Lyne Gemmiti

Coache pour enseignants, Suisse
roselyne.gemmiti[arobase]vd.educanet2.ch

Marie-Claude Mounérat

Enseignante spécialisée, Suisse
marieclaude.mounerat[arobase]vd.educanet2.ch

Carmen Roch

Enseignante spécialisée, Suisse
carmen.roch[arobase]vd.educanet2.ch

Serge Weber

Formateur HEP Vaud, Suisse
serge.weber[arobase]hepl.ch


Résumé

Ce texte est rédigé par quatre personnes ayant suivi la « Formation à l’Accompagnement individuel et collectif : coaching et analyse de pratiques professionnelles » (FA). La première partie est constituée d’un récit individuel par chacun de son expérience de formation. Ces récits sont suivis d’une analyse basée sur le modèle des étapes vécues lors d’une transition (rupture, errance et relance). Nous mettons en évidence quelques éléments communs de nos parcours et les discutons en regard de la formation. Notre conclusion met en perspective l’impact de la formation sur notre devenir professionnel et personnel.

Mots-clés 

formation, transition, changement, identité professionnelle, transformation identitaire

Catégorie d’article 

Texte de réflexion en lien avec des pratiques

Référencement 

Gemmiti, L., Mounerat, M-C., Roch, C. et Weber, S. (2019). Témoignages autour de la formation à l’accompagnement et à l’analyse de pratiques professionnelles. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 15, pp. 31-48. http://www.analysedepratique.org/?p=3349.

 


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Testimonies around the formation to guidance and professional practices analysis
Abstract

This text is redacted by four people wich attended the « Training to individual and collective guidance : coaching and professionnal practices analysis » (TG). The first part consists of an individual telling by each one of his formation experience. This tellings are followed by an analysis relying on the model of the steps lived during a transition (rupture, wandering and relauching). We highlight some shared elements of our paths and discuss them in perspective of the training. Our conclusion puts in perspective the training’s impact on our professional and personal becoming.

Keywords

training, transition, change, professional indentity, transformation of personal identity


 

Dans un premier temps, nous avons choisi de mettre le lecteur en situation au travers de récits, laissés à la libre expression de chacun, témoignant de notre vécu de la formation. Dans un deuxième temps, après un bref cadrage théorique, nous proposons une analyse à quatre mains des éléments communs des témoignages. Par souci de ne pas alourdir le texte, nous avons fait le choix de ne pas écrire en langage épicène[1].

1. Témoignages sur les parcours de formation

1.1 Témoignage de Lyne Gemmiti, coach pour enseignants

Le désir d’être à l’écoute, de vivre le non-jugement, d’être un soutien pour autrui et de veiller à la place de chacun au sein des groupes que je fréquentais a été présent en moi aussi longtemps que je puisse m’en souvenir.

C’est d’ailleurs dans cette idée que j’ai choisi tout naturellement le métier d’enseignante, ayant reçu de la part de plusieurs enseignants cette écoute, ce non-jugement et ce soutien. Après quelques années d’enseignement, j’ai ajouté à cette fonction le rôle de répondante du secteur 5P-6P[2] de mon établissement. En effet, je désirais faire vivre ces valeurs, tant auprès de mes élèves et leurs parents qu’auprès de mes collègues. Ces deux fonctions me donnaient de nombreuses occasions d’être en posture d’accueil et d’écoute. Une formation en approche systémique dans le milieu scolaire a été un premier pas vers une professionnalisation dans le domaine de la posture d’écoute et d’analyse de situations. Quelques années plus tard, la formation à l’accompagnement (FA) m’ouvrait grand ses bras. Le premier module (accompagnement individuel) m’a permis d’identifier et de différencier clairement la posture d’accompagnante de celle d’experte, ainsi que les moments nécessitant de se tenir plutôt dans l’une ou plutôt dans l’autre. J’ai pris conscience de l’importance de travailler la demande de la personne ou du groupe afin de marcher à côté et non d’être devant.

Forte de ces apprentissages, j’ai alors tenté de jouer, en conscience, avec ces deux postures ce qui a été extrêmement aidant pour entrer dans le deuxième module consacré à l’analyse de pratiques professionnelles (APP). C’est ainsi que ma classe et un groupe d’APP constitué d’enseignantes de différents établissements ont été mon terrain d’exercice. Dans ces deux espaces d’apprentissage créés hors du contexte de la formation, le fait d’être confrontée à un « matériau » réel, celui que j’allais rencontrer dans mon quotidien d’accompagnante, m’a permis de vivre et de gérer des problématiques spécifiques apprises en théorie. Dans une démarche réflexive, j’ai pu faire des liens avec les différentes lectures proposées et y apposer ma pratique. La possibilité de consacrer du temps à l’analyse de ces séances d’APP a posteriori, dans différents temps de la formation, m’a été d’une grande aide pour prendre du recul, apprendre et acquérir les compétences liées au rôle d’animatrice d’APP. J’ai eu une révélation au moment où j’ai approfondi mon questionnement quant aux ressources que je mobilisais. En effet, j’ai clairement pris conscience que je pouvais mettre toute l’expérience vécue en tant qu’enseignante et répondante du secteur 5P-6P au service de ce rôle d’animatrice d’APP. Ces expériences avaient tissé en secret quelques compétences qui se sont révélées être des ressources. Et moi qui croyais que j’étais « vide » et qu’il fallait tout (re)commencer à apprendre… Je me trompais!

J’ai pu identifier plusieurs moments où ce rôle de facilitatrice s’est mis en œuvre inconsciemment aussi bien en tant que répondante de secteur que d’enseignante. Ces prises de conscience ont mis en évidence le fait que je ne devais pas me reconstruire complètement au niveau professionnel. Je pouvais, au contraire, m’appuyer sur ces ressources. Tous ces éléments construits en amont, couplés et alignés aux précieux apprentissages liés à la posture d’accompagnement, au travail de la demande et au rôle de facilitatrice que je venais d’acquérir m’ont permis de voir se forger ma nouvelle identité professionnelle d’animatrice d’APP. C’est précisément là que j’ai réalisé que ce qui me tenait le plus à cœur dans l’enseignement était justement ces moments d’accompagnement individuel ou collectif plutôt que ceux liés à la transmission d’un savoir dans une posture d’expertise. Cette posture de retrait, qui va chercher les ressources du groupe ou de l’individu, pour lui permettre de construire, de se construire, d’aller vers… faisait tout son sens pour moi. C’est exactement la posture que je peux relier à mes valeurs profondes, cette volonté de marcher ni devant ni derrière, mais de se tenir à côté. Cette prise de conscience a été le point de départ de tout un processus de transformation qui m’a menée à faire des choix et à vivre des changements professionnels conséquents à la fin de la FA : renoncer au métier d’enseignante pour entrer dans celui d’accompagnante.

Une fois ce changement de direction initié, j’ai été assaillie par de nombreux doutes doublés d’un sentiment d’illégitimité à deux niveaux : celui de quitter des responsabilités pour lesquelles je m’étais engagée et un sentiment d’imposture dans ma nouvelle fonction. Il m’a été alors nécessaire d’apprendre la confiance dans ce que le groupe ou l’individu est capable de créer ainsi que de croire en ma propre capacité à faciliter cette création.

Le sentiment d’ancrage a été long à se développer et continue à se construire aujourd’hui. Je peux affirmer que chaque moment de pratique, l’analyse a posteriori de chacun d’eux, la confrontation avec la théorie ainsi que la supervision participent largement à sa construction.

Dans ma pratique actuelle, le fait de co-animer les séances d’APP avec ma collègue est également d’une très grande richesse ainsi qu’une belle ressource pour ancrer ce sentiment de confiance. Cette pratique permet d’alimenter en continu la réflexivité par un partage a posteriori. Grâce à l’apposition de nos regards croisés, tant les points forts de la séance que les points d’effort sont mis en lumière. Chaque expérience est l’occasion de réaliser diverses régulations de nos actions et s’avère être un outil favorisant l’amélioration permanente de nos pratiques professionnelles.

L’assurance grandissante me permet de mettre en œuvre, de façon toujours plus consciente et aisée, les compétences liées à la pratique d’animation acquises en formation. Alors que j’étais, au départ, dans une dynamique plutôt rigide, parce que considérablement accrochée à la théorie, je passe progressivement à une pratique plus souple. Ce détachement me permet d’agir en jonglant avec le cadre théorique, les divers apports des participants, les différents aspects liés à la nature du groupe et mon identité d’animatrice d’APP. Ainsi je peux mieux habiter la posture d’accompagnement c’est à dire, rester en retrait au service du groupe et/ou de l’exposant, cultiver la liberté de choisir ce qui est bon pour soi et accepter que l’exposant ne prendra peut-être pas le chemin que les autres ou moi-même auraient pris. C’est rendre chacun acteur de son chemin. En ayant côtoyé plusieurs collectifs depuis la fin de la formation, je suis davantage consciente de l’importance à donner à la constitution d’un groupe, à sa maturité et à son rythme. Dès lors j’adapte ma façon d’animer. Ainsi, en prenant en compte tous ces éléments, mon rôle d’animatrice d’APP se révèle être complexe et riche. Lorsque j‘accompagne des collectifs sur le long terme, je suis toujours réjouie de constater comment le cadre de travail posé en amont ainsi que le processus mis en œuvre permettent le développement  d’une pensée réflexive, analytique et dynamique pour chacun, ainsi que des compétences relationnelles, d’écoute et d’accompagnement.

La confiance croissante me permet d’animer une séance d’APP ou d’accompagner une équipe avec un plus grand recul et une plus grande disponibilité. Ainsi, il est plus aisé de veiller également à l’équilibre entre les dimensions dont le groupe a besoin pour fonctionner (voir Thiébaud et Bichsel, 2015).

1.2 Témoignage de Marie-Claude Mounérat, enseignante spécialisée

Ma rencontre avec l’analyse de pratiques remonte à plus de trente ans. En effet, au sein de  l’institution dans laquelle j’ai longtemps travaillé en tant qu’enseignante spécialisée, nous avions la chance d’avoir un espace entre professionnels pour réfléchir et développer des actions plus efficaces auprès des enfants et des familles en souffrance. J’ai toujours beaucoup apprécié ces temps de réflexion et d’écoute, ces retours sur image qui permettent à la pensée et aux émotions ressenties de venir se frotter à d’autres regards et manières de résoudre des problématiques parfois difficiles et complexes. Le groupe offre la faveur d’échanges, de ressources, d’éclairages très utiles et variés. C’est un espace d’entraide et d’apprentissage qui apporte à la fois soutien et confrontation dans l’écoute et le respect mutuel. La relecture collective d’une situation analysée permet une réflexion et une créativité multipliées tout comme la production d’options nouvelles et l’émergence d’hypothèses différentes.

Lors de la formation, j’ai non seulement eu le plaisir de revivre ces temps précieux et privilégiés de ressourcement que sont les analyses de pratiques en tant que participante, mais j’ai également pu expérimenter l’autre côté du miroir en prenant les rênes de l’animation. J’ai adoré.

Je n’ai pas commencé cette formation dans l’idée d’y apprendre un autre métier, mais bien de donner à celui que je pratique déjà depuis des années des outils nécessaires et utiles à son développement. La fonction particulière que j’occupe au sein de l’établissement scolaire dans lequel je travaille et mon regard d’enseignante spécialisée nécessitent une grande capacité d’adaptation, une aptitude à être polyvalente ainsi que des habiletés de communication et d’écoute importantes. Les dispositifs transversaux mis en place dans cette formation ont permis la consolidation de ces compétences. Ils m’ont donné l’occasion d’augmenter et d’enrichir ma posture d’accompagnante au sein d’un projet professionnel déjà en place.

Mes anciennes références se sont trouvées tout naturellement enrichies de ces cinq semestres d’étude. Ceux-ci m’ont aussi permis d’aller à la rencontre d’une nouvelle attitude pour laquelle j’œuvrais depuis quelque temps déjà. Ils m’ont donné l’opportunité de renoncer à cette position haute adoptée par l’exercice et l’expérience ancrée il y a longtemps. Tout comme ils m’ont également mise à l’épreuve dans ma représentation première de ce qu’était l’accompagnement.

Aujourd’hui, je peux dire que j’ai donné des ailes à certaines aptitudes acquises par le passé. J’ai grandi, poussée par cette pratique réflexive qui, étayée par des savoirs théoriques nouveaux, m’a emmenée plus loin. Durant ces cinq semestres, je n’ai pas rencontré de difficultés au niveau du travail à fournir, – lectures, présence au cours, écriture, certifications. Par contre, cette formation m’a demandé un investissement personnel intense. Arrivée à ce stade avec un habit d’expériences, de croyances et de petites certitudes, j’ai tout d’abord dû détricoter celui-ci pour parvenir à remonter les mailles avec un fil nouveau et différent. Ce fut un temps difficile qui m’a mise à nue parfois et qui m’a effrayée. Plongée dans une zone d’inconfort importante, il a fallu trouver le courage de poursuivre. Un temps de latence, un temps pour déceler un nouveau sens à donner à mes pensées. Finalement, une fois ce mécanisme de réflexion enclenché, peu de chance d’un retour possible si ce n’est de s’en aller peut-être ou de s’enfuir en courant. Mais encore, je pense qu’à ce moment-là, il est déjà trop tard. Rien n’est déjà plus comme avant. Cette démarche est avant tout une rencontre avec soi-même.

Durant la formation, j’ai travaillé à acquérir dans une large mesure les habiletés proposées par le référentiel et j’ai appris à rester en vigilance de certains principes fondamentaux de l’accompagnement, quelle que soit la forme. Petit à petit, en cheminant au travers de la FA et des exercices pratiques proposés, je me suis sentie de plus en plus confortable dans plusieurs aptitudes utiles pour tous les types d’interventions envers lesquelles nous sommes amenées à interagir. En comprenant que dans mon rôle d’accompagnante, j’ai la responsabilité de garantir un processus qui aidera l’accompagné ou le collectif à cheminer, j’ai adopté une posture différente. Posture qu’il m’est encore, de temps en temps, difficile à garder. Cependant, je suis en route et je continue de progresser dans cette idée. Tout comme avec celle que la personne accompagnée a la responsabilité de découvrir ce qu’elle veut amener, d’estimer quelle réponse est pertinente et ce qu’elle veut en faire. J’ai pu voyager dans le pays du retrait et apprendre à ne pas intervenir systématiquement dans le contenu proposé. J’ai acquis une meilleure habileté à conjuguer proximité et distance. Je m’assure de viser l’autonomie de la personne que j’accompagne avec empathie et respect. Dans cette formation, je découvre que l’accompagnant n’est pas là pour rassurer, mais pour mettre l’autre au travail. Grâce à l’impact de cette révélation, je décide alors d’abandonner ma posture de sauveuse.

Il me reste du chemin à fréquenter et à parcourir. J’ai en effet pour longue habitude de penser vite autour des choses et d’y mettre un éclairage tout personnel. Je sais que c’est une qualité appréciée également à certains moments. Cependant, souvent j’extrapole, j’investigue des chemins qui ne sont pas du domaine de l’autre. Attendre que l’idée ou le besoin émerge reste compliqué. Je suis impatiente et je me voudrais différente, capable de m’engager tout en restant à côté. Je reste avec ce challenge important qui est de ne pas faire trop d’hypothèses ou d’interprétations qui devanceraient la réflexion de la personne ou le groupe que j’accompagne. Pour garantir le processus, j’apprends, j’exerce une pression sur les multiples envies de dire qui m’habitent. Je remets en jeu ma capacité à prendre ma place, trop ou trop peu…

C’est dans l’exercice de l’analyse de pratique que j’ai appris et mis cette nouvelle posture au service de l’intelligence collective et plurielle. J’y ai expérimenté le fait que préparer mon processus était essentiel, mais qu’il est tout aussi important d’être capable de l’abandonner et de réguler, au gré du cheminement et des besoins de la personne accompagnée, que ce soit en individuel ou en groupe. J’ai accepté le doute et l’incertitude. J’ai lâché le souci de bien faire pour être tout à fait présente à la relation et à l’écoute de l’autre. J’ai appris à écouter pour comprendre et non plus à écouter pour répondre. J’ai fait la différence entre le conseil et l’offre d’outils ponctuels. J’ai navigué dans les différentes postures (guidage, expertise, accompagnement). J’ai goûté à la capacité de verbaliser mon ressenti longtemps retenu par peur de blesser ou d’être trop intrusive.

Métacommuniquer, c’est communiquer sur la relation. Méta signifie distance, recul. C’est prendre le temps de revenir sur le mode d’expression qui vient d’avoir lieu pour l’analyser et le transmettre à l’autre. Je l’utilise aujourd’hui comme un outil pour construire la relation dans un souci d’authenticité et de protection.

Je dois également encore porter une attention particulière pour rester la garante du temps qui file sur moi comme un rien. Je voyage volontiers des heures durant au rythme du discours et des idées qui s’élaborent. Un autre défi est d’accueillir chaque personne avec ce qu’elle est dans sa différence. La posture de non-jugement est un travail qui se fait tout le temps en filigrane. Elle est choisie, décidée et visitée constamment.

Au fur et à mesure de la formation, je me suis donc approprié une nouvelle manière de penser ma relation à l’autre et de me mettre en parole : apposer plutôt qu’opposer. Cette conception inattendue d’un mot où seule une lettre changée permet un message plus serein. Certainement plus proche de mon envie et de mon désir d’être vraie. Certainement encore en travail jour après jour sur le chemin de la rencontre.

1.3 Témoignage de Carmen Roch, enseignante spécialisée

En septembre 2014, un changement de fonction professionnelle bouleverse mon univers. L’école dans laquelle je travaillais ferme ses portes, je dois quitter mon poste de titulaire de classe spécialisée pour devenir enseignante de soutien itinérante dans les classes ordinaires. Changement annoncé, mais subi dont je ne pouvais pas imaginer l’ampleur de la transformation identitaire qu’il allait entraîner. Je me réjouissais cependant des nouvelles possibilités d’échanges et de collaborations avec les enseignants. J’avais suivi la formation en relation d’aide selon Rogers (ACP[3]) hors du cadre scolaire quelques années auparavant et l’opportunité de suivre la FA m’est apparue comme un soutien bienvenu dans ce moment charnière de ma carrière.

Prise dans le tourbillon du processus de changement, j’ai pu vivre dans le même temps les processus d’accompagnement que nous apprenions dans les cours, ce qui m’a permis de prendre un premier recul réflexif face à ce que je découvrais sur mon nouveau lieu de travail.

J’ai pu accéder à cette nouvelle posture grâce au climat de sécurité mis en place par les formateurs dès notre première rencontre. La possibilité d’amener mes doutes, mes réflexions, mes questions dans un espace bienveillant et non jugeant a permis l’émergence d’une confiance mutuelle qui a libéré la parole. Je me suis sentie accueillie dans mes valeurs humanistes, ce qui m’a encouragée à entrer dans le processus de (trans)formation.

Ainsi, j’ai pu exprimer l’idée que dans l’accompagnement, « je suis mon propre outil » et que mes compétences d’écoute et mon ouverture à l’autre peuvent faciliter la rencontre. Accepter d’être son propre outil, c’est aussi être en accord avec ses zones d’ombre et ses fragilités. C’est alors que les spirales du changement personnel et du changement professionnel se sont synchronisées pour me permettre d’habiter cette nouvelle posture. Mes compétences en animation d’APP se sont construites pas à pas. Pour ma part, le passage d’une écoute individuelle à une écoute collective a été difficile et un moment clé de la formation. Les difficultés se traduisaient notamment par des questions trop complexes. Je voulais à tout prix tout mettre dans une seule question afin de n’oublier rien ni personne… L’ouverture à la complexité est passée par une remise en question de mes représentations m’obligeant à lâcher la position de meneuse de groupe pour aller vers celle d’animatrice garante du cadre et du processus.

Simplifier mes interventions et expliciter le processus à haute voix m’ont aidée à conscientiser et construire ma posture d’animatrice. Grâce à l’exercice de l’animation dans le groupe de pairs, où la confiance mutuelle donnait la permission à chacun d’expérimenter et de s’enrichir de la réflexion commune, je me suis découvert la capacité à être plus en retrait, au service du groupe. Ce n’est qu’au moment où j’ai pu incarner cette bonne distance d’écoute que ma représentation de la régulation s’est transformée pour passer du contrôle à l’encadrement. J’ai alors réussi à mieux gérer les besoins de régulation du groupe en tenant compte notamment de la demande amenée par l’exposant, des besoins des participants et de l’énergie collective. C’est dans ce contexte que j’ai vraiment pris conscience que la multiplicité des regards et des subjectivités est la source d’où émerge l’intelligence collective et que chacun est acteur de son propre chemin.

Dans ma pratique actuelle, j’anime depuis deux ans les rencontres de l’équipe des intervenants de l’école dans laquelle je travaille. Mon rôle de facilitatrice est de veiller à ce que chacun soit entendu dans la sensibilité de sa fonction. L’objectif prioritaire est la coordination des réflexions et des actions communes. Selon notre contrat de départ, ces séances prennent la forme d’une APP quand le groupe souhaite réfléchir à une question amenée par un participant. J’anime également des séances d’intervision des enseignants de soutien de l’établissement. Nous sommes six et nous travaillons sur trois bâtiments différents. Notre fonction d’itinérance appelle un fort besoin d’appartenance à une équipe dans laquelle les échanges sont un soutien identitaire important. Ce collectif devient petit à petit une équipe qui découvre ses ressources et prend la responsabilité de sa propre existence. L’accompagnement « à l’interne » me permet de continuer à construire mon identité professionnelle tout en pratiquant la posture d’ accompagnante pour cheminer vers plus de sens.

1.4 Témoignage de Serge Weber, formateur d’enseignants

Mon entrée en formation en 2007 a été un moment de remise en question conséquente. La montagne que représentait cette formation a dû être gravie avec force et rigueur, j’ai dû puiser de l’énergie au fond de moi, aller à la rencontre de qui j’étais. J’ai découvert au fil des jours de formation que je pratiquais une sorte d’accompagnement sans en être conscient. Ainsi l’écoute active, la bienveillance et l’empathie développées dans les premiers modules de la formation faisaient échos à mon rôle de formateur dans le domaine des moniteurs de ski J+S[4] depuis plus de 15 ans. J’ai affiné mon écoute, rendu visible ma bienveillance et développé mon empathie au cours des deux premiers modules afin de pouvoir me mettre au service d’autrui.

Très vite de nouveaux dilemmes apparaissent autour des rôles de l’accompagnant, notamment lorsque les coachés m’identifient comme expert du contenu, ce qui était mon cas dans le ski. Le travail de mémoire effectué en fin de formation détaillait d’ailleurs cette controverse entre expert du processus et expert du contenu. J’ai eu la chance d’accompagner trois enseignantes qui avaient des problématiques autour de l’éducation physique (EPS). Bien qu’elles s’attendaient à obtenir des réponses à leur problème professionnel, je m’efforçais de ne pas prendre une posture de guide ou de conseiller ; je les questionnais et les confrontais en visant leur développement professionnel. Le climat de confiance que j’ai instauré leur a permis d’avancer dans l’enseignement de cette discipline. À tout moment de notre relation, je clarifiais ma posture lorsque je changeais de rôle.

En 2013, je profite de l’occasion donnée de suivre un complément de formation autour de l’analyse de pratiques professionnelles. Cette poursuite de formation n’est plus une montagne pour moi, les outils d’écoute et de questionnement sont intégrés et depuis 2009 ma fonction a changé, je travaille notamment à la Haute école pédagogique (HEP) dans l’animation des séminaires d’intégration[5]. C’est en toute confiance que j’explore les dispositifs proposés dans la formation. Je peux mettre en œuvre certains contenus avec le groupe d’étudiants que j’accompagne en formation BP[6]. Cela a été le cas avec la démarche d’analyse de pratiques, découverte de manière rigoureuse, différente du partage d’expérience que je pratiquais alors. L’opportunité d’avoir pu expérimenter en toute sécurité tous les rôles du processus d’APP avec mes pairs en formation m’a donné suffisamment de confiance en moi pour vivre un processus similaire avec le groupe d’étudiants du séminaire d’intégration. Avoir osé mettre en place cette APP en formation BP, montre également une de mes transformations, celle d’être le garant du processus et non du contenu, celui-ci étant apporté par les participants. J’ai clarifié mes rôles de formateur ou d’animateur d’APP avec ce groupe que j’ai suivi pendant 3 ans.

Le groupe de pairs m’a permis de vivre tous les rôles du processus d’APP, qui s’est clarifié au cours de la formation. Les variantes d’animation proposées par les formateurs et par les pairs ont été toutes des ressources pour moi. Le regard d’« ami critique » des collègues m’a permis d’affiner ma posture de formateur et d’animateur d’APP. Nous échangions sur l’animation, sur les différents rôles exercés par les membres du groupe. Ces moments « méta » me permettaient à la fois de prendre conscience de mes compétences et porter un regard critique sur l’APP vécue.

L’ensemble de la formation m’a transformé en replaçant les valeurs humaines au centre de mes préoccupations. Ceci m’a montré que je suis capable d’expliciter cette démarche à des collègues, notamment en animant de l’APP lors de communautés de pratiques de formateurs. Oser montrer en confiance et sécurité qui je suis comme formateur tant aux étudiants qu’aux collègues est un atout notamment dans ma pratique professionnelle.

Je termine ce témoignage en évoquant brièvement la recherche que je mène à la HEP Vaud autour de l’analyse de pratiques[7] en didactique de l’EPS auprès de 160 étudiants. Les résultats d’une première étude réalisée en 2016 (voir Weber & Méard, 2018), confirmés dans une deuxième étude conduite en 2017, révèlent que les situations amenées font écho à leur pratique. Les étudiants y portent de l’intérêt et font des liens avec la formation. En 2018, dans une recherche actuellement en cours, quatre étudiants ont accepté que je les accompagne tout au long de la démarche d’analyse de pratiques. Lors du bilan final, les  quatre participants ont signalé que ce dispositif de formation leur a permis un « développement professionnel fort et bien accompagné ». J’avoue que sans la confiance acquise durant la FA, je ne me serais jamais lancé dans cette recherche qui exploite l’auto-confrontation.

La route a été sinueuse lorsque la montagne était haute, longue lorsqu’il fallait produire des écrits, riche des échanges avec le groupe de pairs, passionnante en prenant du recul.

2. Méthodologie d’analyse et liens théoriques

Notre analyse porte sur nos ressources, nos difficultés rencontrées, notre processus de (trans)formation, nos compétences acquises et la mise en œuvre de ces éléments dans notre pratique. Nous avons utilisé à cet effet un modèle proposé lors du premier module de formation par Geneviève Tschopp Rywalski (2014) qui explicite les étapes vécues dans un processus de changement.

Elle s’appuie sur les études de plusieurs auteurs. Michèle Roberge (1998), 
citée par Tschopp Rywalski (2014, p.4), associe les saisons au changement.

« Analogie des saisons pour parler des mouvements de vie.
 Comme dans la nature, nous traversons des cycles dans notre vie, dont l’évolution peut être comparée à celui 
des saisons. 
Tout comme l’automne, la 1ère phase de la transition consiste à faire la rupture avec l’ancien, la 
fin de ce qui était.
 Cette rupture est suivie d’une période de confusion, de flou, de vide qui ressemble à l’hiver. Puis, comme le printemps, arrive enfin le commencement, la création ».

Les étapes du deuil que Kubler-Ross a identifiées dans les années 60, définies par le déni, la colère, le marchandage, la tristesse et l’acceptation, évoquent également ces processus (voir Kübler-Ross & Kessler, 2011). Poletti et Dobbs (2014) proposent plus simplement trois grands moments dans le processus de deuil : une phase de rupture, une phase d’errance, une phase de nouveau commencement. Tschopp Rywalski (2014, p.5) relève par ailleurs que Kurt Lewin  avait développé dès les années 40 un modèle pour penser le changement en trois étapes : décristallisation ou dégel, transition ou modélisation, recristallisation ou regel. Le modèle proposé par Geneviève Tschopp Rywalski (2014, p.6) nous semble intéressant et significatif du processus de formation que nous avons vécu de l’intérieur ainsi que des changements personnels et professionnels que cela a engendrés chez chacun de nous. Nous avons choisi de nous en inspirer. La figure 1 représente trois temps: les signes précurseurs, la transition en trois étapes (rupture, errance, relance) et le nouvel équilibre.

Figure 1. Les processus de transition, d’après Tschopp Rywalski (2014, p.6). Schéma simplifié par les auteurs

3. Analyses des témoignages

Lors de ce travail d’analyse, nous avons parfois eu de la difficulté à séparer les trois étapes de la transition. En effet, même si celles-ci sont toutes à franchir pour parvenir à l’état libérateur du nouvel équilibre, leur imbrication est telle qu’elles sont interdépendantes l’une de l’autre. Directement en lien avec nos quatre témoignages, nous proposons quatre analyses,  pour revisiter les transitions vécues. Les mots en italiques sont repris des témoignages puis sont corroborés par des citations.

3.1 Des signes précurseurs à la rupture

Dans nos quatre témoignages, nous avons constaté qu’avant la formation nous partagions un faisceau de compétences potentielles que nous mettions déjà en œuvre dans nos vies professionnelles respectives, de manière consciente ou non. Nous les identifions comme des signes précurseurs du changement (FIG. 1) puisque c’est le désir de mobiliser et faire prospérer ces ressources qui nous a amené vers la formation. Nous avons choisi d’en mettre deux en discussion.

La première ressource parle de nos valeurs et de leur mise en action dans la relation. Nous étions sensibles à l’autre dans une dimension psycho-sociale et avions sûrement déjà une capacité à écouter et interagir pour faciliter la rencontre. Lyne formule avec ces mots être en posture d’accueil et d’écoute, alors que Carmen évoque que mes compétences d’écoute et mon ouverture à l’autre facilitent la rencontre. Ces éléments peuvent être mis en lien avec les fondements clés de l’accompagnement, à savoir l’écoute active, l’empathie et la bienveillance.

« La qualité de l’action de coaching dépend de l’écoute du coach ; cela suppose à la fois un comportement où le coach est capable de se taire et d’utiliser les différents modes d’écoute active lui permettant de percevoir le cadre de référence de son client et un comportement qui donne à ce client le sentiment d’être compris, respecté et soutenu. Cela sous-entend également une attitude d’empathie et de disponibilité soutenue par une position de vie « je suis OK l’autre est OK » (Lenhardt, 2002, p. 255).

Patrick Robo (2010) parle des postures d’accompagnement, notamment : « le triptyque rogerien, l’altérité, la bienveillance sans concession, la distanciation, l’affranchissement ». Ces notions étaient présentes chez chacun de nous à divers niveaux de conscience et de mise en œuvre. La formation nous a permis de les identifier, de les réinvestir et de les affiner afin de nous appuyer sur ces compétences pour nous développer. À propos de la distanciation citée par Robo, nous pouvons mettre en lien deux récits : celui de Lyne prenant conscience du rôle d’accompagnante avec une posture de retrait, et celui de Marie-Claude habitant une nouvelle posture, celle de renoncer à cette position haute. Ces prédispositions à entrer en relation d’accompagnement mettent en jeu nos valeurs humaines et personnelles. Même si un seul récit l’évoque explicitement, nous posons le postulat que nous avions tous ces prédispositions en nous, notamment, le désir de collaboration évoquée par Carmen comme ressource possible, la grande capacité d’adaptation et l’aptitude à être polyvalente de Marie-Claude, le souci de justice, d’équilibre et de place de chacun au sein du groupe de Lyne, ainsi que le but d’instaurer un climat de confiance, souligné par Serge.

La deuxième ressource s’articule autour de la réflexivité, cette façon de réfléchir à la situation et de réfléchir sur soi-même et sur ses actions. Marie-Claude relève qu’elle a toujours apprécié ces temps de réflexion et parle de la chance d’avoir un espace entre professionnels pour réfléchir et développer des actions, alors que Serge identifie son groupe de pairs comme ami critique afin de porter un regard sur l’APP vécue. Selon Guillemette (2017, p.2), « en contexte d’accompagnement, la réflexivité oblige alors de réfléchir ou d’investiguer sur et dans sa pratique, mais cette fois, en identifiant ou en devenant conscient des raisons qui sous-tendent ses actions ». Cette approche réflexive que nous évoquons semble faire partie de nos actions quotidiennes de praticien. Dès lors, le premier module de formation a probablement relevé cette qualité présente afin de nous pousser à la mettre en œuvre pour autrui en utilisant notamment la notion d’hypothèses dans la démarche d’accompagnement. La relecture collective d’une situation analysée permet une réflexion et une créativité multipliées tout comme la production d’options nouvelles et l’émergence d’hypothèses différentes (Marie-Claude). C’est dans un travail réflexif… spécifiquement orienté sur la recherche de mes ressources, que j’ai pris conscience très clairement que je pouvais mettre toute l’expérience vécue en tant qu’enseignante et répondante du secteur 5P-6P au service de ce rôle d’animatrice d’APP (Lyne).

3.2 De la rupture à la prise de conscience menant à l’errance

« Nous savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas encore ce que nous pouvons devenir. » Cette citation de William Shakespeare est bien à propos pour cette phase de rupture mise en évidence dans la figure 1.

Nous nous engageons avec ferveur dans la (trans)formation mais sommes-nous prêts à quitter nos anciens repères sans savoir quels seront les nouveaux ? Est-ce le bon moment ? Il nous vient à l’esprit plus ou moins rapidement que nous entrons dans un moment de remise en question conséquente, comme en témoigne Serge.

Il a eu un effet modificateur sur certaines attitudes, certaines habiletés, certaines valeurs, l’ensemble de la formation m’a transformé, en replaçant les valeurs humaines au centre de mes préoccupations (Serge). De même sur l’image de soi, de notre rapport au métier : pour ma part, le passage d’une écoute individuelle à une écoute collective a été un passage difficile et un moment clé de la formation (Carmen). Également sur notre perception à l’égard des autres, sur nos croyances : arrivée à ce stade avec un habit d’expériences, de croyances et de petites certitudes, j’ai tout d’abord dû détricoter celui-ci pour parvenir à remonter les mailles avec un fil nouveau et différent (Marie-Claude).

Dans cette phase de rupture, le besoin humain fondamental de sécurité ressurgit avec force. La formation a offert un espace qui permet à la confiance, au silence, au temps, aux découvertes de se révéler puis de s’installer (Marie-Claude). Elle a permis de mettre en jeu les désirs de changement et d’évolution de chacun.

Cette formation qui propose un dispositif très différent de ceux vécus antérieurement ébranle tout d’abord les fondements de la pensée. Ensuite, à mesure que les prises de conscience se font, l’apprenant se voit petit à petit reprendre ses esprits et redécouvre ses compétences un instant perdues de vue. Ces prises de conscience ont mis en évidence le fait que je ne devais pas me « reconstruire » complètement au niveau professionnel. Je pouvais, au contraire, m’appuyer sur ces ressources (Lyne).

Tant en présentiel qu’en dehors du contexte de la formation, de nombreuses prises de conscience se sont faites grâce aux exercices pratiqués. C’est un aspect essentiel des théories de Piaget. Il l’a défini comme ce processus à la fois délicat et complexe à travers lequel les personnes passent d’une connaissance instrumentale de la réalité à une conceptualisation beaucoup plus intime, abstraite et significative des choses. Ces prises de conscience permettent d’amorcer des transformations dans notre existence. En anglais, ce fait est désigné par le mot insight que l’on peut traduire par voir de l’intérieur. Lyne le met ainsi en évidence : il a été le point de départ de tout un processus de transformation intérieure qui m’a menée à faire des choix et vivre des changements professionnels conséquents à la fin de la formation. Marie-Claude l’évoque en ces termes : je me suis donc approprié une nouvelle manière de penser ma relation à l’autre et de me mettre en parole : apposer plutôt qu’opposer. Cette conception inattendue d’un mot où seule une lettre changée permet un message plus serein.

3.3 De l’errance à la relance

Les doutes nous envahissent et l’on se rend compte qu’il va nous falloir nous mettre à l’écoute de nos zones d’ombre et nos fragilités pour pouvoir avancer et donc entrer dans la phase d’errance. Roberge (2002, p.23) parle de « cet autre processus qu’est celui plus mystérieux du mouvement intérieur de l’être touché par le changement. » C’est une rencontre avec soi-même. Marie-Claude nous dit avoir été plongée dans une zone d’inconfort importante, qu’il lui a fallu trouver le courage de poursuivre. Bien des états d’âme comme la peur, l’envie de s’enfuir en courant nous assaillent. Nous sommes frappés par le manque de synchronisation entre le changement extérieur et ce qui se passe à l’intérieur de soi. Nous avons besoin de temps pour digérer la nouveauté tout comme de reconnaître qu’un changement extérieur provoque une transition intérieure.

« Le processus de transition est pourtant naturel. Il est comparable au mouvement des saisons. Pour que de nouvelles récoltes puissent survenir, que de nouveaux projets professionnels puissent s’amorcer, il faut traverser, habiter et vivre l’achèvement automnal, la dormance de l’hiver et le commencement printanier. En cela la nature humaine n’est pas si différente de la vie qui nous entoure » (Roberge, 2002, P.22).

Arrive alors le moment où l’on se rend compte qu’un retour en arrière n’est plus possible. Rien n’est déjà plus comme avant dit Marie-Claude. Nous voilà contraints d’« habiter la transition » (Roberge, 2002, p.22) pour que la formation devienne transformation et que nous trouvions la voie qui mène à une nouvelle identité professionnelle. Cette expérience intime deviendra une compétence acquise car nous savons alors combien « être présent aux états d’âme des transitants » (Roberge, 2002, p.23) est fondamental dans l’accompagnement. Ce processus intérieur permet un repositionnement des choix antérieurs (valeurs, croyances, engagements), une redéfinition de la posture.

Choisir puis construire progressivement de nouvelles compétences, se tourner vers d’autres aspirations en s’appuyant sur ce qui existait déjà : les ressources. Ce qui résulte de ce parcours bien souvent déstabilisant comme le disent les quatre témoignages peut se résumer en ces mots : moment de remise en question conséquente, route sinueuse, nombreux doutes venus m’envahir, sentiment d’avoir été épuré et enrichi. En effet, la formation dans sa totalité a été une profonde rencontre avec nous-même et nous a amenés à modifier notre regard sur l’accompagnement et sur nos compétences acquises antérieurement.

3.4 De la relance au nouvel équilibre

Le processus de changement tel que présenté par Tschopp Rywalski (2014, p.6) se termine par la phase dite de « relance » qui tend vers un nouvel équilibre trouvé par la personne suite à la phase d’errance. Cette étape est mise en évidence dans les témoignages de chaque auteur ci-dessus en ces termes : renoncer, grandir dans la confiance, passer d’une pratique rigide à plus de souplesse, oser, se détacher, accueillir avec moins d’appréhension, accepter, lâcher, se sentir de plus en plus confortable, avoir acquis de la sécurité. Il est intéressant de considérer que tous ces propos peuvent être reliés à un processus de construction identitaire et de la représentation que l’accompagnant a de lui-même (Gohier, Anadón, Bouchard, Charbonneau et Chevrier, 2001) davantage qu’à des compétences tirées du référentiel de formation. Elle sous-entend qu’il passe par deux processus de transformation. Le premier étant la transformation identitaire – un chemin de rencontre avec soi comme le disent Serge et Marie-Claude dans leur témoignage – un changement identitaire, tout un processus de transformation intérieure pour Carmen et Lyne. Le second se situant au niveau de l’agir professionnel – se repositionner dans les rôles que j’endosse, différencier…la posture d’accompagnement de celle d’expert, accéder à ma nouvelle posture, construire mon identité professionnelle, mettre l’autre au travail. Carmen appelle cela la double spirale du changement : intérieure et professionnelle.

En effet un des apprentissages fondamentaux de la formation réside dans la clarification du rôle et de la posture de l’animateur. On peut le relever dans chacun des témoignages. Je m’efforçais de ne pas prendre une posture de guide ou de conseiller, mais les questionnais et les confrontais en visant leur développement professionnel (Serge). Il m’a aussi et surtout permis d’identifier et différencier très clairement la posture d’accompagnement de celle d’experte (Lyne).

Si chacun de nous a pu entrer dans cette phase de relance et vivre ces changements intérieurs, c’est principalement grâce aux différents dispositifs mis en place par l’équipe des formateurs (voir l’article de Rebetez et Thiébaud dans ce même numéro). Carmen et Marie-Claude parlent du climat de sécurité, Serge évoque le groupe de pairs, Lyne fait allusion aux exercices pratiques vécus hors des cours ainsi qu’au dossier de formation. Tous ces moyens, en interaction les uns avec les autres, ont permis à chacun de nous de mieux se connaître, de se re-connaître et, de fait, d’avoir une meilleure conscience de soi (tant personnelle que professionnelle) de laquelle un sentiment de confiance a pu émaner. Parallèlement à ce déplacement identitaire, la pratique des compétences acquises nous permet d’entrer progressivement dans un temps différent qui mènera à un nouvel équilibre.

Cependant, ces nouvelles compétences ne sont pas encore stabilisées comme le disent Gohier, Anadón, Bouchard, Charbonneau et Chevrier (2001, p.29) : « l’identité́ professionnelle résulte de déséquilibres successifs et non d’une stabilité inaltérable. Elle ne consiste pas en la réitération du même, d’un modèle figé, mais dans la trajectoire d’un individu à travers les différents visages qu’elle peut prendre ». Il s’agit bien d’une professionnalisation continue !

Ainsi, le passage par ces trois phases est complexe. Il s’inscrit dans le temps du changement qui est nécessairement long. Les quatre témoignages l’évoquent clairement. Cifali (2007) fait elle aussi allusion à cela dans ses écrits « en effet, lorsque nous débutons dans toute pratique, la peur de l’échec est souvent présente avant que ne puisse s’installer, non pas la suffisance, mais une confiance liée à la prise de conscience que la difficulté d’aujourd’hui ne sera pas la même demain. Il s’agit donc également de travailler avec le temps » (p.15).

4. Conclusion

A la relecture de ce texte, il apparaît qu’il a été difficile de séparer l’APP du reste de la formation, puisque cette dernière est construite sur une logique progressive. Chaque module est interdépendant, celui de l’APP s’appuyant sur le précédent (accompagnement individuel).

Cette formation propose des apprentissages et des expériences sur le processus pour accompagner des personnes sur le chemin de leur questionnement. Elle participe également à une transformation non seulement intérieure mais également professionnelle de l’apprenant. Se former à l’accompagnement comporte le risque d’être bousculé, confronté, remis en question. L’énergie que demandera cette transformation est difficilement mesurable avant de s’engager. Avoir en tête le schéma des étapes d’une transition (FIG. 1) peut être un repère sur le chemin de la transition. Être conscient que cette formation fait traverser des chemins déstabilisants implique de se donner les moyens d’être soi-même accompagné.

Par la suite, la pratique de l’accompagnement en individuel et en APP maintient le nouveau professionnel dans une dynamique formatrice permanente qui le pousse à habiter la posture d’accompagnant. Le fait d’être passé par là nous permet d’intégrer une meilleure représentation des étapes du processus de transition que peuvent vivre les coachés. Nous pouvons ainsi les accompagner avec une plus grande pertinence et compréhension. Se former en accompagnement apporte également des bénéfices qui se situent au niveau d’une transformation intérieure et profonde, un repositionnement de soi à soi ainsi que de soi à autrui. Bien que le chemin ait comporté des difficultés, nous pouvons affirmer que nous sommes ressortis de cette expérience considérablement enrichis dans notre agir professionnel et personnel. « Le changement extérieur amène tout un processus intérieur complexe qui fait passer l’individu de l’ancien au nouveau, avant que la personne puisse être à l’aise dans une nouvelle situation » (Roberge, 2002, p.22).

La formation à l’accompagnement (FA) offre une multiplicité de terrains d’exercices, d’apprentissages et de mise en jeu des émotions. Accepter de s’y engager c’est apprendre et comprendre, exercer et intégrer, ressentir avant d’oser partager. Exister dans la différence, renoncer aux croyances, aux certitudes acquises qui enferment, déposer le jugement, construire la relation de bienveillance, tendre l’oreille dans l’écoute active. Un espace de formation qui permet à la confiance, au silence, au temps, aux découvertes de se révéler.

Références bibliographiques

Cifali, M. (2007). Analyser les pratiques professionnelles : exigences d’un accompagnement. Éducation et francophonie, XXV(2), 12-23.

Gohier, C., Anadón, M., Bouchard, Y., Charbonneau, B. et Chevrier, J. (2001). La construction identitaire de l’enseignant sur le plan professionnel : un processus dynamique et interactif. Revue des sciences de l’éducation, 27(1), 3–32. https://doi.org/10.7202/000304ar.

Guillemette, S. (2017). Modalités pour le démarrage d’une démarche d’analyse de pratique et de réflexivité selon une perspective de bienveillance. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 10, 119-132.
Récupéré de http://www.analysedepratique.org/?p=2452.

Kübler-Ross, E. et Kessler, D. (2011). Sur le chagrin et sur le deuil. Paris : Pocket.

Lenhardt, V. (2002). Les responsable porteurs de sens. Paris : INSEP Consulting Éditions.

Piaget, J. (2003). Six études de psychologie. Paris : Gallimard.

Poletti, R. et Dobbs, B. (2014). Vivre son deuil et croître. Archamps, Suisse : Éditions Jouvence.

Rebetez, F., et Thiebaud, M. (2018). Formation « accompagnement individuel et collectif ; coaching et analyse de pratiques professionnelles ». Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 15, 12-30. Récupéré de http://www.analysedepratique.org/?p=3345.

Roberge, M. (2002). Accompagner l’adulte en transition. Panorama, 2, 22-23.

Robo, P. (2002). Analyse de pratiques professionnelles – un dispositif de formation accompagnante. Récupéré le 23 mai 2017 de http://probo.free.fr/ecrits_app/ecrits_app.htm.

Robo, P. (2010). L’accompagnement en formation professionnelle des enseignants. Récupéré le 2 juin 2018 de http://probo.free.fr/accompagnement/ecrits_accompagnement.htm.

Thiébaud, M. et Bichsel, J. (2015, juillet). Faciliter la coopération au sein de groupes et d’équipes professionnelles. Communication présentée à la Biennale internationale de l’éducation, de la formation et des pratiques professionnelles, Paris. Récupéré de http://www.cooperer.org/wp-content/uploads/faciliter-cooperation-thiebaud-bichsel.pdf.

Tschopp Rywalski, G. (2014). Changement et projet : support de cours du Diploma Advanced Study Accompagnement individuel et collectif. Unpublished document, Haute École Pédagogique du canton de Vaud, Lausanne.

Weber, S. & Méard, J. (2018). L’analyse de situations professionnelles au service de la formation des enseignants généralistes en didactique de l’éducation physique. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 12, 53-66. Récupéré de http://www.analysedepratique.org/?p=2869.

 

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Notes

[1] Le langage épicène est un ensemble de règles et de pratiques qui cherchent à éviter toute discrimination supposée par le langage ou l’écriture.

[2] Le secteur 5-6P correspond au CE2 et au CM1 en France.

[3] ACP, approche centrée sur la personne.

[4] J+S = mouvement Jeunesse et sport au niveau national en Suisse.

[5] Le module d’intégration Bachelor Primaire (BP-formation initiale) est composé de 6 séminaires par semestre, animé par le même formateur avec environ 10 à 15 étudiants, il se poursuit tout au long de la formation. Nous travaillons notamment en analysant les pratiques des étudiants en lien avec leur formation académique.

[6] BP =Bachelor Primaire.

[7] Appelée ASP = Analyse de Situations Professionnelles.