Nancy Lauzon

Professeure, Université de Sherbrooke

nancy.lauzon[arobase]usherbrooke.ca

Michel Desjardins [1]

Psychologue organisationnel, formateur d’animateur de groupe de codéveloppement et coach, Montréal

micheldesjardins22[arobase]videotron.ca

sumé

Cet article témoigne d’une démarche de codéveloppement menée dans le cadre d’un cours obligatoire de niveau Master offert dans une université québécoise à des gestionnaires du milieu de l’enseignement. Il traite des processus d’apprentissage associés à cette démarche de formation par et avec les pairs. À l’aide d’une étude de cas inspirée de situations vécues, l’article décrit comment le questionnement orienté suivant trois perspectives complémentaires – la problématique, la pratique professionnelle du participant et l’environnement organisationnel – est utilisé pour permettre aux participants de mieux saisir la dynamique de management en jeu. Une attention est portée aux questions incitant les participants à explorer leur pratique professionnelle et certains déterminants de celle-ci, à savoir leurs représentations et leurs intentions.

Mots-clés 

codéveloppement professionnel, managers, gestionnaires, milieu de l’enseignement

Catégorie d’article 

Texte de réflexion en lien avec des pratiques

Référencement 

Lauzon, N. & Desjardins, M. (2018). Analyse de la pratique dans un groupe de codéveloppement, In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 14, pp. 63-73. http://www.analysedepratique.org/?p=3186.


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Analysis of professional practice in a co-development group  
Abstract

This article reflects a co-development process conducted as part of a mandatory Master’s level course, offered at a Quebec university to managers in the educational field. It discusses the learning processes associated with this training approach by and with peers. Using a case study inspired by real-life situations, the article describes how questioning from three complementary perspectives – the problem, the participant’s professional practice and the organizational environment – is used to enable participants to better understand the management dynamics at stake. Attention is paid to questions that encourage participants to explore their professional practice and some of its determinants, namely their representations and intentions.

Keywords

professional co-development group, managers, educational community


 

1. Contexte et dispositif de formation

Cette activité de formation d’une durée totale de quatre jours fait partie d’un cours obligatoire de 45 heures de niveau Master en gestion de l’éducation, offert à des classes d’environ 15 directrices et directeurs et directrices et directeurs adjoints d’établissement à l’emploi d’une commission scolaire[2] ou d’un collège privé du Québec depuis au moins cinq ans. Le but de cette activité est d’initier ces managers à la pratique du codéveloppement pour les sensibiliser à l’apport de cette forme d’apprentissage au regard de leurs pratiques professionnelles. Elle tire principalement son origine de l’action learning et des travaux sur l’apprentissage dans et par l’action (Revans, 1982) et d’une approche développée au Québec par Payette et Champagne (1997), soit le groupe de codéveloppement professionnel. Le Groupe de codéveloppement professionnel vise essentiellement deux objectifs : s’entraider et apprendre. Il est largement utilisé dans divers milieux dans le monde francophone. Les personnes qui font partie d’un tel groupe (de quatre à huit participants) se réunissent de façon régulière pour améliorer leurs pratiques professionnelles. Elles apprennent à partir de préoccupations professionnelles (projets, problèmes, enjeux) que vivent les participants. Chacun accepte d’y être apprenant et enseignant[3], et l’expérience de chacun devient une ressource pour tous. L’approche comporte un exercice structuré de consultation en six étapes où, à tour de rôle, chacun prépare et présente une facette de sa pratique.

Les six étapes d’une séance de consultation sont :

  • L’exposé de la situation par un participant.
  • La clarification.
  • Le contrat de consultation.
  • Le partage des réflexions, analyses et suggestions.
  • Le plan d’action.
  • Les apprentissages.

Ce processus ne se termine pas avec les six étapes, puisque chacun pourra mettre en action ses apprentissages. De plus, à la rencontre subséquente, un retour est fait sur le plan d’action et sur les apprentissages réalisés dans l’action. Lors de la séance de codéveloppement, les participants procèdent donc à l’analyse de la situation exposée dans une perspective de compréhension systémique, de recherche de solutions adaptées et d’apprentissages individuels et collectifs. La démarche de codéveloppement est souvent comparée à un processus de résolution de problème, mais elle s’en distingue grandement par les règles qui orientent la dynamique du groupe vers une forte collaboration et par la grande importance accordée aux réflexions et aux apprentissages individuels et collectifs, dont une partie de ceux-ci a trait à leur pratique professionnelle.

2. Des problématiques professionnelles comme amorce

La méthode de codéveloppement préconise de partir d’un problème, d’un projet ou d’une préoccupation professionnelle, sachant que pour les auteurs (Payette et Champagne, 1997), le fait pour un manager[4] de se baser sur une situation vécue qui l’interpelle a une forte incidence sur sa motivation et sur son ouverture à analyser et à remettre en question ses modèles mentaux et ses cadres d’action. L’activité de formation débute en demandant à chacun des participants de présenter une situation problématique rencontrée dans l’exercice de ses fonctions. Au fil du temps, nous avons constaté que les situations évoquées sont souvent considérées par les participants comme étant « sans solution », les tentatives passées pour les régler ayant été infructueuses. Ce sont aussi des situations perçues la plupart du temps comme étant très complexes, à savoir qu’elles touchent plusieurs aspects organisationnels. Certains participants mentionnent à ce propos qu’ils ne savent pas trop « par quel bout prendre le problème », compte tenu, par exemple, du nombre d’acteurs touchés et de leur rôle (collègues, parents, service des ressources humaines, syndicat, etc.).

Ces situations peuvent de plus comporter des enjeux stratégiques, dont la crédibilité de la direction, la réputation de l’établissement, l’intégrité du personnel ou des élèves, le climat de travail et la réussite éducative. Nous avons par ailleurs constaté que la grande majorité de ces situations sont associées à la gestion d’employés sous la responsabilité des participants : problèmes de performance, de non-respect des normes et des valeurs professionnelles ou organisationnelles ou, encore, refus de se conformer à l’autorité. Certains participants expriment plus ou moins formellement un sentiment d’incompétence ou d’impuissance à l’égard des situations qu’ils évoquent. Dans quelques cas, beaucoup d’émotions accompagnent la présentation du problème : cristallisation, découragement, « cul-de-sac » et nœud sont parmi les termes utilisés par les participants pour verbaliser ce qu’ils ressentent.

3. Objectifs poursuivis au regard de l’intelligence collective

Par cette activité de formation, nous visons à favoriser une synergie grâce à laquelle les participants vont s’engager activement non seulement dans l’analyse de leurs propres pratiques professionnelles par rapport à une situation problématique qu’ils ont choisie, mais également dans l’analyse de situations amenées par leurs collègues, au sein de groupes de codéveloppement formés de quatre ou cinq participants. Plus concrètement, la démarche que nous privilégions entend favoriser le développement de trois processus principaux et complémentaires : a) l’analyse structurée d’une situation problématique choisie par le participant et de sa pratique professionnelle quant à celle-ci, b) l’élaboration de stratégies à partir d’un élargissement des perspectives considérées pour dénouer cette situation et choix d’indicateurs pour les évaluer et, enfin, c) l’évaluation de l’efficacité de ces stratégies à la suite de leur expérimentation. Comme l’illustre la Figure 1, ces processus favorisent des apprentissages individuels et collectifs spécifiques. Nous intégrons donc dans chacun d’entre eux une activité qui permet de prendre un temps de recul pour que les participants puissent individuellement et collectivement réfléchir et rendre compte de l’émergence de ces apprentissages. La démarche intègre aussi des moments de réflexion pour que les participants examinent les relations entre ces processus afin d’évaluer leur degré de cohérence. Enfin, elle favorise la mise en place d’une boucle d’amélioration continue en ce qui concerne la pratique professionnelle des participants.

Figure 1 – Les processus en action en groupe de codéveloppement

4. Démarche de codéveloppement

Les différents ancrages de la démarche favorisent selon nous l’émergence d’une synergie qui contribue à créer une intelligence collective au sein des groupes.

4.1 Phase de préparation : apprivoiser la démarche, s’apprivoiser les uns les autres et amorcer un dialogue

Cette phase de préparation se déroule en deux temps. D’abord, chaque participant est invité à préparer la présentation de la problématique qu’il souhaite travailler en groupe de codéveloppement. Pour ce faire, une série de questions est proposée ; ces dernières touchent par exemple la problématique et ses répercussions actuelles et potentielles (perçues ou réelles), les raisons pour lesquelles le participant désire dénouer cette problématique, les actions posées jusqu’à présent (s’il y a lieu) et leur incidence, ainsi que les caractéristiques du contexte qui semblent significatives au regard de cette problématique (historique, valeurs, normes informelles, enjeux de pouvoir ou autres). Les participants utilisent notamment le référentiel de Bolman et Deal (1996) (lectures structurelle, humaine, symbolique, politique) et l’auto-appréciation de leur sentiment d’empowerment (Thomas et Velthouse, 1990)[5].

Ensuite, les participants suivent un atelier sur l’écoute active et le questionnement. De plus, ils s’approprient les principes de fonctionnement du codéveloppement et déterminent ensemble les règles qui les guideront dans leur démarche (p. ex., bienveillance, authenticité, ouverture, jugement constructif, confidentialité).

Cette étape préparatoire vise ainsi à permettre aux participants de se familiariser avec la démarche de codéveloppement, de se connaître les uns les autres et de jeter les bases d’une amorce de dialogue. Cette étape permet également à chacun de s’approprier un cadre préliminaire pour analyser une problématique de gestion et sa pratique professionnelle.

4.2 Trois processus collectifs au cœur de la démarche

Comme nous l’avons mentionné, la démarche s’articule autour de trois processus principaux et complémentaires (voir figure 1 ci-dessus).

4.2.1 Analyse structurée d’une problématique et de sa pratique professionnelle

La mise en situation qui suit vise à illustrer ce premier processus. Charles[6] est directeur adjoint d’un centre de formation professionnelle. Voici un extrait de la présentation de la situation problématique qu’il fait à ses collègues :

Mon problème, c’est un enseignant : Alain. Il crie après ses élèves, traite certains de bons à rien. Il considère que les échecs d’apprentissage sont attribuables au manque de motivation des élèves. Je suis allé le rencontrer la semaine dernière pour lui parler, car deux élèves étaient venus à mon bureau pour se plaindre de lui. J’ai dit à Alain qu’il fallait que ça change. Il a refusé d’admettre ses torts. Il m’a confronté en me disant que c’est lui le prof, et pas moi, et que je ne connais rien de la matière qu’il enseigne ! Il a même eu le culot de me sortir l’histoire de l’autonomie professionnelle ! Le ton a vite monté. Je suis parti parce que je sentais la colère croître. En fait, je bouillais ! Ce n’était pas la première fois qu’on s’accrochait, lui et moi. Alain, c’est un entêté, une « personnalité difficile ». J’ai l’impression qu’il n’y a rien à faire avec lui, à part attendre qu’il prenne sa retraite, et cela me met hors de moi ! 

À la suite de la présentation de Charles, ses collègues sont invités à lui poser des questions s’appuyant sur trois perspectives principales et complémentaires, à savoir : 1) la problématique (les faits), 2) la personne qui soumet le problème et 3) le contexte dans lequel le problème se situe. Lors de cette analyse collective de la problématique de Charles, chaque participant est invité à poser des questions selon ces perspectives. En utilisant nous-mêmes le questionnement à certains moments, nous nous assurons que ces perspectives sont traitées par le groupe au cours de l’exercice.

Trois objectifs principaux sont ici visés. Les deux premiers sont liés au développement de compétences associées à l’analyse d’une situation problématique, individuellement et en groupe. Ainsi, le premier objectif vise l’appropriation d’un cadre pour poser des questions liées à une problématique de gestion et le deuxième, la maîtrise de questions relatives à chacune des trois perspectives. Le troisième objectif vise davantage à permettre à la personne qui soumet le problème d’acquérir une meilleure connaissance de soi et de réfléchir à ses pratiques managériales. Cette « prise de conscience » peut toucher différents aspects. Le participant peut par exemple constater qu’il privilégie une perspective lorsqu’il analyse une problématique, négligeant les deux autres. Dans certains cas, quand le groupe atteint un certain degré de maîtrise du questionnement, cela peut aussi permettre au participant de mieux saisir les valeurs, croyances ou modèles mentaux qui influencent ses pratiques professionnelles.

Une première perspective à explorer : la problématique

Ses collègues posent donc à Charles des questions d’éclaircissement sur la situation problématique en tant que telle : s’agit-il d’un problème nouveau, circonstanciel, ou date-t-il de plusieurs années ? Alain est-il le seul enseignant avec lequel tu rencontres des problèmes de ce type ? Quelles sont ses forces, selon toi ? Quelle est l’expérience d’Alain comme enseignant ? Comment est-il perçu par les autres enseignants ? Comment Alain décrit-il les problèmes actuels? Combien de temps te donnes-tu pour résoudre cette situation? Qu’arrivera-t-il si tu ne fais rien?

Une deuxième perspective à explorer : la pratique professionnelle de Charles

Ces questions d’éclaircissement permettent de mieux cerner le problème de gestion auquel Charles est confronté et d’ouvrir de nouvelles perspectives d’analyse. Toutefois, pour aller plus loin dans cet apprentissage et permettre à ce dernier d’analyser sa pratique professionnelle au regard de ce type de problématique, il nous apparaît nécessaire de l’inviter à se questionner non seulement sur sa pratique, mais aussi sur certains déterminants qui l’orientent. En fait, nous voulons permettre à Charles d’explorer son modèle d’action et cela notamment en vue de mettre au jour deux types principaux de déterminants, à savoir ses représentations et ses intentions qui orientent ses interventions. Pour ce faire, nous nous appuyons sur le modèle développé par Bourassa, Serre et Ross (2007) étant donné qu’il propose une articulation de ces déterminants, comme l’illustre la Figure 2. Ces représentations peuvent référer à des croyances, des valeurs, des émotions ou encore à des attitudes liées à la problématique énoncée. Par exemple, Charles pourra réaliser au cours de la démarche de questionnement qu’il est convaincu qu’il n’y a rien à faire avec un employé[7] comme Alain et que, de ce fait, il a jusqu’à présent plutôt réagi émotivement en utilisant des stratégies inefficaces. Débusquer sa croyance (il est impossible d’agir avec Alain) pourra lui permettre de s’extirper de sa relative paralysie et de le motiver à entreprendre une démarche de supervision en allant chercher des conseils auprès de collègues et du service des ressources humaines de sa commission scolaire. Quant à ses intentions, elles font référence aux effets, aux buts de Charles lorsqu’il intervient dans cette situation de gestion. Ces intentions, qui ne sont pas nécessairement toujours en cohérence, peuvent par exemple viser soit Alain, soit la situation problématique en tant que telle, soit lui-même comme manager. Par exemple, il pourra réaliser au fil du questionnement de ses collègues qu’il désire à la fois se faire respecter par Alain, améliorer la réussite des élèves de ce dernier et, tout aussi important, asseoir sa crédibilité auprès de l’ensemble de l’équipe-école.

Vu notre objectif, nous invitons les participants à avoir recours à certains moments à des « questions puissantes ». Globalement, nous faisons ici référence à des questions ouvertes, simples, courtes et porteuses de sens qui peuvent être éclairantes pour la personne et qui touchent des enjeux importants pour elle. Certains diront que ces questions « dont on n’a pas la réponse » sont souvent inattendues et surprenantes pour le récepteur, du fait qu’elles l’amènent à porter son attention hors de l’espace problème, d’où le fait que certains les désignent aussi comme des sortes d’ouvre-boîte[8].

Figure 2 – Structure et dynamique du modèle d’action (Bourassa et al., 2007, p. 61)

Ainsi, les membres du groupe interrogent le participant qui vit ce problème sur ses pratiques de gestion (actions), ses façons de réfléchir (analyse, valeurs, croyances, processus de prise décision) et son ressenti (émotions). Dans le cas de Charles, les membres de son groupe lui soumettent un certain nombre de questions parmi les suivantes : quelles sont tes attentes à l’égard d’Alain ? En quoi est-ce important pour toi de gérer cette situation avec ce dernier ? Quel est ton degré de motivation et d’énergie pour la régler, sur une échelle de 1 à 10 ? Quels sont tes enjeux personnels par rapport à cette situation ? Sur quoi te bases-tu pour considérer qu’il y a un problème ? Qu’est-ce qui te permet de croire qu’Alain connaît et comprend tes attentes ? Est-ce la première fois, comme directeur adjoint, que tu es confronté à ce type de problème ? Comment as-tu réagi et de quelle façon as-tu géré des problèmes similaires par le passé ? Qu’est-ce qui te met en colère par rapport à Alain ? Dans ta vie, comment procèdes-tu pour gérer des émotions intenses comme la colère ? Est-ce qu’un trait particulier de la personnalité et des façons d’être d’Alain suscite une réaction chez toi ? Qu’es-tu prêt à changer chez toi ? Cette situation et toi dans la situation, à quoi ça te fait penser ? Quelle métaphore ? Quels sont tes besoins dans cette situation ? Qu’est-ce qui te fait hésiter ?

Une troisième perspective à explorer : l’environnement organisationnel

Finalement, les membres du groupe ont pu poser à Charles un certain nombre de questions parmi les suivantes sur l’environnement organisationnel : quelles sont les attentes de la direction de l’établissement à l’égard de la gestion de ce type de problématique ? Comment ces attentes sont-elles communiquées et auprès de qui ? Quel soutien les enseignants peuvent-ils recevoir lorsqu’ils éprouvent des difficultés relatives à leur prestation de travail ? Quelles sont les pratiques organisationnelles actuelles lorsqu’un enseignant ne répond pas aux attentes dans ton établissement ? Alain a-t-il un certain pouvoir d’influence au sein de l’établissement ? Qui sont tes alliés, tes opposants par rapport à cette situation ?

Somme toute, l’exercice va offrir à Charles l’occasion de revoir la façon dont il se représente la problématique et, dans la foulée, de reconsidérer les actions qu’il a posées jusqu’ici. Ainsi, au cours de l’exercice, il va prendre conscience qu’il a jusqu’à présent négligé de s’interroger sur d’autres aspects que la personnalité et les comportements de l’enseignant qui le heurtent, dont ceux relevant de ses propres pratiques de gestion. Au terme de cet exercice de clarification et de questionnement collectif, la problématique est revisitée à l’étape 3 de la démarche de codéveloppement (le contrat de consultation) pour mettre en relief les relations entre Charles, les autres acteurs touchés à des degrés divers par cette problématique, dont Alain, et certaines particularités du contexte (p. ex., valeurs, normes de fonctionnement, enjeux politiques). La problématique est envisagée désormais comme une dynamique organisationnelle qui inclut Charles en tant qu’acteur ayant un pouvoir sur la situation.

De façon plus générale, ces questions peuvent être vues par les participants comme étant autant d’invitations à analyser et à remettre en question certaines de leurs propres pratiques professionnelles et les fondements sur lesquels elles s’appuient. Dans certains cas, elles peuvent les amener à prendre conscience de certains blocages qui les incitent à faire de l’évitement, par exemple, et à ne pas agir, souvent de peur de blesser, de décevoir et de ne plus être aimé par le personnel de l’établissement. Dans d’autres cas, ces questions permettent de se libérer d’un sentiment de culpabilité, de l’impression de manquer de courage. Enfin, en ce qui concerne les collègues qui accompagnent le participant, plusieurs témoignent au groupe qu’ils sont amenés à revisiter leurs propres pratiques professionnelles au regard de problématiques semblables auxquelles ils sont confrontés.

4.2.2 Élaboration de stratégies d’action

La quatrième étape du processus de codéveloppement vise à proposer une grande variété de réflexions, d’analyses, de questionnements, de pistes d’action, de partages d’expériences, de références, etc. Ces différentes propositions par les consultants membres du groupe sont issues des savoirs d’expérience et des connaissances théoriques acquises dans le cadre de leur formation. Les participants communiquent leurs propositions en cherchant à être le plus utile possible à la personne qui présente sa situation et en prenant en considération ses attentes. L’idée n’est surtout pas d’imposer des solutions, mais de suggérer des pistes d’action et de nouvelles perspectives afin que le participant puisse élaborer de nouvelles stratégies.

La cinquième étape du processus de codéveloppement est celle de la synthèse et de l’ancrage dans l’action des différentes prises de conscience, analyses et propositions qui ont du sens pour la personne qui présente sa situation. À la lumière des nombreuses réflexions, suggestions et expériences partagées, Charles établit son plan d’action : mener une analyse plus rigoureuse de la situation et rencontrer Alain afin de lui communiquer ses attentes. Charles retient certains savoirs d’expérience tirés de la gestion d’enseignants en difficulté et décide de modifier sa pratique managériale pour mieux gérer ses émotions (p. ex., pratiquer la respiration profonde avant la rencontre, faire de la visualisation positive, choisir un moment et un lieu propice où tenir la rencontre, se préparer adéquatement, éviter le piège de la justification et de la perte de contrôle de ses émotions). Il note aussi l’existence d’outils de gestion avec lesquels ses collègues ont travaillé lors d’une formation antérieure portant sur la gestion des ressources humaines. Il s’engage enfin à s’assurer de vérifier auprès de son supérieur hiérarchique les attentes de ce dernier, sa marge de manœuvre et le soutien dont il dispose.

Une des caractéristiques principales de la méthode de codéveloppement, c’est qu’elle engage chaque participant qui aide un collègue à s’interroger aussi sur ses propres pratiques professionnelles. Cela se fait tout au long des six étapes de la démarche, mais cela se produit de façon plus formelle à la sixième étape de chaque séance de codéveloppement, alors que chacun note et partage ses réflexions, ses apprentissages et même ses engagements à revoir ses propres pratiques managériales et professionnelles.

L’exercice incite également Charles à entrevoir les conséquences possibles de ses interventions sur le climat de travail ainsi que sur ses relations avec les autres enseignants de son secteur, ses collègues gestionnaires et son supérieur. Enfin, Charles s’interroge sur les indicateurs qui pourraient lui permettre par la suite d’évaluer son intervention. Ces indicateurs ont par exemple trait au contrôle de ses émotions, à la qualité de sa relation avec Alain, à la conduite d’une rencontre sur l’expression des attentes et à l’amélioration de la prestation de travail d’Alain, s’il y a lieu.

4.2.3 Évaluation de l’efficacité de ces stratégies

Le troisième processus a lieu à la suite de l’expérimentation de la stratégie retenue par chacun des participants. Il incite le participant à évaluer l’efficacité de la stratégie qu’il a mise en œuvre pour faire face à la situation problématique. Au préalable, chaque participant est invité, à l’aide d’une série de questions, à se demander dans quelle mesure il a mis en œuvre la stratégie planifiée et à déterminer les raisons qui expliquent le résultat obtenu. Par la suite, le participant évalue l’efficacité de la stratégie employée à la lumière des indicateurs énoncés précédemment. Enfin, chaque participant présente aux membres de son groupe les résultats de son évaluation, généralement lors d’une rencontre subséquente tenue de quatre à six semaines plus tard. Les autres membres sont alors invités à poser des questions au participant et à lui offrir de la rétroaction sur sa démarche d’évaluation.

5. En conclusion : les leçons tirées de cette expérience

En cours depuis quatre ans, la démarche présentée ici nous a permis de tirer un certain nombre de leçons et de faire des apprentissages dans l’action et sur nos méthodes pédagogiques. D’abord, les pratiques de gestion des directions d’établissement peuvent s’améliorer grandement par la réflexion, le partage d’expériences et l’expérimentation de nouvelles attitudes ou habiletés inspirées des pratiques et enseignements de collègues. Ensuite, le succès ou la performance d’un manager ou d’un gestionnaire est influencé par un grand nombre de facteurs, l’un des plus déterminants étant sûrement la personne elle-même. La connaissance de soi, de ses modèles mentaux, de ses paradigmes et de ses modèles d’action aide un individu à comprendre ses pratiques actuelles et à déceler ce qu’il serait opportun de changer pour s’adapter à la complexité de l’environnement ou pour mieux relever des défis. Enfin, une méthode d’analyse de pratique telle que celle du groupe de codéveloppement professionnel permet d’acquérir ou de perfectionner un certain nombre d’habiletés fondamentales comme humain, comme manager ou gestionnaire : l’écoute véritable, le questionnement puissant, la rétroaction, l’humilité, en demandant de l’aide de ses pairs, et le détachement à l’égard des idées préconçues, en proposant des réflexions à des collègues.

Références bibliographiques

Bolman, L. G. & Deal, T. F. (1996). Repenser les organisations : Pour que diriger soit un art. Paris : Maxima.

Bourassa, B., Serre, F. & Ross, D. (2007). Apprendre de son expérience. Québec : Presses de l’Université du Québec.

Payette, A. & Champagne, C. (1997). Le groupe de codéveloppement professionnel. Québec : Presses de l’Université du Québec.

Revans, R. W. (1982). The Origins and Growth of Action Learning. Browley : Chartwell-Bratt.

Thomas, K. W. & Velthouse, B. A. (1990). Cognitive Elements of Empowerment: An “Interpretative” Model of Intrinsic Task Motivation. Academy of Management Review, vol 15, 4, pp. 666-681.

 

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Notes

 

[1] Michel Desjardins a été le président fondateur de l’Association québécoise du codéveloppement professionnel de 2011 à 2016 (www.aqcp.org).

[2] Le terme commission scolaire fait référence à l’organisme régional responsable de la gestion des établissements scolaires d’un territoire déterminé.

[3] Le terme « Enseignant » réfère ici à la capacité des participants de transmettre des savoirs d’expérience ou des savoirs théoriques ou conceptuels qui ont été généralement utiles dans la pratique professionnelle.

[4] La pratique du codéveloppement professionnel est utilisée pour différentes catégories d’emploi. La présente expérience porte sur des managers.

[5] Une formation est offerte aux participants afin de leur permettre de se familiariser avec ces référentiels.

[6] Charles est un nom fictif et la situation présentée a été élaborée à partir de différents cas rencontrés lors de séances de codéveloppement professionnel.

[7] Terme employé dans le contexte québécois et lié à la fonction de gestionnaire en exercice.

[8] Voir : https://www.orygin.fr/coaching-individuel/question-puissante/