Geoffroy Denis

Conseiller en prévention, Wallonie

geoffroy.denis[arobase]hotmail.com

Elodie Duerinckx

Kinésithérapeute, Namur

elodie.duerinckx@gmail.com

Stéphane Duvivier

Conseiller au soutien et à l’accompagnement pour l’enseignement
fondamental libre (SEGEC) – Hainaut, Belgique

duvivier.steph@gmail.com 

 


Résumé

Ce texte présente trois témoignages de participant.e.s à la formation du Master de spécialisation en Accompagnement des Professionnels de l’Education, du Management, de l’Action Sociale et de la Santé (MAPEMASS) qui forme à l’analyse des pratiques professionnelles (APP). Ces témoignages portent sur les apprentissages développés, sur la manière dont ils ont été facilités ainsi que sur les obstacles rencontrés. Ils évoquent également les modalités de travail utilisées et les dynamiques expérientielles et interactionnelles mobilisées dans la formation.

Mots-clés 

formation à l’animation, apprentissage expérientiel, réflexivité, interactions, appropriation

Catégorie d’article 

Témoignage

Référencement 

Denis, G., Duerinckx, E. & Duvivier, S. (2021). Témoignages en lien avec la formation du MAPEMASS. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 19, pp. 136-148. http://www.analysedepratique.org/?p=4411.


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Testimonials related to the MAPEMASS training
Abstract

This text presents three testimonies from participants in the Master’s degree course in Accompaniment of Professionals in Education, Management, Social Action and Health (MAPEMASS), which provides training in the analysis of professional practices (APP). These testimonies relate to the learning that took place, the way in which it was facilitated and the obstacles encountered. They also mention the working methods used and the experiential and interactional dynamics mobilised in the training.

Keywords

facilitation training, experiential learning, reflexivity, interactions, appropriation


 

Les trois témoignages présentés ci-après en lien avec la formation du MAPEMASS (voir Boucenna & Pham Quang, 2021) ont été recueillis dans des entretiens individuels effectués à distance d’une durée d’environ 30 minutes chacun. Leur.e.s auteur.e.s font partie de trois volées ou promotions différentes. Ils.elles ont été invité.e.s à s’exprimer sur les aspects principaux suivants de leur vécu en formation, qui leur ont été communiqués préalablement par courriel :

  • les modalités d’apprentissage et la dynamique développées (au niveau individuel et au niveau du groupe de formation) ;
  • les résultats produits, en termes de compétences acquises et de pratiques d’animation effectivement mises en œuvre ;
  • les éléments qui ont facilité les apprentissages ainsi que les difficultés ou obstacles rencontrés.

Les entretiens ont été retranscrits intégralement afin de conserver le caractère vivant du témoignage parlé. L’intervieweur, Marc Thiébaud, est intervenu à quelques reprises uniquement pour relancer ou faire préciser le propos.


Témoignage de Geoffroy Denis

De nouvelles perspectives de réflexion, une nouvelle manière de voir et d’exercer mon métier

J’ai commencé le MAPEMASS après avoir fait un Master en ressources humaines (RH) ainsi qu’une formation de conseiller en prévention, où je dois agir comme garant du bien-être en entreprise. Avec cette double casquette (RH et conseiller en prévention), après quelques années dans le monde professionnel, j’avais l’impression de ne plus trouver les réponses face aux nouveaux problèmes qui se posaient à moi. Les recettes habituelles ne semblaient plus fonctionner. Il me fallait trouver autre chose. J’ai donc décidé de me lancer dans un master complémentaire.

Je ne suis pas déçu dans la mesure où cela ne m’a pas donné des réponses, mais cela m’a apporté finalement une autre vision de mon métier et une autre posture par rapport à la manière dont je l’exerce. Le cursus est exigeant. Il ne vend pas de solutions miracles mais il transforme, bouscule les certitudes, force à penser autrement et de manière plus large.

À quoi cela tient ?

Cela vient de tous les enseignements et des éclairages théoriques, mais aussi et surtout de la manière dont cela est articulé, pour une part importante, avec les différents ateliers et notamment les ateliers d’analyse de pratiques professionnelles (APP). Ceux-ci sont d’autant plus intéressants et d’autant plus riches à mon sens qu’ils nous permettent de mobiliser l’ensemble des autres enseignements.

Ce qui m’a le plus plu par rapport à cette approche de l’APP et pour la compréhension de mon monde professionnel, c’est que fréquemment, en tout cas au niveau RH, on part dans une posture où on doit tout solutionner et où on est souvent seul avec soi-même pour arriver à une solution, un peu comme le chevalier blanc. Et finalement on se rend compte dans ces séances d’APP qu’on a une vue parcellaire de la situation proposée, que l’on a une grille d’analyse limitée face à la complexité de la situation et que la multiplicité des regards sur la situation permet d’avoir un éclairage tout à fait neuf et souvent très enrichissant du problème exposé. Cela permet non seulement de progresser, puisque le fait d’entendre les autres fait voir le monde différemment, mais aussi d’avoir un effet miroir et de se dire dans sa pratique qu’on n’est pas le dépositaire unique d’une solution parfaite. Ce sont souvent les personnes qui s’impliquent dans les différentes situations qui sont les plus à même de les résoudre.

Je trouve par conséquent que l’analyse de pratiques est quelque chose de très riche qui va souvent à l’encontre de de ce qu’on essaie de nous vendre, notamment au niveau de certaines approches qui veulent amener des solutions toutes faites pour des problèmes qui sont complexes et uniques. Alors qu’avec l’APP (et le codéveloppement ou d’autres approches similaires), on cherche à trouver et à faire émerger des solutions par le groupe. Et les résultats sont nettement plus en phase avec les besoins et la situation réelle.

Dans l’entreprise dans laquelle je travaille, je suis seulement en train de mettre cela en place, petit à petit. Je pense qu’il faut du temps. Mais il importe pour moi de me lancer, tout en étant prudent. Parce que même si le MAPEMASS nous offre régulièrement l’occasion de prendre le rôle d’animateur, cela ne s’improvise pas. Il y a aussi des risques que l’on identifie : je peux verser par exemple dans la résonance émotionnelle si je ne suis pas armé ; je peux aussi faire du tort aux personnes, si j’arrive rempli de bonnes intentions mais que je n’ai pas une maîtrise des processus mis en œuvre et que je ne sais pas trop où on met les pieds.

Qu’est-ce qui a particulièrement facilité tes apprentissages ?

Une des forces du MAPEMASS, c’est que l’on a un groupe de personnes qui sont volontaires pour participer activement et il n’y a aucun enjeu entre nous (professionnels ou de hiérarchie). Mais en même temps, c’est en quelque sorte un groupe parfait, trop parfait, que l’on risque de ne jamais retrouver dans le milieu professionnel. Donc, on anime souvent un groupe qui a une bienveillance extraordinaire, qui est capable aussi de multiplier les différents points de vue d’une manière rare, un groupe que l’on ne va finalement jamais réussir à reconstruire en entreprise

La question que je me pose par rapport à la manière dont j’aimerais le mettre en place dans mon milieu professionnel, c’est : comment faire en sorte que cela fonctionne et que les gens en tirent des enseignements sans qu’il y ait des biais en lien avec les enjeux de position hiérarchique. Cela renvoie à l’importance du cadre sécurisant et à la manière dont moi, en tant qu’animateur, je peux aussi y trouver ma place, en étant capable de mettre de côté mes propres enjeux au sein de l’entreprise.

Les moments les plus significatifs du MAPEMASS, pour moi, ont été notamment les différents ateliers qui se déroulent sur un week-end, dans lesquels on a pu expérimenter et poser des questions. Également le séminaire d’intégration dans lequel nous nous retrouvons en petit groupe pour pratiquer l’animation entre nous, par exemple avec l’approche du codéveloppement. Cela nous aide à avancer aussi sur différentes thématiques. Il y a tout l’aspect transversal, les liens avec l’ensemble des cours et la posture d’animation, la vigilance à avoir par rapport au cadre et à tout un ensemble de facteurs tels que, par exemple, la neutralisation des questions. Des aspects que l’on apprend dans différents cours et que l’on entraîne dans des animations, ce qui permet de mieux percevoir ce qui se joue : être attentif à la manière dont la question est orientée, prendre garde à ne pas proposer déjà une piste de solution, etc. En s’entraînant, en renforçant ces prises de conscience, cela nous aide ensuite à les transférer dans des réalités plus complexes.

Comment se déroulent ces rencontres en autonomie ?

Dans les séminaires d’intégration, la première séance a lieu avec un enseignant qui rappelle les bases, puis on travaille entre nous. Chaque groupe s’organise, répartit les rôles. A chaque fois, il y a un scribe, qui aide à garder une trace du travail du groupe. Cela peut nous servir dans la méta-analyse de notre fonctionnement et c’est un peu un carnet d’apprentissage que l’on rédige en cocréation. On travaille aussi l’analyse en utilisant une grille théorique, avec les différentes composantes de l’analyse de pratiques : 1) la sécurisation de l’espace d’interaction ; 2) la sélection de la situation ; 3) l’exposé ; 4) les questions d’éclaircissement ; puis les réflexions et propositions, que l’on partage en format tour de table ; 5) la validation d’une synthèse écrite de la séance, pour conclure. Enfin, lorsque la séance est terminée, chaque participant rédige un document appelé journal d’apprentissage.

On apprend aussi beaucoup dans le rôle de participant. Le fait de participer à ces séances m’a permis notamment de développer mon écoute. Dans mon métier, c’est un aspect très important. J’avais toujours tendance à être orienté solution et j’avais l’impression que c’est ce que l’on attendait de moi. Maintenant, j’essaye à chaque fois de de me freiner et de me dire : « écoute prend le temps d’analyser, de faire parler la personne en lui posant des questions ouvertes, neutralisées ». Cela m’est utile non seulement pour les analyses de pratiques, mais aussi pour mes entretiens professionnels. Car le fait de déplier une situation, de servir de miroir est souvent apprécié lors des échanges que j’ai avec mes collègues. Il m’arrive de clôturer un entretien sans avoir formulé la moindre piste de solution et pourtant le collègue me remercie parce qu’il s’est senti écouté et a travaillé sa situation durant l’échange.

Que t’ont apporté les différents intervenants de la formation ?

Dans le MAPEMASS, nous rencontrons beaucoup d’intervenants et je trouve cela très positif, notamment le fait que ce soient des étrangers qui viennent aussi avec une autre logique d’apprentissage, parfois d’autres mentalités et une autre une vision du monde. Je trouve cela très riche et très aidant, d’autant qu’ils s’inscrivent dans une cohérence, qui ne tient pas au hasard mais qui a été voulue, avec la complémentarité de leurs spécificités. J’ai pu ainsi aller puiser à certains moments chez un autre intervenant des éléments de compréhension qui me manquaient. Je prends un exemple : j’avais de la difficulté à distinguer analyse de l’activité et analyse de pratiques. C’est lors d’un séminaire avec un nouvel intervenant que j’ai eu un éclairage qui m’a été précieux. Je lui avais demandé des éclaircissements à ce propos dès le début du séminaire. J’ai ensuite exposé une situation en analyse de pratiques. Nous avons au terme de celle-ci pu revenir avec l’intervenant sur ce qui avait été fait, sur les aspects qui relevaient tout d’abord de l’analyse de l’activité, et sur la manière dont le travail a basculé ensuite, à partir d’une question, vers l’analyse de ma pratique. Cela m’a permis de développer ma compréhension, j’ai pu l’enrichir avec d’autres cours ultérieurement et l’appliquer dans ma réalité professionnelle.

C’est tout un processus, un cheminement. Lorsque le matériau d’apprentissage est la pratique professionnelle, tout est plus parlant. Et dans l’analyse de pratiques, quel que soit la personne exposante, et la situation avec laquelle elle vient, c’est toujours apprenant. Grâce aux liens que je peux faire avec moi, avec ma propre pratique, j’y trouve toujours quelque chose. Et cela fait du bien de découvrir d’autres réalités et horizons professionnels. Cela donne une bouffée d’air et permet de ne pas s’autocenter et tourner en rond dans son contexte professionnel.

Quels obstacles as-tu rencontrés ?

Dans les difficultés, il y a le fait que cette formation se donne en horaires décalés. Ce n’est donc pas toujours facile de rentrer dans un cours après une journée de travail, avec des semaines chargées qui s’enchaînent aux niveaux professionnel et familial. En ce qui me concerne, j’ai été contraint, en partie en raison de la crise Covid, à étaler ma formation. Ainsi, j’ai eu un peu de la peine à me remettre dans le bain à un moment donné, il m’a fallu entraîner à nouveau les différentes notions, remettre en mouvement l’apprentissage. Les travaux qui nous sont demandés ont été un élément facilitant dans ce sens.

Le fait que parfois l’environnement professionnel n’est pas prêt à accueillir ce que je peux proposer n’est pas aisé. Cela prend du temps, et j’ai souvent l’impression d’être en décalage. La difficulté, c’est que l’espace professionnel attend souvent des solutions concrètes et un plan dans lequel tout doit être mesuré et maîtrisé. Alors qu’avec l’analyse de pratiques et la posture d’accompagnement, on se lance dans une sorte d’inconnu : on ne sait pas nécessairement sur quoi cela va déboucher. Et vivre avec cet inconnu, c’est parfois compliqué et en tout cas, cela n’a pas toujours sa place dans le monde de l’entreprise.

Pouvoir animer, mettre en place des groupes, c’est primordial selon moi pour mettre en application les apprentissages. Si ce n’est pas toujours possible dans le cadre du travail, j’apprécie que cela puisse se faire dans le groupe MAPEMASS qui s’est créé pour pratiquer les APP. Ce groupe réunit d’anciens étudiants du master et j’aimerais y prendre part dès la fin du cursus.

Au terme de l’entretien, est-ce que tu voudrais ajouter quelque chose ?

J’en suis à présent persuadé, les professionnels de l’accompagnement seront des éléments clés des organisations de demain. Avec la crise que nous traversons et surtout l’après-crise qui nous attend, nous avons tous le sentiment que le monde change. Les milieux professionnels, quels qu’ils soient, vont être impactés et les défis à relever sont nombreux. La gestion de l’incertitude sera une des clés. Avec ce Master et mes acquis dans l’accompagnement et l’analyse de pratiques, je me sens plus serein et mieux préparé à y faire face.


Témoignage de Elodie Duerinckx

L’apprentissage le plus percutant, c’est de développer sa capacité à réfléchir sur soi

J’aimerais évoquer tout d’abord la manière dont la formation a débuté. Dès le premier cours, nous avons été dans la pratique, on nous a proposé de vivre une analyse de pratiques avec la démarche de codéveloppement. On a eu ensuite des explications plus théoriques. On a vécu cette position d’apprenant dans laquelle on va placer les autres participants lorsqu’on anime un groupe d’analyses de pratiques. Le fait de commencer ainsi la formation donne tout de suite envie de s’y investir.

Cela permet de vivre soi-même ce que l’on proposera de faire vivre lorsque l’on mettra en place la démarche sur notre lieu de travail. Pour moi, par ailleurs, c’était la première APP. Et j’ai pu voir au fur et à mesure toute la démarche réflexive qu’il y a derrière, tout ce que cela peut apporter en groupe, que je n’imaginais pas au début. J’ai pris conscience de la puissance de l’APP. Cette expérience fut donc très enrichissante, beaucoup plus que si l’on avait déroulé des théories sans pouvoir expérimenter. Et particulièrement dans l’analyse de pratiques, c’est vraiment la modalité d’apprentissage la plus cohérente et la plus intéressante.

On peut ainsi mieux comprendre comment cela pourra être vécu par d’autres. Ce n’est jamais anodin, la réflexion développée est plutôt intime. Dans la formation, on vient de différents milieux, donc on a une pluralité de visions. Ce vécu d’analyse de pratiques m’a permis de prendre conscience, d’une part de ce que cela peut déclencher chez des clients, et d’autre part de toutes les réflexions sur moi-même et sur ma position au travail que je peux ainsi développer. C’est très porteur aussi pour le groupe, cela nous aide à voir tout ce qui peut se produire au niveau des relations de groupe.

Comment as-tu vécu ces apprentissages ?

Au niveau individuel, j’ai trouvé cela plutôt déstabilisant, je n’avais jamais vécu encore d’analyse de pratiques. Il y a quelqu’un qui nous anime, mais on ne sait pas à quoi s’attendre et c’est surprenant à chaque étape de l’APP et dans les premiers cours. Ensuite, on comprend le sens de la démarche, que l’on retrouve, quelque soient les formes qu’elle peut prendre. Les apprentissages se font particulièrement par le développement d’une position beaucoup plus « méta », d’une prise de recul, qui nous amène à vraiment réfléchir. Progressivement, notre manière de penser évolue, on devient plus ouvert à la démarche, plus attentif à des détails, à la manière de poser les questions de clarification, etc.

Au début, le groupe ne se connaissait pas bien et je trouve ici aussi, que c’est très apprenant de vivre, dans la pratique, l’importance qu’il y a à mettre des jalons de respect, de confidentialité. Dans notre apprentissage de groupe, cela nous a tout de suite donné matière à réflexion : si je mets en place un groupe d’APP avec des gens qui ne se connaissent pas, je devrai veiller à ces jalons. Cette expérimentation a été pour moi beaucoup plus apprenante que ne l’aurait été la lecture d’un article théorique.

Nous avons aussi pu voir comment notre groupe de formation a évolué, avec les apprentissages individuels et avec le développement d’une compréhension commune de ce qu’est une APP, de la manière de favoriser une prise de parole plus libre, dans la confiance. On voit tout l’intérêt qu’il y a à pouvoir mettre en place des rencontres régulières, dans la durée, pour les groupes qu’on anime.

Comment est-ce que tu as pu développer ta posture d’animatrice grâce à la formation ?

Dans les toutes premières APP, la posture d’animation, ce n’est pas quelque chose à quoi on peut réfléchir parce que l’on a trop de choses à penser. Puis, peu à peu, on développe la capacité à prendre du recul, à se mettre à la place de l’animateur, à s’interroger : qu’est-ce que je ferais si j’étais en charge de l’animation ? Et cela, dans toutes les APP, que je sois animatrice ou participante. Je ne fais pas qu’observer, mais je me prépare aussi à animer et à mettre en place des groupes sur le terrain. Je me demande comment j’interviendrais par exemple pour cadrer le processus, ou pour favoriser la sécurisation de la parole. Je me questionne : est-ce que moi, en tant qu’animatrice, je serais capable de faire cela, dans quelle mesure est-ce que je serais à l’aise pour intervenir dans le groupe ? Les apprentissages se situent donc aux niveaux de la connaissance de moi, de la dynamique de groupe, de ma façon d’être dans le groupe et de ce que j’aurais besoin de développer. Les prises de conscience vont au-delà de la « simple » mise en œuvre d’un protocole d’APP.

Je pense qu’au final, c’est cela l’apprentissage le plus percutant, parce que réfléchir ainsi sur soi-même, être attentive à ses points forts et à ses faiblesses qu’il faut travailler, cela demande un autre travail que de lire des articles.

De quelle aide avez-vous pu bénéficier dans la formation pour développer cette connaissance de soi ?

Je dois souligner l’importance du cadre bienveillant qui a été développé et la disponibilité des enseignants, qui sont vraiment à l’écoute. J’ai ressenti cela dès le départ. On nous forme à devenir animateur mais aussi on nous accompagne dans ce processus. Parfois, cela prend la forme de cinq minutes d’échange entre deux cours, qui permettent de clarifier une question. D’autres fois, ce sera un entretien d’accompagnement plus long, les enseignants nous offrent leur disponibilité. Ce soutien est essentiel à mon sens, quel que soit la matière, pour aider à se connaître soi-même et à faire ce cheminement. C’est possible dans une formation longue telle que le MAPEMASS. Dans une formation très courte, je verrais mal en revanche comment ce cheminement et cet accompagnement pourraient se faire. Cela prend du temps, de développer cette connaissance de soi-même.

Et au niveau collectif, qu’est-ce qui est prévu pour favoriser l’intégration des acquis ?

Au niveau collectif, j’ai trouvé intéressantes les modalités d’évaluation proposées : on a la possibilité de travailler en petits groupes de trois, quel que soit le cours. Et cela peut même être une obligation. Dans ces travaux de groupe, les prises de conscience individuelles que chacun a faites font l’objet d’un échange qui ouvre vers de nouvelles compréhensions par la confrontation de nos vécus. D’ailleurs, ces échanges se développent entre nous à tout moment. Durant les journées complètes de formation, on se retrouve avec des collègues sur le temps de midi pour partager nos apprentissages, pour se dire entre nous ce sur quoi on bute. Et c’est l’occasion de se rappeler que l’on peut solliciter l’enseignant pour se faire aider. La dynamique de groupe y est pour beaucoup. Après quelques mois, les dialogues deviennent très réflexifs et c’est un soutien important.

Comment est-ce que tu as pu mettre en œuvre ces prises de conscience dans ton milieu de travail?

Nous sommes encouragés à transférer les acquis dans notre lieu de travail. Pour moi, cela a commencé par des prises de conscience en lien avec la culture de mon entreprise, ce qui est potentiellement problématique et ce qui ne l’est pas, ce qui m’appartient et ce qui ne m’appartient pas. Même s’il n’est pas facile de mettre en place un accompagnement et de l’analyse de pratiques dans l’emploi qui est le mien, j’ai pu expérimenter des changements dans ma relation avec mes collègues directs, grâce à la position « méta ». Ma manière d’écouter, de reformuler, de poser des questions a évolué. Je peux utiliser certaines cordes de l’arc de l’accompagnement dans toutes mes relations. Et cela me permet de faire et de voir les choses différemment, de découvrir les collègues autrement, à partir de la prise de recul développée.

Aujourd’hui, j’ai envie de mettre en place de l’APP dans mon milieu de travail et, pourquoi pas, dans des rencontres avec des amis aussi, pour pouvoir développer cette position de prise de recul, cette capacité à lâcher prise. J’ai envie d’être animatrice de tels groupes et je me sentirai très chanceuse quand je pourrai aider les professionnels à développer ces prises de conscience et davantage de bien-être au travail.

Dans le MAPEMASS interviennent de nombreux intervenants différents. Comment as-tu vécu cela ?

J’ai trouvé que c’était très bénéfique d’avoir différents intervenants parce qu’ils ont diverses visions, ce qui nous permet d’élargir notre compréhension. Je pense que le fait d’avoir des intervenants étrangers notamment nous aide à enlever des œillères : nous prenons conscience que les sujets abordés sont partagés par une large communauté de personnes qui font les mêmes constats, mêmes s’ils en parlent différemment. Les liens entre ces différents apports, nous les faisons notamment dans le travail en petits groupes demandé pour l’évaluation : cela nous amène à mettre ensemble ce que nous avons vu dans divers cours. Par exemple, pour un de ces travaux, nous avions choisi de développer nos réflexions sur l’APP sous l’angle du rôle et de la posture de l’animateur ; pour cela, nous avons été obligés de rassembler de nombreux apports et expériences. D’autres étudiants ont opté pour faire leurs réflexions sur le fonctionnement et le déroulement singuliers d’une analyse de pratiques vécues.

Qu’est-ce qui a aidé et freiné tes apprentissages ?

Ce qui a été facilitant pour les apprentissages, c’est le cadre bienveillant de la formation avec des enseignants très à l’écoute. Le fait aussi que tous les participants ont choisi de suivre cette formation et qu’ils y sont fortement engagés. On partage le même but.

Les obstacles que j’ai rencontrés se situent peut-être davantage au niveau de certaines formes d’analyse de pratiques dans lesquelles la manière de réfléchir ne me parle pas. En participant à différentes APP, j’ai constaté que certaines sont pour moi plus riches et d’autres le sont moins. Si cela me permet de conscientiser ma manière de fonctionner, je dois dire que c’est difficile de se mettre dans une analyse de pratiques dont la forme ne convient pas.

Une difficulté que l’on vit aussi avec les APP, c’est qu’on ne sait pas jusqu’où cela va aller. Je peux être participante dans une analyse de pratiques ou exposante, et c’est très différent. Quand on est emmené dans des réflexions qui nous conduisent au-delà de ce que l’on voulait, cela peut représenter une pierre d’achoppement même si, en même temps, c’est enrichissant. Malgré la sécurité du cadre, malgré la bienveillance, même si on est en confiance, que le cadre est respecté, que l’on peut dire « stop » et que le « stop » sera entendu, cela demande une prise de risque qui peut être un obstacle parfois. Notamment si l’on n’est pas prêt. Certains peuvent trouver cela difficile, lorsque que l’on n’analyse pas seulement la situation, mais aussi tout le vécu autour de celle-ci et que l’on en vient à creuser ce vécu. À l’arrivée, c’est positif, mais il faut savoir franchir l’obstacle. Tout le monde n’y arrive pas, parce que c’est stressant et énergivore. Je sais que pour moi, j’ai vécu un moment d’APP avec des émotions que j’ai partagées que je n’imaginais pas vivre dans le groupe. Cela a été très enrichissant et je m’en suis réjouie. C’est idéal, si l’on peut dépasser ce risque, avec le soutien du groupe.


Témoignage de Stéphane Duvivier

Les transferts sur le terrain professionnel permettent une réelle appropriation des acquis

Je suis conseiller au soutien et à l’accompagnement dans l’enseignement et j’ai choisi de m’engager dans le MAPEMASS parce que j’estimais ne pas être assez formé pour répondre aux objectifs de mon mandat. Ce qui m’intéressait particulièrement dans la présentation de ce Master, c’était la perspective de participation active et d’échanges avec des professeurs variés et entre les participants en complément aux apports théoriques.

Et c’est ce que j’ai trouvé dans la formation, qui m’a énormément apporté. On ne travaille pas de son côté, on échange beaucoup et les expériences de chacun sont une vraie richesse. Les participants sont tous des adultes avec une expérience professionnelle.

Quelles formes prennent ces échanges ?

Ce sont des moments dans les cours que les professeurs mettent en avant avec une réelle volonté d’aller vers ces échanges. Par ailleurs, différents groupes se sont formés pour l’analyse de pratiques (que l’on appelle les groupes du mercredi soir) dans lesquels on s’entraîne à l’analyse de pratiques. On peut se donner des feed-back et on peut essayer les protocoles.

Il y a aussi beaucoup d’échanges plus informels. En voici un exemple : pour mon mémoire, je m’intéresse à explorer les gestes professionnels des directeurs. Afin d’étoffer mes ressources, j’ai posé des questions aux autres étudiants et j’ai reçu des notes de cours de plusieurs d’entre eux par rapport à un domaine que je ne connaissais pas encore vraiment (dans la mesure où je n’avais pas encore suivi le cours). Cela se fait naturellement. Il y a une énorme solidarité entre les étudiants. On ne va pas hésiter à poser des questions. Et on reçoit quantité de réponses dans l’heure (via WhatsApp). C’est une vraie richesse. Dans un autre master que j’avais suivi, ce n’était pas du tout la même ambiance.

Peux-tu préciser dans quels espaces les échanges se développent ?

Il y a des temps institués dès le départ dans l’horaire : les séances du mercredi et les séminaires d’intégration. Puis les échanges s’auto-organisent au fur et à mesure. Les étudiants sont rapidement en autonomie, dans des groupes de six à sept personnes.

Et selon les travaux qui nous sont demandés, il y a d’autres petits groupes qui se forment. Également autour de questionnements qui nous sont propres. Par exemple, cela va m’aider à trouver d’autres ressources, en lien avec d’autres cours qui peuvent m’être utiles et que je n’ai pas encore suivi. Les anciens notamment peuvent apporter des éclairages aux étudiants plus novices. Dans ces échanges, je n’ai jamais perçu que les anciens se posaient comme des experts, Ils ne donnent pas de réponses toute faites à nos questions, ils nous orientent vers des éléments qui pourraient nous aider. Tout le monde peut apprendre les uns des autres parce que nous venons d’horizons divers et parce que nous n’échangeons pas seulement au niveau des savoirs, mais surtout au niveau des processus.

Quels autres éléments ont facilité tes apprentissages ?

Il y a un aspect important, c’est la confiance. Je me trouve à animer des analyses de pratiques dans les cours et séminaires et l’aspect de la confidentialité est essentiel, notamment parce que je suis avec des collègues en formation qui peuvent connaître mon milieu de travail. Je suis vraiment impressionné de pouvoir travailler dans un tel cadre où je ne ressens pas de danger.

Il y a aussi beaucoup de travail de recherche et de lectures mais ce n’est pas propre à ce Master. Cela demande bien du temps en dehors des cours. En même temps, les attentes au niveau de l’écrit ne sont pas trop lourdes, en tout cas, elles sont progressives (dans une logique d’évaluation – progrès plutôt que d’évaluation – performance). Elles s’inscrivent dans une visée d’accompagnement des apprentissages. On peut recevoir à tout moment des feed-back des enseignants.

Une autre modalité de travail que j’aime bien, c’est le journal d’apprentissage. Ce n’est pas forcément très structuré, il s’agit plutôt d’un cahier de notes personnelles, pour y écrire ce qui nous a surpris, questionné. Par rapport aux questions notées, on peut y revenir de temps à autre, les réponses ne pas toujours immédiates, c’est donc intéressant. Si je prends par exemple la question de la posture d’animateur : je peux progressivement affiner des réponses aux questions que je me pose à ce sujet. Jusqu’à présent, on n’a pas encore eu l’occasion d’échanger là-dessus mais cela pourrait se faire un jour.

Le passage par l’écrit est pour moi un élément facilitant. Cela me permet de faire vraiment un transfert dans l’expérience. Tous les travaux écrits sont à développer à partir d’une réflexion, cela m’amène donc à revivre et à restructurer les acquis, à ouvrir d’autres questions et me permet une meilleure appropriation. On est loin des examens de type QCM ou restitution de connaissances.

En ce qui concerne les cours, est-ce que tu peux faire ressortir un ou l’autre moment ou aspect clé pour toi ?

Ce que cela m’a apporté en premier lieu, ce sont de nouveaux protocoles d’analyse de pratiques, que j’ai testés avec des directeurs d’école, avec une belle variété. Le plus intéressant pour moi, c’est la mise en pratique de ce que les cours nous apportent.

Un autre aspect concerne les feed-back, les analyses « méta » sur l’analyse de pratique que nous vivons ensemble. Cela me permet de vraiment mettre des mots sur ce qui se passe à ces moments-là et de me remettre en question par rapport à ma manière de faire habituelle. Je pense par exemple aux critères que j’utilisais pour le choix des situations (l’urgence). J’ai été amené à le reconsidérer et à privilégier des critères qui peuvent favoriser davantage le travail d’analyse de pratiques

Ces réflexions « méta » peuvent se faire dans le cours d’une APP que l’on anime ou à l’issue de celle-ci. Il s’agit bien d’un feed-back et d’un partage de questionnements et non d’une évaluation. Il n’y a pas de débat pour savoir ce qui est juste ou faux. Cela permet d’élargir sa vision, mais en procédant non à partir d’un savoir d’expert, mais bien à partir d’un véritable questionnement, qui est susceptible d’ouvrir sur d’autres perspectives grâce au travail réflexif qui aide à repenser sa pratique et ses interventions d’animation.

Quels obstacles as-tu rencontrés dans la formation ?

Le travail à distance, en raison du Covid, est une difficulté : la dynamique d’échange peut être en partie bloquée. C’est notamment le cas pour des problèmes techniques que l’on rencontre, et particulièrement si c’est le professeur lui-même qui a des soucis de connexion (au niveau des participants, on peut s’entraider… et peut-être que la distance nous amène à développer davantage nos échanges). En raison de l’obligation de travailler à distance, certaines activités et des rencontres internationales n’ont par ailleurs pas pu avoir lieu.

Le fait de devoir faire de l’analyse de pratiques en ligne n’était pas aisé au début. On n’en avait pas l’habitude. Mais finalement le groupe a fait que cela a fonctionné, malgré les difficultés techniques que l’on a pu rencontrer à certains moments. C’est aussi la force du groupe qui nous a permis de les dépasser.

Un autre obstacle concerne les petits groupes : s’il y a deux ou trois absents, on se retrouve vite seulement en duo ou en trios… les échanges sont plus pauvres et c’est très compliqué de se rassembler à deux groupes, chacun d’eux s’est en effet constitué et organisé de manière propre.

Il y a un aspect que je voyais initialement comme un obstacle mais qui n’en est pas forcément un : je pensais que des cours un peu périphériques, plus éloignés de mes intérêts et de ma pratique professionnelle me causeraient des difficultés. Finalement cela n’a pas été nécessairement le cas. Par exemple, suite à un enseignement dans lequel j’avais un peu moins accroché, je me suis rendu compte au moment de réaliser le travail demandé que je trouvais de nombreuses situations dans mon domaine professionnel avec lesquelles je pouvais faire des liens. J’ai trouvé du bénéfice, non pas directement dans ce que le professeur a apporté, mais lorsque je me suis plongé dans le travail d’évaluation.

Qu’est-ce que tu aimerais ajouter au terme de l’entretien ?

L’important pour moi, ce sont les transferts sur le terrain professionnel. J’ai pu tout intégrer dans ma pratique. Cela permet une réelle appropriation des éléments travaillés dans les cours. Et ensuite, cela enrichit les échanges que l’on peut avoir sur ces expériences.

J’aimerais dire aussi que tout cela est possible parce que l’on est dans une réelle dynamique et dans un projet de formation. Les séminaires isolés, que j’avais suivis antérieurement dans le domaine, ne permettent pas de tels apprentissages.

Référence bibliographique

Boucenna, S. & Pham Quang, L. (2021). Le MAPEMASS, un master de spécialisation qui forme à l’accompagnement avec les ressources de l’analyse des pratiques professionnelles. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 19, pp. 118-135. http://www.analysedepratique.org/?p=4409.

 

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