Eric Drutel

Psychologue du travail, Lyon edrutel[arobase]gmail.com

Céline Calmejane-Gauzins

Enseignante et psychologue, Toulouse celine.calmejane[arobase]laposte.net

 

Résumé

Cet article rend compte du 8ème séminaire du GFAPP (Groupe de Formation à et par l’Analyse de Pratiques Professionnelles) qui s’est tenu à Lyon les 6 et 7 juin 2015. Trois demi-journées au cours desquelles ont été éprouvées entre pairs des méthodes d’animation de groupe d’analyse de pratiques professionnelles (APP). Elles ont donné lieu à de riches controverses sur les processus de conduite de groupe et ont permis d’approfondir des questions théoriques notamment autour de deux objets mobilisés dans nos dispositifs : les émotions et les hypothèses. Le travail de réflexion et d’exploration, médié par les APP vécues, a été marqué par une grande convivialité et une liberté d’expression qui ont favorisé les échanges les plus fructueux.

Mots-clés 

séminaire, liste GFAPP, hypothèses, émotions, animation

Catégorie d’article 

Compte-rendu

Référencement 

Drutel, E., & Calmejane-Gauzins, C. (2015). Retour sur le 8ème séminaire GFAPP des 6 et 7 juin 2015 à Lyon. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 6, pp. 54-60. http://www.analysedepratique.org/?p=1839.

 


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Cette année, le séminaire de la liste GFAPP a réuni à Lyon les 6 et 7 juin 2015 dans une ambiance chaleureuse et conviviale 12 participants, habitués et nouveaux, expérimentés et plus novices, venus d’horizons géographiques et professionnels divers pour un temps de controverses et d’expérimentations autour de l’activité d’animation de dispositifs d’analyse de pratiques professionnelles (APP). Le travail et les échanges qui en ont émergé ont été très riches intenses, étayés sur la base de la co-formation et de l’intervision1.

Nous vous proposons quelques lignes qui rendent compte chronologiquement des différents temps qui ont rythmé les trois demi-journées de ce séminaire2.

1. La rencontre, un espace-temps déterminant

Originalité de ce séminaire : il s’est ouvert sur une modalité particulière de prise de contact et d’interconnaissance, via des techniques de découverte de l’autre inédites dans ce cadre. Dans un premier tour de parole où le groupe était d’abord en rond dans le préau de l’établissement dans lequel nous avons été aimablement accueilli, chacun s’est présenté brièvement et a exposé ses attentes et sa motivation à être présent. Ensuite, les participants se sont « apprivoisés » dans des échanges successifs dont l’objectif était de rencontrer les personnes qu’ils ne connaissaient pas. Ainsi, sous la forme de rencontres « express » par binômes successifs puis en quatuor, chacun a fait part à son interlocuteur de sa réponse à une question posée par l’animateur : question relative aux attentes / craintes vis-à-vis du séminaire, puis au souvenir le plus prégnant relatif à une situation d’APP vécue, aux qualités que l’on se reconnaissait dans l’animation d’un groupe d’APP… Ces échanges informels ont permis de stimuler la curiosité mutuelle et d’installer un climat de confiance et de bonne humeur qui a coloré l’ensemble du séminaire.

Pour poursuivre, durant cette première journée du samedi, deux séances d’APP ont, comme lors du séminaire de l’année précédente, été vécues par l’ensemble des participants, suivies d’un temps de méta-analyse. Il s’agissait de se prêter à une expérience collective où chacun avait le rôle de participant ou d’animateur dans le dispositif proposé. La demi-journée suivante a été consacrée à la réflexion autour de deux thématiques qui se sont dégagées de la première journée : la place et le rôle des émotions  ainsi que l’utilisation et les effets des hypothèses de compréhension dans l’APP. C’est au regard et au service de l’approfondissement de la définition de l’APP, objectif transversal du séminaire, que ces deux thématiques ont été travaillées. Elles ont été à nouveau l’occasion pour chacun de questionner et / ou d’affirmer les choix de ses propres références théoriques et de leur mise en œuvre pratique (protocole, cadre, style d’animation, etc.) et ont, en retour, pu servir de grilles d’analyse pour les réflexions développées.

2. Deux séances d’APP et méta-analyse

Deux modalités d’APP différentes ont été partagées, au cours de deux séances successives. La première, proposée par Pierre Cieutat, reposait sur le dispositif du GFAPP, tandis que la seconde, animée par Pierre Petignat, résultait d’un syncrétisme de différentes approches et d’une appropriation plus personnelle. Nous les présentons ci-après en quelques lignes.

2.1 Le Groupe de Formation à et par l’Analyse de Pratiques Professionnelles (GFAPP)

Ce dispositif est une évolution en particulier des GEASE (Groupe d’entraînement à l’analyse de situations éducatives) qui, sous l’impulsion de quelques-uns, dont Patrick Robo ont évolué vers des GEASP (l’ajout de « Professionnelles ») puis des GFAPP. Le dispositif tel que proposé par Pierre Cieutat au groupe correspond à une expérience d’intégration de cet outil au monde enseignant, adossé à un modèle du groupe de volontaires venant, sur leur temps personnel, se former. Ainsi, comme l’a rappelé l’animateur, il n’y a pas a priori d’ « expert », mais un facilitateur et pour lui, la rigueur du dispositif telle qu’elle peut apparaître de prime abord a une fonction contenante en soi qui justifie cette rigueur en bonne partie.

Pierre Cieutat a ainsi respecté le cadre et la trame d’un GFAPP – trame qu’il a d’ailleurs distribuée en préambule sous forme de tableau aux participants3 – et qui comprend six étapes. En guise d’ouverture, il a rappelé la définition de la bienveillance – disposition devant présider aux échanges et attitudes au sein du groupe -, les objectifs de la séance et  6 principes essentiels. Il a mis l’accent dans ce préambule sur l’importance des affects et a invité les participants à laisser s’exprimer la subjectivité. Après le rituel de démarrage et l’émergence et le choix d’une situation, le groupe a vécu les temps de l’exposé, des questions, de l’émission d’hypothèses sur la situation et son amont sur la pratique, de la conclusion et du bilan. Une originalité de cette séance est que l’animateur a souhaité ménager entre chaque phase une pause silencieuse d’une minute, destinée à donner à chaque participant l’espace pour laisser résonner en lui ce qui s’était passé et ce qui avait été partagé juste avant.

Le choix de la situation a été fait d’après le modèle du GEASE :à la fin de la phase d’émergence des situations possibles « c’est le premier qui prend la parole qui expose ». Elle concernait l’intervention d’un des participants dans un contexte qui ne tient pas toujours compte du cadre posé par l’animateur, avec les conséquences que cela entraîne pour le groupe mis en place. L’émission d’hypothèses par le groupe s’est faite dans le strict respect des consignes proposées par l’animateur (possibilité de commencer chaque phrase par « j’émets l’hypothèse que », invitation à s’exprimer par rapport à la situation et non par rapport à la personne, demande de respecter l’ordre de prise de parole indiqué par l’animateur, etc.). Elle s’est conclue par l’expression libre et sans consigne, par l’exposante, de ce que lui inspiraient les différentes hypothèses émises.

Le dernier temps de méta-analyse a permis notamment de mettre en évidence et en questionnement le rôle du cadre et du style de l’animation dans l’expression et la prise en compte des affects. Ces éléments ont nourri la réflexion de la deuxième journée en lien avec cette thématique.

2.2 L’approche syncrétique

L’approche proposée pour une deuxième APP par Pierre Petignat4 s’ancre dans les courants de la psychologie sociale, de la psychologie humaniste, de la psychopédagogie et de l’analyse institutionnelle. Elle convoque notamment la dimension groupale. Le principe de base qui sert de fil rouge selon Pierre Petignat est que le groupe renvoie à chacun de ses membres son interprétation de la situation : celle-ci forme une image, nécessairement incomplète et déformée de la réalité telle qu’elle est vécue par la personne, mais qui correspond en partie à la réalité.

Après le premier temps de rappel du cadre et des principes, l’animateur a proposé un tour de table où chacun pouvait évoquer en deux phrases une situation à analyser et faire émerger ses besoins. Vint ensuite le temps du choix par le groupe, suivant deux critères clairement rappelés par l’animateur : le caractère d’urgence pour l’exposant, et l’intérêt pour le collectif. C’est au regard de ces deux critères que le groupe s’est arrêté, après un temps de négociation collective, sur une situation un peu particulière : celle du travail de relecture des textes à paraître dans la Revue de l’analyse des pratiques et aux différentes postures qu’il sous-tend. L’exposant a présenté les différents dilemmes qu’il doit soutenir, d’une part au regard de la politique éditoriale de la revue, qui vise une grande ouverture aux écrits potentiels et demande donc du relecteur une éthique de bienveillance et d’accompagnement et d’autre part au regard de son exigence de qualité et de rigueur, qui oblige parfois à des interventions diverses et exigeantes sur les textes.

Ce temps d’APP a soulevé des questions variées : quelles limitations, voire « censure » par rapport à soi et par rapport à un auteur ? Quelle stratégie déployer pour éviter que les invitations à la ré-écriture risquent de désincarner les écrits des auteurs ? A partir de quel nombre d’aller-retours l’accompagnateur n’écrit-il pas à la place de l’auteur ? Quelle définition de la posture d’un lecteur accompagnant comme « un ami réflexif » ?

Lors de débats au cours desquels chacun prenait librement la parole, l’animateur a travaillé à reformuler et à synthétiser les échanges, en dégageant des pistes possibles en réponse aux questionnements posés par l’exposant.

Dans ce dispositif, l’animateur ne se décentre pas par rapport aux échanges du groupe mais propose des interprétations, témoigne de sa propre expérience, contient les potentiels mouvements des membres (attaque du cadre, fuite ; cf. Bion, 1965), cherche activement avec le groupe et fait des hypothèses visant une solution pratique.

3. Mise en réflexion par demi-groupe

A l’issue de l’expérimentation de ces deux dispositifs, les animateurs du séminaire ont proposé une réflexion en deux sous-groupes autour des problématiques posées comme analyseurs des séances vécues et dans une perspective de théorisation. A l’issue des échanges, un rapporteur par sous-groupe a présenté en plénière l’état de la réflexion.

Ainsi, une revue de questions a rapidement été dégagée :

  • La place et le rôle de l’animateur : comment s’en tenir à ce qu’il annonce sur le dispositif ? Quelle est la place de l’animateur qui s’en remet au groupe lors du choix de la situation ?
  • La circulation de la parole et les techniques de reformulation : comment maintenir une continuité dans le fil de la pensée du groupe ? la distribution très ordonnée des prises de parole pouvant d’un côté entraîner des ruptures associatives et gêner le travail d’élaboration du groupe, et de l’autre, inciter à une qualité d’écoute qui participe à la décentration par rapport à soi. Comment trouver la bonne place dans la répartition des échanges : dans quelle mesure la prise de parole passant systématiquement par l’animateur ne risque-t-elle pas de court-circuiter le groupe ?
  • Le rôle de la question : au service de qui est-elle posée ? Quelle est la finalité du dispositif ? Faut-il surseoir à la parole ?
  • Les effets des hypothèses sur le groupe et sur l’exposant lorsqu’il pose une question au groupe : cette forme d’interpellation interroge sur le cadre posé et la protection de l’exposant.
  • Le travail sur les émotions : il invite à distinguer les différents registres du professionnel,  du personnel, du privé et de l’intime et à se poser la question de ce que serait « l’émotion professionnelle » et de ce qui est utile à la compréhension de la situation dans le contexte du groupe d’APP.

4. Approfondissement des thèmes : hypothèses et émotions

La troisième demi-journée, le dimanche matin, se proposait de poursuivre le travail thématique d’une part autour des effets des hypothèses et d’autre part autour des émotions, via un dispositif réflexif croisé : après un temps de réflexion et d’échanges en deux sous-groupes de travail, chaque rapporteur de sous-groupe a exposé le fruit des élaborations produites à l’autre sous-groupe ; puis fort des retours de ce dernier, il est revenu dans le sien afin de poursuivre le travail de recherche.

Les pistes dégagées, nombreuses, ont visé deux objectifs :

a)     définir au mieux émotions et hypothèses comme des concepts au service d’une pratique,

b)    distinguer leurs effets respectifs lors des processus d’APP.

Grace à la richesse et la pertinence des débats, on a pu ainsi avancer dans l’analyse et quelques éléments de problématisation ont pu être identifiés.

Ainsi le travail avec les hypothèses met en jeu la relation entre l’exposant, le groupe et la situation :

  • Ces dernières sont-elles données ou prêtées au groupe ?
  • Dans quelle mesure répondent-elles (doivent-elles répondre) à la demande de l’exposant ?
  • Qu’est-ce qu’une hypothèse, sinon une « sous-thèse » où je me risque à un doute qui traduit une recherche d’intelligibilité ?

Autant de questions qui viennent résonner comme un contre point aux remarques sur les aspects potentiellement déstabilisants du temps des hypothèses, qui n’est pas assertion mais co-élaboration.

Les émotions, quant à elles, sont un « toujours-là », qui appartient à l’écologie même de l’être humain, et que l’on ne saurait éluder. Elles constituent un pont vers l’autre qui permet de se faire une représentation de la situation pour vivre et transformer par le groupe une expérience en savoir.

C’est cette praxis d’aller et retour avec les émotions qui crée pour chacun une nouvelle aptitude à penser les situations. Les émotions sont donc un outil à penser en groupe, à travailler à la mise en sens des vécus. La question de sa place et de son rôle est donc essentielle dans l’APP.

5. Bilan et perspectives

Chaque participant au séminaire a pu relever et apprécier l’effet émulatif et nourrissant des échanges et des réflexions, que la complexité et la pluralité des points de vue, ainsi que l’hétérogénéité du groupe, sont venus alimenter et stimuler en permanence. L’ensemble des retours permet d’affirmer qu’il a été pour tous, et à bien des égards, une réussite.

Différentes perspectives, variées et ambitieuses, ont été envisagées lors du bilan pour le futur :

  • Tout d’abord, la mise sur pied d’un 9ème séminaire GFAPP a fait consensus et a été fixée à début juin 2016 à Lyon.
  • Une offre de formation sera élaborée pour les animateurs d’APP, portée par l’Association de Formateurs à l’Animation de Groupes de Formation à l’Analyse des Pratiques Professionnelles(AFAGAPP) qui vient d’être créé à cet effet.
  • En ce qui concerne la diffusion et l’essaimage des pratiques de l’APP, différentes pistes ont été proposées, avec notamment  un cycle de séminaires ou de journées d’étude sur plusieurs années, ouvert, qui permettrait d’approfondir la définition et les cadres théoriques de l’APP ; la première journée pourrait avoir lieu en 2016.
  • La communication et la circulation de la parole au sein de la liste GFAPP méritent par ailleurs d’être repensées à l’aune des nouveaux outils et supports disponibles ; l’idée a été évoquée d’utiliser le réseau professionnel sécurisé Viaeduc5, qui permet l’échange en grand groupe ou en sous-groupes, le partage de ressources et la création collaborative de documents.
  • L’avenir de la revue a également fait l’objet de propositions et un appel aux auteurs et aux lecteurs va être lancé.

Les ouvertures à l’issue de ce séminaire laissent donc une bonne part à une joyeuse anticipation venant vivifier les modes actuelles du toujours plus vite. Elles soulignent aussi l’étendue des champs à investir et des réflexions et apprentissages à développer dans le domaine de l’APP.


Références bibliographiques

Bion, W.R. (1965) Recherches sur les petits groupes. Paris : PUF.

 

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Notes

  1. Voir la page internet http://www.analysedepratique.org/?p=3509 pour davantage d’informations sur le réseau GFAPP et les séminaires organisés.
  2. Nous remercions chaleureusement les participant-e-s au séminaire pour leurs commentaires et suggestions apportés à l’écriture de ce compte rendu.
  3. Le document, intitulé « Les phases d’un GFAPP » est disponible sur le site de Patrick Robo : http://probo.free.fr/ecrits_app/grille_phases_gfapp_v_19.pdf.
  4. Le site de Pierre Petignat est accessible à l’adresse : www.supervisioncoaching.ch.
  5. Voir : http://www.viaeduc.fr.