Corinne Rougerie
Docteure en sciences de l’éducation, chercheure associée au laboratoire Fred
(Francophonie, Education et Diversité), Université de Limoges
corirougerie[arobase]gmail.com
Résumé
Cet article propose de présenter un dispositif de formation destiné à sensibiliser les étudiants à l’analyse des pratiques professionnelles en sciences de l’éducation, dans une université française. La démarche est développée d’un point de vue méthodologique en questionnant les conditions, les règles et les limites à prendre en compte pour assurer la mise en place de cet enseignement à l’université. En troisième année de licence, les étudiants ont un rapport aux pratiques professionnelles très hétérogènes. Si la majorité d’entre eux se destinent à des métiers de la relation (enseignement, travail social…), leur âge et leur expérience liée au travail varient considérablement. Cette variable complexifie la sensibilisation à l’analyse des pratiques professionnelles.
Mots-clés
implication professionnelle, dispositif, co-élaboration collective
Catégorie d’article
Modalités d’analyse de pratiques professionnelles
Référencement
Rougerie, C. (2016). Sensibilisation à l’analyse de la pratique à l’université : présentation d’un dispositif singulier. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 9, pp 26-36. http://www.analysedepratique.org/?p=2328.
Article en PDF[ Commentaires
1. Contexte et cadre théorique du dispositif
Dans le cadre d’un enseignement en troisième année de licence en sciences de l’éducation, un cours magistral obligatoire de douze heures est dispensé sur l’analyse des pratiques. Il est accompagné de douze heures de travaux dirigés (TD). A cet effet, les étudiants sont divisés en deux groupes afin de suivre ces TDS dans lesquels un dispositif de sensibilisation à l’analyse de la pratique est mis en place. Cet article a pour objectif de décrire d’un point de vue méthodologique ce dispositif et de l’analyser à partir des étapes successives qui le compose. Il s’appuie sur la mise en récit d’expériences diverses et variées, vécues par les étudiants. Cette démonstration demande d’abord de préciser le cadre théorique utilisé en tenant compte de la particularité du public étudiant concerné et de ses spécificités. Puis le dispositif est déroulé et décrit en trois phases successives.
1.1 Analyse de la pratique et sciences de l’éducation
Sensibiliser les étudiants en troisième année de licence à l’analyse de la pratique dans le champ disciplinaire des sciences de l’éducation est loin d’être utopique au regard de l’intérêt porté par cette discipline depuis les années 1990 sur le sujet. Par exemple, les travaux de recherche de Dominique Fablet, Claudine Blanchard Laville, Marguerite Altet, etc. montrent comment ces chercheurs interpellent l’analyse des pratiques professionnelles des enseignants ou des travailleurs sociaux. Ils expliquent comment l’utilisation de ces dispositifs évolue dans les contextes professionnels en situation de tension : « la finalité de l’action n’est plus seulement le changement ou l’évolution des personnes qui y participent mais aussi peu ou prou, celui de leur collectif de travail » (Fablet, 1998). Ils interpellent notamment le malaise des enseignants en formation (Blanchard Laville et Nadot, 2000).
Les dispositifs d’analyse de la pratique sont régulièrement intégrés au cursus de formation initiale ou continue dans les Ecoles supérieures du Professorat et de l’Education (ESPE) ou les Etablissements de Formation en Travail Social comme des modalités pratiques de la formation. Il semble plus rare qu’une approche critique et une sensibilisation à cette démarche pédagogique soient proposées au préalable. Ces dispositifs semblent être posés comme allant de soi dans des cursus de formation en travail sanitaire et social qui pratiquent l’alternance pédagogique avec des temps de formation théorique (en établissement) et pratique (stages sur les terrains professionnels).
La situation est moins évidente à l’université car le profil des étudiants et leurs attentes en termes de contenu d’enseignement sont plus hétérogènes. Si certains d’entre eux peuvent venir des filières du travail social ou plus rarement de la santé, beaucoup utilisent la filière pour y entrer. D’autres se préparent au concours de l’enseignement. Ils ont souvent beaucoup erré dans des filières après le baccalauréat et/ou se retrouvent en Sciences de l’Education, dans une voie d’attente et de remise en question. Ces profils esquissés proviennent des observations en TD. Il est à noter que l’expérience présentée ici s’adresse à des étudiants sélectionnés sur dossier et qui réalisent la licence en un an après un cursus de formation de niveau bac +2. Les étudiants concernés se préparent donc majoritairement à des métiers ou des fonctions empreintes de dimensions relationnelles intenses dans le secteur social ou éducatif. Le plus souvent, l’approche se fait donc au regard des métiers ou des interventions éducatives ou socio-éducatives. Le lien famille/enfant/institution est une porte d’entrée privilégiée par les chercheurs en sciences de l’éducation (Durning, 2006 ; Rurka, 2008 ; Tillard et Rurka, 2009 ; Fablet, 2009).
L’Analyse Institutionnelle (Lourau, 1970) s’est également saisie de l’analyse des pratiques par la place qu’elle donne au sujet et au collectif, elle permet « d’être au plus près » de l’action en train de se faire, des ressentis, etc. (Monceau, 2013). Le collectif prend une place prépondérante dans l’analyse elle-même. Le volet institutionnel de l’analyse des pratiques, s’enrichit de l’analyse du groupe (Blanchard Laville et Fablet, 1996 ; Monceau, 2005 ; Beziat, 2012). Ce courant sert d’ailleurs d’appui à la démarche proposée ici. Mais une difficulté majeure demeure pour initier une sensibilisation à la démarche d’analyse de la pratique auprès de ces étudiants singuliers en sciences de l’éducation. Les plus jeunes d’entre eux semblent encore méconnaître le milieu professionnel, par une expérience réduite du monde du travail (stages de courte durée dans les institutions, jobs d’été, etc.). Les modalités de mise en œuvre d’un dispositif expérimental sur l’analyse des pratiques doivent prendre en compte leur profil. Comment les sensibiliser à l’intérêt d’analyser un vécu professionnel ?
1.2 L’expérience comme point de départ du dispositif
L’enjeu pédagogique consiste à trouver la matière première qui permet de sensibiliser les étudiants à l’approche de l’analyse des pratiques inscrites dans une démarche praxéologique. La praxis s’entend comme le « rapport complexe du penser et du faire indissociables. Le praticien construit sa pratique dans l’expérience quotidienne d’évènements qui surgissent, de la manière dont il les traite et des routines qui ainsi s’installent » (Guillier, 2003). Il prend sens dans la façon dont le praticien les saisit à travers sa propre construction cognitive et affective et donc sa propre histoire personnelle. Les manières d’être reliées aux autres membres de la profession sont incluses dans la pratique professionnelle. Le concept d’implication professionnelle emprunté à l’Analyse Institutionnelle va servir de support théorique à la démarche. Il se définit comme « l’ensemble des relations que le sujet entretient avec la profession à laquelle il “appartient” et avec les autres institutions dans lesquelles ou en lien avec lesquelles il exerce sa profession » (Monceau, 2012). Il permet à l’enseignant d’amener les étudiants à interroger la place qu’ils occupent non comme subissant un système, mais comme acteurs agissants de ce système, pris au sein même d’un collectif. Ainsi les étudiants sont invités à questionner une expérience, professionnelle ou non, qui va leur permettre l’élaboration d’une analyse et une mise à distance par rapport à leur posture professionnelle en construction. Leur propre expérience d’étudiant peut alors servir de support à la démarche pédagogique proposée, notamment pour les plus éloignés du monde professionnel.
En mobilisant la notion de dispositif comme étant la manière dont sont disposés les éléments dans un but précis, la démarche pédagogique de sensibilisation à l’analyse des pratiques laisse le champ libre à la créativité. Le dispositif qualifie ainsi des opérations d’agencement et d’assemblage d’éléments a priori hétérogènes : des discours, des savoirs, des acteurs, des techniques. « Tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. » (Agamben, 2007). L’important n’est pas de vérifier la véracité des faits recueillis mais d’amener les étudiants à donner du sens aux actes qu’ils posent et vont proposer au collectif. Les pratiques dites spontanées servent de point de départ à l’entrée en réflexion des étudiants. Ils sont amenés à réfléchir en tant que personne-sujet pour conscientiser les actes qu’ils posent. L’enjeu pédagogique est de maintenir un cadre entre la théorie (apportée en cours magistral) et la pratique (apportée par les étudiants en travaux dirigés), comme nous allons le constater en seconde partie.
2. Cadre méthodologique : un dispositif à trois temps
En préambule, l’organisation des séances est précisée. Les étudiants sont divisés en deux groupes. L’effectif peut varier entre 20 et 30 étudiants par TD. Six séances de deux heures se déroulent durant le dernier semestre, à raison d’une séance tous les quinze jours.
2.1 Premier temps : l’accueil de soi et de l’autre (séances 1 et 2)
2.1.1 Première séance : travail sur l’éthique
La base du travail pédagogique s’appuie sur la dynamique collective. L’analyse est produite collectivement. Cette démarche impose d’instaurer un climat de confiance pour faciliter la démarche relationnelle. La première séance a pour objectif de faire connaissance et de poser les règles déontologiques de base à savoir la confidentialité et le respect des échanges tenus à l’intérieur du groupe. Un travail de réflexion collectif est proposé à partir d’un texte sur l’éthique et la déontologie ou à partir d’une situation clinique exposée tirée du champ social ou éducatif. Ils sont amenés à interroger progressivement leurs propres valeurs, à sentir leur professionnalité émergente. Parfois, en fonction de la taille du groupe, les deux aspects théoriques et pratiques peuvent être traités dans la même séance ou l’une des approches sert de support et d’illustration à l’autre. L’éthique est plus particulièrement travaillée ici au regard des travaux de Ricœur et de Bouquet. Privilégier la place du sujet, interroger les pratiques à l’œuvre demandent à interroger l’éthique car « L’éthique présuppose un sujet moral autonome » et un « questionnement permanent sur la pratique. Elle s’éprouve dans l’acte » (Bouquet, 2012). Dans le choix du dispositif proposé se joue plus globalement une éthique de la responsabilité : Jusqu’où l’enseignant peut-il « embarquer » les étudiants pour autant qu’il puisse prévoir les effets du dispositif proposé ? Le cadre et les règles de respect et de confidentialité sont rappelés tout au long du dispositif.
2.1.2. Deuxième séance : la pratique du sosie – l’accueil de l’autre – initiation à l’altérité
En s’appuyant sur l’acte d’accueillir en travail social, les étudiants sont amenés à saisir l’importance du premier temps de la rencontre, à travers la pratique de « l’instruction du sosie ». L’accueil est « une démarche interactive qui permet de relativiser les distinctions entre accueillants et accueillis et de laisser place à l’accueilli comme acteur » (Bouquet, 2006). La technique retenue pour la présentation des individus favorise l’élaboration de la formalisation de la pratique spontanée en s’appuyant sur le parcours personnel. Elle permet d’introduire l’analyse de l’activité en situation d’intervention. La consigne posée est la suivante : « Supposez que vous soyez le sosie de votre voisin et que vous deviez le remplacer en TD, demandez-lui ce que vous souhaiteriez qu’il dise de vous sur votre parcours scolaire et professionnel pour vous présenter au groupe. Quelles sont les instructions que vous devez nous transmettre sur la situation que vous souhaiteriez exposer et qui vous a questionné. » L’étudiant-sujet est d’abord confronté à lui-même par la médiation de l’activité du sosie, puis il se confronte au regard de l’autre d’abord par la médiation d’une activité d’écriture. Chacun écrit en quelque sorte le portrait de l’autre et la situation- problème qui seront adressés au sosie pour le groupe. Ce temps est celui de la prise de conscience de soi et des autres dans un collectif, que j’associe au temps de l’entrée en relation : l’accueil dans sa dimension d’altérité.
Dans une perspective philosophique, « l’accueil est un rapport à l’extériorité, une ouverture par laquelle on se tient sur un seuil entre soi et l’autre, ou entre soi et les autres » (Redeker, 2001). Ainsi posé, l’accueil questionne autant le rapport à l’autre, que le rapport aux autres et à soi-même. Il est une étape essentielle et à part entière dans le dispositif proposé. Les étudiants apprennent à faire connaissance. Gavarini voit à travers l’aliénation du sujet son autonomie. Il se construit psychiquement sur la question du manque. Il construit sa relation d’objet, ce qui le fait sujet dans une dépendance au champ de l’autre (Gavarini, 2003). A partir de ce principe d’aliénation, on peut dire que le sujet est relié à l’institution par la place qu’il y tient grâce à un cadre soutenant. Donc, plus le contexte – ici le dispositif pédagogique d’analyse de la pratique – est déstabilisant et plus il participe à déstabiliser les sujets en présence. Chacun, de sa place, est amené à chercher, à recomposer du sens, des significations qui lui échappent. L’un des premiers effets est de constater qu’en début de second semestre les étudiants se connaissent peu voire pas du tout sur une promotion de 60 étudiants en moyenne.
2.2 Deuxième temps : travail de réflexion autour de l’acte et l’action
2.2.1. Troisième séance : le choix d’une situation. Retour à l’écriture
L’objectif de cette séance est de distinguer l’action de l’acte, autrement dit de mesurer la portée de ses actes. Afin de ne pas cibler sur les situations individuelles, les étudiants sont amenés à se regrouper en deux sous-groupes par TD à partir des présentations effectuées lors de la séance précédente. Les étudiants s’associent en fonction des thématiques communes ou approchantes et sont amenés à analyser collectivement une situation qu’ils ont préalablement sélectionnée. Par exemple ceux qui ont en commun une situation tirée d’une pratique de stage en milieu scolaire et/ou associatif autour d’un thème commun (tel que la gestion d’un conflit) s’associent pour travailler ensemble.
En s’appuyant sur la distinction de l’acte et de l’action proposée par Mendel, ils s’interrogent sur la nature de l’action réalisée au regard de l’acte posé en réalité. En ce sens, l’action décrite montre ce qui est réalisé ou tenté d’être réalisé pour aller vers la perfection (une action pertinente). A travers l’acte, les étudiants sont encouragés à percevoir ce qui résiste à l’intention du sujet et oblige à penser la dimension d’une réalité étrangère qui s’oppose à ses prévisions (Mendel, 1998). En guise d’illustration, l’étudiant qui agit face à une réaction de violence, un geste d’incivilité en cours de récréation est amené à interroger ce qui relève de l’acte posé par l’adulte et de ses conséquences. Quel est la nature de cet acte ? Et la décrire… La réalité a-t-elle été « entravée » par mes propres résistances qui m’ont conduit à poser une punition ou une décision décalée ? Quelle est en réalité l’action que « je » souhaite atteindre ? L’a-t-elle été ? Comment ?
La consigne d’analyse collective porte plus précisément sur l’élaboration d’une présentation de la situation sur quatre domaines d’expérience : les rapports à l’activité, les rapports aux acteurs concernés dans le(s) collectif(s), les rapports à la hiérarchie, enfin les rapports aux organisations formelles ou informelles concernées. La situation choisie et analysée en groupe sera présentée par l’étudiant, à qui elle appartient, dans la séance suivante. Le choix dépend donc de l’acceptation de l’étudiant à se livrer à un exercice collectif.
2.2.2. Quatrième séance : exposé et mise en analyse collective
En prenant appui sur le courant de l’Analyse Institutionnelle qui a inspiré les pédagogies institutionnelles, Ardoino et Lourau inscrivent le sujet dans une logique de sujet agissant, le plaçant à la fois en tant qu’acteur, agent et auteur. Si on veut que le sujet trouve une « autonomie relative », « un peu plus d’intelligence », « c’est alors affaire d’optimisation des pratiques » selon ces auteurs. L’individu demeure agent quand « il exécute (…), il joue et interprète sa partition ou son texte » (Ardoino et Lourau, 1994). Ces auteurs y voient une volonté de « s’autoriser, c’est-à-dire l’intention, et la capacité conquise, de devenir soi-même, son propre co-auteur, de vouloir se situer explicitement à l’origine de ses actes, et, par conséquent, de soi-même, en tant que sujet » (Ardoino et Lourau, 1994).
La quatrième séance s’approche d’une séance classique d’analyse de la pratique dans laquelle l’étudiant va exposer sa situation, en exposant et s’exposant au regard des autres. Il se met en position d’analysant. L’objectif est de sensibiliser les étudiants à un déroulement classique de dispositif d’analyse de la pratique, tout en les amenant à questionner leurs propres actes, à partir d’un cadre théorique vu en cours magistral et d’une grille d’analyse travaillée en TD. L’exposant du groupe 1 expose sa situation à son groupe. Les membres du groupe 2 sont mis en situation d’observateurs du dispositif. Ces derniers doivent garder le silence pendant le déroulement de la séance et prendre des notes sur le fonctionnement du groupe. Ils n’interfèrent pas sur le contenu de l’analyse. La séquence suivante propose la même configuration avec le groupe 2 qui devient un analyste collectif. La séquence se déroule de la façon suivante :
- Temps de l’exposé (5 minutes) : l’étudiant volontaire présente sa situation vécue, travaillée collectivement en groupe et pose explicitement le problème.
- Temps de questionnement (5 minutes) : le groupe pose des questions pour étayer le contenu descriptif en termes d’informations complémentaires.
- Temps d’analyse collective (15 minutes) : émission d’hypothèses de compréhension voire de changement en termes de posture, de rapports au savoir. Il ne s’agit pas ici de conseils à apporter.
- Temps de conclusion (5 minutes) : l’exposant intervient comme il le souhaite sur les échanges collectifs produits.
- Temps de restitution collective (15 minutes ou plus si nécessaire) : analyse du fonctionnement du dispositif avec l’ensemble des étudiants- analystes et des étudiants- observateurs, l’analysant et l’enseignant.
L’enseignant est garant de la médiation tout au long du dispositif. Il rappelle les consignes, le rapport au temps et distribue la parole. Il participe aux temps d’échange collectif souvent pour recentrer les propos, guider et accompagner l’analyse du fonctionnement du dispositif. Deux séquences ont lieu successivement sur la séance.
2.3 Troisième temps : co élaboration collective
2.3.1. Cinquième séance : reprise de la situation clinique exposée – Restitution collective
L’objectif de cette dernière séance sur le dispositif en tant que tel est de favoriser la dynamique de groupe et la valeur ajoutée de la production de savoir(s) à plusieurs. L’entretien collectif a pour objectif d’aller au-delà d’une simple addition d’opinions individuelles (Grawitz, 1981). L’’interaction entre les étudiants est recherchée afin de favoriser une mise en évidence de leurs pratiques spontanées proposées. Ce temps permet de poursuivre la compréhension des situations énoncées en partant de l’analyse classique qui consiste à saisir les traits communs au récit. Trois entrées sont proposées :
- La référence avec la réalité historique ; à savoir le vécu, la situation objective, la manière de les vivre ;
- Le signifié : c’est-à-dire le retour du sujet et donc sa manière propre et subjective à s’emparer de son histoire individuellement puis collectivement ;
- La mesure des écarts, la négativité des discours.
Ces éléments influent sur la nature de savoirs obtenus, sur les nouvelles connaissances et leurs natures. Ce temps de restitution est une partie essentielle de la démarche pédagogique proposée. La restitution est appréhendée sous une forme conceptuelle. Elle est comprise « comme “devoir moral” (…), donnant une visibilité aux jeux des implications des uns et des autres, tendant à l’homogénéité du savoir » (Catini, Sada & Samson, 1999). Elle amène l’enseignant à s’interroger sur ce qu’il doit restituer de sa compréhension du dispositif, des postures prises par les étudiants, d’interroger la forme du dispositif en lui- même et pour mesurer et contenir si nécessaire les effets produits chez les étudiants.
L’attitude, les émotions partagées ou ressenties apparaissent dans ces temps d’analyse collective. L’effet parfois libérateur produit chez certains étudiants peut surprendre car tel n’est pas l’objectif recherché. Mais la restitution en imposant de prendre le risque de « s’exposer » devient facilitatrice de la circulation d’échanges et de la reconnaissance de chacun dans les propos renvoyés.
2.3.2. Sixième séance : évaluation collective de l’enseignement
La démarche engagée doit se terminer par une évaluation obligatoire du TD. Le dispositif en lui-même ne peut être soumis à une évaluation compte tenu de la particularité du dispositif proposé sous-tendu par un engagement personnel et des valeurs éthiques qui sont contractualisés oralement dès le début de la démarche. Cet engagement participe à la participation et à la compréhension du dispositif par les étudiants. Mais il est impossible d’évaluer les problématiques proposées par les étudiants, notamment pour les étudiants qui s’exposent davantage dans le dispositif à titre individuel. Malgré le cadre tenu par l’enseignant, il n’est pas rare de voir certains étudiants lâcher prise sur des situations professionnelles vécues et investir le dispositif dans sa visée formative et analytique à titre personnel. L’évaluation proposée du TD repose alors sur un travail mené en parallèle à partir de textes choisis par l’enseignant sur l’analyse des pratiques. Toujours en groupe, mais cette fois de taille réduite (3-4 étudiants) les étudiants sont amenés à produire un exposé oral en articulant le contenu du texte avec leurs expériences vécues en TD. Pour la première fois cette année, une évaluation conjointe du dispositif va être menée. Une partie de la note sera posée par le groupe à partir de la présentation orale et d’indicateurs qui seront préalablement construits avec les étudiants. L’enseignant évaluera la trame écrite de l’exposé. Jusqu’à présent ce travail était uniquement évalué par l’enseignant. Cette évaluation ne permettait pas toujours de faire le lien avec le travail engagé et de prolonger la dynamique collective générée par le dispositif.
Conclusion
L’enjeu est de trouver un équilibre entre distanciation et participation tout au long du dispositif. Fablet notait qu’« intervenir renvoie davantage à des savoirs d’action qu’à des savoirs théoriques » (Fablet, 2004). Trois questions, a minima, guident plus globalement le contenu du cours dispensé et sa mise en application : qu’est-ce qu’analyser sa pratique ? Quel intérêt à s’inscrire dans une telle démarche ? Comment s’y prendre ? L’idée de processus sous-tend la démarche proposée et vise toujours à inviter l’étudiant, non seulement à décrire et à mettre en commun une situation, mais à analyser un vécu expérientiel pour saisir ce qui ne se voit pas, le sens caché aux actes posés, pour comprendre ce qui a été fait, produit et apprendre à agir avec plus de discernement. La lecture collective des situations proposées permet à la fois aux étudiants de créer un sentiment d’appartenance à un même groupe, une même équipe. Elle crée au moins une cohérence du groupe, un sentiment d’appartenance. Elle favorise une décentration de la situation individuelle proposée en permettant rapidement une vision « du dehors » apportée par le groupe à partir d’une narration de la situation proposée. Enfin, elle amène les étudiants à réfléchir à des hypothèses de changement à visée transformative. On peut noter l’émergence d’un engagement citoyen des étudiants dans leur rapport au travail et aux autres.
Références bibliographiques
Ardoino, J. et Lourau, R. (1994). Les pédagogies institutionnelles. Paris : PUF.
Agamben, G. (2007). Qu’est- ce qu’un dispositif ? Paris : Payot et Rivages.
Beziat, J. (dir.), (2013). Analyse de pratiques et réflexivité. Regard sur la formation, la recherche et l’intervention socio-éducative. Paris : L’Harmattan.
Blanchard Laville, C. et Nadot, S. (dir.), (2000). Malaise dans la formation des enseignants. Paris : L’Harmattan.
Blanchard Laville, C. et Fablet, D. (Coord), (1996). L’analyse des pratiques professionnelles. Paris : L’Harmattan.
Bouquet, B. (2012). Éthique et travail social. Une recherche du sens. Paris : Dunod (1ère édition : 2003).
Bouquet, B. (2006). L’accueil. Barreyre, J-Y., Bouquet, B., Chantreau A, Ladsous, P. (dir.), (2006). In Dictionnaire critique de l’action sociale. Paris : Bayard, (1ère édition 1995).
Catini, L., Sada, D. & Samson, D. (1999). « Plusieurs c’est qui ? » In Les Cahiers de l’implication – Recherche d’écriture, 2. Saint Denis : Université de Paris 8 – Département des Sciences de l’Education, p. 51-54.
Durning, P. (2006). Education familiale. Acteurs, processus et enjeux. Paris : L’Harmattan.
Fablet, D. (1998). « Les groupes d’analyse des pratiques professionnelles : un moyen pour lutter contre l’usure professionnelle ». In Les cahiers de l’actif, n°264/265, mai/juin 1998, p. 83-99.
Fablet, D. (2004). « Pour d’autres modalités de collaboration entre chercheurs et professionnels de l’intervention socio-éducative : les apports d’approches socio-cliniques. » In Éduquer. http://rechercheseducations.revues.org/345. Consulté le 11 novembre 2016.
Fablet, D. (2009). Expérimentations et innovations en protection de l’enfance. Paris : L’Harmattan.
Gavarini, L. (2003). « L’institution des Sujets. Essai de dépassement du dualisme et critique de l’influence du néolibéralisme » In Les sciences humaines. Analyse institutionnelle entre socio-clinique et socio histoire. L’homme et la société, n° 147, p. 71-93.
Grawitz, M. (1981). Méthodes des sciences sociales. Paris : Dalloz.
Guillier, D. (2003). L’analyse institutionnelle des pratiques professionnelles. In Blanchard Laville, C. et Fablet, D. Travail social et analyse des pratiques professionnelles. Dispositifs et pratiques de formation. Paris : L’Harmattan, p. 21-46.
Lourau, R. (1970). L’analyse institutionnelle. Paris : Éd. de minuit.
Mendel, G. (1998). L’acte est une aventure. Du sujet métaphysique au sujet de l’acte pouvoir. La découverte.
Monceau, G. (2013). Effets d’une pratique clinique de recherche. In Kohn, R. C. (coord.) Pour une démarche Clinique engagée. Paris : L’Harmattan, p. 91-103.
Monceau, G. (dir.) (2012). L’analyse institutionnelle des pratiques. Une socio-clinique des tourments institutionnels au Brésil et en France. Paris : L’Harmattan, p. 15-36.
Monceau, G. (2005). Transformer les pratiques pour les connaître : recherche-action et professionnalisation enseignante. Educacão e Pesquisa. Vol. 31. N°3. São Paulo. Brésil. http://www.scielo.br/pdf/ep/v31n3/fr_a10v31n3.pdf. Consulté le 12 novembre 2016.
Redeker, R. (2001). Qu’est-ce que l’accueil ? Conférence prononcée à la clinique Joseph Ducuing de Toulouse. http://redeker.fr/wa_files/L_27acceuil_Ducuing.pdf. Consulté le 1 décembre 2016.
Rurka, A. (2008). L’efficacité de l’action éducative d’aide à domicile. Paris : L’Harmattan.
Tillard, B. et Rurka, A. (2009).Du placement à la suppléance familiale. Paris : L’Harmattan.
Haut de page