Thérèse Perez-Roux

Professeure en sciences de l’éducation, Université Paul-Valéry Montpellier 3

therese.perez-roux[arobase]univ-montp3.fr

Résumé

La contribution présente un dispositif de formation universitaire en sciences de l’éducation, de niveau master, dans lequel l’analyse de pratiques professionnelles (APP) prend une place centrale. Le travail réflexif est articulé à d’autres contenus de formation qui viennent soutenir les analyses de situations professionnelles ou de stage. Plusieurs modalités d’analyse de pratiques sont proposées et mises en œuvre dans une visée professionnalisante que les étudiants perçoivent progressivement. L’appropriation de la démarche, de ses enjeux, de ses effets s’opère au travers des lectures, des échanges, des apports et des mises en situation.

Mots-clés 

professionnalisation, démarche réflexive, formation universitaire, appropriation, compétences professionnelles

Catégorie d’article 

Texte de réflexion en lien avec les pratiques

Référencement 

Perez-Roux, T. (2021). L’APP comme dispositif professionnalisant dans une formation universitaire : quels enjeux, quelles stratégies, quels effets ?  In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 19, pp. 53-65. http://www.analysedepratique.org/?p=4378.


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The analysis of professional practices as a professionalizing device in a university training: what issues, what strategies, what effects ?
Abstract

The contribution presents a university training system in education sciences, at master level, in which the analysis of professional practices (APP) takes a central place. The reflective work is linked to other training contents that support the analysis of professional situations or internships. Several methods of analysis of practice are proposed and implemented with a view to professionalization that students gradually perceive. The appropriation of the approach, its stakes, and its effects is achieved through readings, exchanges, contributions and situational exercises.

Keywords

professionalization, reflective approach, university education, appropriation, professional skills


 

1. Contexte, objectifs de la formation et participants concernés

Ce master, porté par le seul département des Sciences de l’Education en Languedoc Roussillon, est articulé avec la licence de Sciences de l’Education de l’université Paul-Valéry mais permet également l’entrée d’étudiants provenant d’autres formations ou de publics en reprise d’étude[1].

La formation est organisée autour d’un Master 1 généraliste en sciences de l’éducation et de trois parcours en Master 2[2] qui offrent des choix différenciés de qualification, de construction de compétences et de professionnalisation dans le domaine des activités éducatives et formatives de différents champs professionnels. C’est à partir des besoins spécifiques des mondes professionnels de l’éducation, de la formation et de l’insertion, dans les champs de l’enseignement, du travail social, de la santé que ces parcours pédagogiques ont été construits.  Ils visent également à développer des compétences de recherche scientifique en sciences de l’éducation et de la formation.

Le parcours Analyses et Conception en Education et en Formation (ACEF) a une double vocation : a) former des (futurs) professionnels ; b) former des chercheurs dans le champ de l’éducation et de la formation.

Les futur.e.s diplômé.e.s sont amené.e.s à analyser des contextes et des situations complexes, à maitriser les techniques de l’audit et du conseil, ainsi que l’ingénierie de formation. Ils sont en capacité de concevoir et mettre en œuvre des dispositifs, organisations et programmes et, de fait, constituent une base de ressources pour intervenir dans les champs de l’éducation et de la formation. Cette finalité est adossée à des cadres conceptuels diversifiés qui permettent d’éclairer les questions d’éducation et formation : compréhension des politiques de formation et des processus de professionnalisation ; analyse de l’activité, des pratiques et du travail ; étude des identités professionnelles et du rapport au travail dans les « métiers de l’humain » (éducation, santé, travail social, animation, etc.). Dans ce programme, ils interrogent et développent des pratiques d’accompagnement en étant sensibilisés à la diversité des publics et aux principes d’égalité des chances. Le master intègre les techniques de l’information et de la communication en tant qu’outils et objets de formation. Enfin, l’apprentissage de l’anglais scientifique propre au domaine de l’éducation et de la formation fait l’objet d’un enseignement spécifique.

Les futur.e.s diplômé.e.s sont aussi en capacité de développer des recherches en éducation et en formation. Au-delà des apports théoriques et méthodologiques, ils assistent à des séminaires thématiques qui les confrontent à l’actualité de la recherche dans ce domaine[3]. Ces séminaires sont organisés en partenariat avec l’Institut Régional en Travail Social et avec l’Institut de Formation en Masso-Kinésithérapie de Montpellier ; ils permettent aux étudiants de rencontrer des formateurs et d’échanger sur des questions de formation, en s’adossant à des travaux de recherche.

La formation en alternance (280 h de stage, cours les mardis et mercredis) et les apports des professionnels au sein des cours permettent aux étudiant.e.s de se confronter aux problématiques de tel ou tel terrain. Les stages sont aussi l’occasion de recueillir des données dans le cadre du mémoire professionnel ou de recherche et de construire un réseau. La formation existe également sous une modalité hybride (enseignement à distance + 3 regroupements d’une semaine) pour les publics de formation continue (professionnels ou demandeurs d’emploi).

Compétences visées, spécifiques au parcours ACEF :

  • Analyser et concevoir des situations d’éducation et de formation
  • Analyser l’activité de travail (éducation et formation) et les compétences mises en jeu
  • Analyser les enjeux institutionnels, organisationnels, (inter)personnels des situations et comprendre les stratégies d’acteurs

D’autres compétences, communes aux trois parcours du Master, sont aussi développées.

Débouchés :

  • Formateur de formateur en enseignement/santé/travail social/insertion
  • Formateur dans le domaine de l’insertion professionnelle
  • Formateur ou enseignant en formation initiale et/ou continue
  • Formateur d’adultes
  • Responsable de formation et d’ingénierie de formation
  • Cadre de santé et cadre supérieur en santé ou en travail social
  • Expert et consultant dans le domaine du sanitaire et / ou du social et/ou de la formation et/ou de l’évaluation
  • Chercheur en Sciences de l’Education et de la formation

Le parcours ACEF, dans sa modalité en présentiel, se déroule sur deux jours par semaine et concerne des étudiant.e.s en formation initiale et continue. Ceux venant de formation initiale sont issus de cursus universitaires, sans expérience professionnelle à proprement parler, mais ils ont souvent une expérience de stage, d’emploi saisonniers ou de travail à temps partiel. Les étudiant.e.s en formation continue exercent une activité ou sont demandeurs d’emploi et peuvent ainsi être financés. Ces deux types de public constituent une richesse pour le master dans la mesure où ils mobilisent des ressources différentes et une manière de se projeter dans – ou de revisiter – le métier. Les enseignant.e.s du parcours ACEF veillent à favoriser les interactions entre ces deux publics. L’enseignement « Analyse de Pratiques Professionnelles » s’inscrit particulièrement bien dans cette dynamique.

2. Organisation et contenus de la formation à l’APP

2.1. Organisation

Cet enseignement à l’APP de 54h se déroule sur l’année universitaire (deux semestres de 27h) et a lieu toutes les semaines, par plages de 3 heures. Il est en lien avec d’autres enseignements (« Analyse de l’activité », « Identités professionnelles et rapport au travail », « Formation professionnalisation » et « Ingénierie de formation »), dans le sens où les différents apports peuvent nourrir la réflexion des étudiant.e.s. Ce dialogue est progressif, les enseignants tentent de le favoriser, mais la posture réflexive qui est demandée aux étudiants et les formes d’évaluation sont l’occasion de tisser des liens, de prendre du recul, d’argumenter. Des séminaires de formation de formateurs par la recherche peuvent venir en soutien, notamment lorsque la thématique de l’année permet d’approfondir et de requestionner les contenus abordés. Par exemple en 2015-2016 « Formation et développement professionnel : enjeux, dispositifs et pratiques » ; en 2016-2017 « Les dispositifs de formation dans les métiers de l’humain : enjeux, formes, évolutions » ; en 2017-2018, « Comprendre le travail dans les métiers de l’humain : enjeux et perspectives pour la formation ».

2.2. Contenus

L’analyse des pratiques et des situations professionnelles est une démarche de recherche qui tente de rendre intelligibles les pratiques à partir des facteurs qui les caractérisent, en les reliant aux différents contextes dans lesquels elles s’insèrent (Altet, 2000).

Cet enseignement permet de nourrir la problématique de l’analyse des pratiques au niveau de la recherche et de la formation à l’aide d’apports théoriques et d’allers-retours entre instruments d’analyse et données empiriques relatives à des pratiques.

Plusieurs dispositifs d’analyse de pratiques professionnelles sont abordés, comparés et questionnés d’un point de vue à la fois théorique et méthodologique. Les modalités d’analyse sont mises en œuvre à partir de la présentation de situations vécues par les participants dans le cadre de leur expérience professionnelle ou de stage.

Un entraînement à la conduite du GEASE[4] et du GFAPP[5] est proposé aux étudiants et orienté vers des perspectives de formation.

2.3. Compétences spécifiques visées 
  • Pouvoir situer les enjeux de l’analyse des pratiques et leur évolution à travers l’histoire de la formation et dans une perspective critique
  • Envisager les conditions de mise en œuvre de ces dispositifs dans des contextes spécifiques de formation initiale ou continue
  • Développer une démarche réflexive par rapport à sa propre pratique d’analyse en mobilisant des cadres théoriques pluriels.
  • Animer et analyser différents dispositifs d’analyse de pratiques et envisager leur mise en œuvre et/ou leur adaptation dans les différents contextes de formation.

3. Des démarches et modalités pédagogiques variées

Dans une formation universitaire, l’analyse de pratiques peut être abordée en tant qu’objet d’étude, renvoyant à des cadres conceptuels (mobilisant des savoirs constitués) et avec le souci d’inventorier une diversité des pratiques. La démarche choisie dans le master ACEF tente de combiner : a) une approche des enjeux de formation de tels dispositifs dans une visée de professionnalisation ou de développement professionnel ; b) les fondements théoriques qui les sous-tendent et leur ancrage épistémologique ; c) l’outillage méthodologique mobilisé en fonction de contextes de formation ou de travail.

Durant l’année, les étudiant.e.s sont invité.e.s à : a) s’approprier des lectures d’appui, réalisées en amont du cours ; b) échanger avec les pairs pour repérer les points communs et les spécificités de tel ou tel dispositif ; c) réfléchir à leur potentiel de développement comme à leurs limites ; d) questionner les enjeux de ces dispositifs pour les (se) mettre en perspective dans tel ou tel contexte de travail ou de stage (Perez-Roux, 2012, 2015).

Ceci constitue l’axe structurant (porté par la responsable de l’enseignement) qui intègre des mises en situation d’APP et privilégie une démarche méta-réflexive sur « ce qui se joue » pour soi et avec les autres dans cette expérience. De façon articulée, des intervenants (universitaires ou professionnels de différents secteurs) présentent des approches choisies en cohérence avec les finalités du master ACEF, dans une visée formative. Il s’agit d’outiller les étudiant.e.s, de leur faire vivre, si possible, le dispositif présenté et de les amener à questionner ces différentes formes d’APP dans une perspective de professionnalisation. Par exemple les séances de GEASE sont accompagnées d’exercices « préparatoires », de mises en situation, de régulation (méta GEASE). Les étudiant.e.s volontaires s’essaient ensuite à l’animation. Certain.e.s tiennent un rôle d’observateurs.rices sur des aspects définis en amont et participent au moment de débriefing. Ce travail se fait en lien avec les apports théoriques (lectures, repères donnés par l’enseignant, etc.). Il s’accompagne toujours d’une réflexion sur les publics visés, sur la pertinence (ou pas) d’un tel dispositif en fonction des contextes, et de sa nécessaire articulation avec d’autres temps de formation.

Les dispositifs investis sont organisés dans un continuum « objet-sujet ». En début d’année, ils sont davantage centrés sur des situations à analyser, travaillées en extériorité, c’est-à-dire objectivées et n’engageant pas directement le sujet. De ce point de vue, les « études de cas » sont l’occasion de « se lancer », de s’essayer à des formes plurielles de questionnement, elles permettent de repérer l’effet des représentations dans le processus d’analyse, le poids des normes, de se distancier et d’entrer peu à peu dans une compréhension de la complexité des situations. A partir de leur expérience professionnelle ou de stage, les étudiant.e.s sont amené.e.s à construire un cas pour un public donné et à expliciter : a) la manière dont ils l’ont élaboré (points saillants, problématiques récurrentes) ; b) les possibilités d’appropriation pour les formés ; c) les effets attendus en termes de professionnalisation.

L’entrée par des traces objectivées de la pratique est aussi un passage important. A ce titre, l’analyse de pratiques via la simulation (Audran, 2016) est l’occasion de comprendre ce qui se joue dans, par et après l’observation, la manière dont les formateurs peuvent se saisir des questionnements, des imprévus, des dilemmes et mettre à jour ce qui ne se voit pas mais se vit (parfois intensément) dans la situation[6]. Par exemple, une formatrice intervient pour présenter le Groupe d’Entrainement à l’Analyse des Pratiques de Rééducation ou GEAPR (Maleyrot et al., 2019 ; Perez-Roux et al. 2021)[7]. Suite à la présentation du dispositif, les étudiant.e.s du master ACEF sont amené.e.s à le questionner, à repérer les enjeux, les atouts et les limites de cette approche pour la formation de futurs professionnels, à comparer avec d’autres dispositifs d’APP.

Depuis quelques années, le théâtre-forum est intégré dans cette entrée par la simulation. Le dispositif s’appuie sur le jeu de rôle, utilisé fréquemment dans la formation initiale en travail social et dans le secteur de l’animation jeunesse. Après un travail préparatoire engageant la dimension corporelle (langage non verbal), les étudiant.e.s sont invité.e.s à élaborer une saynète qui comporte un problème (professionnel ou rencontré en stage). Cette saynète est jouée devant le groupe en formation. A la fin de la présentation, les participant.e.s qui ont eu un rôle de « spectateur actif », sont amené.e.s à discuter et à interagir avec les acteurs: ils et elles prennent la place de l’un.e des protagonistes et expérimentent des pistes de résolution du problème. L’objectif n’est pas de créer un spectacle mais d’amener les participants à réfléchir, débattre, écouter les points de vue dans l’espace privilégié et sécurisé qu’offre le théâtre.

Utilisé en dispositif de sensibilisation à l’analyse de pratiques professionnelles, le théâtre forum est un outil efficace d’amorce de changement et de réflexions partagées. En effet, il permet de prendre conscience des comportements, d’identifier les freins aux changements et d’expérimenter des propositions de progrès, de façon ludique, collective et constructive. Cette aventure engage autrement les participants, dans une forme d’analyse qui passe par l’action et suppose repérage du problème, prise de décision, mise en œuvre et recul réflexif sur ce qui s’est (re)joué dans la situation.

Peu à peu, une approche du Groupe d’Entrainement à l’Analyse des Situations Educatives (GEASE) est mise en œuvre (Etienne et Fumat, 2014), sur la base de situations apportées par les participants.e.s. Dans ce dispositif, l’approche multiréférencée ouvre d’autres possibles et le cadre proposé suppose une implication plus grande des sujets participants. C’est toujours un moment fort qui questionne les étudiant.e.s. : comment investir les différents temps que propose le dispositif (exposition par le/la narrateur/trice, exploration puis interprétation par le groupe, réappropriation par le/la narrateur/trice) ? Comment formuler des questions qui ne soient pas intrusives ou évaluatives ? Comment suspendre les conseils que l’on souhaiterait donner pour aider le narrateur, pour le rassurer ? Comment mettre en mots des impressions, des échos, des éclairages possibles de ce qui s’est joué dans la situation à l’appui des échanges ?

Après avoir expérimenté ce dispositif à plusieurs reprises, après avoir analysé ce qui s’est passé et fait émerger des questions, après avoir nourri ce processus par de nouvelles lectures, par des interactions au sein du groupe, le processus d’appropriation se poursuit. A l’occasion du retour de stage, au début du second semestre, un GEASE centré sur cette expérience est pris en charge par les étudiant.e.s eux-mêmes. Des questions sur la posture d’animateur, sur le cadre du dispositif émergent de façon plus forte. Un passage se réalise, une bascule s’amorce entre posture d’étudiant et posture de (futur) formateur en capacité d’animer des dispositifs d’APP.

Cette approche se poursuit dans l’expérimentation des Groupes de Formation à l’Analyse de Pratiques Professionnelles (GFAPP), orientés vers la formation de formateurs, basés sur l’analyse de pratiques professionnelles vécues et remises au travail au sein de groupes restreints.

Un autre dispositif d’APP sollicitant davantage le « sujet se formant » est proposé dans la dernière partie du parcours avec une approche clinique à orientation psychanalytique » (Blanchard-Laville et al., 2002) inspirée du « groupe Balint » (Reznik, 2009)[8]. Souvent à l’articulation du professionnel et du personnel, cette approche prend en compte les transferts latéraux, les effets de résonance liés à la situation évoquée. Comme le dit Cifali (2014, p.25) « Le formateur, animateur du dispositif, travaille donc dans la singularité (avec une personne, un groupe, une institution) ; avec une éthique de l’altérité ; dans une subjectivité assumée et travaillée. »

Le journal de bord constitue le fil rouge du processus. Il permet un retour sur l’expérience traversée en APP, sur l’appropriation des enjeux, des concepts et méthodes ; il ouvre la réflexion sur les perspectives d’utilisation de l’APP pour la formation dans le secteur visé (stage ou emploi).

4. Processus d’apprentissage vécus par les participants et évolutions

Les processus d’apprentissage et de développement professionnel sont bien repérables, comme le montrent ces éléments de bilan (anonymes et sous forme écrite).

E1. J’ai apprécié la présentation très large d’une panoplie d’outils d’APP et des concepts qui les sous-tendent. Beaucoup de découvertes pour moi. J’ai particulièrement apprécié les mises en pratique des différentes APP : GEASE (++), GFAPP… Les encouragements des enseignants m’ont permis de franchir le pas et de m’essayer à l’animation d’un GEASE.

E2. Je vois la formation tout à fait différemment aujourd’hui. J’ai vraiment envie de mettre en place des analyses de pratiques avec mes étudiants. Personnellement, j’ai pris du recul sur moi-même en tant que professionnelle, j’ai pu aussi mettre des mots sur ma pratique.

Le suivi du groupe met en évidence des évolutions en termes d’implication et de positionnement. Les moments de méta réflexion sur les dispositifs travaillés sont l’occasion de repérer une amélioration des qualités d’écoute, une appropriation progressive du sens de ce travail. Certain.e.s restent un peu en retrait, n’osant pas encore se saisir de cet espace, craignant de formuler une question intrusive ou évaluative, se laissant porter par la formulation des autres, jugée plus pertinente.  L’enseignant doit donc accompagner ce mouvement complexe où il s’agit, en parlant de situations vécues par les autres, d’avancer avec eux, de mieux comprendre ce qui fait problème et, in fine, de mieux se comprendre comme professionnel ou futur professionnel. Les journaux de bord de l’APP sont, de ce point de vue, très éclairants pour celles et ceux qui acceptent de revenir sur ce qu’ils ont éprouvé, questionné, compris, c’est à dire sur le processus de transformation à l’œuvre pour eux.elles et avec les autres, sur les liens / résonances avec le stage ou le terrain professionnel.

Enfin, les bilans de fin d’année montrent l’intérêt pour cette approche plurielle de l’APP qui donne à comprendre le travail dans les « métiers de l’humain » et ouvre des perspectives pour la formation. En témoigne également Charly Fremaux dans un article où il décrit en particulier la manière dont il a commencé à animer des APP avec les acquis de la formation (Fremaux, 2021). Chacun.e se sent relativement bien outillé.e pour penser des formes pertinentes d’APP au regard des contextes institutionnels et organisationnels, des finalités de la formation,  des profils des formés et de sa propre capacité à mettre en œuvre tel ou tel dispositif. Un souhait de prolongement ou d’approfondissement émerge :

E.3 : L’approche est intéressante, l’entrée dans la notion d’analyse de pratique est évolutive et permet une meilleure compréhension des enjeux en faisant des focales. Les situations proposées sont porteuses de sens mais sont peu nombreuses à mon goût. Il serait intéressant de pouvoir avoir un temps plus long consacré aux simulations.  

Il est le signe d’une démarche qui a pu être initiée dans ce master et pourra se prolonger ailleurs, avec d’autres formateurs, dans d’autres espaces de formation.

5. Résultats produits en termes de compétences développées et de pratiques d’animation effectivement mises en œuvre

Dans l’évaluation de fin de parcours, les étudiant.e.s se disent satisfaits de cet enseignement qui, en articulant apports théoriques-mises en situation-recul réflexif, leur semble adapté aux problématiques de formation et aux enjeux de ce master.

E4 : J’ai pris beaucoup de plaisir dans cet enseignement lors de la réalisation du GEASE et du GFAPP. Les connaissances acquises et la réflexivité que le cours permet sont exploitables au quotidien. 

E5 : Une nouveauté pour moi qui nécessiterait d’être plus développée en nombre d’heures. Intéressant de pouvoir tester soi-même ce dispositif et de voir comment certains centres de formation le font vivre.

E6 : Les différents enseignements, mais surtout l’APP m’ont permis de mieux me connaître, de connaître mes limites et de me dépasser, notamment pour le théâtre-forum (d’être moins timide, de m’ouvrir). Cela me permet aussi d’être dans l’auto-réflexivité, que ce soit dans des situations en tant qu’assistante d’éducation, en stage ou dans la vie de tous les jours.

Ils.elles soulignent le lien avec d’autres enseignements. En effet, le contenu des cours « Identité professionnelle et rapport au travail », « Formation et professionnalisation » vient étayer/soutenir les analyses des situations et permet une ouverture à différents registres interprétatifs. Dans le cours « Analyse de l’activité », la confrontation à des traces « objectivées », analysées à partir d’un cadre interprétatif inspiré de la didactique professionnelle, de l’anthropologie cognitive ou de la clinique de l’activité, donne une autre perspective : elle invite à clarifier la place du sujet, de sa parole, de l’écoute, des normes, de la tension subjectivité/objectivité et des visées de professionnalisation qui sous-tendent ces approches. Enfin, l’APP est à interroger plus largement au niveau de ses enjeux, de sa place (de ses limites), de ses complémentarités avec d’autres dispositifs dans le cours « Ingénierie de formation ». En ce sens, chacun.e est invité.e à poursuivre le travail, à le rendre dynamique et collaboratif, à l’ouvrir sur d’autres perspectives de formation, post master.

Pour ce qui nous concerne, il s’agit a) de donner place à des mises en situations réelles d’APP au sein du cours, y compris d’animation par les étudiants eux-mêmes; b) de soutenir la parole du formé, confronté à des dispositifs qui le questionnent et lui ouvrent de nouvelles perspectives de compréhension et d’action. La démarche proposée, avec ses outils théoriques (notamment les lectures) et méthodologiques (cadre de l’APP, contrat de communication, posture de l’animateur), les mises en œuvre et les retours réflexifs, aident à se positionner, à faire des choix raisonnés. Les étudiants, conscients des enjeux de professionnalisation des dispositifs d’APP, repèrent durant le stage ou dans leur milieu de travail, quelle place ils pourraient leur donner, quelle forme ou modalité serait la plus adaptée et à quelles conditions il serait pertinent de les mobiliser. Se pose aussi la question des obstacles à surmonter, des opportunités existantes ou à créer, pour penser la formation de façon cohérente, en prenant en compte les finalités visées et les besoins des formés.

Par ailleurs, au contact des étudiants, à travers leurs étonnements, leurs questions, leurs craintes, leurs prises de conscience, l’enseignant, animateur de ces dispositifs, est amené à préciser, à spécifier, à clarifier les gestes professionnels de l’APP (écoute, soutien à la prise de parole, maintien de la dynamique des échanges, etc.), intégrés depuis des années. L’enjeu est triple. Il s’agit d’abord de mettre en mots, savoirs, savoir-être, savoir-faire et savoir-y-faire, pour les rendre lisibles, transmissibles, discutables. Par ailleurs, il est nécessaire de revenir sur la posture de l’animateur, sur ce qu’elle suppose en termes de « juste distance » et de travail sur soi. Enfin, le dispositif n’est pas un cadre rigide mais un espace où se vivent des interactions humaines. Il semble alors incontournable d’aborder les préoccupations, les dilemmes que peut vivre l’animateur de ces dispositifs. Traversé lui aussi par des interrogations, des moments de flou, des émotions, il reste garant du cadre institué dans lequel chacun peut avancer/comprendre à son rythme.

6. Discussion, analyse des formations conduites et de leurs effets

Cet enseignement s’inscrit dans une histoire locale. Depuis sa création, le Master Conseil en Education et Formation (CFE) puis ACEF, laisse une large part à l’APP car les initiateurs de ce parcours ont construit des compétences dans ce domaine, notamment sur le GEASE (Etienne et Fumat, 2014). Les ressources au sein du département des sciences de l’éducation permettent aussi de présenter et faire vivre des démarches à orientation psychanalytique de type Balint. Des professionnels qui ont eux-mêmes suivi ce cursus interviennent pour rendre compte des démarches d’APP mises en œuvre dans leur secteur (enseignement, santé, travail social) et des dynamiques repérées sur le terrain.

7. Conclusion

L’APP telle que présentée et investie dans le master 2 ACEF est vécue de façon assez particulière par les étudiants qui mettent en avant une réelle articulation théorie-pratique-théorie (Wittorski, 2004 ; Vacher, 2011). Ils comprennent en quoi l’alternance intégrative peut être favorisée par ce type de dispositif réflexif, reliant enseignements à l’université et pratiques de terrain.

A l’appui d’autres analyses (Perez-Roux, 2018), certains effets apparaissent ou sont verbalisés au fil des séances : distanciation et (ré)assurance ; partage et soutien ; anticipation et transférabilité. Ils se déclinent différemment pour les étudiants en cours de professionnalisation (relevant de la formation initiale) et pour les professionnels. Ils sont directement reliés aux mises en situation proposées, au vécu des dispositifs (GEASE, GFAPP, Balint) et invitent à poursuivre la démarche en articulant apports théoriques, mises en œuvre de différents dispositifs d’APP et recul réflexif sur « ce qui se joue » pour soi et avec les autres, dans ces espaces-temps de formation. Enfin, au-delà des repères co-construits dans le présent de la formation, les bilans mettent en relief des formes de projection dans l’avenir. Une transposition de ce qui s’énonce, s’échange, s’élabore au sein du collectif semble constituer une sorte d’étayage pour l’activité future.

Références bibliographiques

Altet, M. (2000). L’analyse de pratiques, une démarche de formation professionnalisante ? Recherche et Formation, n° 35, pp. 25-41. http://ife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/recherche-et-formation/RR035-03.pdf.

Audran, J. (2016). Se former par la simulation, une pratique qui joue avec la réalité. Recherche & formation,  n° 82, 9-16. https://www.cairn.info/revue-recherche-et-formation-2016-2-page-9.htm.

Blanchard-Laville C. & Fablet D. (dir.). (2002). Analyse des pratiques : approches psychosociologique et clinique. Recherche et formation, n° 39. https://www.persee.fr/doc/refor_0988-1824_2002_num_39_1_1737.

Cifali, M. (2014). Brefs repères pour l’analyse des pratiques professionnelles. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 2, 20-27. http://www.analysedepratique.org/?p=1014.

Etienne, R. & Fumat, E. (2014). Comment analyser les situations éducatives pour se former et agir. Bruxelles : de Boeck.

Fremaux, C. (2021). Se former à l’animation d’APP à l’Université. Témoignage d’un étudiant qui commence à animer des APP. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 19,  66-71. http://www.analysedepratique.org/?p=4382.

Maleyrot, E., Pourcelot, C. & Perez-Roux, T. (2019). L’intention de professionnalisation dans la formation des masseurs-kinésithérapeutes : étude d’un dispositif innovant appelé groupe d’entraînement à l’analyse des pratiques en rééducation. Phronesis, vol 8 (3-4), 72-84. https://www.cairn.info/revue-phronesis-2019-3-page-72.htm.

Perez-Roux, T (2012). Développer la réflexivité dans la formation initiale des enseignants ? Enjeux des dispositifs d’analyse de pratique et conditions de mise en œuvre dans deux contextes de formation en France. Formation et pratiques d’enseignement en questions, Revue des HEP,  Suisse, Vol 15, 97-118. http://www.revuedeshep.ch/site-fpeq-n/Site_FPEQ/15_files/05-Perez-Roux.pdf.

Perez-Roux, T. (2015). Accompagner un changement de fonction à partir d’un dispositif réflexif : l’analyse de pratiques comme lieu d’émergence d’un « genre professionnel » ? Questions Vives, 24. http://questionsvives.revues.org/1826.

Perez-Roux, T. (2018). Mise en œuvre d’un dispositif d’analyse de pratiques dans le cadre de la formation continue des enseignants-référents pour la scolarisation des élèves handicapés : quels effets en termes de développement professionnel ? In J. Mukamurera, J-F Desbiens & T. Perez-Roux (dir.). Se développer comme professionnel dans les professions adressées à autrui : conditions, modalités et perspectives. Québec : JFD Editions, pp. 239-263.

Perez-Roux, T., Maleyrot, E & Berthelot, M. (2021). D’un dispositif innovant aux dynamiques d’appropriation des acteurs : quelles évolutions du GEAPR ? Kinésithérapie, la revue, 229, 14-22. Kinesither Rev (2020), http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2020.07.004.

Perrenoud, P. (2001). Mettre la pratique réflexive au centre du projet de formation. Cahiers Pédagogiques, n° 390, pp. 42-45. http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2001/2001_02.html.

Reznik, F. (2009) ? Le groupe Balint, une autre façon de penser le soin. Le Journal des psychologues, 270/7, 29-30.

Vacher, Y. (2011). La pratique réflexive : un concept et des mises en œuvre à définir. Recherche et formation, n° 66, 65-78. https://journals.openedition.org/rechercheformation/1133.

Wittorski R. (2004). Les rapports théorie-pratique dans la conduite des dispositifs d’analyse de pratiques. Éducation permanente, 160(3), 61-70. http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/17/23/49/PDF/Les_rapports_theorie-pratique_en_analyse_de_pratiques.pdf.

 

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Notes

 

[1] Accès possible par Validation des Acquis Professionnels (VAP).

[2] Dans l’offre de formation 2015-2021, le Master en Sciences de l’éducation propose trois parcours : 1) Analyses et Conception en Éducation et Formation (ACEF) ; 2) Responsable d’Évaluation, de Formation et d’Encadrement (REFE) ; 3) Responsable d’Ingénierie des Systèmes d’Organisation (RISO).

[3] Ce séminaire vise à contribuer au développement de la formation des formateurs à et par la recherche. Il se déroule à l’extérieur de l’université dans un centre de formation. Le matin, le séminaire est réservé aux membres du Master ACEF et aux formateurs et professionnels de la formation en enseignement, en santé ou en travail social. Il comprend deux à trois interventions de 30 min chacune sur le thème de la journée (un.e doctorant.e ou jeune docteur, un.e formateur.trice ayant réalisé un mémoire dans le cadre de Master en sciences de l’éducation ou un formateur professionnel ayant formalisé sa pratique). Chaque intervention est suivie d’échanges avec les participants ; le conférencier ou la conférencière est invité.e à réagir. Les conférencier.e.s sont des chercheur.e.s reconnu.e.s  sur la thématique. L’après-midi, se tient la conférence ouverte au public (gratuite et sur inscription) avec un nouveau temps de discussion qui permet de relier les différents apports de la journée.

[4] GEASE : Groupe d’Entraînement à l’Analyse des Situations Éducatives.

[5] GFAPP : Groupes de Formation à l’Analyse de Pratiques Professionnelles.

[6] « En formation, la simulation a d’abord été de l’ordre de la reconstitution hic et nunc de situations, au travers de jeux de rôles, de saynètes, qui permettent avec peu de moyens de restituer, même de manière imparfaite, par représentation symbolique, des actions menées dans des situations spécifiques (simulation d’interactions à des fins d’analyse de pratiques, simulation d’entretiens, etc.). Puis la vidéo a été l’occasion de reproduire sur écran des mises en situation permettant une décentration et une analyse a posteriori dans un but d’enrichissement de l’expérience » (Audran, 2016, p.10).

[7] Le dispositif se déroule dans un espace aménagé comme une salle de soins équipée. Durant chaque séance, trois rôles sont à investir : celui de soignant.e, celui de patient.e simulant la pathologie, celui d’observateur.trice. La démarche suppose : a) la préparation de l’intervention des soignants sur la base de consignes liées à la pathologie à traiter ; b) la mise en œuvre de la séance avec patients et soignants ; c) l’analyse par l’ensemble des acteurs (rôle de soignant, de patient et de spectateur) de la situation simulée.

[8] Dans un groupe Balint, les relations transférentielles et contre-transférentielles du patient et du soignant sont évoquées à partir d’une situation de soin conflictuelle. Dans un climat de confiance, les animateurs-psychanalystes et l’ensemble du groupe aident le présentateur à affronter, analyser, la situation qui lui pose problème et à retrouver la distance professionnelle nécessaire pour être le plus thérapeutique possible (Reznik, 2009, p.29).