Nadia d’Or
Accompagnement des professionnels, facilitation en intelligence collective, formation, Namur, Belgique
nadiador.consulting@gmail.com
Résumé
Le présent article est un témoignage réflexif sur le dispositif ARPPEGE. Il propose d’explorer le lien entre ce dernier et le statut de tiers accompagnateur par rapport à la dynamique accompagnement-réflexivité-professionnalisation. Le développement de cette réflexion provient d’observations tirées de ma pratique professionnelle et d’expérimentations dans le cadre du master de spécialisation en accompagnement des professionnels de l’éducation, du management, de l’action sociale et de la santé (MAPEMASS) à l’Université de Namur.
Mots-clés
accompagnement, professionnalisation, réflexivité, tiers accompagnateur
Catégorie d’article
Témoignage, texte de réflexion en lien avec des pratiques
Référencement
D’Or, N. (2022). Entre réflexivité, accompagnement et développement professionnel : témoignage et réflexion autour de l’expérimentation du dispositif ARPPEGE. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 22, 56-66. http://www.analysedepratique.org/?p=5313.
Between reflexivity, support and professional development: testimony and reflection on the ARPPEGE experiment
Abstract
This article is a reflective testimony of the ARPPEGE system. It proposes to explore the link between the latter and the status of the third party accompanier in relation to the accompaniment-reflexivity-professionalization dynamic. The development of this reflection stems from observations drawn from my professional practice and from experiments within the framework of the master’s degree in support for professionals in education, management, social action and health (MAPEMASS) at the University of Namur.
Keywords
accompaniment, professionalisation, reflexivity, third party support
1. Introduction
« Plutôt que d’apporter des solutions, il s’agit
avant tout de savoir se poser les questions. »
Paul, 2009, p.30
Le présent témoignage porte sur une expérimentation du dispositif ARPPEGE en février 2021 à l’Université de Namur pendant le cours de Pratiques Réflexives [FACCM305][1] donné par Sephora Boucenna et Yann Vacher dans le cadre du master de spécialisation en accompagnement des professionnels de l’éducation, du management, de l’action sociale et de la santé (MAPEMASS)[2]. J’ai eu la possibilité de le tester en tant que participante et deux fois également en tant qu’animatrice. Comme j’anime des groupes d’analyse de la pratique professionnelle, principalement du codéveloppement et que je donne également des formations sur ce thème, j’ai été particulièrement intéressée par la finalité d’ARPPEGE.
Fig. 1 Cursus du MAPEMASS (Cultiaux, 2020)
Un de mes acquis principaux de ce master réside dans la découverte des pratiques réflexives et des processus mentaux qu’elles impliquent comme puissant levier de développement professionnel.
La réflexivité et la problématisation sont au cœur des processus d’accompagnement. Le cours de Pratiques Réflexives a été le déclencheur d’un autre niveau de compréhension de l’agir professionnel de l’accompagnateur. Même si le concept de réflexivité avait déjà été abordé dans d’autres cours, le dispositif ARPPEGE (Vacher, 2015) m’a permis de l’expérimenter et de l’intégrer. Sortir de la recherche de solutions pour aller vers le développement de la pensée réflexive. Cela a eu un impact autant sur le développement de ma propre réflexivité que sur la vision du processus de réfléchissement en œuvre dans le travail avec un accompagné.
2. Le cercle vertueux accompagnement, réflexivité et professionnalisation
« On apprend mieux avec les autres et l’on
ne (se) construit qu’à partir de ce que l’on est. »
Vacher (2021)
Le dispositif ARPPEGE (Vacher, 2015) combine le développement des pratiques réflexives et l’analyse des pratiques professionnelles, thème qui a été abordé dans un cours spécifique dans le cadre de ma formation à l’UNamur (Boucenna & Pham Quang, 2021).
Pour commencer, je vais faire le lien entre réflexivité, accompagnement et professionnalisation afin d’interroger la fonction de tiers accompagnateur que pourrait avoir le dispositif ARPPEGE pour favoriser le développement professionnel.
Le processus réflexif est au centre de l’analyse des pratiques professionnelles. Biémar (2021 in FACMM302) présente le « compagnonnage réflexif » ou la double posture réflexive[3] comme indispensable pour envisager le changement. La réflexivité comme condition du développement professionnel demande à l’accompagnateur des compétences spécifiques, tout comme la mise en œuvre d’un processus d’autonomisation.
En utilisant l’expérience des professionnels comme matériau d’élaboration, l’analyse des pratiques professionnelles a également une visée de professionnalisation. Par l’articulation entre formation et pratique professionnelle qu’elle induit, elle favorise une distanciation par rapport aux situations vécues et ainsi permet un exercice d’intelligibilité sur soi en interaction avec un environnement spécifique (Boucenna et al., 2018).
Selon ces auteurs, « toute formation qui s’appuie sur l’expérience questionne l’image que le participant a de lui-même et des autres, ses valeurs en actes, ses schèmes opératoires, etc. et, par-là même, implique un traitement des épisodes émotionnels vécus par celui-ci participant au processus d’élaboration de l’expérience » (Boucenna et al., 2018, p.25).
Selon Barbier (2021), la professionnalisation, qu’elle soit dans le cadre d’une activité professionnelle ou en formation, est une occasion d’apprentissage et de transformation de soi.
L’articulation entre accompagnement, réflexivité et professionnalisation permet le développement du pouvoir d’agir. Pour Beckers et al., « l’objectif est d’amener le participant à appréhender la complexité de la situation pour y situer son action et décoder les éléments qui peuvent l’influencer, lui permettant ainsi d’augmenter son pouvoir d’agir. » (2013, p.12).
Clénet parle d’une vision de l’accompagnement dans laquelle l’accompagné est sujet, acteur et auteur de sa transformation. « Cette idée de l’accompagnement est liée à trois concepts-clés : la socialisation, qui identifie la personne comme un individu social inscrit dans un parcours singulier ; l’autonomisation, qui place la relation comme condition d’une interaction ; l’individualisation, qui positionne la personne comme un passage de l’acteur à l’auteur. Ce principe de reliance et les concepts associés sur lesquels repose l’émergence de l’accompagnement semblent aller dans le sens du développement d’un sujet travaillant à son émancipation. » (2015, p.65).
Afin de favoriser la distanciation nécessaire au processus d’intelligibilité, l’analyse des pratiques professionnelles s’inscrit dans une démarche d’accompagnement qui peut se situer à différents endroits. En effet, dans les dispositifs où un animateur est présent, il peut jouer ce rôle. Mais qu’il y ait ou non un animateur, « le groupe remplit un rôle d’accompagnateur des participants qui présentent une situation professionnelle questionnante. » (Boucenna et al. 2018, p.25).
Vacher (2021 in FACCM305) parle d’une logique d’accompagnement mutuel. « Dans les dispositifs d’accompagnement proposés, le processus en jeu est mutuel, il se développe entre tous bien que les positions et rôles de chacun ne soit pas symétriques (position de l’accompagnateur, de l’animateur, de l’exposant, des participants). Ainsi, dans une séance d’APP, le groupe n’est pas plus au service de l’exposant que de celui des autres participants. C’est donc un collectif qui est en action puisque chaque action est valorisable par tous et ce de façon singulière. »
L’accompagnement renvoie au rôle du tiers dans la rencontre d’autrui avec son expérience. Xhauflair & Pichault expliquent que le rôle du tiers consiste à « accompagner les acteurs dans la conception de nouvelles normes cohérentes avec leurs identités et intérêts en cours de transformation. » (2012, p.54). Selon ces auteurs, « l’opération d’auto-transformation qu’accomplit l’acteur d’un compromis émerge lorsqu’il réalise un déplacement par rapport à sa propre position et à sa propre identité. Ce processus identitaire constitue une condition nécessaire de dépassement des routines et des blocages, permettant de faire émerger et de pérenniser une nouvelle institution. On ne peut pas, en effet, présupposer qu’avec la même identité, l’acteur puisse faire des choses fondamentalement différentes. » (Xhauflair & Pichault, 2012, p.54-55).
L’accompagnateur en tant qu’altérité est un facilitateur du processus de réfléchissement dans lequel le professionnel peut se voir et voir son activité comme dans un miroir grâce à la mise en mots qu’il produit. Ainsi, nous pouvons dire que l’accompagnateur, par sa posture, est le lien entre le développement de la réflexivité et la professionnalisation. L’aspect relationnel est central afin que l’action sur l’autre soit habilitante et non aliénante (Boucenna, 2021).
Boucenna et al. précisent ce lien entre développement de la réflexivité, accompagnement et professionnalisation. “La réflexivité suppose l’adoption d’une posture tierce pour s’extraire mentalement des situations, les décrire et les analyser.” (2018, p.14).
De ce fait, il est important que tous les participants puissent conscientiser et incarner une posture en phase avec ce rôle, ce que le dispositif ARPPEGE permet en faisant le lien avec les pratiques réflexives.
Selon Paul (2016), la posture concerne la manière d’être en relation à l’autre à partir des talents et dispositions que l’accompagnant investit dans sa pratique et dont vont résulter les qualités d’attention, d’écoute, de bienveillance et de respect fondées sur une éthique permettant à l’autre une liberté de jugement et de décision. La posture, en lien direct avec le contexte, doit s’ajuster en fonction de l’espace-temps où elle s’incarne. Ainsi, pour être juste pour l’autre, la posture de l’accompagnant requiert une flexibilité comportementale. C’est non seulement être présent par l’observation, l’acquiescement, l’accueil de ce qui est là sans intervention, mais également personnifier « une présence active (écouter, formuler, questionner, clarifier, recentrer, proposer, aider à choisir et à décider, en prise sur ce que l’autre dit), voire impliquée (dans le dialogue, le débat, la discussion, la délibération, la confrontation, l’interpellation). » (Paul, 2016, p.89).
Mon expérimentation du dispositif ARPPEGE me laisse penser que ce dernier favorise l’émergence d’une telle posture chez les participants. Et par rapport aux différents aspects décrits ci-dessus, je me pose la question de savoir si le dispositif ARPPEGE joue également le rôle de tiers accompagnateur.
3. ARPPEGE : accompagnement, réflexivité et développement professionnel
Afin de poursuivre cette réflexion, je ferai le lien entre la notion d’accompagnement et celle d’acteur.
Dans mon expérience, les participants à un groupe d’analyse des pratiques professionnelles se focalisent principalement sur les situations professionnelles exposées et la résolution de problèmes qu’elles soulèvent. ARPPEGE amène une dimension supplémentaire en plongeant l’ensemble des participants dans une analyse réflexive de leur propre schème opératoire de pensée et de leur démarche de problématisation. Ce dispositif permet d’ouvrir le cadre et met en lumière que la conscientisation de l’activité cognitive et la modification du schème de pensée aura également une action sur la résolution de problème. En proposant aux participants cette réflexivité sur soi et non une réflexion sur l’autre, il renforce une posture d’accompagnement dans laquelle chacun est acteur et auteur de son expérience.
Verquin-Savarieau (2021) explique que la personne qui se questionne sur son développement professionnel en étant accompagnée est conduite petit à petit à se construire une identité professionnelle dont les éléments construisent un sentiment d’unité et de continuité temporelle : les compétences observables mises en œuvre, les motivations et l’engagement de la personne et également son système de valeurs. Cette identité renvoie à la notion d’acteur qui en sociologie désigne la place centrale donnée au sujet en rapport avec son expérience.
Comme nous l’avons exposé ci-dessus, la notion d’accompagnement renvoie au rôle du tiers dans la rencontre du professionnel avec son activité. Pour Boucenna (2021), l’accompagnement peut être considéré comme l’ouverture d’un espace d’accueil et de traitement de l’incertitude pour l’accompagné où l’accompagnateur autorise l’autre, de par la sécurité qu’il introduit, à lui-même s’engager dans un exercice d’investigation de son expérience.
« Le développement d’une pratique réflexive offre la perspective aux acteurs (professionnels accompagnateurs et accompagnés) d’inscrire leurs actions dans une dynamique de développement professionnel, c’est-à-dire de transformation identitaire participant d’une logique constructive. Le nouveau rapport à la complexité qu’elle entrouvre est de nature à déstabiliser l’existant. » (Vacher, 2021 in FACCM305).
Cette transformation identitaire est possible car les participants qui écoutent la situation problématique d’un de leur pair ont par deux fois l’occasion de réfléchir aux pistes de solution qu’ils apporteraient à l’autre, sans avoir la possibilité de partager leur réflexion. Ils l’écrivent une première fois à la phase 2 (décentration/recentration). A la phase 3 (questionnement de l’exposant), ils posent des questions de clarification. A la phase 4 (décentration/recentration), ils reviennent sur leur écrit de la phase 2 et le modifient en regard des apports de la phase 3. Et à la phase 5 (analyse du décalage), ils mettent en perspective l’évolution vécue pendant ce processus. La réflexivité porte sur les déclencheurs, les résonances et les dissonances. Les participants analysent s’il y a eu transformation, renforcement ou approfondissement de leur pensée entre les phases 2 et 4 mais aussi entre leurs différentes participations au même dispositif. La résolution de la situation questionnante devient un objectif secondaire. La recherche de solution est un moyen d’accéder à son activité cognitive et permet la construction de stratégies d’analyse.
Ce que j’ai pu constater dans les dispositifs d’APP comme le codéveloppement, c’est que la phase de proposition de solution peut être un frein à la posture d’accompagnement. Premièrement, elle peut empêcher une écoute active quand les membres du groupe sont en train de réfléchir à ce qu’ils feraient à la place de l’autre pendant que celui-ci s’exprime. Deuxièmement, le fait de se mettre à la place de l’autre jusqu’au bout du processus peut être un biais dans la démarche d’accompagnement si cela amène une sorte d’aliénation de l’autre en lui enlevant la possibilité d’aller lui-même jusqu’au bout du processus. De plus, les phases 2 à 4 du dispositif ARPPEGE dans lesquelles les participants sont amenés à réfléchir à des pistes de solution de façon individuelle et sans possibilité de partage montrent que la première proposition de solution n’est pas toujours en adéquation avec la problématique exposée. Les questions de clarification en phase 3 après la première réflexion sur une piste de solution montrent que le processus de problématisation n’est souvent pas abouti ou que la problématique n’est pas encore bien comprise par les pairs, ou assez développée ou cernée par l’exposant.
Depuis mon expérimentation du dispositif ARPPEGE, je conçois les dispositifs d’APP différemment. Les étapes développant la réflexivité que Vacher (2015) a intégrées dans son dispositif me semblent être essentielles pour développer la posture d’accompagnement nécessaire à la transformation identitaire et professionnelle. Elles permettent une distanciation et une prise de conscience des schèmes de fonctionnement de notre pensée dans le processus de problématisation ainsi qu’un désamorçage de la tendance à chercher une solution face à un problème, et même parfois, à considérer la situation comme un problème.
« L’amélioration de l’efficience de l’intervention professionnelle au sens large, par la pratique réflexive, se fonde sur la capacité à articuler ses actes professionnels et la production d’une analyse pour transformer ses pratiques à venir. Cette capacité générale permet d’accepter, de comprendre et d’affronter la complexité du métier et de s’engager ainsi dans une réelle professionnalisation. La pratique réflexive implique ainsi le développement de stratégies qui constitueront les capacités constitutives de l’identité professionnelle. » (Vacher, 2021 in FACCM305).
4. La fonction de tercéisation
Afin d’aller plus loin dans cette réflexion sur la fonction de tiers accompagnateur que le dispositif ARPPEGE pourrait avoir, il m’a semblé intéressant de faire un lien avec la fonction de tercéisation développée par Xhauflair & Pichault (2012). Cette dernière s’appuie sur les fondamentaux de l’accompagnement, à savoir l’émancipation et l’autonomisation de l’autre ainsi que la réflexivité. Cette fonction « met en œuvre un apprentissage qui se construit dans l’action. C’est au travers de l’expérimentation et d’un cheminement constitué d’essais et erreurs que le monde des possibles se développe et se complexifie. (…) L’objectif, à terme, du tiers « tercéisateur » est de céder la place à un processus où les acteurs assument eux-mêmes la fonction de praticien réflexif à l’égard de leurs propres pratiques. » (Xhauflair & Pichault, 2012, p.56).
Les phases du dispositif ARPPEGE qui activent le processus réflexif sont comme un espace dans lequel le professionnel peut expérimenter, prendre un chemin constitué d’essais et erreurs, et dans le processus de professionnalisation en cours, voir son monde se développer et se complexifier. Le dispositif ARPPEGE permet aux acteurs d’assumer « eux-mêmes la fonction de praticien réflexif à l’égard de leurs propres pratiques » (op cit).
Le développement de la réflexivité et le processus de professionnalisation qui en découle sont liés à la posture de tiers. Comme mentionné dans le point 2, son rôle consiste à « accompagner les acteurs dans la conception de nouvelles normes cohérentes avec leurs identités et intérêts en cours de transformation. » (Xhauflair & Pichault, 2012). Ces auteurs ajoutent que « la fonction prise en charge par le praticien réflexif a pour objectif d’amener les acteurs à se tercéiser. Au travers de la notion de tercéisation, Lenoble et Maesschalck (2010) désignent non l’action du tiers, mais l’opération d’auto-transformation qu’accomplit l’acteur d’un compromis lorsqu’il réalise un déplacement par rapport à sa propre position et à sa propre identité. Ce processus identitaire constitue une condition nécessaire de dépassement des routines et des blocages, permettant de faire émerger et de pérenniser une nouvelle institution. » (Xhauflair & Pichault, 2012, p.54-55).
Ces chercheurs proposent cinq dimensions du processus sous-jacent à la fonction de tercéisation qui ont, d’après moi, un lien direct avec la double posture réflexive de l’accompagnateur et l’autonomisation de l’autre.
- Contribuer à une problématisation non routinière : construire un processus de résolution de problème qui ne repose pas sur les routines des uns et des autres.
- Créer un nouveau système d’action : réaliser un travail cognitif d’élargissement du cadre de référence (reframing) qui va permettre aux acteurs de renouveler le système d’action dans lequel ils s’inscrivent.
- Désenrôler et réenrôler : aider les acteurs à s’extraire de leurs rôles conventionnels en travaillant leur relation aux autres acteurs, afin qu’ils puissent s’associer différemment dans le processus de recherche de solutions.
- Encourager la démarche par essais et erreurs et ses ajustements : inscrire les acteurs dans une démarche incrémentale, en structurant des étapes intermédiaires, en les amenant à tester des alternatives et à opérer les ajustements nécessaires pour intégrer de manière progressive les attentes qui se font jour.
- Favoriser la comparabilité : favoriser la confrontation à une extériorité qui permet aux acteurs de prendre du recul par rapport à ce qu’ils pensaient être le compromis idéal dans telle situation. L’intersubjectivité qu’elle génère permet à l’acteur de réévaluer sa position par rapport au risque, et à partir de cette compréhension partielle mais nouvelle du système d’intérêts, de réduire suffisamment l’incertitude pour se mettre en mouvement.
L’approche de tercéisation de Xhauflair & Pichault (2012) me semble particulièrement adaptée et pertinente dans le cadre de l’exploration des caractéristiques des postures d’accompagnement. Le dispositif ARPPEGE et la fonction de tercéisation ont des points de connexions intéressants. Il apparait qu’ils partagent la vocation du tiers « tercéisateur » qui est « d’organiser la réflexivité des acteurs en vue de faire émerger chez eux les compétences nécessaires pour dépasser les compulsions de répétition. Le tiers devient ainsi un agent de réflexivité et un accélérateur d’apprentissages collectifs. » (Gadille, 2008, in Xhauflair & Pichault, 2012, p.54).
5. Conclusion
Cet article n’a pas l’intention de répondre à mon questionnement de départ, mais ouvre une réflexion sur le statut du dispositif ARPPEGE comme tiers accompagnateur activant la fonction de tercéisation (Xhauflair & Pichault, 2012). Une recherche pourrait s’avérer intéressante pour pouvoir le définir avec plus de précision.
Le dispositif ARPPEGE permet une intégration de nouveaux schèmes opératoires de pensée ainsi qu’une réflexion sur sa posture d’accompagnateur dans un groupe d’analyse de la pratique professionnelle. Son cadre sécurisant et ouvert accompagne les participants et les autonomise dans ces processus. Il les place au centre de leur développement professionnel par le déclenchement de la réflexivité qu’il induit. Sa structure, par les allers-retours entre soi et les autres et entre soi et soi, favorise une démarche par essais et erreurs et la conscientisation de l’évolution de sa propre posture, autant celle d’accompagnement des pairs que celle de professionnel, et ainsi permet d’éviter les compulsions de répétition décrites par Xhauflair & Pichault (2012). ARPPEGE enclenche le cercle vertueux vers la professionnalisation en accompagnant le professionnel vers le développement de son pouvoir d’agir.
Références bibliographiques
Articles et ouvrages
Beckers, J., Biémar, S., Boucenna, S., Charlier, E., & Leroy, C. (2013). Comment soutenir la démarche réflexive ? : Outils et grilles d’analyse des pratiques. Bruxelles : De Boeck.
Boucenna, S., Charlier, É., Perréard-Vité, A., & Wittorski, R. (2018). L’accompagnement et l’analyse des pratiques professionnelles : des vecteurs de professionnalisation. Toulouse : Octarès Editions.
Boucenna, S. & Pham Quang, L. (2021). Le MAPEMASS, un master de spécialisation qui forme à l’accompagnement avec les ressources de l’analyse des pratiques professionnelles. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 19, 118-135. https://www.analysedepratique.org/?p=4409.
Clénet, C. (2015). Penser l’ingénierie de l’accompagnement en formation. Education Permanente, n°205/2015-4.
Gadille M. (2008), Le tiers comme agent de réflexivité et accélérateur d’apprentissages collectifs : le cas du dispositif des pôles de compétitivité, Humanisme et Entreprise, n°289.
Paul, M. (2009). L’accompagnement dans le champ professionnel. Savoirs, 20(2), 11‑63. https://doi.org/10.3917/savo.020.0011.
Paul, M. (2016). La démarche d’accompagnement : Repères méthodologiques et ressources théoriques. Bruxelles : De Boeck.
Vacher, Y. (2015). Construire une pratique réflexive : Comprendre et agir. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur.
Vacher, Y. (2022). ARPPEGE : présentation générale du dispositif. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 22, 4-19. https://www.analysedepratique.org/?p=5292.
Xhauflair, V. & Pichault, F. (2012). Du Tiers à la Tercéisation : modalités d’une fonction essentielle pour l’émergence d’une régulation à l’échelon inter-organisationnel [1]. Négociations, 2(2), 43-59. https://doi.org/10.3917/neg.018.0043.
Documents non publiés (syllabus, etc.)
Barbier, J-M., Université de Rouen. (2021). Professionnaliser en formation (SPOC). En ligne sur le site de France Université Numérique – FUN Campus. https://lms.fun-campus.fr/courses/course-v1:unirouen+145001+session01/info.
Biémar, S. (2021). Ingénierie, professionnalisation et articulation accompagnement/formation, FACCM 302, Slides, Université de Namur.
Boucenna, S., Université de Rouen. (2021). Professionnaliser en formation (SPOC). En ligne sur le site de France Université Numérique – FUN Campus. https://lms.fun-campus.fr/courses/course-v1:unirouen+145001+session01/info.
Cultiaux, J. (2020). Séminaire d’intégration, FACCM308, Slides, Université de Namur.
Vacher, Y. (2021). Pratiques réflexives, FACCM 305, Slides, Université de Namur.
Verquin-Savarieau, B., Université de Rouen. (2021). Professionnaliser en formation (SPOC). En ligne sur le site de France Université Numérique – FUN Campus. https://lms.fun-campus.fr/courses/course-v1:unirouen+145001+session01/info.
Notes
[1] https://directory.unamur.be/teaching/courses/FACCM305.
[2] https://www.unamur.be/det/mapemass.
[3] Soutenir l’accompagné pour quitter la situation singulière, en décontextualisant lors de l’analyse et la théorisation et recontextualiser en s’appropriant des savoirs construits pour l’action et la compréhension.