Emmanuel Marzi

Professeur-formateur 

Emmanuel.Marzi[arobase]ac-poitiers.fr

Joelle Souchaud

Professeure formatrice

Joelle.Souchaud[arobase]ac-poitiers.fr

Virginie Roche

Professeure formatrice

virginie.roche[arobase]ac-poitiers.fr

 

Résumé

Cet article présente trois témoignages de formateurs ayant participé à un dispositif de formation modulaire à l’animation de groupes d’analyse de pratiques professionnelles (APP). Ils témoignent de l’importance de la maîtrise des techniques de questionnement propres à l’explicitation et des effets de cette formation tant sur les savoirs professionnels (au-delà même de la formation) que sur l’identité professionnelle, sans oublier le rôle soutenant de l’environnement professionnel.

Mots-clés 

prise de conscience, entretien d’explicitation, supervision

Catégorie d’article 

Témoignage

Référencement 

Marzi, E., Souchaud, J. et Roche, V. (2021). Témoignages sur le parcours de formation à l’animation de groupes d’analyse de pratiques professionnelles dans l’académie de Poitiers (2017-2020). In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 19, pp. 163-167. http://www.analysedepratique.org/?p=4415.


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Testimonies on the training course for facilitating professional practice analysis groups in the Poitiers academy (2017-2020)
Abstract

This article presents three testimonies from trainers who participated in a modular training program for facilitating professional practice analysis groups (APP). They testify to the importance of mastering the questioning techniques specific to explicitation and the effects of this training both on professional knowledge (beyond the training itself) and on professional identity, without forgetting the supporting role of the professional environment.

Keywords

awareness, explanatory interview, supervision


 

Le témoignage d’Emmanuel Marzi

Entre 2017 et 2019, dans l’académie de Poitiers, j’ai été formé par P. Péaud à plusieurs dispositifs d’analyse de pratiques qui utilisent la technique de questionnement de l’entretien d’explicitation : entretiens individuels d’explicitation, techniques de changement, groupes d’analyse de pratiques, jeux de rôle (voir Péaud, 2021). Connaissant déjà des dispositifs d’analyse de pratiques dérivés de la psychanalyse, c’était pour moi une véritable découverte et un véritable enrichissement dans la mesure où ces processus sont davantage orientés vers l’action. J’ai utilisé en tant que formateur ces techniques d’analyse de pratiques dans le cadre de la formation des néo-titulaires, mais également l’explicitation en entretien individuel, en tant que professeur, avec certains étudiants en demande de méthodes de travail.

Je vois d’emblée deux grandes lignes de force de ces dispositifs. D’abord, le caractère hautement subjectif et singulier des prises de conscience qu’ils peuvent produire, et ce dans un grand respect de la personne et avec une grande délicatesse. La méthode employée dans tous ces dispositifs amène en effet la personne qui en est le centre à prendre conscience de « règles d’action » qui lui sont spécifiques et particulières, et qu’elle dégage par ailleurs elle-même, orientée seulement par des questions dans le registre descriptif. On est très loin de listes de « recettes » à appliquer. La seconde force de ces dispositifs, à mon avis, c’est que leurs protocoles, orientés vers la dimension de l’action, sont faits de sorte à court-circuiter la « plainte ». Si celle-ci peut avoir son importance en début d’analyse de pratiques, il s’agit en effet, pour avancer, de ne pas y rester enfermé, de ne pas rester confiné (!) dans des représentations mentales ou des affects ayant une fonction défensive, et permettant au sujet d’éviter le cœur du problème.

Une difficulté rencontrée avec certains groupes fut de faire entrer tous les stagiaires dans le dispositif, jugé trop technique. Autre difficulté plus personnelle, le « service après-vente », c’est-à-dire l’accompagnement de la mise en œuvre d’un tel dispositif. L’apprentissage et la maîtrise des protocoles (dont certains sont complexes) nécessite une étude approfondie, mais surtout entretien et entraînement qui n’ont pas pu se matérialiser. L’implémentation de ces dispositifs demande en effet à l’animateur de bien connaître ces protocoles, d’animer le groupe, enfin de savoir repérer les moments-clés du travail où les prises de conscience vont se faire.

On se réjouit après-coup, suite à la répétition de questions portant sur la description de l’action, d’avoir vu progressivement le sujet faire apparaître, mettre au jour, certaines de ses « règles d’action », ou certains enjeux d’une situation, initialement cachés. Dans tous les cas, une information nouvelle apparaît, qui permet au sujet de « changer de regard » par rapport au problème apporté initialement.

Le témoignage de Joelle Souchaud

Depuis 20017, j’ai suivi plusieurs formations : analyses de pratiques en groupe, jeux de rôles, entretiens vidéo et entretiens d’explicitation.Ces formations m’ont permis d’une part d’approfondir ma réflexion sur le métier d’enseignant, sur ses implications dans les domaines pédagogique et didactique, sur ses difficultés, sur la nécessité d’y réfléchir collectivement, en groupe.

Les problématiques abordées en analyse de pratiques reviennent de façon récurrente dans l’exercice du métier (problèmes de discipline, problèmes relationnels avec l’administration, les collègues, les élèves, les parents d’élèves…). Le cadre strict et sécurisant des méthodes d’analyse de pratiques permet une exploration collective, et donc riche, de la complexité des situations abordées tout en proposant des solutions concrètes aux situations de conflit.

Ces méthodes permettent également une prise de conscience de la complexité de la tâche de l’enseignant et un regard réflexif critique sur ses propres façons de faire. En ce sens, elles ont modifié mes pratiques et mon regard sur le métier. Elles m’ont permis, entre autres, d’être davantage attentive à l’organisation matérielle de la classe. Elles ont aussi canalisé mon sens de l’écoute en m’apprenant, d’une part à élaborer un questionnement pertinent pour obtenir des informations utiles à la compréhension d’une situation, d’autre part à repérer quels points devaient prioritairement retenir mon attention. De ce fait, elles m’ont aidée à mieux cibler l’aide à apporter et à prendre conscience que, dans ce domaine, la simple bonne volonté ne suffit pas.

En tant que formatrice, j’ai utilisé ces techniques (sauf la vidéo) avec des groupes du DAP (dispositif d’accompagnement professionnel ; voir Péaud, 2021) et dans la formation des titulaires première année et deuxième année (T1/T2). À chaque fois, les participants ont trouvé l’expérience enrichissante, particulièrement les personnes du DAP qui appréciaient l’apport du groupe, la solidarité qui en émanait et qui contrastait avec le sentiment d’isolement dans lequel leurs difficultés les plongeaient. En outre, l’analyse menée par le groupe autorise divers points de vue sur une même situation et permet donc à chacun, particulièrement au narrateur qui l’a vécue, de décentrer son regard. Ceci a pour effet louable de dédramatiser le sentiment d’échec (ou de faire partager un moment de réussite) et de prendre conscience de nos attitudes et de nos réflexes. Pour exemple, un participant, s’est rendu compte lors d’une analyse de pratiques à quel point son propre rapport à l’autorité était problématique et combien cela avait des répercussions dommageables sur sa façon d’enseigner.

J’ai, par ailleurs, mené quelques entretiens d’explicitation avec des élèves qui se heurtaient à des difficultés d’apprentissage, pour qu’ils prennent conscience de ce qui les bloquait. J’ai également utilisé cette technique, de façon plus légère, dans les entretiens préalables à l’entrée au DAP menés conjointement avec l’assistante sociale du rectorat. Les prises de conscience qui en résultent, même partielles, sont toujours intéressantes pour les personnes interviewées. Pour mon propre compte, je trouve passionnant d’accompagner l’autre dans le cheminement de sa pensée. Ce compagnonnage m’apprend sur mon fonctionnement personnel, quand je le compare à celui de la personne que j’interroge, et m’invite à en évaluer la pertinence.

Je n’ai pas utilisé la vidéo parce que le dispositif m’a semblé lourd et intimidant pour les publics auxquels j’ai eu affaire, et parce que, sans doute, c’est celui qui m’a le moins convaincue quand je l’ai expérimenté en tant que stagiaire.

En ce qui concerne les différentes modalités de l’analyse de pratiques, il faut parfois faire face aux réticences des personnes qui supportent mal leurs règles strictes. Mais, passé un temps d’adaptation, elles en voient généralement l’utilité protectrice.

Pour conclure, je dirais que me former en analyse de pratiques a considérablement affiné ma compréhension de l’acte d’enseigner, a attiré mon attention sur l’exigence de précision dans la compréhension des situations, a orienté de façon plus efficace mon sens de l’écoute et m’a permis, en confrontant mon expérience à celle des autres, d’avoir une pratique réflexive de mon métier. Je ne vois d’ailleurs pas comment j’aurais pu prétendre exercer la tâche de formatrice sans ces apports.

Le témoignage de Virginie Roche

Dans le cadre de mon parcours professionnel et dans l’objectif de mieux accompagner mes élèves, j’ai suivi trois stages de formation à l’entretien d’explicitation (niveaux 1 et 2 puis renforcement). Ils m’ont donné l’occasion de faire évoluer ma pratique d’enseignante ; ils m’ont aussi ouvert de nouvelles perspectives en tant que formatrice. Dans le cadre de ma formation de tutrice, j’ai complété ces différents acquis par un stage sur l’entretien dit de formation. Ces différents dispositifs m’ont permis de développer ma pratique du questionnement et de faire évoluer ma posture de tutrice et de formatrice du guidage vers davantage d’accompagnement.

Par ailleurs, mon engagement en tant que formatrice dans le dispositif d’accompagnement des néo-titulaires (T1-T2) m’a amenée à suivre deux modules de formation à l’analyse de pratique : « analyse de pratique en groupe » et « analyse de pratique et jeux de rôles » (année scolaire 2017-2018). Ces dispositifs permettaient de répondre à un besoin nouveau : accompagner un groupe. En effet, les outils de l’entretien d’explicitation (techniques de questionnement, informations satellites de l’action notamment) me donnaient des clés pour l’analyse mais j’avais besoin de connaître des dispositifs formalisés pour travailler avec un collectif.

Le stage « analyse de pratique en groupe » m’a permis de retravailler les techniques de questionnement, ainsi que le dispositif du GEASE (groupe d’entraînement à l’analyse de situations éducatives), que j’avais par ailleurs déjà découvert en tant que stagiaire. Cela m’a confortée dans l’idée que le cadre très rigoureux d’un dispositif est un élément-clé pour protéger le professionnel qui expose sa pratique et pour permettre une véritable démarche d’analyse, et non un simple débat d’idées (le formateur, garant du cadre, a autorité pour mettre en place tous les éléments de mise en sécurité et pour canaliser les interventions). C’est ainsi que l’analyse peut ensuite ouvrir la voie à une autre étape de travail (apport théorique, controverse professionnelle étayée, recherche de solutions…). J’ai également pu vérifier que l’analyse de pratique est aussi une aide au développement professionnel individuel dans le cadre d’un collectif, en ce sens qu’elle permet à chacun des acteurs d’effectuer un retour sur soi et d’identifier ses besoins.

La formation à l’analyse de pratique par les jeux de rôle m’a donné accès à de nouveaux dispositifs mais surtout m’a permis de mieux comprendre le fonctionnement de la mémoire concrète. A travers les différents jeux de rôles vécus au cours de cette formation, j’ai également, mieux appréhendé l’importance de l’espace et du corps dans une situation professionnelle. C’est également au cours de ce stage que j’ai compris la différence entre l’analyse d’une pratique, tournée vers la prise de conscience de ses manières de faire, et l’analyse d’une situation, tournée vers l’étude détaillée des différentes dimensions d’un contexte professionnel.

Au-delà de l’accompagnement des néo-titulaires, les apports de ces différents dispositifs trouvent place aujourd’hui dans chacune des formations que j’anime, sous différentes formes, pour des repères théoriques mais plus souvent en termes de temps de formation ou de modalité pour un atelier.

Il me reste toutefois une difficulté à surmonter : ne pas m’installer dans des approximations involontaires, ne pas m’écarter de la démarche rigoureuse de l’analyse de pratique. Une supervision est nécessaire : je l’ai trouvée à chaque fois que je suivais un dispositif en tant que stagiaire mais elle me fait défaut aujourd’hui. Il me semble indispensable, en termes d’éthique, de se soumettre soi-même à l’analyse de sa propre pratique. J’ai tenté de le faire le plus souvent possible de manière plus ou moins informelle mais l’absence de dispositif pour m’y prêter moi-même est aujourd’hui problématique.

Référence bibliographique

Péaud, P. (2021). Un parcours de formation à l’animation de groupes d’analyse de pratiques professionnelles dans l’académie de Poitiers (2017-2020). In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 19, pp. 149-162. http://www.analysedepratique.org/?p=4413.

 

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