Michaela Knuchel-Bossel

Formatrice, enseignante,
animatrice d’APP
m.knuchel.bossel[arobase]hep-bejune.ch

Anne-Marie Coste

Cadre santé retraitée, formatrice FormaticSanté, psychopraticienne ACP
costeannemarie66[arobase]gmail.com

 

Résumé

Le 13ème séminaire du réseau du Groupe de Formation à et par l’Analyse de Pratiques Professionnelles s’est tenu à Lyon les 26 et 27 juin 2021. Ce compte-rendu en retrace les moments forts, les réflexions et les questionnements. L’intégration de techniques issues de l’Entretien d’Explicitation aux analyses de pratiques professionnelles s’est trouvée au cœur des réflexions avec une présentation introductive de Philippe Péaud, des mises en pratique et des synthèses. Cet article présente dans sa première partie le déroulement du séminaire et dans sa deuxième partie un retour sur les réflexions et questionnements saillants.

Mots-clés 

techniques d’explicitation, outils, questionnement

Catégorie d’article 

Compte-rendu

Référencement 

Knuchel-Bossel, M & Coste, A.M. (2021). Compte-rendu du séminaire GFAPP des 26 et 27 juin à Lyon : intégration de techniques issues de l’Entretien d’Explicitation à l’Analyse de pratiques professionnelles. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 21, 142-152. http://www.analysedepratique.org/?p=5181.

 


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Report of the GFAPP seminar of June 26 and 27 in Lyon: Integration of techniques from the explicitation Interview into the Analysis of Professional Practices
Abstract

The 13th seminar of the network of the Group of Training in and through the Analysis of Professional Practices was held in Lyon on June 26 and 27, 2021. This report retraces the highlights , the reflections and the questionings. The integration of techniques from the explicitation interview into the analysis of professional practices was at the heart of the reflections with an introductory presentation by Philippe Péaud, practical applications and syntheses. This article presents in its first part the course of the seminar and in its second part a return on the salient reflections and questions.

Keywords

explicitation techniques, tools, questioning


 

Introduction

Le 13ème séminaire du réseau du Groupe de Formation à et par l’Analyse de Pratiques Professionnelles s’est tenu à Lyon les 26 et 27 juin 2021. En voici un compte-rendu.

1. Déroulement du séminaire

Nous sommes à nouveau accueillis au Centre Jean Bosco avec un café et des viennoiseries. Chacun arrive, de sa chambre, de son train ou de sa voiture et se pose, laisse derrière lui son quotidien et reprend contact avec les participants. Le temps du séminaire, moment privilégié dans l’année, va s’ouvrir. Caroline nous invite à une activité de présentation croisée et rapidement, nous entrons dans le vif du sujet. Une consultation en amont avait permis de décider que le thème de l’explicitation dans l’APP ferait l’objet de notre réflexion durant ce jour et demi intensif. Il fallait pour cela une sensibilisation aux techniques utilisées dans l’entretien d’explicitation (EdE dans la suite du texte) et Philippe Péaud, ne pouvant malheureusement pas être présent parmi nous, met son savoir à notre disposition par visioconférence. Il nous présente, fort à propos, sa façon de faire en formation de formateurs pour amener les participants de ses groupes d’APP à intégrer quelques techniques utiles, essentiellement dans la phase de questionnement. Après cet exposé, il répond à toutes nos questions, des plus simples aux plus complexes, dont voici quelques exemples :

  • A quel moment peut-on utiliser des techniques issues de la pratique de l’EdE dans une séquence d’APP ?
  • Quels sont les différents niveaux de l’action à expliciter ?
  • Quel est l’intérêt pour l’exposant ? Pour l’animateur ?
  • Comment conclure une alliance entre animateur et exposant au sein d’un groupe d’APP ?
  • Comment aider l’exposant à être en évocation sans exclure le groupe ?
  • Comment inclure des éléments d’EdE dans un groupe non formé à ces techniques ?

Après ce temps d’intervention intense mais qui nous laisse sur notre faim, le groupe synthétise ce qui vient d’être abordé en le mettant sous forme de carte heuristique.

Il est ensuite décidé de vivre une APP dans laquelle seront intégrées des questions de type explicitation. Michèle est animatrice, Rachel exposante. Le groupe accepte que la phase de questionnement porte sur un moment propice mettant en jeu à l’explicitation afin que cette APP ait une visée de formation à l’utilisation de ces techniques. Après exposition de la situation, nous constatons que plusieurs moments se prêteraient à une explicitation (nous reviendrons au point 2.3 sur ce qui caractérise un tel moment). Michèle demande à chaque membre du groupe d’argumenter le choix d’un tel moment du récit. Rachel est impliquée dans la discussion et le fait que cette phase d’explicitation peut placer l’exposant(e) dans une situation délicate n’échappe à personne. Le groupe convient donc d’un moment à explorer et la phase de questionnement commence. Michèle fait de nombreux moments méta qui permettent, certes, de relever des effets perlocutoires des questions, mais qui créent une situation complexe entre les phases de questionnement de type explicitation et les moments méta. La tâche est particulièrement difficile pour l’exposante puisqu’elle fait des allers-retours entre les états d’évocation (dans lesquels la position de parole est « incarnée » parce que l’exposante est en contact avec son expérience passée) et de présence (quand l’exposante est en contact avec la situation présente de communication). À la fin de la phase de questionnement, la décision est prise de ne pas poursuivre l’APP (nous ne vivrons donc pas de phase d’analyse, de mise en perspective, de pistes d’action) et la discussion s’ouvre sur les conséquences en APP de ces moments utilisant la technique du questionnement d’explicitation. Qu’en est-il pour l’exposant ? Pour les autres membres du groupe ? Pour l’animateur ? Quelles sont les difficultés qui ont été repérées, sur les apports, sur la centration sur l’action ? Dans le souci de produire un document utilisable par la suite, le groupe réfléchit à un vade-mecum (Annexe 1) de questions et de points de vigilance. La journée se termine à 19 heures et nous allons dîner, comme il se doit, dans un bouchon lyonnais.

Le dimanche, huit heures trente, tout le monde est sur le pont pour mettre en pratique ces quelques techniques de l’entretien d’explicitation qui nous paraissent utiles et praticables en APP. Patrick est exposant et l’animatrice, Blandine, nous propose un travail en sous-groupes pour que nous puissions préparer quelques questions de type explicitation. La phase de questionnement s’enrichit par l’utilisation de ces questions et favorise une familiarisation ainsi qu’une appropriation des techniques.

Le séminaire se termine à 12h30, après que le bilan a permis de souligner l’utilité de ce moment de formation, la richesse des échanges et le fait qu’il y aurait encore tant à dire !

2. Retour sur les réflexions et questionnements saillants

Dans la deuxième partie de ce compte-rendu, nous faisons le choix de revenir sur certains éléments de la conférence de Philippe Péaud qui ont été repris, et largement discutés au cours du séminaire, après toutefois une succincte présentation de ce qu’est l’EdE.

L’EdE est une technique d’entretien qui vise la verbalisation de l’action en tant que source d’information importante, « connaissance autonome » en partie non consciente et implicite, en cherchant à la rendre explicite. La verbalisation de l’action n’est pas habituelle et nécessite un accompagnement précis, modélisé par Pierre Vermersch (1994), pour explorer les différents vécus de l’action et ses informations satellites. L’EdE est conçu comme un entretien de recherche, mené de bout en bout à l’aide des techniques développées dans son ouvrage, mais ces techniques peuvent également être utilisées de manière ponctuelle dans un autre type d’entretien à visée exploratoire. C’est à ce titre que la réflexion a été engagée autour de l’utilisation de techniques issues de l’EdE dans le cadre des APP.

Parcourons quelques-unes de nos réflexions.

2.1 Place de ces techniques dans la phase de questionnement

Les techniques issues de l’Entretien d’Explicitation trouvent leur place dans la phase de questionnement. Nous avons vécu deux APP durant lesquelles nous avons essayé d’utiliser quelques techniques avec de nombreux temps méta. De ce fait, les APP ont été interrompues après la phase de questionnement. Nous restons sur plusieurs interrogations : est-ce que l’analyse est différente si le questionnement utilise les techniques d’EdE ? Les hypothèses sont-elles mieux centrées sur la pratique de l’exposant ?

2.2 La centration sur l’action

La centration sur l’action de l’exposant requiert un changement de grille de lecture. Se basant sur les satellites de l’action modélisés par Vermersch (1994, p45), on questionne le procédural (les savoirs pratiques, le déroulement des actions), le contexte (les circonstances, l’environnement), le déclaratif (les savoirs théoriques et procéduraux), l’intentionnel (les buts, finalités, intentions) et les jugements (les évaluations subjectives, opinions, croyances).

Dans le modèle de l’action présenté par Philippe sont investiguées la prise d’information, l’interprétation, la prise de décision et l’exécution. Cette exploration des quatre éléments du modèle de l’action a pour conséquence que les questions sont inhabituelles, différentes. Elles insistent sur certains aspects de l’action pouvant mettre l’exposant dans un certain inconfort face à un questionnement très précis.

2.3 Analyse de l’action ou de la pratique ?

Comment distinguer l’analyse de l’action de l’analyse de la pratique ? Et comment choisir l’action à analyser, le focus ? Il ressort des discussions que l’analyse de l’action devrait être une partie de l’analyse de la pratique. Le moment à analyser doit contenir une action, vécue par l’exposant, qui s’est déroulée à un moment précis et qui paraît importante, voire déterminante, dans sa pratique. La métaphore du focus ou de la loupe que l’on dirige sur un moment spécifié nous paraît pertinente pour illustrer ce moment spécifié qui sera explicité.

2.4 Vers un juste milieu

Quelle place accorder au questionnement EdE dans une APP ? Il s’agit de trouver le juste milieu pour l’exposant mais aussi pour les participants. L’utilisation de techniques issues de l’EdE est un processus difficile, un questionnement inhabituel, qui nécessite un apprentissage pour faire verbaliser les schèmes d’action, les organisateurs de la conduite.

Un autre rythme s’installe, il s’agit, comme le dit Vermersch, de « savourer les effets des questions », de ralentir le rythme, de laisser la place au silence. Car pour accompagner l’exposant à évoquer son action, condition sine qua non pour qu’il parvienne à se remémorer ce qui avait échappé à sa conscience, les questions doivent être posées en tenant compte de leur effet perlocutoire. À titre d’exemple, demander « pourquoi » l’exposant a fait telle ou telle action entraîne de manière immédiate une sortie d’évocation, car il cherchera à justifier son action et il fera intervenir le raisonnement.

Au-delà de l’aspect technique du questionnement, comment faire pour ne pas exclure le groupe lors d’une séquence de type EdE ? Nous parvenons à la conclusion que l’idéal serait de ne pas « faire un EdE » mais de s’approcher de cette zone, de colorer l’APP avec un questionnement de l’évocation. Le questionnement de type EdE ne serait ainsi pas un moment particulier dans une APP mais émaillerait la phase de questionnement. Cela nécessite pour l’animateur d’être à l’affût des moments susceptibles d’être questionnés avec des questions de type EdE.

2.5 Quel cadre ?

Alors quel cadre pour pouvoir intégrer les outils de l’EdE ? De longues discussions ont lieu autour de l’accord nécessaire de l’exposant à une exploration de type EdE, donc autour de l’alliance entre l’exposant et l’animateur. Comment et quand demander son accord ? Faut-il annoncer l’utilisation de techniques issues de l’EdE au début de la séance d’APP lorsqu’on pose le cadre ? Ou est-ce que le fait de donner son accord pour une APP implique l’accord pour une exploration de type EdE ? En EdE, c’est une règle déontologique que de demander l’accord explicite de l’interviewé, voire de le lui redemander à une ou plusieurs reprises durant la séance. Comment concilier cette exigence avec une APP ?

2.6 Vers une formation aux techniques de l’EdE pour l’APP ?

Comment intégrer dans un processus d’APP la formation des participants aux techniques de l’EdE ?  Nous avons établi que le questionnement de type EdE est inhabituel et qu’il nécessite clairement un apprentissage. Dès lors, comment faire avec des groupes que l’on ne voit qu’une ou deux fois, ou de manière très espacée ? Comment faire avec des participants qui peineraient à comprendre les concepts théoriques indispensables à la maîtrise des techniques issues de l’EdE ?  Une formation par l’exemple peut-elle suffire ?

3. Conclusion 

En fin de séminaire, nous voyons des avantages à l’intégration de techniques d’EdE dans le questionnement en APP, car nous avons expérimenté l’émergence de la conscience de l’action lors des deux APP vécues, ce qui a été très enrichissant pour les participants.

Ce séminaire n’a cependant pas pu répondre à toute notre curiosité liée à nos interrogations très concrètes sur la mise en place des techniques ou à notre questionnement sur les bénéfices / difficultés que peut représenter dans notre pratique d’animation le fait d’oser introduire des temps particuliers, des techniques spécifiques pour analyser différemment les pratiques des professionnels participant à nos APP.

Au-delà de la question de l’EdE et au moment de conclure ce compte-rendu, nous avons envie de revenir à l’APP avec quelques considérations plus générales que nous choisissons de garder en tête :

  • La posture de l’animateur est toujours susceptible d’être modifiée, par exemple lors d’un bout d’EdE dans une phase de questionnement,
  • « On ne pose pas la question pour avoir la réponse mais pour que l’autre se pose la question» est une posture de questionnement indépendante de l’EdE qui fait parfois défaut dans nos APP,
  • Nous retenons le ralentissement induit par l’EdE, la place du silence pour nous en souvenir dans nos animations,
  • La stimulation que représente l’expérimentation d’une nouvelle technique d’entretien ou d’animation nous ressource et nous motive, et les participants à nos groupes d’APP en profitent aussi…

Au plaisir de vous retrouver nombreux les 14 et 15 mai 2022, le thème de la rencontre sera communiqué ultérieurement.

Référence bibliographique

Vermersch, P. (1994). L’entretien d’explicitation. ESF Éditeur.

Annexe

Vade-mecum utile en APP pour explorer, analyser l’action

Ce vade-mecum a été réalisé durant le séminaire du GFAPP des 26 et 27 juin 2021. Il s’agit de notes prises sur le vif afin de garder une trace précise tant des directions à donner au questionnement que des formulations possibles. Ce sont des suggestions et non un modèle.

A.   Décrire 

1.   Questionnement lié à la perception :

  • Où es-tu ? Que vois-tu ? Qu’est-ce que tu entends ?
  • Quelles manifestations physiques as-tu observées chez … ?
  • Qu’est-ce que tu as observé chez toi comme manifestations physiques ?

2.   Questionnement lié à la proprioception :

  • Posture ? Attitude ? État physique ?

3.   Questionnement lié à l’état mental : attention à ne pas basculer dans les émotions ou la rationalisation !

  • A quoi es-tu attentive ?
  • Sur quoi portes-tu ton attention ?
  • Décrire les effets de… et non pas l’émotion ou la pensée.
  • A quoi tu vois que… ?

4.   Questionnement lié à la verbalisation :

  • Comment as-tu formalisé ? Reformulations, précisions liées à la sémantique > Quand tu dis « sauver », qu’est-ce que ça veut dire pour toi ? Quand tu dis ça, tu dis quoi ?

5.   Questionnement lié à l’émotionnel :

Il est évoqué la question suivante : devons-nous nous questionner sur les émotions, ce qui n’est pas recherché en EdE ?

B.   Interprétation et/ou dialogue intérieur

  • Comment tu sais que… ?
  • A quoi tu vois que… ?
  • Qu’est-ce qui te montre que le groupe est d’accord… ?
  • Quand tu as vu ça…, qu’est-ce que tu t’es dit ?
  • Qu’est-ce que tu te dis… ?
  • Qu’est-ce qui te fait penser, dire que…  > Attention : lorsque nous incitons notre interlocuteur à penser, il s’engage dans une rationalisation !
  • Veiller à ce que le discours reste conjugué au présent, et non au passé !

Attention : tout le monde ne mène pas un dialogue intérieur ! Penser aux images, aux sons…

C. La prise de décision

  • A ce moment-là, qu’est-ce que tu fais ?
  • Et juste avant ?
  • Et juste après ?

Attention aux rationalisations, au construit.

D.  Exécution

  • Et quand tu fais ça, qu’est-ce que tu fais ?

E.   Points de vigilance retenus

  • Ralentir le discours, les silences, faire appel à la mémoire autobiographique, remémoration plutôt que rationalisation,
  • Repérer les moments du discours de l’exposant propices pour un bout d’explicitation,
  • Le cadre : parler des techniques utilisées, de l’objectif poursuivi par ces différentes techniques. Cela peut se faire avant l’APP, ou lors d’un moment propice qui pourrait être questionné avec les outils de l’EdE,
  • Inciter à revivre un moment de la situation : appel aux sens (vue, ouïe…).  Faire parler au présent, laisser le temps, laisser des silences, parler en « je », reprendre les termes mêmes de l’auteur, interrompre pour ralentir, faire enrichir les descriptions, utiliser les formulations vides de sens.

 


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