Michaela Knuchel-Bossel

Formatrice, enseignante, animatrice d’APP
m.knuchel-bossel[arobase]hep-bejune.ch


Résumé

Ce témoignage apporte un éclairage sur le vécu de l’auteure durant la première formation certifiante à l’animation de groupes d’analyse de pratiques professionnelles (APP) développée à la Haute Ecole Pédagogique de Berne, Jura et Neuchâtel en Suisse. Différents moments de formation sont décrits, ainsi que le cheminement suivi et les apprentissages qui en ont résulté. La métaphore du macramé rend compte d’une conception de l’APP développée par l’auteure.

Mots-clés 

formation, animation, réflexivité, multidimensionnalité, présence

Catégorie d’article 

Témoignage

Référencement 

Knuchel-Bossel, M. (2019). La formation à l’animation de groupes d’APP : une initiation au macramé. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 15, pp. 138-146. http://www.analysedepratique.org/?p=3373.


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Training in the animation of groups of professional practices analysis (PPA) : an introduction to macrame
Abstract

This testimony sheds light on the author’s experience during the first certifying training in the facilitation of PPA groups developed at the Haute École Pédagogique of Berne, Jura and Neuchâtel in Switzerland. Different moments of the training are described, as well as the path taken and the learning that followed. The macrame metaphor reflects a conception of the PPA developed by the author.

Keywords

training, animation, reflexivity, multi-dimensionality, presence


 

1. Contexte et objectif de la formation

J’ai fait partie de la première édition de la formation CAS AGAPP[1], mise en place par la Haute Ecole pédagogique (HEP) de Berne, Jura et Neuchâtel en Suisse en 2015-2016. J’avais été invitée à m’y inscrire par le directeur de mon lycée qui souhaitait créer une culture de l’analyse de pratiques professionnelles (APP PP) au sein de son établissement. Je savais que je m’engageais dans une formation exigeante et chronophage. En conséquence, lorsque l’organisation de la formation nous a été présentée le premier jour, avec la clarification de ce que représentaient toutes les APP à vivre et à animer en dehors de nos rencontres planifiées, j’ai d’abord eu peur de ne pas pouvoir concilier toutes ces échéances avec mon emploi du temps privé et professionnel.  Mais ensuite, j’ai accepté de m’engager dans ce processus. Mon accord a été à la fois pragmatique – au fond, je savais dans quoi je m’engageais, même si je n’en mesurais pas toutes les implications – et fondé sur la compréhension de la nécessité de la pratique de l’APP.

Car la couleur de la formation était ainsi donnée, ou plutôt les couleurs (voir Bichsel, Petignat & Thiébaud, 2019) :

  • différents modèles théoriques et pratiques d’APP, présentés par des référents extérieurs à la formation mais aussi par Jürg Bichsel et Marc Thiébaud, les animateurs du CAS ;
  • la théorie au service de la pratique ;
  • de la pratique dans des contextes différents : groupe de pairs, groupe d’accompagnement, groupe externe ;
  • les APP vécues dans chaque position : animatrice, exposante, participante, observatrice.

2. Comment j’ai vécu la formation…

La formation AGAPP est une formation expérientielle entrecoupée de modules théoriques, dans lesquels des intervenants extérieurs à la HEP présentent leur(s) modèle(s) d’APP. A titre d’exemples, Marguerite Altet nous a parlé de l’analyse de vidéos avec un animateur-expert, Patrick Robo de la technique des « Trois colonnes », Thérèse Perez-Roux de la centration sur la personne et son identité professionnelle et Yann Vacher de son dispositif ARPPEGE[2]. Chaque participant y a pris ce qui lui convenait, en se constituant ainsi une boîte à outils pour l’avenir. Les bénéfices de ces approches multiples me sont apparus plus tard, lorsque j’ai osé tenter, à petits pas, d’intégrer des apports de Patrick Robo et Yann Vacher dans mes animations.

Ce qui nous a accompagnés durant les 14 mois de formation, ce sont les demi-journées ou journées complètes du module d’accompagnement avec Marc Thiébaud et Jürg Bichsel, où l’accent était mis sur la pratique et où la théorie était « distillée » progressivement, souvent durant les moments « méta ». C’étaient ainsi les situations concrètes vécues en APP qui donnaient lieu à des mises en évidence, réflexions, compléments ou remises en question.

Les modules d’accompagnement débutaient souvent par des questions que les participants avaient posées, soit lors d’une précédente séance, soit par courriel avant la rencontre. Nous trouvions dans les discussions qui suivaient des réponses à nos interrogations mais aussi des pistes de réflexion que nous ne soupçonnions pas encore. Ainsi une activité de « mise en lien » servait toujours d’introduction à la journée ; non seulement nous y avons appris de multiples moyens d’animation et reçu des outils concrets, mais encore cela nous incitait à réfléchir à ce fameux lien entre les participants à l’APP, lien qui se crée dès les premières minutes de présence dans le groupe. Je me souviens d’une des toutes premières remarques de Jürg Bichsel lors du premier module : « Tout le monde devrait pouvoir prendre la parole dans les cinq premières minutes, sinon certains se tairont définitivement. » C’est devenu une règle pour moi.

Les animateurs du module d’accompagnement n’étaient pas toujours présents lors des séances avec les intervenants extérieurs. Les rencontres qui s’ensuivaient entre participants et animateurs du module d’accompagnement permettaient de partager « entre nous », d’entendre les réflexions de Marc Thiébaud et Jürg Bichsel, leurs perspectives sur les nouveaux outils et théories que nous avions reçus des intervenants. Cela nous montrait les opportunités qu’ils offraient ou clarifiait un ou l’autre élément problématique.

Les moments « méta », en cours ou à la fin d’une APP, étaient l’occasion de mettre le doigt sur une pratique d’animation, sur un phénomène de groupe ou sur un élément théorique plus prégnant. Ainsi nous avons passé beaucoup de temps à parler de l’objet de l’APP (projet, pratique, problème, préoccupation), de la nature de la demande au groupe et de sa clarification – pour l’exposant et pour le groupe ! –  de sa « qualité » pour pouvoir amener une vraie analyse des pratiques et non une étude de cas ou autre échange d’expériences. Nous nous sommes également interrogés sur le sens de l’APP, sur le cadre à mettre en place, sur la question : « l’APP au service de qui ? » ; et évidemment sur les différentes compétences de l’animatrice et de l’animateur à développer.

De ces modules, certaines phrases me reviennent régulièrement lorsque j’anime des APP :

« Si les pratiques ne sont pas questionnées, elles ne sont pas analysées. »

« La seule règle indispensable : que chacun puisse exprimer au besoin sa frustration. »

« Une APP, c’est un temps sur un chemin… »

« L’APP n’est pas faite pour résoudre une situation de crise. »

« Dans une APP, l’émotion est notre alliée. »

Si je réfléchis à ce que cette organisation du CAS m’a apporté, la première chose qui me vient à l’esprit est celle d’une mise en abyme : la formation propose de réfléchir à la pratique de celui qui amène d’autres à réfléchir à leurs pratiques. La posture réflexive de l’enseignant par exemple (seul public que je connaisse en APP jusqu’à présent) est valorisée comme faisant partie d’une démarche professionnalisante, car la construction d’un savoir expérientiel nouveau a lieu à travers la prise de conscience de sa pratique. Cette prise de conscience peut se faire de différentes manières, l’une d’entre elles étant les APP. Le nouveau savoir se construit alors par l’analyse de la pratique qui apporte une compréhension nouvelle grâce à la fois aux multiples regards des participants et à l’expression des émotions, rendue possible par le cadre sécurisé. La posture de l’animateur de groupe d’APP est soumise à cette même contrainte de posture réflexive. Oui, je choisis à dessein les termes de « soumis » et de « contrainte ». Il est devenu essentiel pour moi, depuis la fin de la formation, d’avoir des moments d’intervision pour réfléchir à ma pratique d’animation. Certes, j’y réfléchis aussi toute seule, je m’interroge, je cherche des explications théoriques. Mais la confrontation avec d’autres m’empêche de ronronner, de me satisfaire de ce qui est. Elle me pousse à oser, à varier, à bousculer, bref, elle me permet de me professionnaliser dans ma pratique d’animation.

Durant la formation, nous nous retrouvions régulièrement, nous parlions de nos animations, nous avions les moments méta. Maintenant, nous sommes seuls et nous menons notre réflexion seuls, sans le regard porteur et enrichissant des autres. Je suis triste qu’il soit si difficile de se rencontrer pour des intervisions. Certes, ce sont des moments de rencontre qui s’ajoutent à des agendas déjà chargés et en ce sens, ce sont des contraintes, mais ma courte expérience d’animation m’a montré à quel point il est facile de se contenter de ce qui va ou de ne pas chercher trop loin ce qui va moins bien. Il en va de la professionnalisation de notre pratique d’animateur et d’animatrice.

Ce qui me reste également, c’est cette incitation à chercher des explications dans la littérature. Il n’y a pas une seule approche de l’APP, une manière d’animer et de vivre des APP. Chaque modèle qui nous a été présenté dispose de références théoriques qui peuvent m’être utiles pour comprendre une situation, et chaque situation peut me renvoyer à mes propres références théoriques, « extérieures » à la formation. Au fil des APP, j’ai cherché des explications chez Rogers (1968 ; 1996) lorsque le problème était celui de la centration sur la personne de l’exposant ; chez Faingold (2005 ; 2014) quand il s’est agi d’inciter les participants à la multidimensionnalité ; chez Kaës (2005 ; 2006) pour les questions de transfert ; etc. Je prends toujours plus conscience que j’ai besoin de cette assise théorique. Elle me donne confiance pour adapter et – j’espère – améliorer ma pratique en comprenant toujours mieux ce qui se joue dans le groupe. Il ne s’agit pas de me poser en experte qui détient les réponses, mais plutôt d’être en mesure de percevoir, par exemple, un transfert et le contre-transfert qui en résulte, pour ensuite adapter mon animation à cette réalité.

3. Ce que j’ai vécu dans les APP…

Il était intéressant de vivre les APP dans les différents groupes organisés par la formation. Nous pouvions y expérimenter différentes positions (exposant, animateur, participant, observateur) et donc varier la perspective sur l’analyse de pratique. J’y ai vécu des moments intenses, parfois presque magiques, mais aussi des blessures.

Les membres des groupes d’accompagnement, y compris celui des deux animateurs qui encadrerait chaque groupe, ont été déterminés par Jürg Bichsel et Marc Thiébaud. Nous y avons appris à connaître les membres de notre groupe et au fil des rencontres, nous nous sommes apprivoisés. Le groupe s’est constitué, la confiance a grandi et par là, le sentiment de sécurité nécessaire s’est installé. Les changements dans la composition de ces groupes (de participants et/ou d’animateur) nous ont donné l’occasion d’expérimenter des situations somme toute banales, mais dont les effets nous dépassaient sur le moment. Je pense à une APP avec les deux groupes d’accompagnement mélangés, où naïvement, nous pensions ne pas devoir redéfinir le cadre – finalement, nous nous connaissions depuis une année ! – et où l’analyse a été pour ainsi dire impossible parce que nous fonctionnions différemment dans nos groupes respectifs et que le sentiment de sécurité n’avait pas pu se déployer. Des participants ont été blessés, d’autres frustrés… mais en prendre conscience a été formateur !

Dans mon groupe de pairs, nous procédions comme dans les groupes d’accompagnement : une ou deux APP avec des moments « méta », soit pendant, soit après l’APP. Des questions y surgissaient que nous discutions parfois vivement et que nous apportions ensuite dans les modules d’accompagnement. Le retour bienveillant des pairs renvoyait chacun à sa pratique d’animation mais aussi, comme d’ailleurs dans tous les groupes auxquels nous participions, à ce que peut vivre chaque participant des APP que nous animons. Une situation dans mon groupe de pairs, où j’étais participante, m’a fait vivre la blessure de n’être pas reconnue dans ce que je m’imaginais apporter au groupe. Là également, le fait d’en prendre conscience a changé ma manière de voir le participant comme étant présent au groupe avec tout son être, ses émotions, ses besoins, son besoin de reconnaissance. J’ai alors relu Rogers (1996) qui envisage les relations au sein du groupe avec les principes de base qui fondent toute son approche humaniste : la congruence, l’acceptation totale et inconditionnelle de l’individu, la liberté. J’ai également ressenti, comme de manière incarnée, que l’exposant doit être au centre du processus et qu’il me revient, en tant qu’animatrice, de le lui garantir. Pour reprendre les termes de Rogers (1996, pp. 47-48) : « Je veux qu’il sente dès le départ que s’il prend le risque de dire quelque chose de très personnel ou d’absurde ou d’agressif ou de cynique, il y aura toujours au moins une personne dans le cercle qui le respectera assez pour bien l’écouter et pour prêter l’oreille à ses propos comme à l’expression authentique de lui-même ».

Le troisième groupe, que nous animions en duo, était externe. Les participants faisaient partie soit d’un autre CAS de la HEP, soit d’un établissement scolaire. Avec une certaine angoisse, nous animions nos premières APP en dehors des séances de formation proprement dite, sans filet. Avec mon amie Santina Ieronimo Thikomirov, nous avons fonctionné dans notre co-animation en alternance : nous avons convenu avant chaque rencontre qui de nous animera l’APP, le rôle de l’autre étant d’en observer le déroulement tout en se permettant des interventions ponctuelles. La préparation à l’animation s’est faite individuellement, sans concertation. A la fin de chaque séance, nous avons fait un débriefing. Notre expérience avec ce groupe a été très gratifiante. Nous n’avons pas connu de difficultés dans l’accompagnement, nous n’avons pas vécu de « moments délicats », de débordements d’émotions, de confrontations. Nous avons pensé alors que la bonne cohésion de notre groupe, à laquelle nous estimions tout de même avoir contribué, était la condition essentielle à ce fonctionnement « idéal » des APP, sans prendre tout à fait la mesure de ce qui s’était joué d’autre dans le processus.

Après réflexion, nous avons constaté que notre préparation à la co-animation des APP avec notre groupe avait été insuffisante. Les aspects que nous avions anticipés relevaient uniquement de la définition de nos rôles respectifs : une co-animation séquentielle, l’alternance se faisant d’une APP à l’autre. Cette formule convenait bien aux débutantes que nous étions. Nous avons aujourd’hui pris conscience de la simplicité de notre collaboration. A l’avenir, nous devrons prendre le temps de réfléchir à nos forces et faiblesses, de manière à construire la meilleure complémentarité possible. Il nous semble que beaucoup d’éléments de la co-animation en découlent (voir Thiébaud, 2017). Nous ne pouvons pas encore nous prononcer sur les éléments propices aux groupes à venir, mais nous souhaitons prendre en compte dans notre collaboration future la complexité toujours présente dans une APP, et aller ainsi au-delà d’une apparente simplicité.

Dans tous les groupes auxquels j’ai participé durant cette formation, j’ai pu expérimenter la bienveillance, mais aussi ce qui peut l’accompagner, à savoir le confort qui retient de dire les choses qui pourraient éventuellement bousculer, remettre en question, voire faire mal. C’est à ces moments-là que les interventions de nos formateurs nous poussaient à dépasser ces craintes, car en expérimentant ce qui se passe lorsque quelqu’un bouscule, nous comprenions que la grande force de notre bienveillance est justement de libérer la parole pour permettre l’exploration de toutes les dimensions de la situation et surtout de la pratique de l’exposant, même celles qu’on n’aborde pas volontiers.

Les moments magiques étaient des sortes de « Aha-Erlebnisse » [3] comme on dit en Gestalt, des « révélations » de ce à quoi on peut arriver en groupe, en associant nos réflexions pour parvenir à une compréhension commune de la situation. Je pense qu’on peut parler d’intelligence collective qui se met en place petit à petit, comme un apprentissage du « réfléchir ensemble ». Au moment d’écrire ces lignes, il me vient la métaphore du macramé – pas du tricot, on y travaille avec un seul fil ; pas du tissage, on y travaille avec un fil qui en croise d’autres. Pour réaliser un macramé, on prend plusieurs fils, on les entrecroise, on en laisse certains au repos un moment pour les reprendre plus tard, on doit tenir compte de ce qui a été fait avant pour continuer et finalement, au fil des croisements complexes se dessine un motif compréhensible. Ces moments magiques sont si intenses, si jouissifs qu’on aimerait bien, comme animateur, les vivre et les faire vivre lors de chaque APP. Il y a à mon sens un danger à attendre la magie, à se mettre la pression pour l’atteindre ! L’intelligence collective, telle que je l’ai expérimentée, est furtive : elle se révèle lorsque certaines conditions sont réunies et rien ne garantit qu’à la prochaine APP, elles le soient à nouveau. Car il ne s’agit pas que du cadre, ou que de la multidimensionnalité, etc. ; il y a encore pour moi un mystère dans l’émergence de l’intelligence collective. En tant qu’animatrice, je peux mettre en place différents dispositifs pour favoriser cette émergence, mais il y’a toujours d’autres aspects qui entrent en jeu et il peut toujours survenir un élément perturbateur qui la rendra improbable, pour ne pas dire impossible.

4. Ce que j’ai appris à faire…

Dans mon travail personnel de fin de formation, j’énumérais mes compétences en développement, tout en étant consciente que chaque compétence a besoin d’être nourrie par l’échange, les lectures, les formations continues et l’expérience réfléchie. Voilà ce que j’écrivais :

  • J’ai acquis une certaine rigueur dans la démarche tout en étant capable de souplesse pour m’adapter à l’exposant et au groupe.
  • Je suis attentive à accompagner l’exposant (et le groupe) là où il va, en partant de là où il est, et non là où je souhaiterais aller.
  • En tant qu’animatrice, je ne suis pas au centre du processus, je ne dois pas produire de l’intelligent mais de l’intelligibilité ! Je suis plus à même qu’au début de la formation de me tenir en retrait pour concentrer mes interventions sur ce qui peut produire de l’intelligibilité.

Je me retrouve dans ces compétences que je continue à développer. J’éprouve beaucoup de satisfaction – même de fierté – lorsque j’accomplis un acte d’animation et que je réalise que j’ai progressé dans l’une ou l’autre compétence.

La rédaction du travail de fin de formation m’a permis de mettre de l’ordre dans mes pensées, mes impressions et mes savoirs, de faire des liens entre tous les éléments acquis durant la formation mais aussi lors d’autres formations, de trouver l’adéquation nécessaire entre théorie et pratique. Je me rends compte que je peux appeler d’autres connaissances encore pour comprendre ce qui se joue dans l’APP, car si je suis profondément convaincue que les savoirs expérientiels sont essentiels, je pense pour autant qu’ils ne se déploient de manière consciente que s’ils reposent sur une assise théorique solide.

Je dois relever encore la question de la présence à soi et aux autres. Je dois apprendre et développer « ma présence à moi » pour être entièrement présente pour les autres. Lorsque je me prépare à animer une APP, je me rappelle que je n’ai pas d’attentes de réussite, mais l’intention de tout faire pour que l’APP se déroule bien. Cette différence entre attentes et intention est pour moi essentielle, car elle me permet de ne pas me centrer sur moi et ma « performance » mais sur le processus. Mais cela ne veut pas encore dire que je suis réellement présente, à l’écoute de ce qui se passe en moi, autour de moi à l’instant présent, sans me laisser happer par ce qui s’est passé avant ou pourrait se passer après. Il me semble que ce n’est qu’en développant cette présence à moi que je serai capable de déployer toute mon attention pour percevoir, saisir ce qui ne se dit pas mais qui se montre dans des manifestations souvent infimes, un souffle, une nuque qui se courbe, un dos qui se relâche… et pour garder toujours présent à mon esprit que je n’ai pas accès à la subjectivité de l’autre, qu’il communique peut-être autre chose que les mots qu’il prononce.

Aujourd’hui, je pratique toujours un moment de méditation avant de rencontrer mes groupes d’APP. Durant ces instants, je suis attentive à ce qui se passe en moi et je trouve un apaisement à des préoccupations qui pourraient venir parasiter mon animation. Je n’expérimente pas encore cette présence à moi durant toute la rencontre, mais périodiquement, j’arrive à me poser la question « Juste là, maintenant, qu’est-ce qui se passe pour toi ? ». La difficulté que j’éprouve est celle de m’éloigner momentanément du « contenu » de l’APP pour me concentrer sur mon ressenti, sur le processus, sur les participants, sur ce qui ne se dit pas. Je crains de ne pas entendre quelque chose, de manquer une intervention.

Ma posture d’animatrice est également un sujet qui me préoccupe aujourd’hui, bien plus que pendant la formation. Accompagner un groupe d’APP, c’est finalement toujours un acte singulier. Ma posture n’est jamais acquise, elle est toujours en ajustement : entre proximité et distance ; entre tenir un cadre – donc exercer un pouvoir – et « créer du vide », comme le dit Jürg Bichsel ; entre être attentive à toutes les dimensions des processus de groupe[4] et garder une attention flottante ; entre garantir la sécurité et bousculer pour avancer ; entre contextualiser et décontextualiser.

Je me suis beaucoup interrogée sur le récit que fait l’exposant de sa situation. Il choisit un moment dans une vie foisonnante, en fait une narration partagée. Déjà là, a lieu un travail de compréhension de sa propre histoire, de sa manière de fonctionner. Le questionnement des autres participants le mène souvent plus loin dans cette compréhension, alors même que son récit résonne en chaque participant. Mon rôle d’animatrice-accompagnante est de permettre d’aller le plus loin possible dans cette compréhension partagée, dans l’élaboration d’un savoir en même temps que se disent les choses. Je souhaite que ma posture soit celle d’une animatrice-facilitatrice du récit, du questionnement, de l’émergence de l’intelligence collective et de tout ce qui, dans l’APP, peut surgir de manière plus ou moins explicite.

Et me voilà de retour à la nécessaire présence à moi et aux autres… A la fin de la rédaction de ce témoignage me vient l’évidence que tout est toujours lié.  Comme durant une APP, il s’est agi de déployer, de déplier, de mettre à plat ce que m’a apporté la formation AGAPP, dans toutes ses dimensions. Pourquoi ? Pour parvenir à une meilleure compréhension, à une intégration des savoirs, à une prise de conscience que je peux transférer dans ma pratique d’animation.

Références bibliographiques

Bichsel, J., Petignat, P. et Thiébaud, M. (2019). Apprendre à animer des groupes d’analyse de pratiques selon une approche expérientielle. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 15, pp. 117-137. http://www.analysedepratique.org/?p=3371.

Faingold, N. (2005). Explicitation, décryptage du sens, enjeux identitaires. Expliciter No 58, pp. 1-15.

Faingold, N. (2014). Un dispositif d’analyse de pratiques centré sur la question que se pose le narrateur. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 3, pp. 3-12.   http://www.analysedepratique.org/?p=1221.

Kaës, R. (2005). Groupes internes et groupalité psychique : genèse et enjeux d’un concept. Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, n°45(2), pp. 1-17. https://www.cairn.info/revue-de-psychotherapie-psychanalytique-de-groupe-2005-2-page-9.htm.

Kaës, R. (2006). L’affect et les identifications affectives dans les groupes. Champ psychosomatique, no 41(1), pp. 59-79. https://www.cairn.info/revue-champ-psychosomatique-2006-1-page-59.htm.

Rogers, C. (1968). Le développement de la personne. Paris : Dunod.

Rogers, C. (1996). Les groupes de rencontre. Animation et conduite de groupes. Paris : Dunod.

Thiébaud, M. et Bichsel, J. (2015). Faciliter la coopération au sein de groupes et d’équipes professionnelles. Communication présentée à la Biennale de l’éducation au CNAM à Paris. http://www.cooperer.org/wp-content/uploads/faciliter-cooperation-thiebaud-bichsel.pdf.

Thiébaud, M. (2017). Co-animer un groupe d’APP : quelles modalités de préparation et de mise en œuvre de la co-animation ? In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 11, pp. 4-17. http://www.analysedepratique.org/?p=2751.

 

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Notes

[1] Certificate of Advanced Studies en Animation de Groupes d’Analyse de Pratiques Professionnelles.

[2] Analyse Réflexive de Pratiques Professionnelles En Groupe d’Echanges.

[3] Concept issu de l’approche de la Gestalt, moment durant lequel s’opère un « insight », une reconnaissance, une compréhension subite.

[4] Selon Thiébaud & Bichsel (2015), le sens partagé, l’organisation et les modalités de travail durant la séance, les relations entre participants et leur implication dans le groupe représentent quatre dimensions essentielles des processus collectifs, dont l’interdépendance peut être symbolisée par un tétraèdre.