Jérémy Calendini

Formateur, responsable de la filière
Education physique et sportive,

INSPE de l’Université de Corse, France
fermezlesyeux[arobase]gmail.com

Yann Vacher

Formateur et chercheur,
Université de Corse,
France
vacher[arobase]univ-corse.fr

Résumé

Cet article comprend deux courts témoignages sur une expérimentation croisée des dispositifs de groupe de codéveloppement professionnel et d’analyse de pratiques. Les auteurs y livrent leurs impressions et réflexions relatives aux similitudes et différences qu’ils ont identifiées à l’issue des deux séances vécues de codéveloppement et d’analyse de pratiques professionnelles.

Mots-clés 

codéveloppement professionnel, expérimentation, approche comparative

Catégorie d’article 

Témoignage

Référencement 

Calendini, J. & Vacher, Y. (2020). Groupe d’analyse de pratiques et de codéveloppement professionnel : témoignages. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 18, pp. 81-85 et Le Codéveloppeur, Vol. 6 no 3. http://www.analysedepratique.org/?p=3881 et https://www.aqcp.org/wp-content/uploads/5.-Jeremy-calendini-vacher-revue-app-16juin2020_MD.pdf.


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Practice analysis and professional codevelopment groups : testimonials
Abstract

This article includes two short testimonials on a cross-experimentation of group arrangements for professional codevelopment and analysis of practices. The authors give their impressions and reflections on the similarities and differences they identified at the end of the two real-life sessions of co-development and professional practices analysis.

Keywords

professional codevelopment, experimentation, comparative approach


 

Les deux présents témoignages portent sur une expérimentation menée en 2019 par huit professionnels (Thiébaud 2020b). Ils ne reprennent pas en détail le déroulé de chacune des démarches. Le lecteur en trouvera un résumé qui peut lui être utile dans l’annexe de Thiébaud, 2020 (voir : http://www.analysedepratique.org/?p=3875#ann). Il s’agissait de vivre deux démarches d’accompagnement collectif développées de part et d’autre de l’Atlantique : une séance de groupe de codéveloppement professionnel (GCP) et une d’analyse de pratiques professionnelles (APP).

Plusieurs spécificités sont à noter pour appréhender la teneur des témoignages :

  • Les deux dispositifs ont un ancrage culturel significatif. Ils ont chacun été développés dans des contextes particuliers tant en ce qui concerne leurs objectifs que leurs champs d’application. Par ailleurs, quatre participants venaient du Québec et quatre autres d’Europe.
  • L’expérimentation a été réalisée à distance, par visioconférence. Cela a été une première pour la plupart des participants aux deux séances.
  • Seuls quatre participants avaient eu l’occasion préalablement, en amont de l’expérimentation, d’échanger entre eux en groupe. Les autres personnes ne connaissaient qu’un ou deux participants.

Cet article vient en complément des textes de témoignage de Michel Desjardins (2020) et de Michèle Knuchel-Bossel (2020).

Témoignage de Jérémy Calendini

Cette double expérience m’amène à mettre en avant principalement trois points.

Le premier a trait à mon questionnement sur la complémentarité des deux dispositifs. Il m’a semblé, au cours de ces deux séances, que deux attendus différents émergeaient. Le premier, lors de la séquence de co-développement, était centré sur les réponses à apporter au client (exposant) pour répondre à sa problématique professionnelle : réponses majoritairement tournées vers des pistes d’action concrètes. Le deuxième attendu concernait plutôt la réflexivité de l’acteur et sa capacité à se regarder agir, sans forcément viser à répondre de manière pragmatique à certaines de ses problématiques. Je m’interroge donc finalement sur la hiérarchisation de ces deux objectifs dans ces dispositifs ainsi que sur le degré d’attention accordé à l’un ou l’autre ainsi qu’à leur complémentarité.

Le deuxième point est davantage relatif à la place du client qui présente sa pratique et à l’enjeu de co-construction en groupe. En effet, je n’ai pas perçu, dans les deux séquences, cette possibilité de co-construction et de codéveloppement. J’ai d’avantage observé que les apports se faisaient dans le sens consultant/participant vers client/exposant et peu dans le sens inverse. La réciprocité de l’échange aurait permis de davantage matérialiser selon moi les processus de co-construction et de codéveloppement Cette question de symétrie et les dispositifs qui la provoquent m’intéressent beaucoup dans tous les cas.

Mon dernier point de réflexion concerne la présence de temps « méta » particulièrement dans la séquence d’analyse de pratique. Il me semble avoir identifié assez clairement certains moments « réflexifs » soit parce qu’il y avait une invitation explicite, en clôture de dispositif par exemple, soit à la suite de questions qui m’ont été posées lors de l’échange (« quelles métaphores illustreraient pour toi ton ressenti ? »). Cela m’amène à penser que cette démarche nécessite un cadrage et un guidage assez important, voire une préparation ou formation spécifique des participants pour favoriser leur émergence.

L’expérience est donc une première pour moi et me permet d’envisager la richesse des possibles au travers de la perception des différences entre les deux approches.

Témoignage de Yann Vacher

C’est avec enthousiasme et curiosité que je me suis lancé dans l’expérience. J’avais pu vivre une séance de codéveloppement professionnel il y a une quinzaine d’années au cours de laquelle j’avais été le client/exposant. Ce premier vécu avait été parasité de mon fait par mon travail de réflexion en double piste : j’avais en effet eu du mal à me « limiter » à mon rôle de client/exposant, mes pensées s’en allaient systématiquement vers une analyse de ce que nous étions en train de vivre, m’éloignant ainsi de la dynamique du groupe. C’est donc avec l’idée de participer plus pleinement à l’expérience que je me suis engagé cette fois. Le travail à distance est de ce point de vue un élément à considérer (Thiébaud, 2020a). Peut-être qu’il ne s’agit que d’une question d’habitude, mais la distance physique semble de nature à permettre les désengagements temporaires. Ce fut très partiellement mon cas et il m’a fallu parfois « résister » pour ne pas repartir dans les analyses « méta ».

Je retire essentiellement trois points de cette expérience.

  • Le premier est relatif à la proximité potentielle entre les approches que nous avons pu vivre. Dans l’expérience vécue, les différences m’apparaissent profondément comme plus liées au style d’animation qu’aux objectifs et cadres de la proposition. Cependant, des accentuations fortes pourraient faire apparaître des différences importantes en ce qui concerne les objectifs, la posture de l’animateur et le rôle des participants. Je pense ici par exemple à la façon de positionner et valoriser la conception de pistes d’action ou encore à la possibilité offerte de régulations et de temps « méta » (Vacher, 2014 ; Thiébaud & Bichsel, 2019a, 2019b).
  • Le deuxième point a trait à ce qui m’est apparu comme le plus notable dans l’expérience. On entend fréquemment le constat d’une différence culturelle entre les pays de culture anglo-saxonne et les pays européens non anglo-saxons. L’un des facteurs de distinction est le rapport au pragmatisme et à l’efficacité. La séance vécue de codéveloppement professionnel m’a permis de « toucher du doigt » en partie cette différence culturelle. Alors que dans le champ de l’APP, et plus particulièrement dans mes pratiques, il existe une « frilosité » voire une « défiance » à se lier à l’obligation d’efficacité directe dans la recherche de solutions ou pistes d’actions, ce principe est structurant dans l’approche du codéveloppement. Personnellement, je n’intègre pas ces phases de proposition et de conception de pistes d’action pour deux raisons. D’une part pour ne pas interrompre la recherche de compréhension des pratiques et d’autre part pour éviter tout risque de dynamique collective négative liée à un partage de conseils voire de jugements.

Dans l’expérience vécue, je me suis rendu compte que cet aspect semble très culturel, c’est-à-dire que c’est le statut de la parole de l’autre qui rend acceptable ou non ces propositions ou jugements. Ainsi, pour les participants québécois, des éléments que j’ai ressentis comme potentiellement « jugeants » et donc possiblement inhibiteurs n’ont pas paru bloquer le processus de travail. Ils y ont au contraire participé. Ce point a fait l’objet d’échanges ultérieurs qui ont semblé confirmer cette analyse. J’ai conscience que celle-ci est trop succincte et qu’elle n’a pas valeur de généralisation. Elle m’interroge cependant profondément sur les usages communicationnels, leur variabilité et les effets qu’ils peuvent avoir sur les processus de formation et d’accompagnement notamment en matière d’inhibition ou à l’inverse de dédramatisation libératrice.

  • Mon dernier point, qui est en relation avec le précédent, est relatif à la place du « détour réflexif ». L’expérience que nous avons vécue m’a permis de voir que le développement de la réflexivité qui est au cœur de mes travaux et des choix que je privilégie en APP n’est pas un élément central dans le dispositif du codéveloppement professionnel. Ce « constat » est en lien avec le précédent (aspect pragmatique du codéveloppement). En effet, le processus cognitif de cheminement et d’implication diffère totalement selon que l’on vise la proposition de pistes ou le développement de la réflexivité. Fondamentalement la question que je me pose est la suivante : en fonction des objectifs à atteindre dans les deux approches, quelle amplitude et quel périmètre pour la réflexion ?

En conclusion, je dirai que j’ai vécu l’expérience avec deux prismes de lecture :

  • le premier, plus technique, m’a permis de confirmer que la posture de l’animateur est déterminante dans la coloration du vécu ; de ce point de vue les styles d’animation ont été assez proches.
  • le second est la ré-interrogation de mes propres cadres de références, culturels et éthiques ; sous cet angle, l’expérience m’a amené à autant de renforcement de ces cadres que de questionnement sur leur fondement et leur pertinence.

Je terminerai ce témoignage en précisant que tout au long de cette expérimentation, j’ai pu vivre l’incarnation de la complexité des pratiques d’accompagnement : la posture communicationnelle, l’éthique de la démarche, la médiation technique de l’animation sont autant d’éléments non exhaustifs qui participent à la qualité du processus. Cette complexité m’a parfois déstabilisé : je me questionnais en permanence pour savoir où j’en étais dans les dispositifs et pour identifier les résonnances et dissonances qui m’apparaissaient.

Références bibliographiques

Desjardins, M. (2020). Mon expérience de groupes de codéveloppement professionnel et d’analyse de pratiques professionnelles. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 18, pp. 70-80. http://www.analysedepratique.org/?p=3879.

Knuchel-Bossel, M. (2020). Analyse de pratiques à distance : témoignage et réflexions. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 17, pp. 33-43. http://www.analysedepratique.org/?p=3712.

Thiébaud, M. (coord) (2020a). Faire des séances d’analyse de pratiques à distance : expériences, réflexions et ressources, Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, numéro spécial 17. 70 pages. https://www.analysedepratique.org/?p=3738.

Thiébaud, M. (2020b). Dialoguer entre praticiens des groupes d’analyse de pratiques et de codéveloppement professionnel.
In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 18, pp. 5-23. http://www.analysedepratique.org/?p=3875.

Thiébaud, M. et Bichsel, J. (2019a). Animer un groupe d’APP : mobiliser diverses formes de régulation. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 14, pp. 74-96. http://www.analysedepratique.org/?p=3188.

Thiébaud, M. & Bichsel, J. (2019b). Temps « méta » dans les groupes d’analyse de pratique.
In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 14, pp. 97-112. http://www.analysedepratique.org/?p=3190.

Vacher, Y. (2014). Phase méta en APP… quels contenus, quelles fonctions ?
In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 4, pp 23-34. http://www.analysedepratique.org/?p=1379.

 

 

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