Sephora Boucenna

Responsable du MAPEMASS, enseignante dans le MAPEMASS, enseignante chercheure, Université de Namur (Institut de Recherche en Didactiques et en Education)

sephora.boucenna@unamur.be

Long Pham Quang

Enseignant dans le MAPEMASS, responsable pédagogique (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris), chercheur (équipe Formation et Apprentissages Professionnels, CNAM)

lphamquang@gmail.com

Résumé

Ce texte présente les unités d’enseignement du Master de spécialisation en Accompagnement des Professionnels de l’Education, du Management, de l’Action Sociale et de la Santé (MAPEMASS) qui forment à l’analyse des pratiques professionnelles (APP). Il donne à voir un programme qui mobilise l’APP comme ressource majeure. Celle-ci est à la fois un objet sur lequel les participants sont formés et une ressource pédagogique pour l’apprentissage de l’accompagnement. Pourtant, une formation à elle seule ne suffit pas à développer et à maintenir actives des compétences d’animation et d’usage de l’APP. C’est pour cette raison que le programme propose en suivi des groupes d’analyse des pratiques autonomes et soutient le développement d’un réseau des anciens du programme.

Mots-clés 

accompagnement, analyse de l’activité, formation à l’animation, pratiques réflexives

Catégorie d’article 

Texte de réflexion en lien avec les pratiques

Référencement 

Boucenna, S. & Pham Quang, L. (2021). Le MAPEMASS, un master de spécialisation qui forme à l’accompagnement avec les ressources de l’analyse des pratiques professionnelles. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 19, pp. 118-135. http://www.analysedepratique.org/?p=4409.


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MAPEMASS, a Master’s degree specializing in coaching with the resources of the analysis of professional practices
Abstract

This text presents the teaching units of the Master of Specialization in Coaching of Professionals in Education, Management, Social Action and Health (MAPEMASS) which train in the analysis of professional practices (APP). It shows a programme that uses APP as a major resource. It is both an object on which participants are trained and a pedagogical resource for learning to support. However, training alone is not enough to develop and maintain active skills in facilitating and using the APP. This is why the program offers follow-up autonomous practice analysis groups and supports the development of a network of program alumni.

Keywords

coaching, activity analysis, facilitation training, reflective practices


 

1. Introduction

L’équipe du Département Education et Technologie de l’Université de Namur propose depuis 1985 des formations et des accompagnements qui mobilisent l’analyse des pratiques, que ce soit pour des équipes issues d’une même organisation, pour des groupes hétérogènes en termes d’origine professionnelle ou pour des personnes qui occupent une même fonction dans des organisations différentes. Lorsque la demande s’est faite trop importante pour être assumée au cas par cas, l’équipe a décidé de proposer un programme de master de spécialisation (post-master) destiné aux professionnels de l’encadrement et de la gestion d’équipe. Ce programme réserve une place de choix à l’analyse des pratiques professionnelles comme ressource privilégiée des pratiques d’accompagnement. Pour sa mise en œuvre, trois organisations de l’enseignement supérieur en Belgique francophone se sont associées : l’Université de Namur comme organisation porteuse, l’Université de Mons et la Haute Ecole Namur-Liège-Luxembourg. Des partenaires internationaux (français, suisses et québécois) occupent aussi une place importante dans le programme, que ce soit avec des conventions de partenariat institutionnelles ou individuelles. C’est d’ailleurs, l’unique programme diplômant de l’UNamur qui compte autant d’intervenants internationaux. Ces derniers ont participé à la conception des UE dans lesquelles ils interviennent. Les étudiants témoignent de la réelle plus-value de les compter dans le programme.

L’objectif de cet écrit est de présenter la structure d’un programme qui mobilise l’analyse des pratiques professionnelles comme ressource majeure pour former à l’accompagnement. L’analyse des pratiques y est traitée de deux manières : 1) comme contenu d’unité d’enseignement (UE), c’est-à-dire comme ressource privilégiée pour accompagner ; 2) comme modalité pédagogique au service de la formation et visant l’appropriation des contenus.

Après avoir décrit l’architecture de ce programme diplômant, le public qui le fréquente et les options pédagogiques fortes qui le caractérisent, six unités d’enseignement sont présentées parce qu’elles sont soit dédiées à l’analyse des pratiques professionnelles (UE – « Analyse des pratiques professionnelles en groupes de pairs », « Analyse de l’activité » et « pratiques réflexives ») soit parce qu’elles utilisent l’analyse des pratiques professionnelles comme ressource pédagogique (UE – « L’accompagnement en enquête et gestion de l’incertitude » « Dimensions relationnelles dans l’accompagnement » et « séminaire d’intégration »).

2. Présentation générale et architecture du MAPEMASS 

2.1. Eléments de contexte et architecture de la formation

Le MAPEMASS (Master de Spécialisation en Accompagnement des Professionnels de l’Education, du Management, de l’Action Sociale et de la Santé) est un programme diplômant de 60 crédits, mis en œuvre en septembre 2017, visant la professionnalisation des acteurs de l’accompagnement. Le concept d’accompagnement n’est pas stabilisé, ni dans son usage scientifique ni dans son usage social mais je définis la notion d’accompagnement dans ce programme « comme l’ensemble des activités d’un sujet (accompagnateur) qui participent au projet de transformation de l’activité cognitive, émotionnelle et comportementale d’autrui (accompagné – individu, groupe, organisation) dans la conscience que ce dernier en est l’auteur (l’acteur ? le promoteur ? l’initiateur ?) et que les transformations lui appartiennent » (Boucenna, 2020). Le programme est composé de 16 unités d’enseignement (UE), dont six abordent l’analyse des pratiques professionnelles (APP). Trois UE sont dédiées aux instruments de l’APP et trois abordent l’analyse des pratiques de manière périphérique. Nous détaillerons le contenu de ces UE dans la suite de l’article. Le tout correspond à 19 crédits sur 60, soit le tiers des ECTS (le mémoire, à lui seul en comprend 15) et à 147 heures de cours sur les 330 que compte ce master de spécialisation, soit presque la moitié des heures de cours abordent l’APP ou l’utilisent comme ressource.

2.2. Cinq familles de compétences poursuivies dans le MAPEMASS

Ce master de spécialisation vise cinq familles de compétences : l’analyse, le développement de processus d’accompagnement, la recherche, l’éthique et la réflexivité.

  1. En ciblant la compétence d’analyse, il s’agit de former les participants à conceptualiser la démarche d’accompagnement à l’interface de différents domaines ou champs disciplinaires et à être capable d’adapter leurs actions au regard des caractéristiques de l’environnement, des ressources disponibles et des enjeux présents dans les situations rencontrées. Il s’agit aussi, de savoir analyser différentes situations à différents niveaux, qu’ils soient micro, méso et macro et d’en dégager les implications en termes d’accompagnement.
  2. Pour la compétence de développement de processus d’accompagnement, il s’agit de savoir développer différentes formes de l’accompagnement, que ce soit avec des individus, des équipes, des collectifs de travail ou des organisations sur la base d’une analyse critique des contextes. Il s’agit aussi de savoir concevoir et réguler des démarches d’accompagnement innovantes, en lien avec les situations rencontrées, pertinentes au regard des contextes organisationnels et des enjeux analysés. Il s’agit aussi de développer son pouvoir d’agir afin d’utiliser l’accompagnement pour transformer des contextes professionnels complexes, imprévisibles et qui nécessitent des approches stratégiques nouvelles.
  3. Pour ce qui est des compétences de recherche, les objectifs sont la création de nouveaux savoirs professionnels dans le champ de l’accompagnement et le développement d’une posture de praticien chercheur.
  4. Il ne faut pas oublier la poursuite de compétences éthiques et déontologiques spécifiques au champ de l’accompagnement des professionnels pour que tous les instruments (qu’ils soient techniques, stratégiques ou théoriques) soient utilisés dans une perspective d’alimenter le débat social et non de normaliser les comportements des travailleurs.
  5. Enfin, les compétences réflexives ne sont pas en reste dans le programme puisqu’il s’agit de développer le questionnement épistémologique tel que comprendre la nature des savoirs mobilisés et les modalités de construction de ses propres connaissances, de savoir identifier les valeurs et les principes sous-jacents à ses pratiques professionnelles et d’être capable de développer des modèles d’intelligibilité de la pratique d’accompagnement.
2.3. Une équipe pédagogique internationale

Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction, les intervenants du MAPEMASS sont issus de plusieurs pays et de plusieurs types d’institutions. Nous y retrouvons des professeurs d’universités belges, françaises et québécoises (Université de Rouen, Université Paris-Est Créteil, Université de Corse, HEC Montréal), des professeurs de hautes écoles belges et suisses et des professionnels intervenant dans des programmes universitaires ou en haute école, auteurs d’articles scientifiques ou professionnels. Les formateurs ont été sélectionnés pour leurs quadruples compétences : 1) compétences techniques et méthodologiques, 2) compétences théoriques, 3) compétences réflexives permettant la mise en perspective des options épistémologiques de la construction des savoirs pratiques et théoriques et 4) compétences à donner à voir les options éthiques et déontologiques sous-jacentes aux options. En effet, le programme ne distribue pas les ressources techniques sur certaines UE et les ressources intellectuelles sur d’autres UE. Chacune traite à la fois des quatre dimensions techniques et stratégiques, théoriques, épistémologiques et éthiques et déontologiques.

2.4. Des groupes-classes à taille humaine et l’allègement sur deux ans comme
nouvelle norme

Le MAPEMASS accueille depuis septembre 2017 quatre promotions avec un nombre d’inscrits qui augmente chaque année, lentement mais progressivement (de 21 inscrits en 2017-2018 à 27 inscrits en 2020-2021). Le taux de présentation du mémoire est de 70%, soit les deux tiers. Précisons, cependant, que 70% des étudiants suivent le programme sur deux ans (parfois trois ans, avec une année réservée au mémoire). Tous témoignent (qu’ils l’aient suivi sur un ou deux ans) de l’intérêt à le suivre sur deux ans. En effet, les prétentions du master de spécialisation sont l’appropriation et l’intégration des apports des différentes UE. Les soixante crédits répartis sur deux ans permettent l’expérimentation sur les terrains professionnels respectifs et soutiennent le développement professionnel des étudiants qui sont tous en charge d’une activité d’accompagnement ou d’encadrement d’équipes. Quelques étudiants suivent le programme dans la perspective d’un changement de fonction mais ils représentent une minorité.

3. Un public diversifié : une ressource pédagogique du MAPEMASS

Le MAPEMASS vise la professionnalisation des professionnels en activité. Proposé en horaire décalé, il cible les professionnels qui travaillent dans le secteur de la santé (infirmiers en chef, infirmier-chefs de service, directeurs d’institution de soins, enseignants dans le domaine de la santé et maitres de stage, responsables pédagogique, responsables de formation continue, personnel paramédical, infirmières référentes pour les stages, chefs d’équipes…), dans le secteur social et non marchand (directeurs et coordinateurs d’associations, responsables d’équipes de travailleurs sociaux…), dans les secteurs du marchand, de l’entrepreneuriat social ou des administrations publiques (responsables d’équipe, responsables de formations, responsables RH…) et enfin dans le secteur de l’éducation et de la formation (conseillers pédagogiques, inspecteurs, directeurs d’établissements éducatifs, coordinateurs, chefs d’équipe, conseillers en orientation, formateurs d’adultes…). Une des deux conditions d’inscription est de posséder une expérience dans la gestion d’équipe ou dans la formation pour adultes. Tous ces étudiants qui constituent des promotions comptant entre 21 et 28 étudiants sont donc issus d’univers professionnels diversifiés, pourtant ils partagent tous un même objet : l’accompagnement des professionnels dans leur développement et dans l’appropriation de l’environnement de travail.

Loin d’être une coquetterie, l’hétérogénéité souhaitée par les concepteurs du programme vise à aménager l’espace interactionnel pour faciliter la distanciation, les prises de conscience et la « prise de recul ». C’est un peu comme lorsqu’on corrige un texte. Si nous en sommes l’auteur, les coquilles orthographiques et les mots manquants ne nous sautent pas aux yeux, alors que si nous sommes lecteur d’un texte écrit par un autre, notre vigilance sera d’autant plus facilitée. Comme les étudiants sont issus de secteurs d’activité les plus variés, ils sont amenés à décrire les contextes dans lesquels ils évoluent. Rien ne va de soi pour être compris. Il faut mettre en mots ce qui est vécu pour que les autres accèdent progressivement au sens des propos développés et aux caractéristiques des situations professionnelles convoquées.

La prise de conscience de soi est soutenue par un processus de distanciation visé au travers d’une multitude de ressources fondées sur l’analyse des pratiques professionnelles, la réflexivité et l’analyse de l’activité. Que signifie dès lors la « distanciation » ? Elle est envisagée comme la capacité que possède un individu à diminuer le degré d’implication émotive dans les actions qu’il entreprend. Elle se traduit par le projet qu’à l’individu de ne pas confondre ses actes avec sa personne et de mettre en objet des aspects de son activité, de son vécu expérientiel.

4. Quelques principes pédagogiques forts du MAPEMASS

Le master de spécialisation en accompagnement des professionnels est conçu autour des options pédagogiques suivantes :

  1. Mélanger les publics et offrir une formation transversale. Le principe est que l’hétérogénéité des publics, loin de constituer un défi pédagogique est au contraire une ressource pour soutenir la prise de recul.
  2. Favoriser les échanges entre pairs comme source à part entière de développement professionnel des étudiants. Les structures pédagogiques se remarquent aux différents temps dévolus aux échanges entre pairs, plus nombreux que dans des cursus de formation professionnelle initiale. Les étudiants sont non seulement mis en situation d’écouter les témoignages de leurs collègues mais ils sont aussi invités à analyser, à mettre en perspective, à comparer les analyses produites à partir des situations analysées.
  3. Articuler expérience professionnelle et expérience académique pour chaque étudiant dans un format original d’alternance. L’espace de travail est un espace investi par la formation comme fournisseur de matériaux pour l’analyse des pratiques professionnelles. C’est aussi un espace de réinvestissement des ressources et des instruments, qu’ils soient intellectuels ou interactionnels. Sans insertion dans un environnement professionnel, la formation porte moins ses fruits. Toutes les Unités d’Enseignement sont élaborées pour permettre à chaque apprenant de produire des liens entre son vécu professionnel, ses espaces d’activité professionnelle et ce qu’il expérimente dans l’espace protégé de la formation.
  4. Prendre en compte les différentes dimensions de l’individu dans une perspective intégrée. Chaque étudiant est pris en charge en tenant compte de son activité professionnelle et du secteur dans lequel il évolue, de ses modes de traitement de l’information, de ses acquis issus de l’expérience professionnelle ou de son expérience d’apprenant. Il est aussi pris en compte dans ses rapports affectifs et cognitifs à sa profession, à ses collègues et à sa hiérarchie. Enfin, il y a une attention particulière qui est portée aux éléments qu’il évalue comme constituant des obstacles à la bonne réalisation des tâches professionnelles ainsi qu’aux critères qu’il mobilise pour définir le travail bien fait.
  5. Connecter l’apprenant avec ses sensations, ses modes de réflexion, ses modes d’interaction et les schèmes récurrents dans ses interactions. Il s’agit aussi de l’amener à identifier les caractéristiques des situations produisant des émotions ainsi que ses propres modes de traitement lorsqu’il prend conscience des manifestations physiologiques, cognitives et comportementales des émotions ressenties. Il est invité à une prise de conscience, au sens de réfléchissement tel que développé par Pierre Vermersch (2008). Il est aussi invité à identifier ses manières d’agir dans les situations provoquant des émotions.
  6. Faire vivre l’accompagnement dans la formation tel qu’il est enseigné théoriquement et conceptuellement, dans un principe de congruence.
  7. Evaluer l’intégration et l’appropriation et non la restitution des contenus. L’ensemble des épreuves certificatives portent sur la production de travaux dans lesquels les étudiants travaillent les apports de cours pour en faire non seulement des ressources de compréhension et d’intelligibilité, mais aussi des ressources techniques, instrumentales et stratégiques pour agir dans leurs environnements professionnels respectifs.

Comment ces principes sont-ils concrètement mis en œuvre dans le cadre du MAPEMASS ?

5. Le MAPEMASS, un master professionnalisant sur l’accompagnement des professionnels avec une présence significative de l’analyse des pratiques professionnelles

Parmi les seize unités d’enseignement (UE) qui composent le programme, trois sont dédiées à l’analyse des pratiques professionnelles en tant que contenu principal. Elles sont intitulées :

  • Analyse des pratiques professionnelles en groupe de pairs
  • Analyse de l’activité
  • Pratiques réflexives.

Trois autres UE utilisent l’analyse des pratiques professionnelles comme ressource. Elles sont intitulées :

  • L’accompagnement, entre gestion enquête et gestion de l’incertitude (cette quatrième UE est consacrée aux processus mentaux et interactionnels caractérisant l’accompagnement)
  • Dimensions relationnelles dans l’accompagnement (cette UE aborde exclusivement les aspects relationnels et émotionnels présents dans les démarches d’accompagnement)
  • Séminaire d’intégration (cette sixième UE utilise les ressources du codéveloppement pour soutenir l’intégration des apports de la formation).

Ces six UE sont construites pour outiller les étudiants à l’usage de différents outils et différentes ressources de l’analyse des pratiques professionnelles, les amenant à considérer le travailleur dans ses différentes facettes, y compris comme un être d’émotions, de sentiments et d’enjeux identitaires.

Nous définissons l’analyse des pratiques professionnelles comme l’ensemble des démarches et des dispositifs qui permettent à une personne de prendre conscience et de comprendre les différentes relations qui existent entre d’une part, ses actes (dans leurs dimensions cognitives, conatives et/ou émotionnelles) et d’autre part, l’environnement dans la perspective d’augmenter son pouvoir d’agir.

5.1. L’UE « Analyse des pratiques professionnelles en groupe pairs »

Dans l’UE intitulée « Analyse des pratiques professionnelles en groupe pairs », les étudiants sont invités à analyser des situations professionnelles qui les interrogent et qu’ils veulent comprendre. L’idée n’est pas d’aller vers un processus de résolution de problème mais vers un processus de développement du « savoir-analyser ». Pour développer cette compétence, les protocoles qui leur sont proposés invitent à engager différentes actions que nous déplions dans les lignes suivantes. Précisons cependant que tout au long des protocoles, l’animateur veille à la sécurité psychologique et interactionnelle de chacun des membres du groupe. Pour ce faire il construit, avec les participants, un contrat de confiance qui garantit la confidentialité, le huis-clos, l’absence de commentaires en apartés.

Une progressivité est envisagée dans la nature des protocoles proposés de manière à accompagner les étudiants dans l’appropriation progressive de la démarche d’APP. Le premier protocole met l’accent sur le savoir décrire. On y travaille la neutralisation des récits et des questions de clarification. Le deuxième protocole insiste sur la problématisation et concentre les attentions sur la manière de choisir les « lunettes » pour produire les analyses. Le troisième protocole (voir le DAGNEA, Boucenna, 2013) propose une grille d’analyse (inspirée des travaux d’Ardoino (1993) et soutient plus spécifiquement l’exercice collégial d’une production de sens à partir d’un vécu subjectif. C’est l’occasion de saisir les logiques différentes qui peuvent se confronter ou se s’alimenter entre elles. Le quatrième protocole n’offre pas de grille d’analyse. Les participants sont invités à mobiliser leurs propres cadres de compréhension et de les « réfléchir ».

Pour caractériser les contenus des protocoles proposés dans certaines UE, nous reprenons les composantes de l’analyse des pratiques professionnelles (Charlier et al., 2013) pour décrire les actions attendues des participants lors des séances d’APP.

Constituer le matériau : les membres du groupe sont invités, en fonction de consignes très précises, à définir collégialement ou individuellement (lorsqu’il y a plusieurs matériaux possibles) la situation qui sera analysée en binôme ou en groupe de pairs. Plusieurs démarches sont possibles et permettent de participer à l’élaboration d’une dynamique de groupe fondée sur l’intérêt pour soi et pour autrui dans ce que le narrateur vit et ressent. Le matériau peut être de natures diverses.

Décrire cette situation en utilisant une terminologie non évaluative ou jugeante. Il s’agit ici d’une première mise en mots de situations qui ont été vécues mais n’ont pas fait l’objet d’un réfléchissement au sens de Pierre Vermersch. Le réfléchissement invite à mettre en mirroir le vécu et à accéder au vécu et à l’activité des professionnels grâce au reflet de l’activité dans la conscience, qui elle, est réflexive. Les questions de clarification participent de cette composante.

Problématiser en choisissant un ou plusieurs cadres de lecture de la situation analysée. C’est souvent ce qui constitue le nœud dans le travail d’analyse des débutants. Il s’agit ici de comprendre qu’une même situation peut être lue avec différentes « lunettes » et que chaque interprétation correspond à une lunette particulière. Il y a aussi un grand intérêt à multiplier les lunettes (multiréférencialité) pour ne pas être enfermé dans une seule manière d’interpréter les évènements et ainsi ne pas être limité dans les leviers possibles pour agir. En effet, multiplier les angles de lecture permet de multiplier les pistes pour agir, que ce soit dans cette situation ou dans des situations futures.

Analyser en identifiant la nature des liens présents entre les différentes composantes. Il ne s’agit pas ici d’évaluer et donc de comparer un existant avec un désiré mais bien de comprendre ce qui relie les ingrédients présents dans une situation professionnelle précise et vécue.

Théoriser. Il s’agit ici de formaliser la règle d’action que chacun a construite lors de l’analyse et d’en prendre conscience. Ce sont ces règles qui régissent notre quotidien et qui nous amènent à aborder les évènements vécus de telle ou telle manière.

Réinvestir dans l’action. Il s’agit ici d’utiliser les produits de l’analyse pour concevoir des actions à mener, qu’elles soient en lien avec la situation analysée ou avec d’autres pratiques professionnelles.

Méta-analyser. Cette action invite les analyseurs à se positionner en observateur de leurs modes d’interagir, des cadres d’analyse qu’ils convoquent pour analyser, de leurs réactions tout au long des différentes phases de chaque protocole, des émotions qu’ils se sont sentis vivre, de la manière dont ils les ont traitées, ce qu’ils en ont fait. Ils sont aussi invités à porter un regard décentré et à s’intéresser à l’environnement dans lequel se déroule l’analyse et à ses caractéristiques.

Les protocoles proposés dans cette UE sont structurés à partir de ces composantes de l’analyse des pratiques professionnelles. Ils rompent avec une tradition de réactivité immédiate des acteurs face à leurs expériences émotionnelles qui aurait pour conséquence d’augmenter la température émotionnelle vécue. Les participants sont invités à rencontrer leurs émotions produites par la résonance (à propos de ce concept, voir Elkaïm (2010, pp. 171-172). Ils sont aussi invités à rencontrer celles des autres (exposants ou analyseurs) et à analyser la fonction qu’elles remplissent. Mais ces rencontres se produisent dans un cadre sécurisé et structuré pour orienter l’attention des acteurs sur l’activité professionnelle comme élément central.

En effet, lors d’une précédente recherche sur l’apprentissage des enseignants en situation professionnelle, nous avons analysé qu’il y avait possibilité de développement professionnel et d’apprentissage si les professionnels problématisaient les situations qui présentaient un caractère d’incertitude en choisissant l’angle de l’activité professionnelle et non l’angle de l’ego ou de la relation interpersonnelle. Prenons par exemple le cas de Valérie qui ne s’entend pas avec sa collègue Sophie pour mettre en place une évaluation verticale cohérente des acquis, elle dispose de plusieurs manières de problématiser la situation. Elle peut choisir de se dire : « je suis plus rigoureuse et Sophie est dilettante, elle me porte sur les nerfs. Nous sommes comme cela ». C’est un choix de problématisation qui privilégie une « lunette » égotique étant donné que ce qui empêche la collaboration relève des caractéristiques personnelles des acteurs en présence. Valérie peut aussi se dire : « Sophie ne m’apprécie pas et nos relations sont très tendues, alors travailler ensemble est difficilement envisageable ». Elle choisit l’angle interpersonnel pour lire la situation. Enfin, elle peut se dire : « Jusqu’à présent Sophie et moi n’avons pas trouvé de manière pour travailler ensemble de manière productive. Pourtant, si nous voulons avancer pour nos élèves, il va falloir trouver une manière d’y parvenir ». Alors, elle choisit l’angle de l’activité professionnelle pour problématiser et dès lors sortir de spirales improductives et potentiellement génératrices de souffrance au travail.

5.2. L’UE « Analyse de l’activité »

Dans le cadre de ce master de spécialisation en accompagnement des professionnels, l’analyse de l’activité est d’abord approchée comme une démarche au service de la recherche, puis dans un second temps comme une démarche au service du développement professionnel. Les objectifs pédagogiques opérationnels pour cette unité d’enseignement visent à outiller les étudiants de manière à ce qu’ils soient capables de maitriser la conduite de démarches d’analyse de l’activité dans une visée de recherche (recueil de matériaux) mais aussi dans une visée d’accompagnement du développement professionnel, et cela, en détournant partiellement l’usage premier de certains protocoles en focalisant sur les aspects d’analyse des pratiques professionnelles. Les protocoles travaillés sont l’auto confrontation simple (Theureau, 2010), l’entretien d’explicitation (Vermersch, 1994, 1997), l’instruction au sosie (Clot, 2001; Oddone, 2015). À travers cette unité d’enseignement, il est aussi question de faire connaitre les principes qui pilotent l’analyse de l’activité. Mais pourquoi s’intéresser à l’activité et à son analyse dans un master en accompagnement des professionnels ? S’intéresser aux professionnels invite nécessairement à s’intéresser au travail et plus particulièrement au « travail réel ». Admettre que le travail ne se déroule jamais comme il est prévu et que les professionnels participent à la création de ce même travail, c’est considérer que l’humain ne peut être réduit à un « applicateur », que le travail ne peut être approché comme une succession de gestes mécaniques opérants et performants de par leurs enchainements.

L’humain est nécessaire avec ses apports culturels : la créativité, l’investigation, la transformation pour que les impératifs du travail soient rencontrés. C’est aussi reconnaitre que les émotions et les sentiments sont présents dans l’activité professionnelle. Cela permet de les repérer, de manière tangible, à partir de traces puisque l’ensemble de ces dispositifs donnent accès à la partie visible de l’activité et à sa partie invisible, c’est-à-dire à l’activité de penser, aux émotions vécues, aux sentiments. L’analyse de l’activité peut être menée et vécue dans une perspective de développement professionnel, d’intelligibilité et donc d’analyse des pratiques professionnelles. Ces méthodologies ont pour caractéristique de partir des traces de l’activité et de la rencontre ou de la confrontation des sujets avec ces mêmes traces. Cela produit de vrais exercices réflexifs et une occasion de réfléchissement.

5.3. L’UE « Pratiques réflexives »

Plusieurs dispositifs introduisent de manière progressive « la mise à distance » du praticien vis-à-vis de ses pratiques. Cette distanciation progressive est outillée et accompagnée :

  • outillée, grâce aux différentes démarches de questionnement et d’analyse, de mise en mot de la pratique professionnelle et des émotions, de mise en lien avec différents modèles conceptuels d’intelligibilité de cette même pratique, sans oublier des expériences menées dans d’autres contextes ;
  • accompagnée, par les enseignants –formateurs ainsi que par le groupe qui remplit un rôle de tiers.

Sachant que la prise de distance est un exercice qui n’est pas naturel, une progression a été voulue au sein des dispositifs pour faciliter la gestion des émotions. Cela semble fondé vu l’enjeu sous-jacent à la démarche réflexive qui ne consiste pas seulement à agir autrement mais à être quelqu’un d’autre. Car l’individu travaille sur des schèmes propres d’actions ancrées, sur des habitus, qui font partie de son être… les modifier, c’est donc se changer…  N’est-ce pas là l’enjeu majeur du processus de développement professionnel qui concerne aussi la construction de l’identité professionnelle ?

Un autre enjeu au développement de la réflexivité dans des dispositifs de formation n’est autre que de faciliter l’accès du professionnel à une perception d’appréhension du contexte et des évènements qui surgissent dans ce contexte. La distance émotionnelle ne peut se faire que si la personne a le sentiment d’exercer un contrôle sur les événements. Réciproquement, le sentiment de contrôle sur les événements donne la confiance nécessaire au praticien pour s’engager dans une démarche de distanciation. Plus un professionnel rencontre des occasions de s’exercer à la démarche réflexive, plus il développe une intelligibilité de lui-même en tant que sujet agissant, situé dans un contexte précis. L’intention est que plus il augmente son pouvoir d’agir (empowerment) plus il développe sa créativité.

Au travers de ces dispositifs, de ces protocoles, des options méthodologiques, épistémologiques et pédagogiques, l’équipe enseignante vise à faire vivre les modalités de l’accompagnement et du travail des émotions comme elle l’enseigne.

5.4. L’UE « L’accompagnement entre enquête et gestion de l’incertitude » 

Dans cette quatrième UE, les étudiants sont invités à transférer au moins une des méthodologies, en lien avec l’analyse de l’activité comme modalité d’accompagnement, vues en cours sur leur lieu de travail dans la perspective de mener un entretien d’accompagnement qui utilise l’analyse de l’activité comme ressource d’analyse des pratiques professionnelles et de réflexivité. Il peut s’agir de l’auto-confrontation simple ou croisée, de l’entretien d’explicitation ou encore de l’instruction au sosie. Ils sont invités à déployer un de ces protocoles comme méthodologie d’accompagnement du développement professionnel des publics avec lesquels ils travaillent. Ils sont aussi invités à filmer ces entretiens d’accompagnement et à en retenir deux, à un mois d’intervalle, pour les poster sur la plateforme numérique Webcampus supportée par le logiciel Moodle. Le premier entretien est posté dans les dix premiers jours. Le second entretien sélectionné par chaque étudiant fait l’objet d’un entretien de rétrospection (Boucenna, 2012). Ce qui est placé sur la plateforme, c’est une vidéo qui contient dans une moitié de l’écran l’entretien d’accompagnement et dans la seconde moitié l’entretien de rétrospection. Avant de sélectionner les vidéos, chaque étudiant peut réaliser plusieurs essais. Les modalités de capture de l’information sont différentes de l’autoconfrontation du point de vue filmé. En effet, les séquences de travail sont filmées par une petite caméra harnachée au thorax de l’étudiant, permettant de filmer les scènes telles qu’elles sont vécues par l’interviewer et non par l’interviewé ou l’accompagné. En effet, ce ne sont pas les étudiants en train de réaliser l’activité qui sont filmés, c’est ce qu’ils voient et entendent alors qu’ils réalisent leur activité afin de les remettre au moment de l’entretien de rétrospection dans les conditions les plus proches de ce qu’ils ont vécu. Si notre choix ne s’est pas porté sur les lunettes intégrant une caméra, c’est que notre budget ne nous le permettait pas.

Précisons que ce dispositif est tout récent et qu’il a été inspiré par le travail réalisé par Cattaneo, Boldrini, & Lubinu (2020). Cependant, après en avoir retenu le principe, nous avons réalisé des aménagements sensibles.

Comme précisé quelques lignes plus haut, ces deux entretiens filmés sont postés à un mois d’intervalle sur une plateforme numérique de manière à ce que les autres étudiants puissent commenter les entretiens. Tous les étudiants ne sont pas invités à poster leurs vidéos le même jour. Un échelonnement est privilégié, ils ont dix jours pour le faire. Chaque vidéo postée sera commentée trois fois dans un premier temps, puis pourra faire l’objet de commentaires supplémentaires lors d’une deuxième vague qui ouvre trois nouvelles plages de commentaires. Les étudiants sont invités à s’inscrire pour commenter les vidéos. Précisons qu’ils sont obligés de commenter six vidéos au minimum postées par six auteurs différents sur les deux activités.

La consigne qui leur est donnée se décline ainsi :

« Vous êtes invités à commenter les entretiens menés par les autres étudiants du programme (chaque vidéo sera commentée trois fois au minimum). Chaque vidéo doit faire l’objet de quatre commentaires. Ces derniers peuvent contenir des évaluations mais alors vous êtes invités à préciser quelle est la fonction de l’évaluation que vous réalisez (pour quoi faire ? qui en profite ? et comment il en profite ?). Vous êtes surtout invités à analyser les séances d’accompagnement réalisées grâce à l’analyse de l’activité en identifiant :

  • les normes présentes dans l’entretien, qu’elles soient portées par les comportements de l’accompagnateur, de l’accompagné ou que vous inférez du contexte,
  • les éléments culturels qui définissent les rapports entre les protagonistes de la situation ».

Enfin, une structure en six rubriques est proposée pour les commentaires. Au lieu de laisser les étudiants commenter sur un seul registre, la ressource numérique permet de préconfigurer la nature des commentaires et de les amener à utiliser les apports conceptuels du cours pour mener une analyse. Voici les six rubriques : 1) appréciation personnelle, 2) analyse des objets de l’accompagnement, 3) analyse des démarches d’investigation, 4) analyse de l’usage de la dissonance dans l’accompagnement, 5) analyse des objets et des démarches de création dans l’accompagnement, 6) analyse du caractère (a)symétrique de la relation d’accompagnement.

Une séance collégiale introductive permet de présenter les consignes du travail à réaliser. Une séance à mi-parcours, permet d’analyser les productions de commentaires à partir d’un reporting de la plateforme. Une séance finale, permet de poursuivre l’analyse des commentaires. Cette UE centrée sur les gestes mentaux et interactionnels de l’accompagnement déploie un appareillage assez complexe pour amener les participants à réinvestir les acquis des UE « Analyse des pratiques en groupe de pairs », « Analyse de l’activité » et « Pratiques réflexives » afin de mener des accompagnements sur leur terrain professionnel et aussi d’utiliser l’analyse vidéo comme modalité d’analyse des pratiques professionnelles.

5.5. L’UE « Dimensions relationnelles dans l’accompagnement »

Pourquoi est-ce important de former les professionnels, de les inciter à travailler autour des émotions ? Loin de constituer des empêchements d’agir, les émotions nous mettent en mouvement (Dewey, 2010), et à ce titre elles méritent d’être mises en visibilité. Les professionnels, d’une manière ou d’une autre, ont développé des compétences dites émotionnelles, plus ou moins consciemment, leur permettant de faire face à un environnement changeant, pour s’y adapter de manière efficace avec un sentiment ressenti de sécurité affective suffisant dans leurs interactions avec autrui.

Travailler les émotions c’est développer le processus de distanciation, de soi avec soi et de soi avec autrui. L’importance de ce travail mené collectivement peut bien entendu revêtir différentes formes en fonction de l’interaction singulière entre un intervenant et un groupe de travailleurs réunis dans un même espace-temps de formation. Néanmoins, des thématiques récurrentes sont repérées, constituées à la fois par les expressions des professionnels et les propositions d’analyse de l’intervenant : l’identification de différents types d’émotions (humeurs, affects, sentiments…) ; les diverses manières d’exprimer les émotions (celles qui sont connotées par leurs auteurs comme bonnes ou mauvaises, fortes et faibles…) ; la dimension « animale » des émotions, leur aspect inné, physiologique (l’impossibilité de contrôler une rougeur naissante, une respiration plus rapide ou coupée) ; les aspects culturels, anthropologiques (expressions d’émotions non connues, des mots d’émotions intraduisibles comme « l’amae »[1] japonais) ; les émotions déployées au sein de situations de communication et de relation (obstacles ou leviers).

Les émotions saisies comme support de travail au sein de collectifs formatifs peuvent ainsi permettre aux professionnels de développer des habiletés et des capacités en même temps que l’acceptation de soi-même, éprouvant des émotions en situation de relation. Ce qui se traduit tout d’abord par la prise de conscience de ses propres états émotifs en lien avec la situation vécue, et des émotions des autres : les reconnaître, les accueillir, les comprendre tout en sachant que beaucoup de choses nous échappent et que le travail d’humilité demeure essentiel également. Ce qui implique de pouvoir comprendre le lien entre l’émotion ressentie et l’émotion exprimée, son écart éventuel, pour autrui comme pour soi-même. Se rendre ainsi respectivement compréhensible peut constituer une clé de voûte importante à l’occasion de chaque pas effectué sur le chemin de tout accompagnement.

Précisons, cependant, que travailler avec les émotions dans le contexte de l’accompagnement des professionnels ne se confond pas avec un travail thérapeutique d’une part, ni avec un processus de psychologisation qui viserait à isoler les émotions pour en faire un matériau qu’il faudrait traiter uniquement par la conscientisation et la mise en mots. Les émotions sont une des composantes parmi plusieurs autres, qu’elles soient cognitives, conatives, kinesthésiques ou interactionnelles.

Cette UE utilise des démarches d’APP, qu’elles relèvent des protocoles d’analyse en groupe, d’analyse de l’activité ou de pratiques réflexives, pour faire vivre la rencontre et la reconnaissance des émotions et leur usage pédagogique et fonctionnel dans les démarches d’accompagnement. Des temps méta et des temps réflexifs visent à nommer les émotions et à les analyser comme ressource dans l’apprentissage.

5.6. L’UE « Séminaire d’intégration »

Cette unité d’enseignement chevauche les deux quadrimestres. L’objectif est de soutenir l’appropriation des apports de la formation et le transfert des acquis dans le quotidien professionnel. Plusieurs séances sont vécues en autonomie par les étudiants car ces derniers se sont organisés en sous-groupes et utilisent un protocole très proche du codéveloppement par le groupe de pairs (Payette & Champagne, 1997).

Les objectifs annoncés de ce séminaire sont l’identification et la prise de conscience des apprentissages-clés réalisés dans le cadre des enseignements du MAPEMASS, l’identification et la mise au travail de certaines questions qui demeurent ouvertes, la clarification et la mise au travail de certains objectifs d’évaluation du master (travaux, examens…). Le mémoire, est travaillé, quant-à-lui dans une autre UE.

Le séminaire d’intégration ne propose donc pas de nouveaux contenus ou de nouveaux outils, il offre un cadre d’échange « bienveillant » destiné à favoriser une appropriation réflexive de la posture, des contenus et des outils proposés dans les enseignements du MAPEMASS. Deux modalités de travail sont privilégiées :

  1. Echanges en sous-groupes de pairs, en séance collégiale. La séance type se décline de la manière suivante :
  • Accueil et identification de questions générales et pratiques sur l’organisation / les objectifs du MAPEMASS
  • Travaux en sous-groupe sur le principe du codéveloppement professionnel par le groupe de pairs
  • Echanges en plénière et travail personnel d’appropriation avec le journal d’apprentissage
  1. Travail individuel. Ce travail est initié par des échanges en groupe qui se poursuivent personnellement, sous la forme d’un journal d’apprentissage.
5.7. Les groupes d’analyse des pratiques du mercredi soir

Depuis la promotion 2020-2021, le programme s’est enrichi d’une nouvelle modalité d’apprentissage et d’appropriation de l’APP. Ce n’est pas une UE et en tant que telle, elle ne fait pas l’objet d’une évaluation certificative comme c’est le cas pour l’ensemble des UE du programme diplômant. Il s’agit de la mise en place de deux groupes d’analyse des pratiques professionnelles qui se retrouvent toutes les trois semaines, le mercredi de 18h00 à 21h00. Les étudiants y animent des dispositifs déjà vécus ou y expérimentent de nouveaux dispositifs qu’ils ont créés soit lors de l’UE « Analyse des pratiques en groupes de pairs » ou dans le cadre de leur activité professionnelle pour répondre à une demande de leur terrain professionnel ou un besoin qu’ils ont analysé.

6. Conclusion

Dans cet écrit nous avons présenté la structure d’un programme de formation diplômante qu’est le Master en Accompagnement des Professionnels. Ce programme offre une part non négligeable à l’apprentissage de démarches et de dispositifs d’analyse des pratiques professionnelles. D’une part, les étudiants sont invités à vivre de nombreux dispositifs d’APP en tant que participants, d’autre part, ils sont amenés à se former à l’animation et à l’usage de l’APP comme modalité privilégiée de l’accompagnement. Pour rencontrer les ambitions de ce programme, trois unités d’enseignement sont dédiées à l’apprentissage de diverses démarches d’APP et trois autres utilisent l’APP comme ressource pédagogique. Enfin, un séminaire d’analyse des pratiques professionnelles est conduit par les étudiants dans une formule autonome, puisqu’ils animent des APP sans formateurs.

Les apports qui sont proposés aux étudiants ne sont pas aisés. La possibilité d’un allègement avec un cursus étendu sur deux ans constitue une bonne formule en termes de qualité d’appropriation. Les participants témoignent lors des temps de bilan combien ils se sentent plus à l’aise lors de la deuxième année d’allègement. Non seulement ils se sont familiarisés avec la culture académique et scientifique mais aussi ils se sentent plus compétents pour engager des démarches d’analyse des pratiques professionnelles et les animer.

Les effets de la formation apparaissent très satisfaisants, même s’il n’y a pas de résultats objectivés ni d’enquête qui ait été menée de manière systématique et rigoureuse. Ils sont visibles sur les personnes, qui se révèlent plus prudents, moins en quête de vérité, moins portés sur l’évaluation et davantage enclins à écouter, à s’écouter et à s’aventurer dans l’analyse. Les effets dépassent aussi les individus seuls. Plusieurs étudiants réinvestissent les acquis sur leur lieu professionnel, amenant ainsi une dynamique qui transforme progressivement certaines structures de travail. C’est le cas par exemple de cette responsable de service dans un hôpital qui a implémenté des séances d’analyse des pratiques pour les infirmières sur leur temps de travail.

Cependant, les étudiants risquent aussi de perdre progressivement les acquis de la formation, notamment s’ils ne sont plus en contact avec leurs pairs à l’issue de celle-ci. C’est pour cette raison que nous soutenons l’émergence d’un réseau qui réunit les anciens du MAPEMASS. Les membres de ce réseau se greffent parfois sur certains cours pour des « piqures de rappel ». Ils assistent aux rencontres du séminaire international qui réunit les enseignants et les étudiants du programme dans une formule de colloque résidentiel pendant deux jours. Ils se sont par ailleurs associés aux groupes d’analyse des pratiques du mercredi soir.

Pour conclure, il apparait que la formation porte ses fruits dans la durée, pour peu que les étudiants qui ont terminé le cursus demeurent en lien avec le contexte de la formation et développent des activités d’APP (en tant que participant ou en tant qu’animateur) et poursuivent une réflexion sur l’accompagnement avec leurs pairs.

Références bibliographiques

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Boucenna, S. (2012). Entretien de rétrospection et espaces temporels : explorer les activités mentales In J.-M. Barbier & T. Joris (Eds.), Le travail de l’expérience. Paris: PUF.

Boucenna, S. (2013). Démarche d’Analyse en Groupe à partir des Natures d’Enjeux – DAGNEA. In  Charlier, E., Beckers, J., Boucenna, S., Biémar, S., François, N., & Leroy, C. (2013). Comment soutenir la démarche réflexive? Outils et grilles d’analyse des pratiques. Bruxelles: De Boeck, pp. 68-73.

Boucenna, S. (2020). Accompagnement en milieu scolaire et crise de l’école : qu’en dit le cinéma ? In A. Derobertmasure, M. Demeuse, & M. Bocquillon (Eds.), L’école à travers le cinéma. Ce que les films nous disent sur le système éducatif: Mardaga.

Cattaneo, A. A. P., Boldrini, E., & Lubinu, F. (2020). “Take a look at this!”. Video annotation as a means to foster evidence-based and reflective external and self-given feedback: A preliminary study in operati on room technician training. Nurse Education in Practice, 44. doi:https://doi.org/10.1016/j.nepr.2020.102770.

Charlier, E., Beckers, J., Boucenna, S., Biémar, S., François, N., & Leroy, C. (2013). Comment soutenir la démarche réflexive? Outils et grilles d’analyse des pratiques. Bruxelles: De Boeck.

Clot, Y. (2001). Méthodologies en clinique de l’activité. L’exemple du sosie. In Dunod (Ed.), Les méthodes qualitatives en psychologie (pp. 125-147). Paris: Rouan, George; Santiago Delefosse, Marie.

John Dewey, J. (2010). L’art comme expérience. Gallimard.

Doi, T. (1973). The Anatomy of Dependence. Kodansha.

Elkaïm, M. (2010). À propos du concept de résonance. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 2(2), 171-172.

Oddone, I. (2015). Redécouvrir l’expérience du travail. Paris: Les Editions sociales.

Payette, A., & Champagne, C. (1997). Le groupe de codéveloppement professionnel. Sainte-Foy (Québec): Presses de l’Université du Québec.

Pham Quang, L. (2017). Émotions et apprentissages. Paris: L’Harmattan.

Theureau, J. (2010). Les entretiens d’autoconfrontation et de remise en situation par les traces matérielles et le programme de recherche « cours d’action ». Revue d’anthropologie des connaissances, 4(2,(2)), 287-322.

Vermersch, P. (1994). L’entretien d’explicitation. Paris: ESF.

Vermersch, P. (Ed.) (1997). Pratiques de l’entretien d’explicitation. Paris: ESF.

Vermersch, P. (2008). Décrire la pratique de l’introspection. Esquisse d’un article, Expliciter 77, pp 33 – 59.

 

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Note

[1] Concept introduit en 1971 par Takeo Doi, psychiatre et psychanalyste japonais, dans son livre Amae no koso (Doi, 1973). L’Amae évoque le doux et le sucré que l’on peut assimiler au bébé qui s’assoupit bienheureux dans des bras aimants. Transposé chez l’adulte, l’amae renvoie au sentiment plaisant d’attachement ou de dépendance. Il n’existe pas de traduction précise de ce mot. Takeo Doi avait forgé ce concept à partir de l’observation de patients qui souffraient « du manque de dépendance à autrui ». C’est un concept central pour comprendre la culture japonaise (Pham Quang, 2017).