Pierre Petignat

Haute Ecole Pédagogique BEJUNE, Bienne, Suisse
Pierre.Petignat[arobase]hep-bejune.ch

Résumé

Cet article présente un résumé de la recherche menée dans le cadre de trois Hautes Ecoles Pédagogiques (HEP) de Suisse romande. Cette recherche porte sur la perception globale des étudiants quant aux séminaires d’analyse de pratique vécus en formation initiale ainsi qu’aux effets qu’ils produisent. Après une définition des concepts en usage dans les HEP et de la méthodologie de la recherche, quelques résultats, conclusions et mises en perspective sont présentés. Les perceptions des étudiants quant au développement de leur pratique réflexive, axe spécifique mis en évidence dans la plupart des référentiels de compétences dans la formation des enseignants, sont plus particulièrement abordées.

Mots-clés 

pratique réflexive, professionnalisation, formation d’enseignants

Catégorie d’article 

Travail de recherche

Référencement 

Petignat, P. (2015). L’analyse des pratiques en formation initiale d’enseignants. Quelles perceptions, quelles mises en perspective ? Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 5, pp. 3-15. http://www.analysedepratique.org/?p=1585.


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1. Introduction

La nécessité de développer des compétences à l’analyse et par l’analyse des pratiques professionnelles (APP) semble aujourd’hui un principe assez largement reconnu et accepté par la plupart des acteurs de la formation des enseignants aussi bien en Europe qu’en Amérique. En ce sens, bon nombre de dispositifs mis en place visent à accompagner les étudiants dans le cadre de l’alternance tout en favorisant leur capacité d’analyse et de prise de décision face à des situations de classe difficilement prévisibles. La multiplicité des dispositifs développés s’inscrit sans doute également dans un contexte socio-historique lié à la question de la professionnalisation des enseignants, qu’il s’agisse d’une exigence accrue de compétences instrumentales, du modèle de l’enseignant expert, du développement professionnel tout au long de la vie, etc.

Toutefois, dans le cadre des dispositifs d’analyse des pratiques, il a été fort peu analysé la perception du caractère formateur que peuvent avoir ces pratiques auprès des acteurs eux-mêmes, les étudiants en formation. C’est cet axe qu’un groupe de formateurs des IUFM1 du pôle Nord-est des IUFM de France a étudié entre 2008 et 2009 (Levain et Minary, 2010).

Associé à la phase finale de réflexion de l’équipe française, j’ai développé cette étude en Suisse romande avec des recueils de données dans les HEP de Fribourg, Vaud et BEJUNE, entre 2009 et 2011. Dans le cadre de l’étude française, la recherche a été menée auprès de futurs professeurs des écoles (enseignement primaire) et de futurs professeurs de lycée et collège (secondaire 1 et 2). Mon travail en Suisse romande s’est limité à des étudiants en HEP visant le diplôme d’enseignement préscolaire et primaire (maternel et primaire).

2. Etat de la question

2.1 Une démarche réflexive 

« La réflexivité, fer de lance de la professionnalisation de la formation des enseignants, semble devenue tout à la fois pratique de pensée, manière de penser sa pratique et manière d’agir tout en pensant à ce que l’on fait. » (Wentzel, 2010, p. 17).

Les formations des enseignants, confiées au niveau tertiaire aux Hautes Ecoles Pédagogiques en Suisse ou en Belgique, aux filières universitaires en France ou aux Universités au Canada, ne peuvent, au regard du contexte socio-historique signalé, renoncer au processus de professionnalisation. Dans cette perspective, il convient de mettre en évidence la volonté des institutions de formation de viser au développement d’un professionnel réflexif, capable de « s’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel » selon le référentiel de compétences de la HEP-BEJUNE et, donc, de « mener une démarche d’analyse réflexive de manière rigoureuse sur des aspects précis de son enseignement » (Référentiel, 2010, p. 20).

L’orientation de la formation vers un développement réflexif du futur professionnel implique dès lors le recours, durant la formation, à des outils qui visent à cette finalité. Nous pouvons citer, de façon non exhaustive, la recherche, le portfolio, la vidéoscopie, le journal de formation, l’entretien d’explicitation, la supervision et l’analyse des pratiques professionnelles. Ces outils ne sont pas interchangeables ou équivalents, ils ne relèvent pas tous du même niveau d’implication pour le futur professionnel et peuvent souvent se montrer complémentaires. L’analyse des pratiques professionnelles a donc, dans ce sens, toute sa place dans la formation des enseignants.

« L’analyse des pratiques est un levier important à utiliser pour faire passer la formation des enseignants d’une logique d’enseignement à une logique de formation d’adultes. » (Meirieu, 2005, p. 6). C’est le sens même de l’introduction des analyses des pratiques professionnelles dans la formation des futurs enseignants. Dans le cadre de la tertiarisation de la formation, il est évident pour les formateurs et les concepteurs des programmes de mettre l’accent, pour une part, sur le développement professionnel dans une perspective réflexive. Le métier ou la profession selon la définition de Dubar et Tripier (1998) ne s’apprend pas seulement par imitation ou par reproduction. Il s’apprend aussi et largement par reconstruction, par réinterprétation, par réappropriation mais également par une mise à distance qui permet un regard neuf sur les événements vécus : le développement réflexif est le concept qui sous-tend cette visée professionnalisante.

Le but de tout formateur, dès lors qu’il s’inscrit dans la perspective d’une pratique réfléchie, est de développer, chez le futur professionnel, des compétences d’analyse, d’observation, d’interrogation et de compréhension de l’acte éducatif. Ces compétences spécifiques permettent la prise de distance affective et la capacité d’un regard « méta » sur les événements. Dans ce sens, le dispositif d’APP peut être un outil puissant dans la mesure où il conjugue la dimension groupale du travail, la co-analyse au sein du groupe de formation et l’accompagnement par un professionnel expert dans le champ des pratiques analysées et dans le domaine de l’animation de dispositif d’accompagnement. Il permet une réflexion approfondie sur sa pratique et une autorégulation de celle-ci en « se regardant de l’extérieur » par un positionnement métacognitif.

2.2 Définition des concepts 

S’agissant de l’analyse des pratiques professionnelles, ce concept recouvre des pratiques très diverses et c’est souvent la source de nombreux malentendus entre formateurs et entre formateurs et formés. La méthodologie d’APP déployée dans les séminaires est largement tributaire de l’approche choisie par les formateurs-animateurs, de leurs références théoriques ou de leur formation quand ils en ont une. J’emprunte la définition générale de l’analyse des pratiques professionnelles à Blanchard-Laville et Fablet (1999) :

« Ce sont des activités qui, sous cette appellation [analyse des pratiques] ou une appellation similaire,

–   sont organisées dans un cadre institué de formation professionnelle, initiale ou continue,

–   concernent notamment les professionnels qui exercent des métiers (formateurs, enseignants, travailleurs sociaux, psychologues, thérapeutes, médecins, responsables de ressources humaines,…) ou des fonctions comportant des dimensions relationnelles importantes dans des champs diversifiés (de l’éducation, du social, de l’entreprise,…)

–  […] les sujets participant à un dispositif de ce type sont invités à s’impliquer dans l’analyse, c’est-à-dire à travailler à la co-contruction du sens de leurs pratiques et /ou à l’amélioration des techniques professionnelles. Cette élaboration en situation interindividuelle, le plus souvent groupale, s’inscrit dans une certaine durée et nécessite la présence d’un animateur, en général professionnel lui-même dans le domaine des pratiques analysées, garant du dispositif en lien avec des références théoriques affirmées. »
(Blanchard-Laville et Fablet, 1999, p. 285-286).

Leur définition relève globalement de cinq grandes tendances théoriques :

a)  La première basée sur l’analyse d’une pratique perçue, relevant de la théorie de l’action située (Theureau, 2004).

b)  La seconde, essentiellement orientée vers la personne en formation dans sa globalité fait plutôt référence au courant humaniste et invite l’interviewé à livrer son ressenti par rapport à son vécu (courant rogérien).

c)  La troisième tendance se rapporte à une approche didactique des savoirs analysés. Elle est essentiellement axée sur l’épistémologie des savoirs et renvoie à une didactique disciplinaire spécifique (Maubant et al., 2009).

d)  La quatrième tendance est orientée sur une approche psychanalytique dont les principaux représentants sont Lévine (2011), Blanchard-Laville (2001) et Cifali (1994). Ils se sont inspirés de Balint (2003) pour conceptualiser cette approche. L’objectif est  « de faire prendre conscience intellectuellement et affectivement des processus inconscients en jeu. » (Blanchard-Laville, 2001).

e)  La dernière relève de la didactique professionnelle : elle conjugue trois composantes généralement décrites dans l’analyse du travail (Pastré, Mayen et Vergnaud, 2006, p. 182) : « un objet technique, généralement un savoir ; un objet d’usage, qui correspond au processus d’apprentissage des élèves quant à ce savoir ; des formes conversationnelles admises dans le site, ici dans une école ».

2.3. Des règles strictes

Cependant, quelle que soit l’approche théorique sous-jacente, ces dispositifs d’analyse des pratiques professionnelles visent tous au développement d’une meilleure conscience de l’enseignant en tant qu’acteur dans sa propre classe, face à ses élèves. Ils aident l’enseignant à faire des choix avec une conscience accrue et à réfléchir, a posteriori, aux actes posés et à leurs effets dans l’enseignement et, dans une temporalité plus longue, ils visent au développement professionnel de l’enseignant.

Ces dispositifs exigent toutefois des conditions minimales pour être valablement développés dans la formation des enseignants : l’espace protégé de communication et d’apprentissage doit être garanti. Des règles de confidentialité, d’écoute, de respect sont posées pour assurer un travail collectif porteur. La dimension groupale est stable et s’inscrit dans la durée : le nombre restreint de participants se réunit plusieurs fois dans l’année, durant une période préalablement fixée. Les séminaires d’analyse des pratiques sont liés à une pratique professionnelle. Les situations sont librement apportées par les participants. L’animateur dispose de compétences particulières liées à l’APP, à la communication et à l’animation de groupe. Sa relation avec les participants est clarifiée et il doit être éloigné le plus possible de tout type d’évaluation directe des participants de son groupe, d’objectifs thérapeutiques ou de conseil pédagogique. L’animateur devrait être formé au « savoir-analyser » (Altet, 1996). Pour viser à la problématisation des processus analysés, l’animateur apporte des référents théoriques complémentaires. Nous le verrons plus loin, ces conditions sont rarement remplies dans les institutions de formation.

3. Questions de recherche

Les dispositifs d’analyse des pratiques sont actuellement largement plébiscités dans les formations des enseignants en Suisse. Toutefois ils sont rarement questionnés s’agissant des impacts sur la pratique réflexive des futurs enseignants. Pour des questions de faisabilité, il ne nous est pas possible de montrer les effets de cette formation sur les pratiques quotidiennes des enseignants dans leur classe. Toutefois, il est envisageable de s’approcher de l’impact probable en étudiant les perceptions que les futurs enseignants ont du dispositif durant la formation. On peut raisonnablement induire qu’une perception fortement positive aura un effet également positif dans la pratique professionnelle quotidienne. Ce lien direct ne saura être démontré par cette étude. Aussi me suis-je limité à questionner la perception que les étudiants ont de ce dispositif.

Dès lors mes questions de recherche étaient :

–   Quelles perceptions ont les étudiants du dispositif d’APP déployé dans leur institution de formation ?

–   Quelles sont les intérêts majeurs relevés dans les dispositifs et quelles en sont les limites ?

–   Quels sont les attentes attribuées aux APP par les enseignants en formation ?

Les réponses à ces différentes questions nous permettront de mieux comprendre l’impact des séminaires d’APP sur les pratiques enseignantes, de faire évoluer les dispositifs en fonction des référentiels de compétences en usage et de proposer des formations pertinentes aux formateurs-animateurs, formations qui font encore largement défaut actuellement dans les HEP.

4. La recherche : éléments contextuels et recueil de données

La recherche a été menée dans trois institutions romandes de formation des enseignants : la Haute école pédagogique de Fribourg (HEP-FR), la Haute école pédagogique vaudoise (HEP-Vaud) et la Haute école pédagogique de Berne, Jura et Neuchâtel (HEP-BEJUNE) entre 2009 et 2011. Elle a été menée auprès d’étudiants de troisième année de formation, année de certification. Un questionnaire, élaboré par l’équipe de Levain et adapté à la situation suisse, a été administré aux étudiants des trois institutions de formation de Suisse romande :

–  122 étudiants de la HEP-BEJUNE

–  49 étudiants de la HEP-Fribourg

–  72 étudiants de la HEP-Vaud

Afin de documenter les différentes procédures d’analyse des pratiques mises en place dans les trois institutions, des entretiens ont eu lieu avec des formateurs impliqués dans les démarches au moment du recueil de données. Le tableau ci-après reflète la diversité des pratiques de l’APP dans les trois institutions, dont trois sites pour la HEP-BEJUNE.

 

Institutions Nbre de séances APP en 3ème année Nbre d’étudiants par groupe Cadre de référence Formation des animateurs
HEP-BEJUNE / Site de Bienne 6 x 1h30 7-8 GEASE2 2 sur 3 ont une formation reconnue
HEP-BEJUNE / Site de Porrentruy 6 x 1h30 7-8 Incident critique Pas de formation spécifique pour les 3 animateurs
HEP-BEJUNE / Site de La Chx-de-Fonds 7 x 1h30 10-12 Au choix de l’animateur 3 sur 6 ont une formation courte
HEP-Fribourg indéterminé 5-8 Au choix du mentor Formation pour une partie des animateurs
HEP-Vaud 12 x 1h30 10-12 GEASE Pas de formation spécifique


Tableau 1 : Synthèse des pratiques

 

5. Le questionnaire

L’enquête se fonde sur un questionnaire. Pour mettre les étudiants en condition favorable, le remplissage de ce dernier est précédé de la présentation d’une situation classique de gestion de classe (entre centration sur le collectif et centration sur l’individuel). Cette situation sert de point d’ancrage à la réflexion des futurs enseignants qui vont être questionnés.

« Dans le cadre du dispositif d’analyse des pratiques professionnelles, Élodie expose la situation suivante :

« J’enseigne dans une classe de 3P3  de centre-ville composée de 23 élèves. Julien est un élève réputé difficile et nouvellement arrivé dans l’école.

Après 15 jours de classe sans histoire, Julien change de comportement et devient perturbateur. Sa situation familiale est difficile puisqu’il est actuellement en famille d’accueil.

J’ai le sentiment qu’il peut exploser du jour au lendemain. Il supporte difficilement les remarques et les frustrations. Il est très colérique et hurle fréquemment. Toute intervention avec lui tourne vite à la surenchère. J’ai passé un contrat avec lui : il a le droit d’aller dans le couloir pour se calmer puis de revenir.

Après 3 semaines, je constate que les temps passés dans le couloir deviennent de plus en plus longs (jusqu’à une heure). Julien refuse même de rentrer en classe. Il dépend et jette les manteaux de ses camarades, puis se sauve dans la cour… J’abandonne alors ma classe pour le poursuivre et le ramener.

Cette séquence tend à se répéter depuis… »

Seules deux questions sur quatre (les questions 3 et 4) sont présentées et analysées dans le cadre de cet article :

Question 3 : « En fonction de votre expérience, que pensez-vous de l’intérêt qu’il y a à travailler ainsi (en séminaire APP) ? »

et

Question 4 : « Au-delà de cette situation, de façon plus générale, dans le cadre du dispositif que vous suivez en ce moment, comment évaluez-vous l’intérêt et la pertinence des dispositifs d’analyse des pratiques professionnelles mis en œuvre à la HEP, au regard de vos propres besoins et attentes de futur enseignant ?

Parmi les huit items suivants, retenez-en quatre qui vous semblent les plus significatifs et classez-les par ordre d’importance de 1 (le plus important) à 4 (le moins important).

Ces items issus des textes officiels et de recherches (Levain et Minary, 2010) sont listés dans le tableau 3 qui figure en page 10.

6. Analyse des résultats

6.1. Analyse des résultats en lien avec la question 3

« Que pensez-vous de l’intérêt qu’il y a à travailler ainsi ? »

 

Items HEP-BEJUNE Bienne HEP-BEJUNE Porrentruy HEP-BEJUNE
La Chaux-
de-Fonds
HEP-Fribourg HEP- Vaud Moyenne
Intérêt pour le dispositif 62.4 69.2 75.6 60.4 64.6 66.4
Limites du dispositif 37.6 30.8 24.4 35.6 33.5 32.4
Sans réponse 0 0 0 4 1.9 1.2


Tableau 2 : Perception des APP (en %)

 

Commentaires : perception des APP

Dans les trois institutions, les étudiants relèvent plus d’aspects positifs que d’aspects négatifs : on peut affirmer que le dispositif est donc bien perçu par les étudiants en formation dans ces trois HEP romandes.

Dans le cas des réponses mettant en avant les limites du dispositif, certaines réponses relèvent aussi des aspects positifs. Il ne s’agit donc pas de personnes opposées au dispositif, mais plutôt d’une perception nuancée et d’un regard critique pour certains. On ne peut affirmer que les étudiants du site de La Chaux-de-Fonds de la HEP-BEJUNE acceptent mieux le dispositif, on peut seulement dire qu’ils sont peut-être moins critiques face à celui-ci que les autres répondants.

L’aspect formatif du dispositif est largement perçu et les points forts sont, en général, relevés. Dans l’intérêt pour le dispositif, il ressort principalement le fait qu’il permet la mutualisation de ses expériences en groupe, dans un espace sécurisé et la recherche de solutions nouvelles auxquelles on n’avait pas pensé dans le feu de l’action.

Au plan des limites relevées, la distance avec l’événement et le fait qu’on ne retournera pas dans la classe ou que toutes les situations ne sont pas traitées, sont signalés.

Aucun étudiant ne rejette totalement le dispositif d’APP.

6.2. Analyse des résultats en lien avec la question 4

Cette question analyse l’intérêt et la pertinence des dispositifs d’analyse des pratiques professionnelles mis en œuvre dans les HEP concernées en regard des attentes et besoins des futurs enseignants. Les répondants sont invités à se prononcer sur les objectifs attribués aux APP selon la perception qu’ils en ont eue dans leur formation.

Poids relatif attribué à chaque item

De manière à dégager plus précisément les différentes tendances dans la diversité des choix et classements retenus par l’ensemble des étudiants, une pondération été effectuée. Le poids respectif de chaque item proposé dans le questionnaire peut être dégagé afin de permettre quelques comparaisons entre les trois institutions étudiées. Le résultat final pour chaque item est standardisé en score de 0 à 100.

Commentaires

L’analyse du tableau 3 figurant en page suivante nous montre que la dimension réflexive de la formation, selon notre définition, n’est pas prioritaire pour les étudiants. Cependant, cet item (« permet de structurer un ensemble d’hypothèses susceptible d’éclairer et d’améliorer le fonctionnement de la classe ») remporte tout de même un score de 19.5 points en moyenne et arrive en deuxième position derrière l’item relatif à la dimension relationnelle du métier. Les répondants sont plus orientés sur des réponses immédiates à leurs questions d’enseignants en formation, sur les aspects relationnels de la fonction enseignante et sur l’amélioration du fonctionnement de la classe. Pour eux, la démarche d’analyse des pratiques vise avant tout à se doter de réponses pour des faits passés qui les ont interpelés. En regard des théories de Schön (1994), la réflexion sur l’action est une condition menant au développement d’une pratique réflexive.

Il est à relever les réponses en décalage entre les institutions étudiées :

  • Les étudiants vaudois signalent une représentation plus axée sur la dimension didactique et pédagogique, qui peut s’expliquer par le fait que les séminaires d’APP étaient portés par l’unité d’enseignement qui a pour objectif de permettre aux étudiants d’éprouver les effets de leurs pratiques sur l’apprentissage des élèves.
  • Les étudiants fribourgeois relient et mettent en perspective leurs apprentissages réalisés sur les lieux de formation grâce aux APP, ce qui peut être lié au fait que les APP font partie intégrante du séminaire d’intégration qui a lieu après chaque stage.

Ce décalage n’est, en soi, pas surprenant, dans la mesure où les dispositifs déployés répondent à des orientations spécifiques des formations et ne sont pas ici analysés dans ce sens.

 

Le dispositif d’analyse des pratiques permet : HEP-BEJUNE Bi HEP-BEJUNE Po HEP-BEJUNE LCF HEP-Fribourg HEP-Vaud Moyenne
– d’analyser et de résoudre des problèmes professionnels touchant aux dimensions plus relationnelles du métier  (conduite de la classe, élèves difficiles, communication…) 27.4 33.6 32.7 27.7 25.8 29.4
– de structurer un ensemble d’hypothèses susceptible d’éclairer et d’améliorer le fonctionnement de la classe 18.5 18.5 20.3 19.1 21.1 19.5
– d’analyser et de résoudre des problèmes professionnels touchant aux dimensions plus pédagogiques  (obstacles didactiques, progression pédagogique, etc.) 8.8 12.4 9.5 15.0 23.4 13.8
– de dégager le caractère multiple et hétérogène du métier d’enseignant et d’appréhender sa complexité 15.0 10.0 8.6 7.3 7.1 9.6
– de se doter de repères conceptuels, méthodologiques, éthiques
en vue de faire des choix
8.8 13.1 7.6 7.7 6.8 8.8
– d’étayer davantage l’identité professionnelle en favorisant un climat d’écoute mutuelle et d’entraide 10.0 5.8 9.3 6.1 6.9 7.6
– de relier les apprentissages faits sur les lieux de formation et de les mettre en perspective 6.5 4.6 3.9 10.5 4.8 6.1
– de mieux connaître mes modes de fonctionnement, mon style pédagogique 5.0 1.9 8.0 6.6 4.2 5.1


Tableau 3 : Perception du dispositif par les répondants : poids relatif de chaque item

7. Conclusion

Les enseignants en formation au degré préscolaire et primaire ont une perception très positive du dispositif d’analyse de pratiques. Il est prioritairement perçu comme un outil de formation personnelle, orienté vers la pratique permettant « d’analyser et de résoudre des problèmes professionnels touchant aux dimensions plus relationnelles du métier  (conduite de la classe, élèves difficiles, communication…) » et « de structurer un ensemble d’hypothèses susceptible d’éclairer et d’améliorer le fonctionnement de la classe. Le dispositif permet de comprendre, en groupe, comment faire pour ajuster ses conduites en tant qu’enseignant pour éviter au mieux les situations conflictuelles ».

D’autres dimensions positives apparaissent dans la pratique de l’APP : le travail en groupe restreint, un espace protégé, la prise de conscience que d’autres ont vécu des expériences similaires ou encore la qualité d’écoute et d’empathie des pairs.

On pourrait être surpris par le manque de perception du développement réflexif visé par le dispositif. Toutefois il convient de relativiser nettement cette option dans la mesure où les étudiants sont en formation de base et visent clairement, dans les délais impartis, à obtenir leur diplôme, comme signalé déjà dans un travail de thèse (Petignat, 2011). Ils font leur « métier d’élève » (Perrenoud, 2004), ils n’auront de cesse de reproduire ce qu’ils ont vu faire, ce qu’ils croient être « la » bonne solution, le bon geste, le plus souvent dans une démarche de « soumission » (ou d’adhésion mimétique ou encore dans un souci d’économie) à celui que l’institution a présenté comme l’expert : le formateur en établissement. Ce dispositif est donc perçu prioritairement comme un acte de formation qui permet de répondre aux questions et aux événements liés directement aux stages.

La professionnalisation visée par les institutions de formation des enseignants implique que cette expérience en APP, bonne ou mauvaise, soit capitalisée, serve au futur enseignant comme point d’ancrage de sa future pratique, alors qu’il sera seul dans sa classe, sans regard externe. L’articulation théorie/pratique, prônée par les référentiels de compétences, nécessite un retour sur les situations plus ou moins obscures des pratiques quotidiennes de l’enseignant pour dépasser les injonctions applicationistes : « Il faut…, il n’y a qu’à… ! »

Le dispositif d’analyse des pratiques professionnelles est une réponse pertinente que l’institution a opérationnalisé pour permettre au futur enseignant de se réapproprier son expérience et pour la mettre en perspective, dans une visée réflexive et de professionnalisation. Toutefois, pour véritablement répondre aux attentes des futurs enseignants et de l’institution qui entend les former, le dispositif d’APP doit occuper une place particulière dans le cursus de formation en cohérence avec le reste du programme afin qu’il puisse relier transversalement l’ensemble des contenus abordés.

Enfin, il est nécessaire de passer d’une formation « contrôlante » à une formation « responsabilisante ». Cette option concerne tous les actes de la formation professionnelle et consiste, pour Altet (2005) dans un va-et-vient « pratique – théorie – pratique ».

Références bibliographiques

Altet, M. (1996). Les dispositifs d’analyse des pratiques pédagogiques en formation d’enseignants : une démarche d’articulation pratique-théorie-pratique. In C. Blanchard-Laville & D. Fablet (eds), L’Analyse des pratiques professionnelles (pp. 15-32). Paris : L’Harmattan.

Altet, M. (2005). L’analyse des pratiques en formation initiale des enseignants pour développer une pratique réflexive sur et pour l’action. IUFM des Pays de Loire, Nantes : Collections Ressources, 8, 28-34.

Balint, M. (2003). Le médecin, son patient et la maladie. Paris : Payot et Rivages.

Blanchard-Laville, C. & Fablet, D. (1999). Développer l’analyse des pratiques professionnelles dans le champ des interventions socio-éducatives. Paris: L’Harmattan.

Blanchard-Laville C. (2001). Les enseignants entre plaisir et souffrance. Paris : PUF.

Cifali, M. (1994). Le lien éducatif : contre-jour psychanalytique. Paris : PUF.

Dubar, C. & Tripier, P. (1998) Sociologie des professions. Paris: A. Colin.

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Maubant, P., Roger, L., Dhahbi Jemel, S. & Chouinard, I. (2009). La didactique professionnelle, un nouveau regard pour analyser les pratiques d’enseignement. In : Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire des enseignants ?, (p. 375-383). Lille : IUFM Nord-Pas de Calais.

Meirieu, P. (2005). Quelques réflexions relatives à la place de l’analyse des pratiques dans la formation des enseignants. In (In)novatio  : revue de l’innovation pédagogique.
Robo, P. & Thiébaud, M. (dir.). (Se) former à l’analyse de pratiques professionnelles.
Actes du séminaire GFAPP, Lyon, juin 2004. Hors-série. (pp. 5-6).
http://www.analysedepratique.org/wp-content/uploads/gfapp-actes-seminaire-2004.pdf.

Perrenoud, P. (2004). Métier d’élève et sens du travail scolaire (5e éd.). Paris: ESF.

Petignat, P. (2011). La contribution des stages à la formation des enseignants : études des représentations de formateurs praticiens et de leurs anciens stagiaires. Berlin: Editions universitaires européennes.

Référentiel de compétences pour la formation initiale des enseignants du niveau primaire de la HEP-BEJUNE et son utilisation pour la conception du programme du 2 août 2010. Document interne.

Schön, D-A. (1994). Le praticien réflexif: à la recherche du savoir caché dans l’agir personnel. Montréal : Editions Logiques.

Theureau, J. (2004) Le cours d’action. Méthode élémentaire. Toulouse : Octarès.

Wentzel, B. (2010). Le praticien réflexif : entre recherche, formation et compétences professionnelles. In Recherche et formation à l’enseignement : spécificités et interdépendance. Bienne : Actes de la recherche de la HEP-BEJUNE, 8, pp. 15-35.

 

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Notes

  1. Institut Universitaire de Formation des Maîtres.
  2. Groupe d’entrainement à l’analyse de situations éducatives
  3. CE2 dans le système français