

 

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Notes

 

[1] Groupe d’Entraînement à l’Analyse de Situations Educatives ; Groupe de Formation à l’Analyse de Pratiques Professionnelles ; Analyse Réflexive de Pratiques Professionnelles En Groupe d’Echange.