Suzanne Guillemette

Professeure agrégée, Université de Sherbrooke
Suzanne.Guillemette[arobase]USherbrooke.ca


Résumé

Dans un monde en constante mouvance, les activités de développement professionnel sont désormais orientées vers des démarches d’analyse de pratique. Dans un tel contexte, il convient d’étudier les modalités de démarrage de tels dispositifs d’accompagnement afin de susciter une réflexivité selon une perspective de bienveillance menant vers un ajustement de pratique. Dans le cadre d’une recherche-action auprès de directions scolaires québécoises, nous décrivons et discutons de ces modalités. Il s’avère déterminant de mener une activité de mise en projet centrée sur l’aspect humain et ensuite, sur l’objet à l’étude ; de mettre en place des facteurs de protection matériels et éthiques ; de modéliser la démarche de manière rigoureuse, ce qui suppose pour les accompagnants un apprentissage quant à leur façon d’écouter, d’observer, de questionner et de rétroagir.

Mots-clés 

accompagnement, ajustement de pratique, bienveillance, réflexivité, écoute, questionnement, recherche-action, relation de confiance, gestion, université

Catégorie d’article 

Travail de recherche

Référencement 

Guillemette, S. (2017). Modalités pour le démarrage d’une démarche d’analyse de pratique et de réflexivité selon une perspective de bienveillance. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 10, pp 119-132. http://www.analysedepratique.org/?p=2452.

 


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1. Introduction, contexte et problématique

Dans un monde en constante mouvance où le rythme de travail est de plus en plus trépidant, les professionnels de l’éducation et, plus spécifiquement, les directeurs ou les chefs d’établissement se disent trop souvent confrontés à l’urgence d’agir (Rich, 2010). Ils trouvent difficilement des moments de réflexion avant de prendre des décisions judicieuses au regard de leur contexte spécifique. En 2006, une étude menée par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) du Québec démontre le sentiment d’isolement qu’éprouvent ces directeurs et par conséquent, leur besoin de se créer un réseau d’entraide pour soutenir leur processus de prise de décisions en situations complexes.

Plusieurs démarches d’accompagnement voulant soutenir le développement professionnel ont vu le jour pour mieux soutenir ces professionnels de l’éducation. Ces démarches portent diverses appellations : accompagnement collectif (Guillemette, 2014), groupes de codéveloppement (Payette & Champagne, 1997) communauté de pratiques (CoP), communauté de pratiques professionnelles (Leclerc & Labelle, 2013), groupe d’analyse de pratiques (Savoie-Zajc, 2010). Au-delà des spécificités de chaque démarche  (Savoie Zajc, 2016), nous retenons la dimension collective de l’accompagnement et leur visée d’analyse de la pratique. La connotation analyse de pratique préconise le groupe comme étant une entité bienveillante pour offrir des points de vue parfois complémentaires ou différents à la personne qui met en mots sa pratique sur laquelle elle souhaite réfléchir en réponse à une situation professionnelle (Etienne & Fumat, 2014). Ces principes de bienveillance obligent la mise en place de certaines modalités quant au démarrage d’une telle démarche pour assurer le bon déroulement des échanges au sein de tels dispositifs.

Dans une étude précédente (Guillemette, 2014) et en complémentarité aux études de Lafortune, Lepage, Persechino & Bélanger (2008), Le Boterf (2008) et Savoie-Zajc (2010), nous dégagions des modalités de trois ordres pour démarrer et mener une telle démarche d’analyse de pratique au sein d’un collectif. Il s’agit des modalités de l’ordre 1) opérationnel, 2) éthique et 3) professionnel.

Les modalités de l’ordre opérationnel renvoient à la mise en place de la logistique nécessaire dont un calendrier de rencontres ; la fréquence des rencontres (aux cinq à six semaines) afin de soutenir la motivation et permettre l’expérimentation dans le milieu ; la durée des rencontres (une journée ou une demi-journée) qui permet à chaque personne de se déposer et de laisser derrière elle les préoccupations immédiates afin de se concentrer sur les échanges au sein du collectif ; la durée du projet d’accompagnement (15 à 20 mois) dans le but de soutenir le transfert de l’ajustement de pratique dans les milieux respectifs.

Les modalités de l’ordre éthique mettent en lumière la place des règles à négocier et à actualiser dont « le respect des différences et la confidentialité des échanges assurant une relation de confiance et de franchise au sein du groupe » (Ibid., 2014, p. 237). Ces règles de base sont rappelées à chaque rencontre.

Les modalités de l’ordre professionnel quant à elles évoquent d’abord l’importance de l’engagement volontaire de chaque acteur à participer activement au sein du collectif, et ce, selon une perspective de non hiérarchisation. S’observent enfin la qualité des interventions et de l’animation en particulier, la capacité de tenir compte des attentes des acteurs et des liens plausibles à faire avec certains cadres conceptuels pour soutenir la réflexion.

Au-delà de ces modalités, se met en place une démarche d’accompagnement au sein d’un collectif dans le but de soutenir l’analyse de pratique et de réflexivité selon une perspective de bienveillance, ayant comme retombées attendues un ajustement de pratique. Une nouvelle question se pose, à savoir : quelles sont les modalités relatives au démarrage du processus d’analyse de pratique et de réflexivité en soutien à un ajustement de pratique au sein d’un collectif, et ce, selon une perspective de bienveillance ? Cette fois, il est question de traiter du démarrage selon une perspective de bienveillance pour soutenir la mise en place d’un processus d’analyse de pratique et de réflexivité au sein d’une démarche d’accompagnement collectif.

2. Quelques concepts clés

Étroitement liés, les concepts que sont l’analyse de pratique et la réflexivité, l’ajustement de pratique et l’accompagnement collectif dans une perspective de bienveillance nous conduisent à dégager et à décrire les modalités à mettre en place quant au démarrage d’un tel processus selon une perspective de bienveillance. La bienveillance renvoie plus particulièrement à la façon dont l’on porte attention à autrui, à savoir dans une perspective de respect des différences, de sollicitude et d’altruisme.

2.1 Analyse de la pratique

Zapata (2004) définit la pratique par « une activité qui s’exerce sur le réel avec le but avoué ou non d’en modifier quelque chose » (p.77). St-Arnaud (1992) démontre que derrière chaque pratique se cache des stratégies voulant répondre à une intention spécifique bien que parfois cette dernière puisse être inconsciente. Selon Argyris et Schön (2002), la capacité de toute personne à analyser sa pratique suppose de tirer profit de son expérience, de poser un regard sur et dans sa pratique afin de mieux l’ajuster. Poser un regard sur sa pratique exige qu’une fois qu’il a vécu une situation, le professionnel fait un retour sur cette dernière. Il réfléchit à la façon dont il a mobilisé ou non ses ressources internes ou externes[1] pour y répondre. Il identifie ce qui a fonctionné ou non et il détermine comment il ferait autrement une prochaine fois. Poser un regard dans sa pratique implique de prendre un posture méta, cette fois en s’observant, en se régulant ainsi qu’en ajustant sa pratique alors qu’il est en intervention. Poser un regard sur ou dans sa pratique exige une mise en mots inhérente aux actions posées, à leurs retombées et à la façon de mobiliser autrement ses ressources, ce qui invite éventuellement le professionnel à prendre une posture réflexive (Schön, 1994).

2.2 Ajustement de pratique selon une posture de réflexivité

De manière étymologique, réflexivité découle de réflexion qui, selon Chaubet (2013), se définit par « un processus d’investigation déclenché par une interpellation issue du vécu expérientiel » (p.54). En contexte d’accompagnement, la réflexivité oblige alors de réfléchir ou d’investiguer sur et dans sa pratique, mais cette fois, en identifiant ou en devenant conscient des raisons qui sous-tendent ses actions. Perrenoud (2008) emprunte à Bourdieu l’expression « habitus », pour rendre explicites les raisons souvent inconscientes pour lesquelles nous agissons d’une façon ou d’une autre.  Selon Argyris & Schön (2002), la réflexivité nous invite à mettre de l’avant les diverses dimensions (valeurs, expériences, cadres conceptuels, dimensions cognitives ou affectives, etc.) qui nous habitent et qui influent sur notre façon d’agir ou de réagir : notre pratique. Pour reprendre les propos utilisés par Vacher (2014), il s’agit de permettre au participant de se placer en posture « méta » [et de l’] « inviter à se prendre pour sujet d’analyse à travers l’analyse de sa réflexion » (p.26). Par conséquent, le praticien réflexif (Schön, 1994) est en mesure de mettre en mots les schèmes opératoires dont les dimensions cognitives ou affectives qui guident ses réelles intentions d’action pour ainsi ajuster sa pratique.

L’ajustement de pratique selon une posture de réflexivité exige alors de sortir d’une réflexion épisodique pour harmoniser ses pratiques plus précisément quant à la façon de combiner les ressources (internes ou externes), en réponse à « la singularité contextuelle d’un évènement » (Le Boterf, 2008, p.29). L’ajustement de pratique s’observe plutôt par la façon dont tout professionnel transforme sa façon d’agir ou d’être en contexte professionnel tout en faisant des liens avec les intentions réelles (Guillemette & Simon, 2014).

2.3 Accompagnement

L’accompagnement se définit par « l’idée de se joindre à l’autre, de le soutenir, mettant en lumière l’idée de favoriser le potentiel de l’un et de l’autre » (Guillemette, 2014, p. 63) ou plus spécifiquement, « être avec et aller vers [où ce faisant] la personne accompagnée passe d’un sujet-acteur […] à celui d’un sujet-auteur » (Paul, 2015, p. 26). Aux dires de Robin, (2007), « L’accompagnement ne se définit pas exclusivement sous un angle méthodologique ou praxéologique […] penser accompagnement […] c’est rappeler que tout accompagnant se doit de développer une intelligence de la situation » (p.248). Vial et Caparros-Mencacci (2007) qualifient cette intelligence d’intropathie qui s’observe par la capacité à lire ou à ressentir ce qui se passe comme dynamique à partir de l’observation du verbal et du non verbal. En complément, Paul (2016), nomme divers dispositifs inhérents à l’accompagnement et qui, à notre sens, répond à la notion de bienveillance : une relation de réciprocité entre accompagné et accompagnant ; une démarche personnalisée qui tient compte de la personne et du contexte ; des principes éthiques qui interpellent la sollicitude à autrui ; une posture d’écoute pour questionner et soutenir la réflexivité ; un cadre institutionnel dans lequel se vivent les situations.

L’accompagnement collectif s’adresse à un groupe restreint[2] de professionnels volontaires où chaque participant est invité à prendre tantôt la posture de l’accompagné, tantôt celle d’un accompagnant. Ce groupe est souvent animé par une personne de l’externe, la personne accompagnatrice-formatrice, qui, au départ, prend le rôle de l’animation et se préoccupe de demeurer la gardienne de la démarche afin de faciliter les échanges selon un référentiel de praxies (écoute, questionnement et rétroaction), exigeant une attitude de sollicitude à autrui (Guillemette, 2014). La visée d’un tel type d’accompagnement demeure l’ajustement de pratique.

3. Méthodologique d’une recherche-action (RA) en filigrane à une démarche d’accompagnement

La RA (Guillemette & Savoie-Zajc, 2012)[3] est contractée à la demande de trois commissions scolaires (CS) distinctes. Plus précisément, la demande originale se veut une formation pour les DÉ en vue de les accompagner à réfléchir et à développer leurs compétences sur la façon d’accompagner à leur tour, les membres de leur équipe-école à réfléchir sur les pratiques éducatives ou pédagogiques susceptibles d’assurer la réussite éducative[4] des élèves. Si pour les participants, l’objectif de développement professionnel émerge, pour la chercheure, il s’agit de décrire comment se vit ce développement professionnel. Ce thème central devient le pilier de la démarche de recherche qui rallie les CS entre elles pour la chercheure alors que pour les participants, la réflexion se veut d’abord en réponse aux attentes institutionnelles, la réussite des élèves.

Une entente de partenariat est signée entre chaque CS et l’Université en précisant des objectifs de deux ordres à savoir, des objectifs de développement professionnel pour les participants et une question de recherche avec des objectifs spécifiques de recherche. Le projet est soumis au comité éthique de l’Université pour attestation. Les exigences éthiques de l’ordre de la confidentialité sont clairement nommées, explicitées et un formulaire de consentement est signé entre chaque participant et la chercheure. Si les gens d’une même cohorte sont témoins des échanges au sein du groupe, les gens entre les cohortes ne se connaissent point et ne connaissent pas les propos traités[5].

Ainsi quatre cohortes de 8 à 10 participants – formées principalement de directeurs d’établissement (DÉ), mais aussi de direction générale (DG), de directeurs de services éducatifs de CS (DSÉ) ou de conseillers pédagogiques (CP)[6] –  participent sur une base volontaire à la démarche d’accompagnement collectif. La notion de volontariat est une exigence de la chercheure et le participant est libre de se retirer en tout temps, et ce, sans préjudice. Les projets d’accompagnement se déroulent sur une période de 20 à 30 mois à raison de cinq à six rencontres par année pour un total de 12 à 15 rencontres selon les cohortes[7].

3.1 Démarrage du modèle d’accompagnement

Une première rencontre, l’activité de mise en projet, permet de faire connaissance et d’analyser les besoins propres à chaque partenaire CS. Sont alors précisées les préoccupations du milieu qui aident à formuler la question de recherche et ses objectifs spécifiques relatifs au thème qu’est l’accompagnement de l’ajustement des pratiques éducatives et pédagogiques. Faisant suite à cette analyse, une modélisation du modèle d’accompagnement collectif développé lors d’une recherche précédente (Guillemette, 2014) est animée au sein du groupe. C’est donc à la fin de cette activité (demi-journée ou journée) que les gens sont invités à s’engager ou non à la poursuite du projet.

3.2 Opérationnalisation du modèle d’accompagnement en trois phases

Les rencontres subséquentes sont animées selon le modèle qui s’actualise en trois phases : préparation, réalisation et introspection. La phase de préparation comprend l’accueil et la mise en contexte de la rencontre. Elle permet aux participants de se déposer, de rappeler les règles et d’installer un cadre propice. Des outils tels le compte rendu (CR) de la rencontre précédente et l’ordre du jour (OJ) sont alors déposés et discutés. La phase de réalisation sert la démarche de réflexivité alors qu’elle se subdivise en 4 axes : questionner/observer ; analyser/réfléchir ; planifier ; expérimenter et agir. Pour se vivre, chaque participant est porteur de son projet professionnel d’intervention (PPI) visant l’optimisation des pratiques éducatives et pédagogiques dans son milieu. Plus spécifiquement, il s’agit au départ d’un canevas qui sert l’analyse de son milieu, la description de la situation visée au regard des pratiques éducatives et pédagogiques à ajuster et à la façon de le travailler avec les membres de son équipe-école.

La particularité du PPI réside dans le fait qu’il se vit à partir de la réalité terrain. Il sert aussi d’outil pour noter l’évolution de la problématique, pour guider le questionnement initial, pour soutenir la réflexion et pour nommer les actions à ajuster. Il aide la planification de l’expérimentation en cours entre les rencontres. L’écoute, l’observation, le questionnement et la rétroaction se vivent à partir de la présentation du PPI par le « sujet-auteur » pour reprendre les propos de Paul (2015) et à travers les quatre axes de la démarche telle que présentée à la figure 1.

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Figure 1 : Démarche d’accompagnement

La phase d’introspection sert la prise de recul quant aux prises de conscience des participants au regard de leurs pratiques et du PPI présenté. Cette phase se vit en deux temps. D’abord, de manière individuelle à partir d’une fiche d’introspection qui questionne les éléments retenus, ceux à approfondir ainsi que les pratiques qu’ils peuvent d’ores et déjà ajuster. Ensuite et de manière collective, les participants sont invités à partager l’apport de leur réflexion quant à l’ajustement plausible de leurs pratiques. Ces réflexions sont notées au compte rendu. Lors d’une journée de rencontre, 2 ou 3 PPI peuvent être discutés alors que sur une durée de 30 mois, un même PPI peut être présenté de 4 à 6 fois. L’accompagné explique les actions posées, leurs retombées et par conséquent, la nouvelle situation qui s’en dégage : un PPI bonifié. Chaque présentation se qualifie de spirale de réflexivité.

Les savoirs expérientiels[8] d’une telle démarche de recherche-action nous amène à dégager et à décrire les modalités de démarrage susceptibles de soutenir la mise en place d’un processus d’analyse de pratique et de réflexivité selon une perspective de bienveillance, et ce, mené par une démarche d’accompagnement collectif.

3.3 Méthodologie de la RA : son cadre d’analyse

Dans le but de dégager et décrire les modalités à mettre en place quant au démarrage du processus d’analyse de pratique et de réflexivité en soutien à un ajustement de pratique au sein d’un collectif, nous avons retenu trois outils de collecte de données dont la fiche d’introspection (FI) de chaque participant X le nombre de rencontres, les compte rendus (CR) de chaque rencontre ainsi que les notes prises au journal de bord (J de B) de la chercheure, et ce, pour chaque cohorte.  Les rencontres ont été enregistrées en mode audio dans le but de transcrire les éléments pour chaque PPI et compléter le compte rendu[9]. Une triangulation des données en trois temps selon un double codage nous permet de documenter les modalités : 1) pour chaque participant d’une même cohorte, 2) entre les participants d’une même cohorte et 3) entre les quatre cohortes.  Ce cadre d’analyse nous permet de dégager et de décrire les invariants, les éléments similaires qui émergent dans la triangulation des données versus les spécificités, ce qui est propre à un participant ou à une cohorte.

4. Résultats et discussion

Bien que la présentation des résultats puisse sembler séquentielle et linéaire, un traitement dynamique démontre leurs interrelations entre les diverses modalités ou dimensions, et ce, soutenues par des verbatims. Ainsi, tels qu’illustrés à la figure 2, les éléments émergents de l’analyse sont d’abord classés selon les dispositifs énoncés par Paul (2016) – relation de réciprocité, démarche personnalisée, principes éthiques, posture d’écoute, cadres institutionnels – puis selon les modalités de l’ordre opérationnel, éthique ou professionnel de Guillemette (2014). Les éléments émergents grisés en italique ont tous un même niveau d’importance, alors que le dispositif et la modalité grisés en italique sont rapportés à titre de nouvelles connaissances. Notons plus particulièrement, l’ajout de la nouvelle modalité de l’ordre relationnel.

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Figure 2 : Modalités en soutien au démarrage d’un processus d’analyse de pratique et de réflexivité en soutien à l’ajustement de la pratique

 

Les divers éléments se rattachant à l’ensemble des modalités et des dispositifs sont discutés à la lumière des définitions de l’accompagnement, l’ajustement de la pratique, l’analyse de pratique ainsi que la réflexivité.

4.1 Activité de mise en projet : faire connaissance et posture professionnelle

Notons d’abord l’importance à accorder à l’activité de mise en projet animée à l’intérieur des trois phases de la démarche : préparation, réalisation et introspection. Cette activité a comme objectif de se rencontrer, de se connaitre et ainsi de créer une relation de confiance entre collègues et avec la personne externe. Il s’agit d’amorcer cette relation de réciprocité nécessaire à toute démarche d’accompagnement (Paul, 2016). Ainsi, une première activité « brise-glace » invite les gens à présenter une caractéristique marquante d’un collègue. Plusieurs demeurent surpris d’entendre les qualités qui leur sont attribuées. Aux dires d’une DÉ, « c’est rare que l’on s’accorde un temps pour écouter les qualités que les autres nous attribuent, … à retenir : favoriser une activité d’accueil centrée sur l’individu et non sur la tâche ». À cette activité s’en greffe une seconde qui, cette fois, interroge les préoccupations des participants quant au thème principal : « ajustement des pratiques éducatives et pédagogiques en milieu scolaire ». La notion de préoccupations permet d’énoncer des dimensions cognitives ou affectives relatives à cet objet d’étude. L’activité suppose de tirer profit de l’expérience des participants pour déjà poser un regard sur leur réalité et sur leur pratique (Argyris & Schön, 2002).

Le plus souvent, les réponses se catégorisent selon deux contextes : 1) au regard de leur établissement : « comment construire un climat de collaboration ? » ; « comment amener le changement de pratiques chez les enseignants ? » ; 2) au regard de leur développement professionnel : « comment poser un regard externe et partager des expériences similaires ou différentes ? » ; « comment prendre le temps de réfléchir ? »  Ainsi, à l’aide d’un premier questionnement, l’activité de mise en projet suscite une première prise de recul et propose de se placer en posture méta (Lafortune et al., 2008). Les participants sont ensuite invités à nommer leur motivation à participer à la démarche et, par conséquent, à identifier une intention de développement professionnel qui leur est propre et qui s’inscrit à titre de posture professionnelle, nouveau dispositif sous la modalité de l’ordre professionnel à la figure 2. Si l’activité de mise en projet devient l’ancrage d’un groupe restreint qui se met en route, à elle seule, elle ne peut assurer une analyse de pratique selon une perspective de réflexivité.

4.2 Un espace sécurisant invitant à la réflexivité

Rappelons que la dimension réflexive nait de la capacité à identifier les schèmes opératoires (affectif ou cognitif), le plus souvent inconscients et qui sous-tendent l’agir (Argyris & Schön, 2002) ; schèmes opératoires qualifiés d’habitus pour reprendre le thème de Bourdieu et repris par Perrenoud (2008). Or, la démarche d’accompagnement, selon les trois phases et ses 4 axes, nécessite une modélisation dès le départ pour sensibiliser les participants à la façon de la vivre en y intégrant l’écoute, l’observation, le questionnement ou la rétroaction. Cette modélisation exige de créer un contexte de réflexion dans un espace suffisamment sécurisant et invitant pour l’accompagné. Même la disposition de la salle devient importante : un endroit aéré, pas trop vaste, qui permet de placer les personnes autour d’une table, où chacun se voit et se situe à égale distance. La table, bien qu’utile pour déposer les matériaux et prendre des notes, sert en quelque sorte, pour faire image, de bouclier permettant à l’accompagné de ne point se sentir dans le vide et à nu. La notion d’égale distance propose surtout de délaisser tout lien hiérarchique qui puisse exister entre les participants (DÉ, DSÉ, DG et CP).

4.3 Le PPI, dispositif au sein d’une démarche rigoureuse

Dans le cadre de la démarche, le PPI est raconté ou explicité ou, au sens figuré, déplié pour mieux en comprendre et analyser la situation, les ressources mobilisables ainsi que les intentions réelles d’action de son auteur, l’accompagné. Cette fois, il s’agit de poser un regard méta où l’accompagné se prend comme sujet d’analyse au sens de Vacher (2014). Lors des deux ou trois premières rencontres, la modélisation de la phase réalisation selon ses 4 axes, apporte un cadre rigoureux à la démarche d’accompagnement. Au fil du temps, cette modélisation s’estompe progressivement pour laisser place à la spontanéité des participants à l’intérieur de cette démarche qui se veut alors plus souple selon l’accompagné. Aux dires de Paul (2016), il s’agit alors d’une « démarche personnalisée qui tient compte de la personne et du contexte », et ce, au sein d’un « cadre institutionnel dans lequel se vivent les situations ».

4.4 L’écoute, l’observation, le questionnement et la rétroaction selon une dynamique de bienveillance

L’écoute, l’observation, le questionnement et la rétroaction deviennent des stratégies indispensables pour guider la personne accompagnée dans une première analyse de pratique et idéalement la menant vers une réflexivité. La modélisation de l’écoute et de l’observation s’amorce dès l’activité de mise en projet. Dès qu’une question est posée, le silence prend sa place pour attendre qu’un participant apporte une réflexion. Au départ, le silence d’une durée de 7 à 8 secondes parait long aux dires des participants, alors qu’il prend tout son sens avec l’évolution de la démarche : « nous ne sommes pas habitués au silence » ; « tu laisses des temps de silence, c’est inconfortable ». L’écoute passe aussi par la façon d’observer ou d’assurer la compréhension en faisant du reflet et en utilisant l’expression « si je comprends bien, … ». Enfin, l’écoute passe par la verbalisation de ce qui est observé ou ressenti, par exemple « j’observe que… » ou encore, « dans la description de ce qui est rapporté, je ressens … ». L’utilisation du « je » est délibérément utilisée afin de proscrire l’utilisation du « tu » qui peut parfois provoquer l’accompagné, « tu dis que… ».  L’observation du non verbal chez l’accompagné tout comme chez les accompagnants, devient une façon de lire la dynamique qui se construit au sein du collectif, à cette notion d’intelligence de la situation (Robin, 2007).

La modélisation du questionnement s’instaure à l’axe 1 de la démarche dans questionner pour comprendre ainsi qu’à l’axe 2, questionner pour analyser et réfléchir, alors que l’on cherche à éliminer les questions fermées ou celles qui apportent des réponses, par ex. « as-tu pensé à… ? » ou « est-ce que tu pourrais… ? » La rétroaction veut servir les liens entre les réflexions et certains cadres conceptuels ou encore, les encadrements relatifs au cadre institutionnel. La rétroaction passe alors par la présentation de capsules théoriques en demandant par la suite aux participants de formuler des hypothèses de compréhension avec le PPI de l’accompagné, sans pour autant donner des pistes d’action. La modélisation sert à reformuler lesdites questions et les rétroactions afin de donner une nouvelle façon d’échanger qui puisse permettre à l’accompagné de trouver ses propres réponses, ses stratégies, ses intentions réelles, nommer ses schèmes opératoires et ainsi préciser en quoi ou comment il peut ajuster sa pratique (Guillemette & Simon, 2014).

Soutenir les participants dans leur rôle d’accompagnant par rapport à la reformulation de leurs questions sans les brimer ou les brusquer fera en sorte qu’ils choisissent de s’y investir ou non. À cet égard, certains diront : « je ne sais pas comment formuler ma question » ; « j’ai peur de ne pas poser la question correctement » ; « je me retiens puisque je ne veux pas donner de réponses ». La démarche les invite à formuler leur question comme elle vient. Ensemble, nous trouvons une nouvelle façon de la poser : les « est-ce que » sont remplacés par des mots interrogatifs dont « en quoi, comment, qu’est-ce qui, qu’est-ce que, … ». Ainsi, dès les 2e et 3e rencontres, les participants notent l’importance pour l’accompagnant de : « apprendre à questionner sans juger, sans bousculer, sans avoir de réponse » ; « apprendre à écouter pour savoir questionner » ; « être entièrement présent malgré les préoccupations » et pour l’accompagné, de « se donner le droit de ne pas savoir » ; « se donner le droit de ne pas répondre maintenant ». Dès la 3e ou la 4e rencontre, ils se disent de plus en plus à l’aise avec la démarche et le questionnement.

5. Conclusion

L’expérience auprès de ces cohortes permet d’observer que la dimension réflexivité prend forme au fil du temps. Ainsi, à la lumière de l’analyse des résultats, il y a lieu de préciser que le démarrage d’un processus d’analyse de pratique et de réflexivité s’échelonne sur plus d’une rencontre. Dans le présent contexte, l’on compte 3 à 4 rencontres pour bien installer la dimension réflexive qui soutient la prise de recul et par ricochet, un ajustement de pratique, et ce, selon une dynamique de bienveillance. Le démarrage d’une telle démarche exige aussi une forme d’entrainement et une rigueur. La façon d’écouter, d’observer, de questionner ou de donner une rétroaction, bien que difficile au départ, demeure la clé de réussite de la démarche ; elle oblige un apprentissage qui favorise par ailleurs la prise de recul, l’analyse de pratique et éventuellement, la réflexivité.

Au-delà des principes éthiques qui commandent une forme de contrat moral établissant les règles de confiance, de franchise et de confidentialité, le démarrage d’une telle démarche exige de tenir compte de la façon dont ce contrat sera respecté. C’est au sein d’un espace sécuritaire et invitant par son organisation physique et matérielle combiné à ces règles éthiques que se créent des relations interpersonnelles bienveillantes sur lesquelles de vrais échanges peuvent s’amorcer. Il y a donc lieu de mettre en place des facteurs de protection qui se caractérisent par des modalités de l’ordre opérationnel (matériel), éthique, relationnel et professionnel.

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Notes

 

[1] Les ressources internes se définissent par les savoirs, savoir-faire et savoir-être que possède le professionnel alors que les ressources externes renvoient aux outils ou aux ressources humaines disponibles et susceptibles d’aider à répondre à une situation (Le Boterf, 2008).

[2] Nous empruntons à Anzieu & Martin (2006), la notion de « groupe restreint » qui se caractérise notamment par un groupe de 6 à 13 personnes, « pourvu généralement d’un objectif et permettant aux participants des relations explicites entre eux et des perceptions réciproques » (p.44).

[3] La recherche-action se caractérise par sa dimension participative où le chercheur se rend sur le terrain. Les rapports praticiens et chercheurs forment le cœur de la démarche alors qu’ils se réunissent pour résoudre ensemble un problème de pratique qui se pose, et de là, produire des savoirs : théorique, praxéologique ou expérientiel.

[4] La réussite éducative se qualifie par le développement holistique de l’élève selon trois axes : instruire, socialiser et qualifier ( Loi sur l’instruction publique du Québec – LIP, 2016).

[5] Considérant la grandeur du territoire québécois, les trois CS qui ont participé avaient plus de 200 km entre elles. Seule une commission scolaire avait deux cohortes qui se connaissaient entre elles, mais les propos traités entre ces deux cohortes n’étaient points partagés dans ses contenus spécifiques.

[6] Il est à noter ici que certains liens hiérarchiques existent entre ces divers acteurs.

[7] Bien que la RA se soit vécue sur deux ou trois années scolaires par cohorte, l’ensemble de la démarche s’est déroulée sur une période de cinq ans (2012- 2017). Une commission scolaire poursuit toujours sa démarche jusqu’en 2019, en ajoutant une nouvelle cohorte (2017 à 2019).

[8] Selon Reason et Bradbury (2007), la notion de savoirs expérientiels s’explique par la façon pour un chercheur de décrire l’expérience mise en œuvre au sein d’une recherche-action tout en documentant ses retombées, plus particulièrement, au regard du développement professionnel ou de l’amélioration des pratiques.

[9] Selon les règles éthiques, seuls la chercheure et un professionnel de recherche ont accès aux enregistrements audio. Toutes les données sont anonymisées selon un code alphabétique et numérique.  Elles sont ensuite codées avec l’aide du logiciel QDA Miner, sur un Drive avec mots de passe. Les données brutes seront détruites 5 ans suivant la fin de la recherche.