Serge Weber

Chargé d’enseignement, HEP Vaud, Lausanne,
Coach indépendant, Suisse
serge.weber@hepl.ch

Valérie Chazalon

Art-thérapeute,
Alès, France
valerie-chazalon@orange.fr

Magali Fontanille

Facilitatrice de l’intelligence collective – Accompagnement & Coordination de dynamiques coopératives, Montbazin, France
contact@magali-fontanille.com

Sabine Leroy

Infirmière de l’éducation nationale, Nancy, France
Sabine.Leroy1@ac-nancy-metz.fr

Mathieu Wailly

Chargé de mission filière développement des compétences, concepteur en formation pour adulte, Officier de Sapeurs-pompiers professionnel au SDIS 71
Concepteur en formation pour adulte, Paray le Monial, France
mwailly@sdis71.fr

Sara Creissen

Adjointe de direction – Responsable de formation, ISFEC, Montpellier, France

Maître de conférences associé en Psychologie, Laboratoire Epsylon, EA 4556, Université Paul-Valéry Montpellier 3, France
sara.creissen@gmail.com

 

Résumé

Un stage de formation de niveau 2 en Analyse de Pratiques Professionnelles et démarches d’accompagnement proposé par Maela Paul et Patrick Robo en octobre 2021 a fait se rencontrer des participant·e·s de divers milieux professionnels. Six d’entre elles et eux ont poursuivi la démarche d’accompagnement en écrivant chacun·e un récit qui relate un élément saillant vécu lors du stage. Ils·elles viennent de Suisse, de Nancy, du Sud de la France. Cet article expose ce cheminement collectif autour des récits et de l’accompagnement mis en place dans l’écriture et l’analyse de ceux-ci. Trois dimensions se retrouvent de manière marquée dans la majorité des récits : le questionnement, la sécurité et la posture d’accompagnement. Ces dimensions sont analysées et éclairées par des éléments de littérature.

Mots-clés 

posture d’accompagnement, questionnement, sécurité, démarche

Catégorie d’article 

Témoignage ; texte de réflexion en lien avec la pratique

Référencement 

Weber, S., Chazalon, V., Fontanille, M., Leroy, S., Wailly, M. & Creissen, S. (2022). Formation à l’analyse de pratiques professionnelles et l’après : regards croisés. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles. 23, 94-111. https://www.analysedepratique.org/?p=5488.


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Training in the analysis of professional practices and the aftermath : crossroads
Abstract

A level 2 training course in Professional Practice Analysis and accompaniment proposed by Maela Paul and Patrick Robo in October 2021 brought together participants from various professional backgrounds. Six of them continued the coaching process by each writing a story about a salient element experienced during the course. They come from Switzerland, Nancy and the South of France. This article describes the collective process of writing and analysing the stories and the support provided. Three dimensions are found in a marked way in the majority of the stories: questioning, security and the posture of support. These dimensions are analysed and clarified by elements of the literature.

Keywords

accompanying posture, questioning, security, approach


A formação em análise de práticas profissionais e as suas consequências: uma visão transversal
Resumo

Em outubro de 2021, Maela Paul e Patrick Robo organizaram um curso de formação de nível 2 em Análise da Prática Profissional e abordagens de coaching, que reuniu participantes de várias origens profissionais. Seis deles seguiram a abordagem de coaching, escrevendo cada um deles uma narrativa que relata um elemento relevante vivido durante o curso. São oriundos da Suíça, de Nancy e do sul de França. Este artigo descreve o caminho coletivo em torno das narrativas e do apoio realizado na sua escrita e análise. A maioria das narrativas é marcada por três dimensões: o questionamento, a segurança e a postura de apoio. Essas dimensões são analisadas e esclarecidades por elementos da literatura.

Palavras-chave

postura de apoio, questionamento, segurança, abordagem


 

1. Introduction

Cet écrit collaboratif à douze mains a vu le jour à la suite d’une formation de niveau 2 en Analyse de Pratiques Professionnelles (APP) et démarches d’accompagnement proposée par Maela Paul et Patrick Robo, en octobre 2021[1]. L’écrit que nous vous proposons a répondu au souhait que nous avions de rester en lien après la formation et de continuer à cheminer ensemble. Il s’est aussi révélé être un support particulièrement profitable pour affiner notre réflexion sur l’APP et les démarches d’accompagnement.

La méthodologie de rédaction de cet article s’est déroulée en quatre temps. Au temps 1, nous avons toutes et tous rédigé un récit en réponse à la question suivante : quel serait l’apport saillant et/ou questionnant restant de la formation ? Il s’agissait donc de se repasser en tête le film de la formation pour en identifier un élément saillant/questionnant. Ces récits témoignent donc de certaines prises de conscience et déplacements pouvant survenir durant et suite à une telle formation. Au temps 2, nous avons constitué deux trios dans le but d’échanger sur nos récits pour les rendre accessibles à toutes et à tous. Chacun des membres du trio a donc pu bénéficier de deux retours sur son écrit ainsi que d’un temps d’échange. Ces deux mêmes trios ont eu pour autre charge d’identifier dans l’ensemble des six récits les dimensions communes à ceux-ci. C’est au temps 3 que des binômes de travail ont été constitués pour travailler sur ces dimensions transversales aux récits et en réaliser une analyse référée à la littérature professionnelle et scientifique. Enfin, au temps 4, de nouveaux binômes se sont chargés de rédiger les parties introduction et conclusion de cet article. A noter que de nombreuses réunions en visioconférence nous ont permis de formaliser cette organisation de travail, de réguler notre fonctionnement et de négocier nos échéances de travail.

2. Les récits individuels

La partie suivante est constituée des six récits rédigés individuellement par les auteurs de cet article. Pour rappel, ces récits limités à une page environ, devaient tenter d’apporter une réponse à la question suivante : quel serait l’apport saillant et/ou questionnant restant de la formation ? Chacune et chacun de nous est entré dans l’écriture de son récit en fonction des apports de la formation. Un premier texte a été partagé aux deux autres collègues du trio. S’en est suivi avec le duo de relecteurs, une confrontation bienveillante par des questions de clarification et d’explicitation dans le but de permettre à l’auteur de peaufiner l’écriture du récit et d’aboutir à la version ci-dessous. Ce processus a été vécu par chacun des auteurs. Nous positionnons les auteurs selon les trios établis dans un ordre aléatoire. A savoir que Sabine, Magali et Serge appartiennent au premier trio, alors que Sara, Valérie et Mathieu sont issus du deuxième trio. Pour chaque récit, nous leur avons donné un numéro et un titre afin de faciliter la lecture de la deuxième partie lorsque nous revenons sur les différents récits.

2.1 Récit 1 Sabine : D’un cadre institué à un cadre instituant, à quelles conditions la co-animation devient-elle efficiente ?

La formation N2 en analyse de pratiques professionnelles animée par Patrick Robo et Maela Paul a été éclairante pour moi. Elle a permis de mettre en lumière des éléments de réflexion et des réponses à mes questionnements liés, notamment aux règles de fonctionnement. Depuis 2018, j’anime des ateliers d’analyse de pratiques professionnelles (AAPP[2]) auprès de mes collègues infirmières du département dans lequel j’exerce. En tant qu’animatrice, j’avais le sentiment, par moment, de ne plus maîtriser le flux des prises de parole des participantes, ce qui pouvait être générateur de tensions dans le groupe et d’un éloignement de la situation exposée. Lors de la formation à Narbonne, j’ai pris conscience que mon rôle d’animatrice était plus centré sur la forme, que sur le fond. Autrement dit, mon attention était plus focalisée sur le déroulé du processus que sur le contenu de ce qui était exprimé et comment il était énoncé par les collègues. En participant à une analyse de pratiques professionnelles animée par Patrick Robo, j’ai découvert qu’en posant des règles plus rigoureuses, la circulation de la parole des membres du groupe pouvait être mieux maîtrisée. Il suffisait par exemple, qu’en début de séance, je demande aux participantes de lever la main pour s’exprimer et de distribuer, à tour de rôle, leur prise de parole.

Dès le lundi suivant la formation, je devais co-animer un atelier d’APP avec un nouveau binôme. Il s’agit d’une collègue qui a l’habitude de fonctionner avec ce groupe de participantes. Elles se connaissent depuis de nombreuses années. Ma collègue animatrice et moi avions préparé le déroulement de la séance ensemble, avant ma participation au stage de Narbonne. Toutefois, nous n’avions pas évoqué nos vécus d’expérience, nos satisfactions, nos peurs ou nos échecs. Avec la découverte d’une autre façon d’animer, la formation m’a fait entrer en réflexivité sur ma posture d’animatrice. A la fin de ces quatre journées de stage, j’étais enthousiaste à l’idée de mettre en pratique les ajustements repérés.

Malheureusement, nous n’avons pas eu l’opportunité d’échanger sur mes prises de conscience et les améliorations que nous aurions pu apporter. J’ai décidé, malgré cela, d’apporter plus de cadre dans la distribution de la parole. Cette prise d’initiative a dérouté ma collègue qui s’est mise en veille pendant la co-animation et a refusé de poursuivre les ateliers avec moi. Pendant la séance, les participantes ont joué le jeu. A la fin de la journée, j’ai proposé une évaluation de cette nouvelle règle. Leur retour était plutôt positif. Certes, lever la main leur semblait trop scolaire, mais cette méthode leur a permis de s’écouter, de s’exprimer, d’entendre ce que chacune avait à dire. Elles ont avoué être plus disponible en fin de journée et ont pu remarquer l’absence d’apartés.

Cette expérience me questionne sur le fonctionnement du « couple » d’animatrices et sur la façon de réinvestir le contenu d’une formation lorsque son binôme n’y a pas participé. J’interroge également les objectifs communs et la place que chacune incarne en restant fidèle à ses convictions et ses valeurs. Comment gérer la tension entre la sécurité du groupe et celle de la co-animatrice ? Jusqu’à quels points doivent-elles être en accord ? Comment passer des résistances à une valeur ajoutée dans la co-animation ?

J’émets l’hypothèse que ma co-animatrice s’est sentie en insécurité devant ma prise d’initiative. Je regrette mon audace. Toutefois, sa mise en retrait lors de l’animation suscite un autre questionnement. Celui de la confiance que l’on accorde à son binôme. Une amélioration, que je pensais constructive et minime, a produit l’effet d’un tsunami chez ma collègue. Je n’en ai pris conscience que lors de notre débriefing. Je formule une seconde hypothèse en lien avec l’observation, durant la séance, d’un climat plus serein dans lequel chacune a pu s’exprimer calmement. Les participantes se sentent plus en sécurité si les animatrices proposent plus de rigueur dans la distribution de la parole.

La plus petite chose que je peux mettre en place maintenant est une réflexion sur le cadre institué et instituant[3] des analyses de pratiques. La sécurité du groupe et des co-animatrices est centrale. Elle peut mettre en tension l’ensemble du collectif. Le cadre apporte une sécurité essentielle dans le déroulé de l’analyse et sécurise la relation. Toutefois, à quelles conditions autorise-t-on l’évolution de ce cadre tout en le conservant sécure pour toutes et tous ? Quelle part accorde-t-on à l’anticipation ? Peut-il exister une place pour l’improvisation ?

2.2. Récit 2 Magali : Amener la confiance et la liberté d’expression par le cadre

Depuis quelques mois, je crée mon nouveau métier en expérimentant de nouvelles formes d’accompagnement de dynamiques coopératives, en tant que facilitatrice de projets (éducation populaire, intelligence collective, démocratie participative…). La formation d’APP m’a permis d’appréhender la notion de justesse dans l’accompagnement, notamment en osant expérimenter la co-animation d’un GFAPP[4] avec mes pairs… Deux situations m’ont permis de ressentir les effets qu’a pu avoir cette formation à Narbonne.

D’une part, et très rapidement la semaine qui a suivi la formation, j’ai pu mettre à profit cette assise de confiance en moi lors de ma certification de facilitatrice de l’intelligence collective[5]. Le cadre humaniste et bienveillant offert par cette démarche « intelligente » de certification (adhésion individuelle aux règles collectives, rituels de dynamiques de groupe, puissance du feed-back…) a fait écho au cadre proposé lors de la formation à Narbonne et m’a permis de me sentir en sécurité et d’exprimer mon plein potentiel. Sans essayer de « coller » à ce que l’on pourrait attendre de moi (comme proposé dans un cadre d’évaluation classique pour avoir une bonne note), j’ai pu réaliser les différentes épreuves en restant moi-même et notamment lors de l’épreuve théorique, présenter un processus d’échanges de pratiques (GEP[6]) tout en le mettant en perspective avec le GFAPP. Dans le cadre du GEP, les participants choisissent le type de feed-back qu’ils offrent au “porteur de cas” : synthèse de la problématique, qualités observées, hypothèses, ressenti émotionnel et corporel voir même conseils (ce que l’on s’interdit dans le GFAPP). Selon moi, il n’existe pas de concurrence entre les approches mais bien une complémentarité à explorer.

D’autre part, le mois d’après, j’ai eu l’opportunité de co-animer pour la première fois, la première séance d’un GASP[7]  sur le modèle du GFAPP, dans le cadre d’un espace famille d’un centre social. Pour moi, cette pratique a révélé l’importance de la juste posture des accompagnants garants du cadre posé. Pour cette première expérience, j’ai co-animé cet espace avec une collègue faisant partie du même GASP que moi. En amont de la séance, nous avons clarifié nos rôles à chaque étape du processus. J’ai posé le cadre de fonctionnement (principes, règles, déroulement) et elle a animé les étapes[8] , puis j’ai repris la main sur la phase de méta-analyse et j’ai conclu par un retour sur la séance vécue avec les participant·e·s. Remplie de cette nouvelle responsabilité et souhaitant animer au mieux le processus et assurer la dynamique de ce nouveau groupe, je nous ai observés agir : noter les éléments clés, ajuster le choix de nos mots, offrir la possibilité à tout moment et par chacun·e de revenir aux règles posées préalablement, choisir d’intervenir ou non… Au plus près d’une juste mesure, comme tissant de la dentelle, un exercice précis, rigoureux, fin et subtil. Cette observation a donné lieu à des régulations. J’ai notamment pu présenter un schéma des types de questions et hypothèses posées pour permettre aux participant.e.s de prendre conscience des champs explorés ou non. Une participante a même souligné qu’elle avait apprécié le cadre posé et respecté par tout·e·s. Elle avait déjà participé à un groupe d’analyse de pratiques dont elle était partie car elle s’était sentie jugée par ses pairs et par l’animatrice du dispositif. Ici, elle s’est sentie en sécurité.

Ces deux expériences ont mis en lumière l’importance de poser un cadre clair auquel chacun·e adhère, un espace délimité qui en son sein ouvre la liberté d’expression dans la confiance et la bienveillance. Me vient alors l’idée d’un néologisme postural vers une justesse dans l’accompagnement, celui d’ « accompagnance » !

2.3 Récit 3 Serge : La rigueur du cadre et du questionnement au service du collectif et de l’animateur

Lors de cette formation, pour moi continue, je me suis remémoré que poser un cadre est nécessaire, qu’accompagner le processus d’analyse incombe à mon rôle d’accompagnant et que je suis le garant du dispositif d’APP. Je passe alors en revue les APP que j’anime depuis 2015 dans mon institution, la Haute École Pédagogique du Canton de Vaud en Suisse (HEP Vaud) et je perçois deux tensions dans mes accompagnements :

  • de porter l’ensemble du dispositif dont notamment les gestions du temps, de la parole, du contenu et du respect des règles ;
  • d’avoir glissé vers une APP donnant des pistes à autrui plutôt que d’être resté concentré sur une APP privilégiant les phases de questionnement. Ces deux tensions m’invitent à modifier le déroulement des APP, en formation initiale des enseignant·e·s, afin de me décharger d’une partie de l’animation (modification du cadre) et rendre ce dispositif plus pertinent dans les phases de questionnement.

Je mets en œuvre, auprès de deux groupes différents, les deux tensions précitées :  celle du cadre avec différent·e·s gardien·ne·s et celle du questionnement. Avec le groupe d’étudiant·e·s en formation initiale je clarifie la dialectique des rôles de chacun·e dans l’analyse d’une situation au service du collectif et quatre personnes prennent des rôles de gardien·ne·s. Avec le groupe de formateurs, dans le module dont j’ai la responsabilité académique, j’évoque les glissements que nous avons pris dans les animations d’APP en travaillant plus souvent la phase des pistes (demande forte de nos étudiant·e·s) plutôt que les phases de questionnement et d’hypothèses.

La première tension de la formation que je relève comme saillante est le fait que l’APP permet à un groupe de se constituer comme collectif de travail pour autant que chacun·e puisse y trouver du sens et une responsabilité et de ce fait se sentir plus impliqué. Avec les deux groupes évoqués ci-dessus, je clarifie le cadre du protocole d’APP et distribue des rôles de gardien·ne·s du temps, de la parole, du contenu et du respect des règles[9] tout en explicitant le but de la démarche.

Le groupe d’étudiant·e·s a pleinement pris part à ces rôles durant le séminaire de formation à la HEP et j’ai identifié des effets bénéfiques quant à ma posture de formateur et animateur d’APP. En effet, comme je n’avais plus la totalité des rôles à porter, je me suis pleinement consacré aux propos de la personne accompagnée et à la gestion du protocole d’APP. Je suis également sorti moins fatigué et plus détendu et avec une certaine fierté du travail accompli par le collectif. Ce même groupe, trois semaines plus tard, prenait la responsabilité sur le « quoi de neuf[10] » et s’engageait en prenant les quatre rôles de gardien·ne·s cités ci-dessus.

Avec le groupe des formateurs, j’ai été le garant du processus d’analyse en distribuant des rôles, le collectif a bénéficié du garant du protocole, moi en l’occurrence, un collègue distribuait la parole, un dernier était le gardien du contenu. Ce cadre a permis à ce collectif, au cours de la séance, de faire le choix de poursuivre avec la démarche d’APP en formation initiale en prenant le soin de porter une attention particulière aux phases de questionnement plutôt que de glisser sur la phase de pistes dont les étudiant·e·s sont friands. Ce qui est intéressant avec ces deux situations, c’est qu’avant de me rendre à Narbonne, étant le seul formé en APP, je portais seul tout le dispositif d’accompagnement et prenais la responsabilité du cadre sans en déléguer certaines phases.

La seconde tension semble apporter une plus-value et être plus pertinente pour les participant·e·s en privilégiant les phases de questionnement plutôt qu’une phase de pistes. Les apports de la formation sur les techniques de questionnement ont montré qu’elles permettent « d’élucider » le problème directement par l’exposant·e plutôt que de passer par une phase de pistes. Les deux types de questionnement que je garde sont :

  1. celui de la clarification (qui, quoi, comment…) utilisée par l’écoute active pour clarifier les faits, les ressentis, les représentations et les intentions ;
  2. celui de l’explicitation de Vermersch (2019), qui tente d’élucider les mots du·de la exposant·e, en le·la questionnant sur ce qu’il·elle met derrière chaque mot utilisé.

Pour l’animateur d’APP que je suis, le fait que je sois plus au clair sur ces diverses phases de questionnement et des questions qui s’y rapportent, est primordial pour permettre à l’exposant·e et au collectif d’avancer avec le dispositif d’APP. Cette conscience retrouvée de ces questionnements m’a permis, avec le collectif de formateurs, de faire le choix de poursuivre la formation didactique avec de l’Analyse de Situations Professionnelles ASP[11] dont l’un des objectifs est le « savoir analyser[12] » en privilégiant les phases de questionnement plutôt que la phase des pistes demandées par nos étudiant·e·s. Je me réjouis de mettre en place ce nouveau cadre et de porter un regard sur les effets que ces questionnements auront sur les étudiant·e·s et leurs situations.

2.4 Récit 4 Sara : Douter, un geste au service de l’accompagnement ?

La formation N2 en Analyse de Pratiques Professionnelles, animée par Patrick Robo et Maela Paul, m’a permis de conscientiser deux catégories d’objectifs bien différents : des objectifs personnels et des objectifs institutionnels que je m’étais auto-prescrits. Institutionnellement, je me sentais dans le devoir de mettre au travail des problématiques au service d’un bien commun, de revenir au travail en étant force de propositions. Il me semblait nécessaire de pouvoir répondre à cette question : Comment cette formation allait pouvoir profiter à la structure (Institut de formation des professeur·e·s[13]) dans laquelle je travaille, qui rencontre actuellement de nombreux bouleversements ? Personnellement, après trois années d’accompagnement de groupes en APP je m’essoufflais un peu, me sentant figée dans une routine de fonctionnement. J’avais également besoin d’être rassurée et confortée dans ce que je mettais en œuvre. Mon questionnement de surface se situait dans l’appropriation de dispositifs d’APP, pensant que si leur maîtrise était bonne cela pourrait garantir une certaine sécurité aux personnes accompagnées et à moi-même.

Cette formation m’a rappelé que je devais accepter d’être habitée par le doute, que les incertitudes étaient un garde-fou et qu’il fallait que je continue à m’en saisir pour cheminer avec elles et non y trouver des solutions. Je pense que cet inconfort du doute est justement ce qui permet de lutter contre l’immobilisme, d’aller creuser toujours plus profond et d’expérimenter. Cette formation m’a permis de mettre en lumière une rigidité de fonctionnement dans laquelle je m’appliquais à entrer, pensant qu’elle garantirait la sécurité de tous et toutes. J’impute ce fonctionnement aujourd’hui à mon appropriation naissante de dispositifs d’APP et à un questionnement sur la signification que peut revêtir la posture d’accompagnatrice. Ainsi, il me semble que mon questionnement ne devrait pas tant résider dans la maîtrise parfaite de certains dispositifs d’APP que dans la liberté, habitée par le doute, dont je dispose pour leur mise en œuvre. Deux éléments sont primordiaux pour moi : me concentrer sur l’analyse de ce que je peux vivre en tant qu’accompagnatrice en APP ainsi que sur la signification de la posture d’accompagnatrice.

Sur ce dernier point, cette formation m’a invitée à réfléchir à ma posture d’accompagnatrice. Par la pluralité des casquettes dont je dispose et que j’utilise dans mon activité professionnelle (par exemple, docteure en psychologie, psychologue, adjointe de direction, formatrice et enseignante dans l’enseignement supérieur) je ne cesse de devoir spécifier avec laquelle je me présente et j’œuvre selon mes différentes missions. A la lueur de cette formation en APP niveau 2 et de la possibilité qui m’a été offerte de pouvoir présenter une situation professionnelle d’animation d’un groupe d’APP ayant posé problème, je me suis rendu compte qu’il me fallait spécifier les gestes professionnels à l’œuvre en APP comme la posture de lâcher-prise ou la gestion d’un groupe. Au stade de mon cheminement présent et à la suite de cette formation, je peux dire que je suis une formatrice avec pour nouveau geste professionnel celui de l’accompagnement dans deux référentiels : principalement celui de la Psychologie et ensuite celui des Sciences de l’Éducation (SE)[14]. J’aimerais, pour conclure, partager ce qui a fait toute la magie de cette formation, pour moi : l’inattendu des éléments saillants, le doute et le geste d’accompagnement, avec lesquels je suis repartie et de ce fait qui m’amènent plus loin que là où j’aurais pu aller seule.

2.5. Récit 5 Valérie : Le questionnement du questionnement qui questionne !

En amont de la formation N2 « Analyse de pratiques professionnelles et démarches d’accompagnement », Patrick Robo nous a posé deux questions, dont la suivante : « Quelle est la question que vous pose la pratique de l’accompagnement ? » Sur le moment, je n’ai pas su y répondre. Je n’avais pas de question.

Pendant la formation, j’ai eu la chance de présenter une situation. C’est seulement suite à ce moment que la question est venue. Elle concernait justement le questionnement.

Se questionner c’est avancer, mais quid du questionnement incessant ? Quelle est la place pour une respiration, une réflexion ? Le STOP, celui qui permet d’intégrer la question pour que celle-ci continue son exploration avant d’appeler la question suivante ? Toutes ces questions qui ne peuvent pas se poser, ni même se « pauser » pour cause d’embouteillage. Le point d’interrogation de la question précédente appelle trois nouvelles questions et ainsi de suite. Il en va de même pour le groupe et ses membres qui accompagnent l’exposant·e : la question posée enclenche aussi pour le groupe tout un flot de questions. A quel moment faut-il alors cesser de poser des questions ? Repartir de la formation et reprendre le flot de la vie quotidienne avec en toile de fond comme un bourdonnement.

Dans l’après-coup, l’après-formation, j’ai continué à me questionner au sujet des questions que l’on pose et que l’on se pose. Bien sûr, l’objectif n’est pas d’obtenir une réponse, mais d’avoir la bonne question, celle qui va toucher le nœud du problème. C’est seulement à ce moment que la pensée se remet en marche ; une ouverture sur de nouvelles pistes de réflexion devient possible. Mais alors, comment identifier LA bonne question ? Pour celui ou celle qui propose la situation, il s’agit d’un cheminement, accompagné par le groupe mais surtout par les questions du groupe. En effet, ce sont bien ces questions qui balisent le chemin de la pensée. LA bonne question, il se peut qu’elle ne soit jamais perçue – c’est ce qui m’est arrivé. Je n’ai pas identifié la question qui a débloqué la situation – mais peut-être que LA bonne question est l’ensemble de toutes les questions posées. Elles sont le processus qui permet à la pensée de cheminer, de se dérouler. Une situation professionnelle qui pose problème serait alors une situation qui ne questionne pas assez. Lorsqu’il n’y a plus de question, la réflexion est à l’arrêt et aucune piste de solutions n’est possible. Au fait, quelle était la question ?

2.6. Récit 6 Mathieu : Suis-je réellement accompagné en tant qu’accompagnant ?[15]

La formation de N2 organisée à Narbonne m’a permis de rencontrer des personnes issues de mondes professionnels, institutionnels et associatifs différents. J’ai découvert que ce groupe hétérogène partageait deux axes communs : une envie d’accompagner individuellement et collectivement des personnes ; et une volonté de renforcer les compétences pour accompagner l’autre dans une démarche d’amélioration continue.

Cette formation est construite sur des moments d’échanges et de partage dans la co-construction d’une réponse adaptée pour nourrir notre développement. Les échanges doivent avoir un sujet central, un vécu subjectif servant de base pour guider l’accompagnement et la mise en mouvement de nouvelles techniques. J’étais le premier à partager un moment vécu à l’ensemble du groupe. Un évènement passé traumatisant dans le cadre de mon activité professionnelle dans la sécurité civile. Le fond de mon exposé mettait en exergue un manque de reconnaissance de mon institution face à cet évènement. Sans filtre, ni retenue, j’ai pu exprimer ce sentiment qui au fond de moi me ronge encore.

Au fil des APP, je me suis rendu compte que de nombreux sujets explicités tournaient autour d’un même sujet : le manque de reconnaissance dans nos démarches d’accompagnement ou dans le cadre de notre activité professionnelle. La question que je me suis ainsi posée était la suivante : suis-je réellement accompagné en tant qu’accompagnant ?

Quand je parle de reconnaissance, je fais allusion, non pas à une récompense que l’on donnerait pour un travail fait, mais la certitude que ma hiérarchie accompagne également ma démarche d’accompagnant. Pour moi, un être humain aura toujours des besoins relationnels, de fraternité. La convivialité est aussi un élément capital de la qualité de vie. Elle permet de répondre au quotidien à notre besoin de reconnaissance.

Pour le Ministère de l’Intérieur, en particulier la sécurité civile pour qui je travaille, nous sommes en pleine mutation. Le changement s’opère par une démarche d’accompagnement de nos pratiques en formation et de notre savoir-faire dans ce domaine. Je fais partie des agents investis (qui font bouger les lignes) pour aider mon institution à prendre délicatement ce virage principalement dans la formation et la posture de nos formateurs. En effet, la réforme que nous appliquons implique un positionnement particulier de l’accompagnateur·trice. Il·elle va passer d’un statut de « sachant·e » à un statut d’accompagnateur·trice. Il·elle ne se situe plus « devant »” mais à côtés des apprenants. Ce n’est plus elle·lui qui diffuse la bonne parole mais il·elle qui incite les apprenant·e·s à construire et développer leurs connaissances. Ce rôle implique un savoir-être empreint d’empathie, d’écoute et de compréhension. Cette notion d’accompagnement reste très floue dans la communauté de la formation des sapeurs-pompiers.

Les processus d’accompagnement mis en œuvre dans les groupes d’humains sont complexes et difficiles. Dans mon métier, l’accompagnement est nouveau et demandera du temps dans sa structuration et dans sa mise en place. Mon travail est de faire comprendre que lorsque nous mettons en place des espaces de réflexion sur l’accompagnement, ses bienfaits ne sont que meilleurs pour les équipes que j’accompagne ou que je vais accompagner. Cette reconnaissance est finalement arrivée du groupe qui a vu le jour lors de la formation à Narbonne. Je suis convaincu que l’échange entre nous doit continuer. Nous devons faire part au sein des équipes des démarches que nous mettons ou allons mettre en place dans nos emplois respectifs. Continuons à mettre de l’enthousiasme et de l’envie, l’histoire fera le reste.

3. Synthèse : regards croisés sur le couple animateur·trice/ groupe

Trois principales dimensions se retrouvent de manière plus ou moins marquées dans une grande majorité des récits : la dimension du questionnement, la dimension de la sécurité du groupe accompagné et de l’animateur·trice, ainsi que la dimension de la posture d’accompagnement. Chacune de ces dimensions est analysée dans les récits et éclairée par des éléments de littérature professionnelle et/ou scientifique. Elles constituent le cœur des parties qui suivent. De plus, pour faciliter la compréhension du lecteur, nous harmonisons l’écriture en citant en italique et entre guillemets les extraits des récits et en mentionnant leur auteur·e.

3.1 Le questionnement

Le questionnement en APP est un sujet qui revient dans trois écrits : celui de Sara, de Serge et de Valérie. Cependant, il apparaît que ce sujet peut être abordé sous différents angles. Pour Sara, il s’agit du questionnement que l’animateur·rice a sur sa posture, son animation, sa place dans le groupe… A l’instar du leitmotiv utilisé en formation par Patrick Robo et de la nécessité d’être habité par le doute, Sara ne formule pas une hypothèse mais plutôt un constat : « cette formation m’a rappelé que je devais accepter d’être habitée par le doute, que les incertitudes étaient un garde-fou et qu’il fallait que je continue à m’en saisir pour cheminer avec elles et non y trouver des solutions ». Le questionnement est ici perçu comme un balisage, idée que l’on retrouve aussi dans le texte de Serge. Ce dernier remarque, suite à la formation, qu’auparavant sa pratique avait glissé vers autre chose « qu’une APP privilégiant les phases de questionnement ». A son retour de la formation, il va mettre en pratique ses réflexions sur le questionnement qui n’est pas tourné vers des pistes de solutions déguisées « en prenant le soin de porter une attention particulière aux phases de questionnement ». Le soin dont parle Serge concerne « les techniques de questionnement qui ont montré qu’elles permettent « d’élucider » le problème directement par le·la exposant·e ».

Serge note la différence entre des questions d’éclaircissement (celui de la clarification, qui, quoi, comment…) et d’explicitation (élucidation de Vermersch (2019), qui tente d’élucider les mots du·de la exposant·e). Valérie a été interpellée par le questionnement avant même la rencontre à Narbonne. Son texte laisse percevoir le cheminement fait avant, pendant et après la formation. En premier lieu, ce qui interroge Valérie n’est pas le questionnement en lui-même, il est clair pour elle qu’il n’appelle pas une réponse immédiate. Ce qui l’a interpellée c’est plutôt les questions que déclenche chaque question ; « le point d’interrogation de la question précédente appelle trois nouvelles questions et ainsi de suite », et qui met le processus de questionnement en marche. Elle a pu constater également que la pensée réflexive de l’exposant·e était favorisée par le questionnement, mais il en est de même pour les personnes accompagnantes : « la question posée enclenche aussi pour le groupe tout un flot de questions ». Valérie met également en évidence qu’il n’y a pas une seule et bonne question, mais que c’est bien l’ensemble des questions qui apporte matière à réflexion propre à analyser sa pratique, « ce sont bien ces questions qui balisent le chemin de la pensée ».

Les extraits de ces trois premiers récits autour du questionnement nous permettent de faire un lien avec Guillemette et Monette (2019) qui relatent que le questionnement facilite la réflexivité. « Les accompagnants s’exercent alors à poser des questions de compréhension ou d’analyse susceptibles de soutenir cette prise de recul menant la personne accompagnée vers cette réflexivité. » (Guillemette & Monette, 2019, p. 41). Si tant est que les questions soient posées dans une volonté d’éclaircissement ce qui implique une forme particulière : « est-ce que […] ? » ou encore « as-tu réfléchi à […] ? » sous-entendent le plus souvent des façons de faire, d’agir ou de résoudre la situation. » (Guillemette & Monette, 2019, p. 41) Or, le but des questions est d’aider la pensée à se remettre en marche. Pour se faire, ces auteures rappellent l’utilisation du « en quoi », « comment » et « quelles sont les raisons qui expliquent » (Guillemette & Monette, 2019, p. 41). Nous terminons par une question : le questionnement est-il la « base de la posture » de l’animateur·trice, ainsi que celle des participant·e·s, permettant de « lutter contre l’immobilisme et de pouvoir aller creuser toujours plus profond » comme l’écrit Sara ?

3.2 La sécurité du groupe et des animateurs·trices

La notion de sécurité est apparente dans tous les récits et très explicite dans quatre d’entre eux. Nous relevons quelques éléments de tensions :

  • le cadre à respecter, tant dans sa rigueur que sa facilitation à permettre l’implication du groupe,
  • entre les personnes, à la fois des animateurs·trices et des groupes accompagnés,
  • le contenu et la libre expression d’un sujet délicat en toute confiance.

3.2.1. Le cadre et les règles de fonctionnement

Dans son récit, Sabine, décide de clarifier la règle en distribuant la parole à autrui par une main levée. Cette prise de décision, non explicitée en amont, rend caduque la suite de la co-animation jusqu’à la mise en péril du duo d’animatrices et au retrait de la partenaire. La même décision a eu un effet positif sur le groupe qui s’est senti plus impliqué et en sécurité. Cela montre effectivement qu’un choix positif pour les un·e·s et les autres peut mettre à mal un·e troisième partenaire. « Je décide d’apporter plus de cadre dans la distribution de la parole. Cette prise d’initiative a dérouté ma collègue durant la séance… un climat plus serein dans lequel chacune a pu s’exprimer calmement, elles se sentent plus en sécurité si les animatrices proposent plus de rigueur dans la distribution de la parole ».

Dans celui de Magali, le cadre explicité, négocié et appliqué lui a permis d’exprimer tout son potentiel car elle se sentait en sécurité. Elle évoque également cette même rigueur lors de l’animation de l’un de ses groupes puisqu’une participante avait mal vécu un processus similaire par le passé et découvrait de manière positive la proposition de Magali : « Une participante a même souligné qu’elle avait apprécié le cadre posé et respecté par toutes et tous. Elle avait déjà participé à un groupe d’analyse de pratiques dont elle était partie car elle s’était sentie jugée par ses pairs et par l’animatrice du dispositif. Ici, elle s’est sentie en sécurité ».

Sabine questionne cette tension entre « la sécurité du groupe et celle du co-animateur ». Magali révèle qu’un « cadre clair auquel chacun·e adhère » est « un espace délimité qui en son sein ouvre la liberté d’expression dans la confiance et la bienveillance ». Nous analysons que l’explication du cadre semble nécessaire au bon fonctionnement d’un groupe et permet à la fois de la rigueur et l’émergence de la confiance entre les participant·e·s, afin de tendre vers une co-construction des règles de fonctionnement de toutes les personnes concernées. Toute action du processus est explicitée afin de rendre accessible à toutes et tous, les choix effectués à la fois dans l’animation d’un groupe et dans le déroulement de l’APP.

Nous corroborons l’analyse ci-dessus en nous appuyant sur un article de Rebetez (2014, p. 44) évoquant le climat socio-affectif mis en évidence dans plusieurs recherches autour du concept de sentiment de sécurité :

« Le sentiment de sécurité psychologique a été défini comme une croyance, partagée par les membres d’une même équipe, qu’il est possible de faire des erreurs sans être pénalisé par le groupe, de demander de l’aide, des informations ou des feedbacks sans qu’une piètre opinion ne soit portée envers le membre du groupe (Edmondson, 2003, p. 257). Cette croyance encourage la prise de risque puisque l’individu se sent protégé ».

Et de poursuivre « Selon Edmondson (1999, 2003), le climat de sécurité se traduit par la présence de confiance, de respect dans les compétences des individus et d’attention portée à chacun » (Rebetez, 2014, p. 44).

3.2.2. L’animateur·trice et le groupe

Dans le récit de Sara, elle évoque la notion de maitrise du dispositif permettant aux personnes d’agir en toute sécurité et montre qu’un cadre trop applicationniste « une rigidité de fonctionnement » empêche un fonctionnement sécure, alors qu’une appropriation du cadre permettrait de « garantir une certaine sécurité aux personnes accompagnées et à moi-même ». Dans son récit Serge montre que l’appropriation du dispositif en donnant des rôles de gestion du cadre et des règles par les participant·e·s, permet au groupe de s’impliquer et vivre en confiance le processus d’APP et à l’animateur d’être plus détendu pour se consacrer à l’exposant·e et au groupe. « Le groupe d’étudiant·e·s a pleinement pris part à ces rôles et j’ai identifié sitôt après le séminaire des effets bénéfiques quant à ma posture de formateur et animateur d’APP. En effet, comme je n’avais plus la totalité des rôles à porter, je me suis pleinement consacré aux propos de la personne accompagnée et à la gestion du protocole d’APP. Je suis également sorti moins fatigué et plus détendu et avec une certaine fierté du travail accompli par le collectif ». Dans ces deux exemples, l’appropriation du protocole par l’animateur·rice permet à celle-ci et celui-ci de retrouver de la confiance, de l’aisance et de la liberté et tente de montrer qu’un·e animateur·rice en sécurité permet au groupe accompagné également de vivre une APP sécure. Ce couple animateur·trice/groupe fonctionne et se développe à l’intersection de la relation de confiance et par une communication explicite. Ici les propos de Thiébaud (2017) permettent d’entrevoir la construction de la confiance pour ce couple animateur·trice-groupe. Il précise dans son article que le développement de la confiance implique « de prendre en compte plusieurs aspects : les liens entre les participants, la relation avec l’animateur, les relations entre tous les acteurs, les émotions ». (Thiébaud, 2017, p. 15).

3.2.3. Le contenu

Oser évoquer un contenu dans un groupe constitué ou pas, en toute confiance et sécurité est bien l’un des enjeux d’une APP. Lors de la formation, Maela Paul parle de l’évocation d’un moment émotionnellement marquant par l’exposant·e, cela oblige à mettre en place des règles de fonctionnement, un cadre respecté, des acteur·e·s bienveillant·e·s et un·e animateur·rice ancré·e sur le processus. Dès lors cette mise en place entérinée et validée, un contenu peut être proposé. Ce que Mathieu évoque dans son récit, c’est à la fois le fait d’être le premier de ce groupe à avoir fait le pas de présenter sa situation marquante alors que le groupe venait d’être constitué. « J’étais le premier à partager un moment vécu à l’ensemble du groupe. Un évènement traumatisant passé dans le cadre de mon activité professionnelle dans la sécurité civile ». Il a osé exprimer un événement fort, il a probablement donné sa confiance à ce nouveau groupe et « sans filtre, ni retenue, j’ai pu exprimer ce sentiment qui au fond de moi me ronge ».

Quant au récit de Valérie, elle relate l’impossibilité de répondre à la question initiale de Patrick Robo posée en amont de la formation et choisit d’évoquer sa non-réponse lors d’une APP. « Pendant la formation, j’ai eu la chance de présenter une situation. C’est seulement suite à ce moment que la question est venue. Elle concernait justement le questionnement ». Elle évoque cette chance de présenter sa situation, de se mettre « à découvert » pour évoquer une question dont elle n’avait pas la réponse. A la fin de cette APP, à la fois le questionnement de l’animateur et celui du groupe lui ont permis de trouver sa réponse et probablement qu’elle se sentait en sécurité pour évoquer ce doute de ne pas avoir de question ou de ne pas comprendre la question initiale. Ces deux exemples montrent qu’un groupe constitué, même depuis très peu de temps, peut apporter suffisamment de sécurité afin de permettre aux participant·e·s d’évoquer des événements marquants. Cette sécurité provient du cadre posé en amont et validé dans une phase méta par l’ensemble du groupe (instituant) mais également des règles de fonctionnement (instituées) mis en place par l’animateur, en l’occurrence Patrick Robo, et le groupe Le protocole et les règles de fonctionnement font partie du cadre et assurent la sécurité de la relation, c’est ce qui est appelé l’instituant. A l’intérieur de ce cadre il y a une autorisation qui est posée et qui permet de faire évoluer ce qui a été institué. L’instituant permet de faire évoluer le protocole. Cela permet de la bienveillance et de la confiance au sein de l’entier du groupe, c’est ce que Mathieu et Valérie ont vécu avec l’ensemble du groupe. Osons emprunter les propos de notre formateur en guise de conclusion :

« J’insisterai sur le fait que la pratique de l’analyse de pratiques professionnelles est une démarche sensible, délicate qui ne peut s’improviser ni être menée à la légère même avec de bonnes intentions et de la bonne volonté. C’est l’humain qui est au centre de cette démarche, non la technique et les savoirs aussi savants soient-ils. Savoir analyser une/sa pratique ne s’improvise pas davantage et ne relève pas de l’inné. Cette méta-compétence indispensable pour analyser nécessite un travail sur soi, nécessite une formation et un accompagnement, nécessite un cheminement professionnel et personnel ». (Robo, 2013, p. 9)

3.3 La posture d’accompagnement

Cinq écrits sur six relient la formation en analyse de pratiques professionnelles à la posture d’accompagnement et plus précisément en questionnent sa justesse. Existe-t-il une posture d’accompagnement juste, une bonne manière d’accompagner ? Comment trouver cet équilibre entre préparation et adaptation ? Reprenons les propos de Paul (2020) :

« La posture exprime ce qu’on pourrait appeler l’ethos du professionnel. L’ethos est ce mot grec signifiant la manière d’être, les habitudes d’une personne. Il n’est pas de l’ordre du savoir : il est ce que je sens, ce que je vis, ce que je suis et non ce que je sais » (p. 92).

La posture est donc subjective, incarnée et se construit au fur et à mesure de notre expérience. Le récit de Magali nous révèle que la justesse dans l’accompagnement « est un exercice précis, rigoureux, fin et subtil ». Nous prenons ainsi conscience de la force mais également de la fragilité qu’incarne cette posture. Juste, elle apporte une richesse dans la relation, comme « tissant de la dentelle », décalée, elle risque de glisser et de chuter. Le récit de Sabine nous met en garde sur ce déséquilibre. Mettre en œuvre un cadre plus rigoureux, pensait-elle apporter “une amélioration minime et constructive” mais cette initiative a entraîné l’effet d’un tsunami chez sa collègue et a mis en péril leur collaboration. La justesse dans la posture d’accompagnement ne va pas de soi. Parfois, les formateur·trice·s sont habité·e·s par le doute, comme nous le confie Sara. Le doute questionne nos pratiques, nos exigences et nos qualités intrinsèques. Il redimensionne le cadre et nous positionne dans un espace « qui permet de lutter contre l’immobilisme, d’aller creuser toujours plus profond et d’expérimenter ». Le doute permet de se questionner et « se questionner, c’est avancer » nous commente Valérie. Un formateur en analyse de pratiques a continuellement à s’interroger écrit Cifali (2018). Il faut donc accepter d’être habité par le doute, véritable « garde-fou » nous invitant à cheminer. Sara ressent que « son questionnement ne devrait pas tant résider dans la maîtrise parfaite de certains dispositifs d’APP que dans la liberté, habitée par le doute, dont (elle) dispose pour leur mise en œuvre ».

Le doute est de la sorte, l’antagonisme de la maîtrise et requiert un lâcher-prise. Ce lâcher-prise, comme l’explique Paul (2020, p. 94), conduit le professionnel à engager un certain nombre de renoncements et de deuils : « deuil de la tentation du pouvoir pour ou sur l’autre, deuil de la toute-puissance, deuil de la solution qui le maintiendrait dans l’expertise ». C’est dans l’écrit de Serge que nous retrouvons ce dernier élément. Dans ses anciennes pratiques, il portait l’ensemble du dispositif, pensant que cette tâche incombait au formateur. Toutefois, la formation à Narbonne lui a ouvert une nouvelle perspective, celle de partager certaines règles de fonctionnement. Cette initiative lui a donné l’occasion de mettre en valeur que « l’APP permet à un groupe de se constituer comme collectif de travail ». L’animateur se substitue au formateur, descend de son piédestal d’expert, permettant ainsi à chacun de se sentir plus impliqué et responsabilisé et de trouver plus de sens au travail engagé. Il s’est senti moins fatigué, plus détendu et a pu se consacrer pleinement « aux propos de la personne accompagnée et à la gestion du protocole d’APP ». Un sentiment de fierté du travail accompli par le collectif s’est emparé de lui. « Il a expériencié[16] avec son groupe, la singularité, prenant en compte une éthique de l’altérité, dans une subjectivité assumée et travaillée » (Cifali, 2018). Cette nouvelle posture d’accompagnement illustre la définition que nous apporte Vial et Caparros-Mencacci (2007). « Accompagner, c’est « aller avec », puis « mettre avec, ajouter, s’ajouter » créant ainsi une mise en valeur permettant de grandir » (Vial & Caparros-Mencacci, 2007, p. 21, 23).

4. Conclusion et perspectives

A travers nos récits, il apparaît que nous sommes sortis grandis de cette formation N2, Analyse des pratiques professionnelles et Démarche d’accompagnement, et ce à plusieurs niveaux. La diversité de nos univers professionnels, le cadre bienveillant et sécurisé instauré par Maela Paul et Patrick Robo, les interactions entre toutes et tous les participant·e·s, le droit de se tromper et d’avoir des doutes ont apporté de la richesse dans nos analyses et nous ont donné l’envie de continuer l’aventure en écrivant cet article collectif.

Nous avons pu éclaircir les règles de fonctionnement et l’importance du cadre institué et instituant. En effet, une fois les principes et les règles établies, le cadre participe à la sécurité des participant·e·s, co-animateur·trice compris·e. La parole est ainsi plus libre, la réflexivité et le partage plus intenses dans un espace bienveillant et facilitant. De plus, l’importance d’une préparation de l’animation ou co-animation d’une APP est également apparue primordiale entre les co-animateur·trice·s car ces accompagnant·e·s sont garant·e·s du cadre posé.

Le déroulé d’un GFAPP peut sembler rigoureux, mais cette orchestration permet de jouer la partition avec le moins de fausses notes possibles, d’être au plus juste. Chacun·e trouve ainsi un espace pour s’exprimer, s’écouter et écouter, se questionner tout en étant partie intégrante du groupe. L’implication des participant·e·s se concrétise à travers les rôles attribués et choisis en début de séance.

Nous avons noté un autre élément/point de vigilance qui est de ne pas se laisser tenter par une recherche de résolution, solution ou autre conseil, car il s’agit d’accompagner l’exposant·e dans sa réflexivité. La posture de l’animateur·trice permet de soutenir cet accompagnement en veillant à rester sur ce qui a pu se passer lors de la situation exposée. L’outil le plus pertinent à nos yeux après cette formation est le questionnement. Il s’agit même des questionnements : le questionnement de clarification et le questionnement d’explicitation. L’ensemble des accompagnant·e·s s’autorisent à être habité·e·s par le doute et, de fait, d’avoir besoin de questionner la situation, ainsi qu’à émettre des hypothèses de compréhension qui visent à clarifier la situation exposée. L’inconfort du doute permet de creuser toujours plus loin la clarification. C’est ainsi que nous avons pu observer le processus d’élucidation par l’exposant·e elle-même.

En conclusion, nous pouvons dire que le GFAPP est propice aux questions et aux hypothèses proposées par l’ensemble du groupe, habité par le doute. Ce qui permet de cheminer et progresser dans son analyse de pratiques professionnelles.

Références bibliographiques

Edmondson, A. (1999). Psychological safety and learning behavior in work teams. Administrative science quarterly, 44 (2), 350‑383.

Edmondson, A. C. (2003). Managing the risk of learning: Psychological safety in work teams. Division of Research, Harvard Business School Cambridge.

Cifali, M. (2018). S’engager pour accompagner. Valeurs des métiers de la formation. Puf.

Guillemette, S. & Monette, K. (2019). Le questionnement pour soutenir le passage de la réflexion à la réflexivité. Formation et profession, 27 (2), 32‑44. https://doi.org/10.18162/fp.2019.493.

Paul, M. (2020). La démarche d’accompagnement: Repères méthodologiques et ressources théoriques (2e éd.). De Boeck Supérieur.

Rebetez, F. (2014). Le rôle de l’animateur sur le climat socio-affectif comme condition d’apprentissage lors d’une APP. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 4, 42‑63. https://www.analysedepratique.org/?p=1383.

Robo, P. (2013). Développer le « savoir analyser » pour analyser sa pratique professionnelle. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 1, 1‑10. http://www.analysedepratique.org/?p=435.

Thiébaud, M. (2017). Mettre en place une analyse de pratique qui fasse sens et inspire confiance. Quels défis ? Quels repères ? Quels chemins ? Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 10, 9‑22. https://www.analysedepratique.org/?p=2431.

Vermersch, P. (2019). L’entretien d’explicitation (9e édition). ESF Sciences Humaines.

Vial, M. & Caparros-Mencacci, N. (2007). L’accompagnement professionnel. De Boeck.

Weber, S., & Méard, J. (2018). L’analyse de situations professionnelles au service de la formation des enseignants généralistes en didactique de l’éducation physique. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 12, 53‑66. https://www.analysedepratique.org/?p=2869.

 

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Notes

[1] Formation « Analyse de pratiques et Démarches d’accompagnement à la Problématisation des Situations Professionnelles – Niveau 2 », animée par Maela Paul et Patrick Robo, les 5, 6, 7 et 8 octobre 2021 à Narbonne.

[2] AAPP : Ateliers d’Analyse de Pratiques Professionnelles selon les modalités enseignées par JM Paragot et A Ordrenneau dans l’académie de Nancy-Metz.

[3] « Les concepts institué/instituant ont été repris de Castoriadis (1975). L’institué englobe ce qui est établi. L’instituant couvre en fait une multitude de forces instituantes : il est ce qui met l’institué en tension, le remet en cause. » (Paul, 2020, p.77). Ces éléments sont repris dans l’analyse.

[4] GFAPP – Groupe de formation à et par l’analyse de pratiques professionnelles, initié par Patrick Robo.

[5] Formation Facilitateur de l’intelligence collective®- FIC, par Disdascalis.

[6] GEP – Groupe d’échanges de pratiques : une personne expose une situation, les autres écoutent puis formulent leur feed-back en fonction de leur rôle prédéfini (synthèse, qualités du porteur de cas, hypothèses, conseils, ressenti émotionnel et corporel).

[7] GASP – Groupe d’analyse de situations parentales, association Les Mains Sages – Tressan (34).

[8] Choix de la situation ; Récit de l’exposant ; Questions ; Hypothèses.

[9] Les rôles de gardien·ne·s permettent à chacun·e d’avoir une responsabilité au service du groupe.

[10] Le « quoi de neuf » représente le premier moment de l’APP dans lequel les participant·e·s témoignent ou pas d’un événement qui est arrivé entre les 2 séances, il provient de la Pédagogie Institutionnelle.

[11] ASP, Analyse de situations professionnelles au lieu d’APP, car le groupe n’est pas volontaire puisque c’est un groupe en formation initiale (Weber & Méard, 2018).

[12] L’un des objectifs de l’APP, c’est de savoir analyser une pratique professionnelle, alors que l’ASP analyse une situation vécue.

[13] Institut Supérieur de Formation de l’Enseignement Catholique (ISFEC).

[14] Je trouve une certaine complémentarité à utiliser ces deux référentiels. Le référentiel des SE me permet de réfléchir aux applications des recherches menées en psychologie, par exemple sur l’habileté de compréhension chez les enfants d’école primaire. Une autre complémentarité réside dans une approche plus mixte des recherches menées (quantitative du côté de la psychologie et qualitative des SE).

[15] Dans la mise en place de la réforme relative à « la formation et au développement des compétences » des sapeurs-pompiers professionnels, au Groupement Formation du SDIS 71, en tant que concepteur en formation chargé de mission et conseiller technique.

[16] Terme emprunté à Dewey.