Jeanine Boucqué

Infirmière coordinatrice de nuit au centre de santé des Fagnes Chimay, Belgique
Jeanine.boucque@student.unamur.be

Résumé

Cet article relate l’expérience d’un dispositif vécu par un groupe d’étudiants en master spécialisé en accompagnement : un premier essai d’animation en l’absence de supervision. Cette tentative s’est déroulée avec la mise en place d’une séance d’ARPPEGE. Ce dispositif permet l’analyse et la compréhension d’une situation professionnelle en intégrant une dimension réflexive. Si le travail avec des formateurs experts est vécu comme une réelle opportunité, l’appropriation et la mise en œuvre des dispositifs présentés n’est pas sans difficultés. A ce titre, trois d’entre-elles sont évoquées : pouvoir gérer la divergence de compréhension entre les participants, passer au méta le vécu de la séance, se questionner sur la place réservée aux pistes d’action.

Mots-clés 

co-construction, difficulté, vécu, autorégulation, évaluation

Catégorie d’article 

Témoignage

Référencement 

Boucqué J. (2022). ARPPEGE : vue sous un autre angle. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 22, 52-55. https://www.analysedepratique.org/?p=5309.


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ARPPEGE : a different view
Abstract

This article describes the experience of a device lived by a group of students in master specialized in accompaniment : a first attempt of animation in the absence of supervision. This attempt took place with the setting up of an ARPPEGE session. This device allows the analysis and understanding of a professional situation by integrating a reflective dimension. Although working with expert trainers is experienced as a real opportunity, the appropriation and implementation of the devices presented is not without difficulties. As such three difficulties were mentioned: being able to manage the divergence of understanding between the participants, putting the experience of the session into a meta perspective, and questioning the place reserved for courses of action.

Keywords

co-construction, difficulty, experience, self-regulation, evaluation


 

Prélude

Ce vendredi-là, j’étais dans un état d’esprit de celle qui accepte qu’elle ne sait pas et qui est toute disposée à apprendre pour savoir.

Notre petit groupe du 1er master en accompagnement de professionnels[1] avec quelques étudiants de 2ème année, était prêt… La majorité d’entre nous est issue du monde éducatif, la minorité du secteur social et la toute petite minorité, du soin. Nous avions vécu formellement tous ensemble une séance d’ARPPEGE avec Yann Vacher. Comme le prévoit notre programme, un soir par mois, le groupe se rassemble pour « pratiquer » chaque dispositif et ce, sans la présence de professeur, sans supervision.

La mélodie et ses anicroches.

ARP(P)EGE, le joli nom de ce dispositif qui représente la succession de notes en harmonie formant un accord, nous a été annoncé par Yann Vacher comme étant une analyse réflexive de pratiques professionnelles… « Tordue ». Sans spoiler, je peux confirmer : c’est vrai.

Via cet article, je souhaite ainsi apporter un témoignage de mes premières expériences de l’utilisation d’ARPPEGE en décrivant, une fois n’est pas coutume, mes difficultés à vivre ce dispositif en tant que participante. Elles sont survenues à trois « moments » de cette expérience.

1. De la réflexivité individuelle à la prise en compte de l’autre

La première partie d’ARRPEGE vise principalement une prise de conscience qui pousse à la réflexivité individuelle : jusque-là, pas de problème. Je précise toutefois que mon groupe a acquis une certaine spontanéité face aux différents dispositifs appris lors du premier semestre de l’année académique : le DAPP, le DAGNEA, l’AQCED (Voir Boucenna & Vacher 2016). En revanche, la seconde partie, qui elle, est collective et toute nouvelle pour nous, m’a fait connaitre pas mal de turbulences. Lors de la modélisation de la situation présentée (phase 6 du dispositif, voir Vacher 2022), mon sous-groupe a placé l’exposant au centre de la situation, toute la modélisation était construite autour de lui. Cela m’a déstabilisée car je l’aurais placé sur le même pied que sa collègue en face de son accompagné, comme une configuration à trois têtes, donc totalement différente : divergence de compréhension En effet, le sous-groupe centrait l’accompagnant bien en évidence, au-dessus de son accompagné et de sa collègue. En mon for intérieur, j’ai réalisé que bien que ce soit une séance de groupe, chacun reste avec sa propre façon de penser et je me suis demandé : « qu’est-ce qui dans mon vécu, a provoqué cette différence par rapport aux autres participants ? ». Je ne pense pas que cette divergence avait pour origine une opinion ou une croyance, je m’orienterais davantage vers le vécu. Dans le cadre de la sécurisation du vécu de la séance, il est prévu que nous ne devons pas émettre de jugement, même implicite. Et de me demander : « Que faisons-nous de la critique constructive ? ». J’étais bien tentée de critiquer la façon de placer l’exposant. Plongée dans mes réflexions, je me disais que ce sont les questions de clarification (1ère partie) qui sont sous ce cadre de sécurité (confidentialité, bienveillance, non jugement). Dans la 2ème partie, c’est différent, émettre une objection sur l’hypothèse de mes pairs, aurait pu être précisément profitable en mettant en lumière une alternative, « un non perçu ». J’aurais peut-être dû imposer mon point de vue et le confronter mais Je pensais que dans ce cas, le schéma réalisé en groupe n’aurait plus eu de sens pour les participants car tellement éloigné de ce qu’ils avaient produit. Réexaminant et écoutant le raisonnement de mes pairs, j’ai réajusté le mien. J’ai réalisé qu’il y a eu dissonance car cet accompagné me faisait penser à une collègue infirmière qui ne se rendait pas compte qu’elle se mettait en défaut. Le sort que la direction lui a réservé, ressemblait à celui qui attendait l’accompagné dans notre situation narrée. Cependant, comprenant leur logique, je me suis alors ralliée à la majorité.

2. Du méta sur le vécu dans la séance

Ma seconde difficulté rencontrée fut lors de la dernière phase, durant laquelle il nous est demandé un retour sur le vécu de la séance en dehors de la situation analysée. Je n’y suis pas parvenue et j’ai livré une analyse méta en rapport avec la situation. L’animatrice, étudiante elle aussi, est judicieusement intervenue. J’y serai vigilante la prochaine fois. En fait, je pense que je me suis laissé surprendre par la forme de détresse de l’accompagné, elle me semblait tellement injuste. Je n’ai pas su m’empêcher, par sollicitude probablement, de réinsérer dans l’analyse méta, mon ressenti par rapport à elle.

3. La place de la piste d’action

La place réservée à la piste d’action a constitué pour moi mon 3ème élément de difficulté, car il n’y en avait pas. Quelques membres du groupe estimaient qu’il était plaisant de ne pas devoir avancer des pistes d’action, qu’il n’y avait pas cette contrainte, que cela réduisait le stress, il ne fallait pas trouver un remède. Pour eux, ça leur permettait de se concentrer à 100% sur l’analyse et la compréhension, cela les déchargeait d’un « poids ». Au contraire, mais cela n’engage que moi, je percevais plus cela comme une frustration, du moins en tant que participante. Pour l’exposant, aussi étonnant que ça puisse paraitre, les ébauches de solutions sont apparues d’elles même au bout des 10 étapes que composent le dispositif. Après réflexion, ma frustration pourrait s’expliquer premièrement par le fait que les hypothèses de résolution d’après le dispositif, doivent rester privées. Deuxièmement, j’éprouvais une certaine curiosité de savoir ce que mes pairs auraient envisagé. En s’exerçant entre nous en APP, l’exposant était totalement éclairé sur sa situation et sur ce qu’il allait mettre en place, à l’instar d’une ampoule au sommet de la tête d’un personnage de bande dessinée. Est-ce parce que nous ne lui avons justement pas livré de solution qu’il a pu et/ou dû continuer à creuser ?

Coda

Ce dispositif qui par définition, se déroule en groupe, s’avère être productif, pointu, précis, au service de la personne, de l’exposant dans cette situation, et apporte des perspectives d’apprentissage pour nos prochaines séances. Ça, ce n’est pas tordu, c’est une surprise, une bonne surprise.

Références bibliographiques

Boucenna, S. & Pham Quang, L. (2021). Le MAPEMASS, un master de spécialisation qui forme à l’accompagnement avec les ressources de l’analyse des pratiques professionnelles. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 19, 118-135. https://www.analysedepratique.org/?p=4409.

Boucenna, S., & Vacher, Y. (2016). Réflexivité et apprentissage autorégulé : des notions sœurs qui cultivent la distinction. In B. Noël, & S. Cartier (Eds.), De la métacognition à l’apprentissage autorégulé (pp. 79-93). De Boeck.

Vacher, Y. (2022). ARPPEGE : présentation générale du dispositif. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 22, 4-19. https://www.analysedepratique.org/?p=5292.

 

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Note

[1] Une présentation complète du master est visible dans le numéro 19 de cette même revue ; voir: Boucenna & Pham Quang (2021).