Sylvie Godey

Professeur agrégée d’Histoire Géographie, animatrice-formatrice en APP à l’ISFEC de Montpellier
sylvie.godey[arobase]ac-montpellier.fr

Résumé

Il s’agit dans cet article de présenter un retour sur expérience de l’animation de groupes d’analyses de pratiques professionnelles composés exclusivement d’enseignants du secondaire en formation initiale dans le cadre de la réforme de la Mastérisation (après 2010). Après avoir contextualisé mes interventions dans le cadre d’un dispositif de formation initiale agréé par le Ministère de l’Education Nationale, je tenterai d’exposer la mise en œuvre des séances de GFAPP (Groupe de Formation à et par l’Analyse de Pratiques Professionnelles), selon un protocole formalisé par Patrick Robo. Puis je proposerai une progression des apprentissages vers un « savoir analyser » dans le cadre d’une session de formation à et par l’Analyse de Pratiques Professionnelles (APP).

Mots-clés 

formation initiale, situation professionnelle, accompagnement, arène pédagogique, GFAPP

Catégorie d’article 

Témoignage

Référencement 

Godey, S. (2017). Accompagner l’entrée dans le métier d’enseignant du secondaire par l’Analyse des Pratiques professionnelles, In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 11, pp. 30-45. http://www.analysedepratique.org/?p=2755.


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Il s’agit dans cet article de présenter une expérience d’animation de groupes d’enseignants dans le cadre d’un ISFEC (Institut Supérieur de Formation de l’Enseignement Catholique), une institution chargée par le Ministère de l’Education Nationale (MEN) de former les stagiaires du second degré de l’enseignement privé sous contrat. J’essaierai de passer en revue quelques-uns des enjeux et intérêts de l’Analyse des Pratiques Professionnelles (APP) dans le processus de professionnalisation de futurs enseignants des collèges et lycées.

Dans un premier temps, je présenterai le contexte particulier du dispositif de formation dans lequel s’inscrivent ces séances d’APP pour souligner les contraintes, voire les contradictions, que cela peut générer. Je tenterai de définir aussi le compromis possible qui découle de l’obligation pour les enseignants stagiaires de participer à l’APP. Enfin, je présenterai une réflexion sur les modalités et objectifs de la mise en œuvre des GFAPP (Groupes de formation à et par l’Analyse des Pratiques Professionnelles) en formation initiale d’enseignants.

1. Quand l’analyse des pratiques professionnelles s’institutionnalise…

J’interviens dans un ISFEC (équivalent des ESPE[1]) en tant qu’animatrice-formatrice en APP auprès d’un public d’enseignants-stagiaires de l’enseignement privé sous contrat. Ce module de formation en analyses des pratiques a été mis en place dans le cadre du rétablissement de la formation professionnalisante des enseignants du second degré en 2012. Elle repose sur un principe d’alternance entre la pratique de terrain, à travers le stage en responsabilité dans des classes, et les apports théoriques utiles au métier d’enseignant, permettant aux stagiaires de développer des compétences professionnelles. L’APP trouve sa place dans ce processus de professionnalisation car elle permet aux stagiaires de faire un travail réflexif sur les situations rencontrées pendant leur stage. C’est par ailleurs une compétence professionnelle à acquérir explicitement par les stagiaires : « Réfléchir sur sa pratique – seul ou entre pairs- et réinvestir les résultats de sa réflexion dans l’action » (compétence 14)[2].

A l’ISFEC de Montpellier, l’APP représente environ 10% du temps de l’année de formation sur site soit, selon les années, quatre à six séances par stagiaire.

Le contexte de mise en place des modules de formation en APP étant posé, je souhaite m’arrêter sur deux points qui pourraient constituer un frein à l’efficience des GFAPP pour former les stagiaires à la posture réflexive :

  1. Le temps consacré à l’apprentissage d’un « savoir analyser » peut sembler insuffisant si on considère que le travail d’une posture professionnelle nécessite un entrainement régulier et suivi. Philippe Perrenoud (2001, p. 81) définit le « savoir analyser » comme « une disposition acquise à réflechir sur sa propre manière de faire et donc de décider». Elle s’élabore chez un professionnel à partir d’une pratique régulière de l’analyse réflexive qui peut s’exercer, selon des modalités multiples, seul comme dans le cas de l’auto-confrontation en vidéo-formation travaillée par Serge Leblanc (2010), ou en groupe comme dans le cas des GFAPP. D’autre part, il est difficile pour le formateur-animateur de se sentir complètement impliqué dans l’accompagnement des stagiaires rencontrés quatre fois par an.
  2. Un deuxième point, nourri par les travaux de P. Perrenoud[3], pourrait interroger le caractère obligatoire des modules d’APP dans le parcours de formation des enseignants du Second degré. Il affirme qu’une démarche réflexive requiert l’adhésion volontaire de tous les participants. Ainsi, il est probable que dans les groupes de 15 à 20 stagiaires accompagnés chaque année, une partie d’entre eux ne perçoive pas la nécessité de se former à l’analyse réflexive sur ce qu’ils font et comment/pourquoi ils le font. Finalement, c’est un défi supplémentaire pour le formateur : celui de démontrer l’utilité des GFAPP pour apprendre à faire son métier d’enseignant.

L’enjeu pour l’animateur-formateur en APP est donc double : il s’agit d’abord de désamorcer une éventuelle résistance à la démarche d’APP, qui pourrait ralentir la mise en place d’une dynamique d’analyse au sein du groupe et, dans le même temps, de fonder une démarche qui fasse sens pour chacun dans un climat de confiance et de respect mutuel.

J’ai expérimenté un principe de fonctionnement pour ces groupes d’APP obligatoires : si tous les participants décrivent puis donnent un titre par écrit à une situation professionnelle vécue comme problématique, seuls les volontaires proposent leur situation au groupe. Puis, j’énonce la possibilité donnée à chaque participant de ne pas s’impliquer dans le processus d’analyse tout comme il est un droit pour l’exposant de suspendre momentanément ou totalement le travail sur sa situation. Les présents qui ne souhaiteraient pas explicitement participer à l’APP proprement dite ont aussi la possibilité d’occuper la fonction d’observateur et d’apporter leur contribution au travail du groupe pendant la phase de méta-analyse. Au fil des années, j’ai observé que ce principe de libre participation étant posé, l’adhésion au travail du groupe se met naturellement en place, peut-être mue par une solidarité entre professionnels qui rencontrent ou seront amenés à rencontrer les mêmes problématiques. Le principe de liberté de l’engagement des participants au travail d’analyse semble induire une dynamique de groupe constructive autour de la situation apportée par l’exposant. Ce même principe du volontariat est posé pour les changements de rôles des présents qui, tour à tour, peuvent être en co-animation avec moi, exposants, observateurs ou participants en fonction du double objectif des GFAPP, se former à l’analyse des situations professionnelles et s’initier à l’animation de tels groupes.

N’y-a-t-il pas alors un enjeu majeur pour le formateur-animateur en APP d’expliciter clairement le sens et les objectifs dès le départ ? De proposer un cadre de travail sécurisant ? D’insister particulièrement sur la phase de méta-analyse pendant laquelle est posée la question « Qu’est-ce que cette séance apporte pour me construire dans mon métier, pour me permettre de comprendre ce qui se joue dans la situation analysée ? Pour inventer des manières d’agir/réagir autres ? »

2. Animer des séances d’APP en formation initiale, pour quoi faire ?

Dans le cadre de la formation initiale, j’ai organisé mon activité d’animatrice-formatrice en APP autour de quatre objectifs.

2.1. L’APP participe à la construction d’une professionnalité enseignante

Selon T. Perez-Roux (2012, p. 102), « La professionnalité serait un ensemble de compétences professionnelles mobilisées dans l’exercice d’une profession sous le double point de vue de l’activité et de l’identité. Combinant savoirs, expériences, relations, contraintes diverses, elle met en jeu des composantes institutionnelles, organisationnelles, contextuelles et des composantes plus subjectives, liées à l’engagement dans la pratique d’un métier ». L’APP participe de fait à l’élaboration, qui se poursuit tout au long de la vie, d’une identité professionnelle de l’enseignant par la prise de conscience de ce qui se joue pour lui dans les situations rencontrées. Son système de valeurs, ses représentations, son sens de l’engagement constituent, entre autres, les coulisses de la scène où se jouent chacune des situations professionnelles rencontrées.

Le contexte professionnel dans lequel s’inscrit l’activité de l’enseignant correspond aux prescriptions institutionnelles (compétences professionnelles, programme officiel) et au contexte propre à chaque situation professionnelle (type de public scolaire, emploi du temps des élèves, environnement institutionnel propre à l’établissement, etc.). Les autres modules de formation plus théoriques aident les stagiaires à contextualiser les situations rencontrées tandis que le travail d’analyse en GFAPP les aide à comprendre le sens de leur vécu professionnel en faisant le lien entre le contexte de l’action et la subjectivité (leur rapport au savoir, au métier, à leur vécu d’élève, etc.) qui sous-tend chacune de leur action et/ou réaction en situation.

En nourrissant la réflexivité de l’enseignant par une approche multiréférentielle, les séances de GFAPP lui permettraient de mieux cerner quel enseignant il est et quel enseignant il souhaiterait devenir. Finalement, elles participent activement à la construction de son identité professionnelle (Kaddouri, 2002).

2.2. L’APP est un outil d’accompagnement des enseignants stagiaires dans leur entrée dans le métier

Les GFAPP constituent un espace-temps privilégié pour désamorcer des situations mal vécues par les stagiaires par une parole partagée : la verbalisation devant le groupe, lors du récit d’une situation professionnelle vécue, favorise une première mise à distance des émotions ressenties. Puis le groupe accompagne, par une écoute ouverte, l’exposant sur le chemin de l’intelligibilité de ce qu’il a vécu et du ressenti qui émerge à nouveau au moment du travail d’analyse. Enfin, la phase de méta-analyse peut permettre aux stagiaires d’identifier peu à peu leurs besoins en formation pour exercer leur métier car elle peut mettre en lumière les savoirs professionnels questionnés par telle ou telle situation analysée.

2.3. L’APP vise la construction d’un type de savoir différent qui relève de la didactique professionnelle

Il s’agit d’analyser son action dans une situation donnée à partir du modèle du « praticien réflexif » théorisé par Schön (1983). Ces séances sont autant d’entrainements à la posture réflexive permettant à l’enseignant de s’habituer à relire son vécu professionnel, à le questionner, à le rendre intelligible pour mieux pouvoir adapter son « agir » aux situations rencontrées par la suite. Il participe pleinement à développer ses capacités d’adaptation dans un métier où l’imprévu est son quotidien.

2.4. L’APP favorise des habitudes de travail collaboratif chez les stagiaires

Le travail collaboratif[4] est au cœur des dispositifs de travail réflexif menés en groupe d’APP. En effet, le travail en équipe disciplinaire ou interdisciplinaire devient incontournable pour les enseignants du secondaire comme l’indiquent les réformes successives qui incitent au rapprochement des enseignants pour mettre en place des projets pédagogiques interdisciplinaires (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires au collège et Travaux Personnels Encadrés au lycée créés respectivement en 2016 et 2000). C’est peut-être un des changements majeurs dans les habitudes de travail des enseignants français amorcé ces dernières années.

Les séances d’APP comme expérience du partage pour construire un savoir professionnel, ne sont-elles pas un levier pour transformer en profondeur les habitus des enseignants du secondaire et participer aux mutations de ce métier imposées par un rapport nouveau des individus au Savoir ? Un Savoir à enseigner qui est décloisonné, partagé en réseau (horizontalité de la transmission) et diffusé dans un cadre souvent dématérialisé (ex : Apprentissages sur les Massive Open Online Course (MOOC), les Environnements Numériques de Travail). Cette nouvelle économie du Savoir suppose de réflechir au moins autant sur ce qui est enseigné que sur les situations dans lesquelles s’organise la dévolution du Savoir. De plus, tout comme le prouve la publication du premier référentiel de compétences au métier d’enseignant de 2010[5], les enseignants ont à se référer désormais à un savoir professionnel exprimé à travers une dizaine de compétences qui délimitent les pratiques du métier d’enseignant du secondaire et permet d’en faire un objet de réflexion et de formation à part entière.

Les participants aux GFAPP s’accompagnent donc mutuellement dans ces prises de conscience permanentes qui maintiennent l’enseignant dans une dynamique positive de recherche de solutions adaptées aux défis rencontrés en classe pour accompagner les élèves dans leurs apprentissages. Ils travaillent aussi les compétences transversales propres au métier du professorat.

3. Expériences de mises en œuvre des séances d’APP avec des professeurs stagiaires en formation initiale

3.1 Quelle modalité d’APP pratiquer en formation initiale d’enseignants ?

En tant que formatrice–animatrice et participante à des groupes d’APP, j’ai surtout expérimenté une démarche, proche de celle du GEASE (Groupe d’Entraînement à l’Analyse de Situations Educatives), et du GFAPP[6] initié par Patrick Robo dans l’Académie de Montpellier (Robo, 2003). Il a développé en particulier une démarche de formation de formateurs à l’APP pour des praticiens issus de différents milieux professionnels. C’est d’ailleurs sur ce point que s’opère la distinction entre le GFAPP (Groupe de Formation à et par l’Analyse de Pratiques Professionnelles) et le GAPP (Groupe d’Analyse de Pratiques Professionnelles). Le GFAPP est un dispositif de formation de formateurs en APP inspiré de différents courants de l’APP prenant aussi en compte les apports de la pédagogie institutionnelle. Il repose sur la construction d’un savoir analyser pour « Analyser à PRESENT pour comprendre du PASSE afin de discerner pour choisir/décider puis agir dans l’A-VENIR » (Robo, 2013). Sa démarche est, entre autres, ancrée dans les théories de Gilles Ferry (1983) sur la nécessité de savoir analyser des situations éducatives et ses pratiques pour ajuster son agir professionnel en contexte. Il y a donc cinq objectifs principaux : développer le savoir-analyser, analyser sa pratique professionnelle, mieux appréhender des situations futures rencontrées, comprendre par homomorphisme d’autres situations professionnelles et enfin, pour des formateurs, apprendre à animer des GAPP. C’est un axe de la professionnalisation au métier d’enseignant essentiel parmi les quatre axes de la formation définis par Suzanne Nadot (2001) que sont « le faire » (stages), le « regarder faire » (stages d’observation), « l’écouter dire » (cours théoriques) et le « dire » (récit de son expérience en APP).

Pour l’analyse multiréférentielle (Ardoino, 1993) des situations éducatives proposées par les stagiaires, j’utilise le modèle de « l’arène pédagogique » (Etienne & Fumat, 2014 p. 31), particulièrement adaptée au public des enseignants, puisqu’il s’organise autour du triangle pédagogique « Elève-Savoir-Enseignant » de Jean Houssaye (1988) et propose à travers ses gradins toutes les dimensions dans lesquelles s’inscrit la pratique de l’enseignant. D’autre part, l’approche multiréférentielle comme lecture plurielle de ces objets d’analyse est permise par le travail des participants qui tentent, à travers les questions d’élucidation, de mettre en lumière le système de représentations qui sous-tend le récit de l’exposant puis, par le biais des hypothèses de compréhension, expriment des angles différents de perception sur la situation exposée.

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Figure 1 :  L’arène pédagogique

3.2. Comment construire un «  savoir analyser » ?

Tout d’abord, pour mettre l’accent sur le « F » du GFAPP, il s’agit de présenter aux stagiaires deux points clés comme préalables au travail d’analyse :

  • Recueillir les représentations puis formaliser une définition de la notion de situation professionnelle car c’est le matériau de base de toute séance d’APP. Je la présente comme le contexte dans lequel s’inscrit la pratique (« ce que je fais ») de l’enseignant. Cela permet d’introduire la multidimensionnalité d’une situation car elle concerne tous les éléments avec lesquels l’acteur/exposant interagit : le savoir enseigné, les stratégies pédagogiques, les élèves, les prescriptions du BOEN[7], l’Inspection, l’estime de soi, l’emploi du temps, la période scolaire, etc. (cf. figure 1 : modèle de l’arène pédagogique).

En général, la question « Qu’est-ce qui fait qu’une situation professionnelle est une situation-problème pour l’exposant ? » émerge d’elle-même et je la présente comme un écart entre les intentions de l’acteur et les faits qu’il a vécus et perçus. De cet écart peuvent naitre un malaise et/ou des interrogations, en tout cas un besoin de revenir sur la situation pour comprendre ce qui s’est joué et se joue encore pour le professionnel concerné car elle mobilise toute la palette des émotions et des représentations de ce dernier.

  • Systématiser à la fin chaque séance une demi-heure de méta-analyse qui constitue un point de départ pour la séance suivante. A la fin de la première séance, je demande aux stagiaires de s’exprimer sur ce qui s’est vécu pendant l’analyse de la situation au travers de questions relevant de trois champs : le vécu émotionnel lié à la séance, le protocole d’analyse puis les savoirs théoriques mobilisés (pédagogiques ou didactiques) pour améliorer la compréhension de la situation. Au fil des séances, les questions varient mais les trois registres sont conservés et questionnés à chaque fois pour permettre une conscientisation de ce qui se joue pour chaque professionnel tant du point de vue émotionnel que méthodologique et cognitif.

D’autre part, j’ai pensé mon intervention sur plusieurs séances selon une progression des apprentissages d’un « savoir analyser ». Cela est parti d’un désir d’apporter plus de sens aux séances d’APP en explicitant quelques-uns de ses mécanismes appliqués aux situations éducatives. Cela me permet aussi de faire émerger les points forts ou, au contraire, les difficultés rencontrées pour travailler la situation prêtée par l’exposant. En effet, les animateurs de GFAPP sont habitués à constater la récurrence d’errances méthodologiques qui peuvent faire perdre de l’efficacité au GFAPP : que signifie exactement faire expliciter la situation à un participant ? Comment faire pour que les hypothèses ne masquent pas des conseils déguisés surtout quand les propos sont bienveillants ? Comment aider l’exposant à identifier ce qui fait problème pour lui dans sa situation ? Etc.

Je me suis particulièrement appuyée sur le travail collectif de spécialistes de l’analyse des pratiques (Charlier, Beckers, Biémar, Boucenna, 2013) pour structurer cette progression en quatre ou cinq séances de GFAPP (cf. tableau 1 ci-après).

De façon pratique, chaque séance, à partir de la seconde, démarre par un « Quoi de neuf ?[8] » pendant lequel chacun est libre de s’exprimer ou non sur ce qu’il a vécu entre les deux séances, d’apporter une information au groupe et/ou de dire avec quel état d’esprit il débute le GFAPP. Ensuite, un feed–back sur la séance précédente est l’occasion de tenter de théoriser l’action à travers le questionnement suivant adressé d’abord à l’exposant puis aux participants qui sont libres de répondre ou non selon la règle établie du volontariat : « Comment la situation a-t-elle évolué ? » (plutôt à l’exposant), « Si tu devais expliquer à un collègue ce que tu as appris à travers cette situation que dirais-tu ? » (à tous les présents), «Souhaitez-vous exprimer quelque chose en lien ou non avec la séance précédente ? »

Ensuite, je propose un cadre éthique dans lequel va se dérouler la séance de GFAPP, toujours basé sur deux principes non négociables, la confidentialité des échanges et l’écoute bienveillante sans jugement, auxquels j’ajoute le respect du temps du protocole et l’utilisation du « je » pour mettre l’accent sur l’éclairage multiple mais subjectif apporté par chacun des présents. Cet éclairage n’est pas une vérité d’interprétation de la situation présentée mais bien une juxtaposition de points de vue de même valeur qui n’ont qu’un objectif, celui de faciliter la compréhension de la situation par l’exposant.

Un apprentissage du « savoir analyser » est possible sur quatre séances avec un ou deux objectifs pour chacune, basés sur les difficultés, résistances exprimées et identifiées par le groupe pendant la phase de méta-analyse ou proposés par le formateur de façon plus directive en début de séance pour faire progresser le groupe dans la méthodologie de l’analyse. On comprend bien ici que les séances sont interdépendantes les unes des autres et, que selon les groupes et leurs réactions au protocole d’analyse, l’ordre des objectifs d’apprentissage peut être inversé.

Tableau 1 : progression en quatre séances de GFAPP

Séances Objectifs principaux… …guidés par des exercices…
Séance 1 Découvrir les étapes du protocole du GFAPP
et l’analyse multiréférentiellePrendre conscience des différentes postures d’écoute mises en œuvre par les participants[9]Initier au travail de méta-analyse sur la séance vécue

Une réflexion autour de trois axes pour la  méta-analyse:

1. Mon ressenti :

Quelles émotions ai-je ressenties à tel ou tel moment ? Qu’est-ce que cela touche en moi ? Est-ce que j’ai voulu résister, ne pas participer ? Pourquoi ?

2. Sur le cadre d’analyse et de compréhension :

Quelles étapes du GFAPP me semblent essentielles pour mieux comprendre la situation ?

Quelle forme d’écoute a été le plus souvent utilisée par moi, par les autres participants ?

3. Sur le champ des savoirs utiles à la compréhension:

Quels types de savoirs ai-je eu tendance à mobiliser pour comprendre la situation ?

Quel niveau d’analyse a été le plus souvent convoqué par le groupe ?

Y-a- t-il un aspect de la situation non exploré par le groupe ?

Séance 2

Comment les participants peuvent-ils aider à expliciter une situation ?

Approche de la multidimensionnalité

 Clarifier sa description :

Expliciter l’action, son contexte, les acteurs de la situation professionnelle exposée : Quand ? Où ? (disposition de la classe…)

Dans quel type d’établissement ? Avec qui ? Pour qui ?

Interroger ses interprétations :

Qu’est-ce qui te permet de dire que tu as été mauvais ? Que les élèves sont agressifs ? N’ont pas compris le cours ? As-tu interrogé le ressenti des élèves ? Etc.

Séance 3 Comment les participants peuvent-ils aider l’exposant à problématiser sa situation professionnelle ?

 Problématiser sa situation :

Qu’est-ce qui est en jeu pour toi dans cette situation ?

Qu’est-ce qui fait difficulté pour toi ?

En quoi cela interroge-t-il ta conception du métier d’enseignant ?

Sur quels aspects de la situation souhaiterais-tu attirer notre attention pendant le temps des hypothèses ?

Séance 4  Comment aider à la construction des hypothèses ? (« interprétations ou contre don fait au narrateur »[10])

 Construire des hypothèses :

Les participants ne s’adressent plus directement à l’exposant, ne le regardent plus : l’exposant peut prendre des notes.

Chaque participant peut proposer des éléments de compréhension de la situation à partir de son propre système de valeurs, de représentations, de savoirs… :  « Je fais l’hypothèse que… »

Chacun des éléments proposés est un éclairage nouveau sur la situation. C’est l’ensemble des hypothèses proposées qui peut ouvrir l’exposant au Sens de ce qu’il a vécu et ressenti comme problématique.

 

Au fil des séances, des variantes sont introduites dans le protocole du GFAPP sur :

  • la répartition des rôles: je pose comme principe que l’exposant ne soit pas le même d’une séance sur l’autre, ainsi que la mise en place du rôle de l’observateur, de la co-animation (animateur du GFAPP associé à un des stagiaires participant)
  • Les modalités de choix d’une situation : par vote écrit et secret, par cooptation. J’interpelle en phase de méta-analyse les présents sur ce que peut modifier le type de choix dans le déroulement de la séance. La cooptation permet souvent de répondre à une situation qui constitue une réelle préoccupation pour le professionnel concerné et elle laisse le temps aux autres participants de bien sentir cette urgence. Cela marque le début d’une écoute empathique dans la séance du GFAPP.
3.3. Quelles permanences dans les situations problématiques, pour quels savoirs professionnels ?

Les notes que j’ai prises depuis 2010 sur les situations exposées par les stagiaires montrent une récurrence de situations professionnelles. Il est possible d’identifier des « classes de situation » qui reviennent le plus fréquemment : La résistance/rébellion d’un ou plusieurs élèves face aux consignes de travail ou de comportement données par le professeur ; les difficultés liées à la gestion de la classe (mise au travail, attention, motivation) ; les difficultés à travailler/collaborer avec les collègues, tuteur, parents… ; les questions de sécurité (Education Physique et Sportive, laboratoires).

La notion centrale qui revient le plus souvent en filigrane est celle de l’autorité de l’enseignant, au sens de légitimité de celui qui dispense le Savoir, reconnue et acceptée par les élèves mais aussi par les collègues plus expérimentés et par l’Institution.

A travers les situations apportées par les stagiaires, il est possible de confirmer que les modules de GFAPP en formation initiale, prenant appui sur l’expérience du stage, permettent de mettre en travail un savoir professionnel.

En guise de conclusion…

Malgré son caractère obligatoire, le GFAPP ne provoque pas de résistance manifeste des stagiaires. A partir du moment où le cadre éthique est posé, respecté et où la séance est vécue comme un outil privilégié pour arrêter le temps de l’action et prendre celui de la réflexion, les séances de GFAPP peuvent être vécues comme des pauses bienfaisantes pendant une année de formation souvent ressentie par les stagiaires comme « épuisante »,   « stressante »…

D’autre part, même si une seule, parfois deux situation(s) professionnelle(s) est/sont explorée(s) par séance de GFAPP, il apparaît essentiel de conserver la phase de méta-analyse qui permet aux stagiaires de passer de l’histoire d’une situation professionnelle singulière à un savoir plus général, relevant des concepts des Sciences de l’Education qu’ils explorent par ailleurs dans des modules de formation plus théoriques.

Enfin, entrer dans un métier si complexe, voire impossible, en faisant l’expérience de la complexité à travers une démarche d’analyse multiréférentielle des situations vécues est une invitation à penser et à construire au quotidien un agir professionnel pour s’adapter aux changements et imprévus de la classe. C’est sans doute, plus que jamais, acquérir une compétence devenue indispensable pour garder sa motivation et sa capacité d’innovation professionnelle tout au long de sa carrière d’enseignant.

Pour terminer, je laisserai la parole à ceux que j’ai tenté d’accompagner dans leur entrée dans le métier d’enseignant à travers ces quelques heures de GFAPP. Ce florilège est issu d’un questionnaire que j’ai construit pour, d’une année sur l’autre, retravailler le dispositif de GFAPP dans le cadre de la formation initiale d’enseignants du Secondaire.

« La confidentialité permet de s’exposer en toute sécurité, cadre sécurisé pour parler de sa pratique professionnelle » ;  « Se vider de ses émotions négatives » ; « Permet  une mise en situation concrète et humaine dans le parcours de formation » ; « Le partage d’expériences » ; « Evite les conseils paralysants, les «  il faut », les «  tu dois » sans écoute » ; « Sa dimension coopérative montre qu’on n’est pas seul » ; « Permet de prendre du recul sur sa pratique »,  « de mieux comprendre ce qui se joue en classe », « d’anticiper sur des situations futures », « d’interroger ce que je fais et comment je le fais pour m’améliorer »… Mais s’expriment aussi des frustrations de ceux qui voudraient « Avoir des pistes de résolution de problème plus concrètes », « Aborder des situations d’enseignement plus diverses ».

Références bibliographiques

Ardoino, J. (1993). L’approche multiréférentielle des situations éducatives et formatives. Pratiques de formation – Analyses, n°25-26.

Charlier, E., Beckers, J., Biémar, S., Boucenna, S., François, N. & Leroy, C. (2013). Comment soutenir la démarche réflexive ?. Bruxelles : De Boeck.

Etienne, R. & Fumat, Y. (2014). Comment analyser les pratiques éducatives pour se former et agir ?.  Bruxelles : De Boeck.

Ferry, G. (1983). Le trajet de la formation, les enseignants entre la théorie et la pratique. Paris : Dunod.

Godey, S. (2014). Regards croisés sur l’Analyses des Pratiques professionnelles. Mémoire de Master 2 Conseil Formation en Education. Montpellier.

Henri, F. & Lundgren-Cayrol, K. (2010). Pratiques collaboratives. Collaboratif / Coopératif : quelle différence ? En ligne : http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/archives/travail-apprentissage-collaboratifs/de-quoi-parle-t-on/notion-collaboratif/collaboratif-cooperatif-quelle-difference.

Houssaye, J. (1988). Théorie et pratique de l’éducation scolaire, le triangle pédagogique, Berne, Peter Lang.

Kaddouri, M. (2002). Le projet de soi entre assignation et authenticité. Recherches en éducation, 41,31-47.

Leblanc, S. (2010). Observatoire de l’évolution de la professionnalité enseignante et dispositifs de formation de simulation vidéo. In Leblanc, S. & Ria (Eds). La formation des enseignants en Europe (chapitre 13), Bruxelles : De Boeck.

Nadot, S. (2001). Des savoirs à la pratique. In Blanchard-Laville, C. et Nadot, S. (dir). Malaise dans la formation des enseignants. Paris : L’Harmattan.

Perrenoud, P. (2001). Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant. Paris : ESF.

Perez-Roux, T. (2012). Développer la réflexivité dans la formation initiale des enseignants ? Enjeux des dispositifs d’analyse des pratique et conditions de mise en oeuvre dans deux contextes de formation en France. Formation et pratiques d’enseignement en questions, Vol 15, pp. 97-118.

Robo, P. (2003). Le GFAPP : définition. En ligne : http://probo.free.fr/ecrits_app/gfapp_definition.pdf.

Robo, P. (2013). Développer le « savoir analyser » pour analyser sa pratique professionnelle. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 1, pp 39-48. http://www.analysedepratique.org/?p=435.

Schön, D. (1983). Le praticien réflexif. A la recherche du savoir professionnel dans l’agir professionnel. Montréal : Editions Logiques.

Vacher, Y. (2014). Phase méta en APP… quels contenus, quelles fonctions ? In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 4, pp. 23-34. http://www.analysedepratique.org/?p=1379.

Annexe 

Différentes attitudes d’écoute à l’usage de l’enseignant

Elias Porter, collaborateur de Carl Rogers[11], a mis en évidence plusieurs attitudes d’écoute.

Lors des séances d’Analyses des Pratiques Professionnelles, le groupe s’entraine à trois formes d’écoute en particulier pour aider l’exposant à réfléchir par lui-même sur ce qui s’est joué pour lui dans telle situation professionnelle vécue et sur ce qu’il pourrait modifier à l’avenir. Les avez-vous identifiées ?

L’écoute basée sur la suggestion, le conseil, l’ordre : « Je vous conseille de …» « à votre place, je… » « Il faut que… ». On indique à l’autre ce que l’on ferait à sa place, on le conseille.

  • Avantage : solution immédiate (les fameuses « recettes » qui ne fonctionnent souvent que pour celui qui les donne) perçue comme légitime si elle s’appuie sur des compétences reconnues.
  • Inconvénient : peut générer un faux climat de sécurité, une dépendance, une perte d’autonomie de l’acteur en situation, voire le sentiment d’être obligé d’adopter cette solution pour convenir aux attentes de l’autre…

L’écoute basée sur le jugement ou l’évaluation : on porte un jugement critique ou approbateur sur les actions de l’écouté. « Vous avez tort… », « Vous feriez mieux de… », « La prochaine fois vous… »

  • Avantage : peut donner des points de repère pour identifier ses progrès ou ses difficultés.
  • Inconvénient : peut générer sentiment d’infériorité, culpabilité, angoisse, repli sur soi et fermeture vis-à –vis d’autres possibilités d’agir en situation (blocage).

L’écoute de soutien, d’aide : on rassure, minimise la situation. « Ce n’est pas grave, tu t’en sortiras, je sais ce que tu ressens » 
…

  • Avantage : permet de se sentir soutenu, mis en confiance
  • Inconvénient : ne permet pas d’enclencher une réflexion sur la recherche de solution car entretient le refus de prendre des responsabilités, de faire des choix.

L’écoute basée sur l’enquête et l’investigation : on pose des questions, on interroge pour avoir des compléments d’information sur la situation
 pendant un entretien. Attention à ne pas orienter les questions selon nos propres représentations/projections. « Comment ? Pourquoi ? Est-ce que ? … »

  • Avantage : permet à l’écouté de se sentir aidé car il peut aller plus loin pour clarifier et expliciter ce qui fait problème pour lui. Les questions collent au point de vue de l’écouté (effort d’empathie)
.
  • Inconvénient : sentiment d’être pressé par trop de questions et/ ou par des questions intrusives.

 L’écoute basée sur l’interprétation : on tente d’expliquer à autrui le sens de ses pensées ou de son action pour l’aider à y voir plus clair. 
« Tu as fait cela parce que… C’est certainement dû au fait que… »

  • Avantage : si l’interprétation est exacte, sentiment d’être compris
.
  • Inconvénient : si l’interprétation est fausse, sentiment d’être floué, de perdre son temps qui peut conduire au désintérêt.

 L’écoute de compréhension : on tente de reformuler ce qu’autrui vient de dire en respectant sa façon de sentir, mais sans s’impliquer au niveau de l’affectivité. L’autre en s’écoutant prend de la distance/ ses émotions et peut se libérer d’elles pour ainsi entrer dans la démarche d’intelligibilité, de compréhension (démarche réflexive) : « Si je comprends bien, tu voudrais, tu voulais… ? »

  • Avantage : communication proche, respectueuse, au service de l’écouté. 
Favorise la prise de conscience des émotions en jeu.
  • Inconvénient : long, manque parfois d’une efficacité immédiate car pas de solution « clés en mains ». Peut être comprise à tort comme une approbation de ce que l’écouté fait en situation.

 

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Notes

 

[1] Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education

[2] Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation de 2013, Journal Officiel du 18 juillet 2013. En ligne : http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=73066.

[3] Godey (2014, p. 33 et p. 51).

[4] Pour Henri & Lundgren-Cayrol (2010) : « La démarche collaborative couple deux démarches : celle de l’apprenant et celle du groupe. 
L’apprentissage collaboratif est une démarche active par laquelle l’apprenant travaille à la construction de ses connaissances. Le formateur y joue le rôle de facilitateur des apprentissages alors que le groupe y participe comme source d’information, comme agent de motivation, comme moyen d’entraide et de soutien mutuel et comme lieu privilégié d’interaction pour la construction collective des connaissances. »

[5] En ligne http://www.education.gouv.fr/cid52614/menh1012598a.html.

[6] En ligne http://probo.free.fr/ecrits_app/grille_phases_gfapp.pdf.

[7] Bulletin Officiel de l’Education Nationale

[8] Technique de la Pédagogie Institutionnelle

[9] Voir l’annexe sur les postures d’écoute

[10] Selon Etienne & Fumat (2014, pp. 124-125)

[11]  Rogers, C. (1968). Le développement de la personne. Paris : Bordas, pp. 229-236.