Patrick Robo

Formateur-consultant, Béziers
patrick.robo[arobase]laposte.net


Résumé

Dans cet article, j’apporterai un regard sur l’actualité de l’APP telle que je la perçois à travers mes contacts, lectures et interventions notamment dans les milieux de l’Éducation nationale et de la Santé. Qu’en est-il précisément de sa présence dans les textes en vigueur relatifs à la formation ? Après avoir signalé différents types d’analyse, d’objets d’analyse et d’objectifs, j’indiquerai les modalités les plus citées ou mises en œuvre aujourd’hui. J’évoquerai aussi la modalité que je développe majoritairement, le Groupe de Formation à et par l’analyse de pratiques professionnelles (GFAPP). Enfin je soulignerai la nécessité de prudence et de clairvoyance indispensables à l’APP en listant quelques précautions qui me paraissent incontournables pour le développement efficient de ce processus de formation au service des acteurs.

Mots-clés 

modalités, injonctions, Santé, formation, institution

Catégorie d’article 

Texte de réflexion en lien avec des pratiques

Référencement 

Robo, P. (2015). Une actualité de l’analyse de pratiques professionnelles en formation.
In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 5, pp. 48-59. http://www.analysedepratique.org/?p=1683


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L’analyse de pratiques professionnelles (APP)… serpent de mer, concept valise, effet de mode, perte de temps, investissement professionnalisant, psychanalyse groupale, outil de management, dispositif de formation, modalité d’accompagnement professionnalisant, réponse à des besoins non pris en compte par l’Institution, etc. Bien des allégations fondées ou non que l’on peut entendre quant à cet objet pas toujours bien identifié.

L’APP, on en parle, on en entend parler, des formateurs y font référence, des responsables institutionnels l’évoquent… mais quelles politiques de formation à cet effet sont développées ? Qui la met réellement et de manière efficiente en œuvre ? Quels dispositifs concrets et pertinents sont développés dans des programmes et plans de formations initiales et continues ? Avec quelles modalités, quels protocoles ? Avec quel(s) objectif(s) ? Pour quels types d’acteurs professionnels ? Quelles formations spécifiques de formateurs à cet effet ?

À cette première série de questions pourraient s’ajouter celles-ci entendues lors de formations1 : D’où vient ce concept ? À quelles théories des sciences humaines s’adosse-t-il ? Quels sont les différents courants d’APP ? Quelle légitimité pour mettre en œuvre de tels dispositifs, pour animer des ateliers, des groupes d’APP ? Existe-t-il une (des) certification(s) spécifique(s) ? Etc.

Cet article n’apportera pas des éléments de réponses2 à toutes ces questions mais il tentera par des éclairages et des questionnements, dans un premier temps d’apporter un regard sur la place de l’APP dans des injonctions de formation de l’Éducation nationale et des Instituts de Formation en Soins Infirmiers ; dans un deuxième temps il sera question de repères, de jalons sur l’actualité, de déclinaisons de l’APP ou de ce qui s’en rapproche avant d’inviter in fine à de la prudence et de la clairvoyance dans la mise en œuvre et/ou la participation à des dispositifs d’APP.

1. Des injonctions institutionnelles

1.1 Dans l’Éducation nationale

Que dit par exemple la circulaire de préparation de la rentrée 20143 concernant l’APP ? Elle stipule : « La formation doit rester une préoccupation de l’ensemble des échelons de pilotage concernés. Il convient d’aller davantage vers l’analyse de pratiques4 pour renforcer les compétences didactiques, les gestes professionnels des acteurs du dispositif ainsi que la formalisation des avancées à partir du projet. À l’échelon académique ou départemental, la mise en place d’une formation de formateurs, prenant appui sur l’ESPE5 est nécessaire. À l’échelon des circonscriptions, le suivi exercé par l’IEN6 et les conseillers pédagogiques prend appui sur des observations régulières de classes privilégiant ainsi l’analyse de pratiques. »

Dans le « dossier de rentrée 2014-2015 » du Ministère de l’Education nationale on pouvait lire que la formation en alternance permettra à chaque stagiaire « d’apprendre à analyser sa pratique pour l’améliorer au cours de l’année » et que « des groupes d’analyses de pratiques et des conférences de consensus réunissant étudiants, chercheurs et professionnels de l’éducation seront organisés. »

Ces intentions viennent en écho à une circulaire plus ancienne de 2001 intitulée « Accompagnement de l’entrée dans le métier et formation continue7 » qui évoque l’analyse de pratiques comme une démarche à privilégier, nécessitant une organisation particulière (étalement dans le temps, groupes restreints et travail de proximité), faisant appel à de fortes compétences et ne devant pas être confondue avec de simples échanges de pratiques. Elles viennent aussi en écho à un séminaire et à une Université d’automne (voir Actes DESCO, 2002 et Actes DESCO, 2003 en bibliographie) organisés par le  Ministère de l’Éducation nationale en 2002 et 2003 pour que l’APP se développe dans la formation des enseignants.

Plus d’une décade donc que la volonté existe ou du moins est affichée de développer et utiliser l’APP au service des professionnels de l’Éducation nationale… Force est de constater, que contrairement à d’autres milieux (Santé, Travail social, Petite enfance, Aides à domicile, etc.) cette démarche de formation accompagnante s’est peu répandue malgré un semblant de pic dans les années 2001à 2005, voire a été laissée de côté en formation initiale, et reste quasi inexistante aujourd’hui dans la formation continue de ces personnels, qu’ils soient professeurs des écoles, conseillers pédagogiques, maîtres formateurs, IEN, tuteurs second degré, Conseillers Principaux d’Éducation, Personnels de Direction, Inspecteurs d’Académie-Inspecteurs Pédagogiques Régionaux, etc. L’APP n’étant bien entendu pas réservée à des personnels débutants et/ou en difficulté comme certains le prétendent à tort.

Force est de constater également que très peu de formations à l’APP ont été mises en œuvre depuis toutes ces années pour des formateurs et des cadres de l’Éducation nationale. Par exemple l’ESEN8 après 2001 avait programmé dans son plan de formation des Inspecteurs et personnels de direction des passages obligés dédiés à des pratiques d’APP. Depuis peu ces temps-là ne sont plus programmés si ce n’est, à la marge, pour quelques personnels, peu nombreux, dans le cadre de leur formation continue.

1.2 Dans l’Enseignement supérieur

Au niveau des ESPE, les textes officiels ne sont pas prolixes quant à l’APP. Le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation9 n’évoque pas une seule fois le « savoir analyser sa pratique » comme compétence à acquérir. Il est simplement spécifié que l’enseignant doit « réfléchir sur sa pratique – seul et entre pairs – et réinvestir les résultats de sa réflexion dans l’action ».

Il est à remarquer au passage la régression entre ce référentiel de 2013 et celui de 1994 pour le premier degré, le « Référentiel des compétences professionnelles du Professeur des Écoles stagiaire  en fin de formation initiale »10 qui stipulait :

« C’est un enjeu fondamental de la formation initiale que de s’attacher à développer chez tous les futurs enseignants à la fois les capacités à analyser et à évaluer sa pratique professionnelle et le goût de poursuivre sa propre formation. Ceci implique que l’acquisition des compétences professionnelles se fasse selon des modalités qui permettent au stagiaire de prendre le recul nécessaire à l’analyse de son activité (analyse de son action, analyse du public destinataire, analyse du contexte dans lequel se situe l’action). (…) Il doit avoir été mis en situation d’analyser sa pratique individuellement et collectivement. »

À noter que la compétence « Réfléchir sur sa pratique » du référentiel de 2013 n’est pas synonyme d’analyser sa pratique. Il est tout à fait possible de réfléchir sur sa pratique ne serait-ce que pour l’anticiper mais sans forcément entrer dans une démarche d’analyse tournée vers la compréhension. Et, comme le précisent Jean Donnay et Evelyne Charlier (2008), on peut être un praticien qui réfléchit sur ses pratiques sans pour autant être un praticien réflexif capable d’adopter une posture d’extériorité et ainsi d’apprendre à partir d’une analyse réflexive de ses pratiques.

Pourrait alors se poser ici la question de savoir, en matière de formation initiale des enseignants, comment leur permettre d’acquérir et développer cette compétence les aidant à réfléchir sur et analyser leurs pratiques, seuls (auto-analyse) et entre pairs… d’autant qu’ils auront peu de chance de trouver une offre de formation continue des dispositifs d’APP. Ce qui au passage peut interroger l’incohérence d’un système dans lequel on montre en formation initiale l’intérêt d’analyser ses pratiques dans des groupes de pairs tout en sachant pertinemment qu’il n’existe pratiquement pas cette possibilité après la prise de fonction !

Par ailleurs, l’Arrêté du 27 août 2013 fixant le cadre national des formations dispensées au sein des masters « métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation »  (MEEF) évoque seulement deux fois l’APP en stipulant que :

  • « Le cursus de master « MEEF » intègre des stages d’observation et de pratique accompagnée, le cas échéant en milieu scolaire, des périodes d’alternance et des temps d’analyses de pratiques. » (Art. 6)
  • « La formation s’appuie sur une activité d’initiation à la recherche, qui permet de se familiariser avec les différents aspects de la démarche scientifique. L’activité de recherche doit, au-delà du contenu disciplinaire, permettre l’acquisition de compétences en lien avec le métier d’enseignant ou de personnel d’éducation, notamment par l’observation et l’analyse des pratiques professionnelles. » (Art. 7)
  • « Les stages donnent lieu à un temps de préparation, une phase d’accompagnement par le ou les tuteurs et une phase d’exploitation et d’analyse réflexive. » (Art. 11)

Reste à savoir selon l’article 6, comment sont organisés ces temps d’APP, par qui et comment, avec quels objectifs, quelles modalités.

Se demander également avec l’article 7 comment, dans l’activité de recherche est utilisée l’APP, mise en œuvre par qui et comment, et quelles acquisitions de compétences sont visées à travers ces démarches ?

Quant à l’article 11, il est question d’analyse réflexive sans préciser ce qui est analysé… une démarche didactique ? Une situation ? Une activité ? Une pratique ? Des pratiques ? Etc.

De manière plus générale, à la lumière de ce qui s’est fait (ou pas) dans les IUFM11, se pose aujourd’hui un triple questionnement au niveau des ESPE :

  • Quelle place réelle est dédiée à l’APP dans les plans de formation ? Place idéologique d’abord : les concepteurs des plans de formation sont-ils convaincus de l’intérêt de l’APP et font-ils des choix politiques et andragogiques permettant de la mettre en œuvre ? Place concrète ensuite : quelle durée dédiée aux temps d’APP, avec quelle organisation ? En même temps comment lever les obstacles et les freins au développement de l’APP (voir Lepage et Robo, 2014) ?
  • Déjà en 2002 le Directeur de l’enseignement scolaire, dans sa conclusion du séminaire précédemment cité, évoquait l’obstacle majeur au développement de l’APP dans les IUFM et en formation continue, à savoir le manque patent de formateurs formés à ces pratiques de formation et il insistait sur l’importance de mettre en œuvre des formations de formateurs en ce sens.
  • La question qui peut se poser aujourd’hui dans les ESPE est de savoir quels sont les formateurs, universitaires ou pas, qui ont été ou qui se sont formés aux pratiques d’APP avant de les proposer aux stagiaires en formation ?
  • L’autre questionnement est le suivant : quelles formations de formateurs à ces pratiques sont mises en œuvre et par qui, avec qui ? En effet un titre universitaire ou professionnel n’est pas la garantie d’une compétence en la matière… Combien de dégâts sont constatés quand des formateurs, même de bonne volonté mais non formés, s’autorisent à proposer, voire imposer, de l’APP à des stagiaires. Animer un atelier d’APP n’est pas du tout la même chose que faire un cours sur une thématique universitaire ou professionnelle.
1.3 Dans le milieu de la Santé

Le nouveau programme12 de formation qui s’applique depuis septembre 2009 dans les Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) est basé sur un référentiel de compétences qui a pour objectif de conduire l’étudiant  « à devenir un praticien autonome, responsable et réflexif, c’est-à-dire un professionnel capable d’analyser toute situation en santé, de prendre des décisions dans les limites de son rôle et de mener des interventions seul et en équipe pluri professionnelle.13 »

Ce qui se traduit au niveau du cursus de formation initiale par le développement de pratiques (dites) d’APP dans le cadre d’un chapitre du portfolio des étudiants et lors de leurs stages sur le terrain au cours desquels « le formateur de l’IFSI référent du stage organise, en lien avec l’équipe pédagogique, le tuteur et le maître de stage, soit sur les lieux de stage, soit en IFSI, des regroupements des étudiants d’un ou de quelques jours. Ces regroupements entre les étudiants, les formateurs et les professionnels permettent de réaliser des analyses de la pratique professionnelle14 ». Ces démarches devant contribuer à  « développer chez   l’étudiant   la   pratique   réflexive   nécessaire   au   développement   de   la   compétence infirmière15 ».

Le constat actuel est que dans les IFSI, l’APP est mise en œuvre avec des modalités diverses et par des formateurs plus ou moins formés à ces démarches, ce qui les met parfois en difficulté personnelle ou d’équipe et les conduit à souhaiter de la part de leur Institution la possibilité d’être eux-mêmes accompagnés, d’aucuns disent supervisés, au niveau de leurs fonctions et postures d’animateurs d’ateliers d’APP. Difficulté liée aussi en partie au manque de clarification et de compréhension relatif à ce qu’est ou devrait être l’APP et aux objectifs visés par son utilisation.

1.4 Des injonctions suffisantes ?

Au-delà d’une comparaison intéressante des orientations, pratiques et effets liées à l’APP entre Éducation nationale et milieu de la Santé, il est donc évident que dans les trois niveaux ci-dessus évoqués, il existe des injonctions institutionnelles pour que soit développée de l’APP mais que, bien que nécessaires, elles ne sont pas suffisantes pour la mise en œuvre de pratiques d’APP efficientes au service des (futurs) acteurs professionnels. Il ne suffit pas de décréter de faire (faire) de l’APP ; celle-ci nécessite, au-delà de choix de politique de formation,  un choix délibéré d’accompagnement de sa mise en œuvre et d’actions de formations de formateurs avec, notamment :

  • Un accompagnement par de l’information initiale en direction des acteurs potentiellement concernés pour préciser ce qu’est l’APP, son intérêt, ses objectifs, ses déclinaisons… Un accompagnement par des temps et des lieux clairement notifiés dans des plans de formation initiale et continue, dans des emplois du temps. Mais aussi un accompagnement par l’information et la formation des cadres et des responsables décideurs des formations initiale et continue afin qu’ils facilitent, voire appuient et accompagnent eux-mêmes ces mises en œuvre, convaincus de l’intérêt que cela représente.
  • Un accompagnement indispensable par de la formation de formateurs « à et par l’APP ». D’abord une formation initiale basée sur le principe de la formation-action permettant de découvrir et vivre pour soi une (des) modalité(s) d’APP. En effet, le fait de lire des ouvrages, des articles et/ou de participer à des conférences d’experts de l’APP, et/ou d’assister à un seul atelier d’APP est fort utile pour s’y repérer mais insuffisant pour comprendre ce qui peut se jouer sur les plans humains et professionnels lorsque l’on est amené à analyser sa pratique avec d’autres, ou amené à aider d’autres à analyser leurs pratiques.
  • Un accompagnement par une formation accompagnante dès lors que l’on développe de l’APP pour des acteurs professionnels, formation réunissant des formateurs acteurs de l’APP afin d’analyser, avec les mêmes modalités qu’ils mettent en œuvre, leurs pratiques en la matière. Là aussi, si une formation initiale est nécessaire, indispensable, elle est loin d’être suffisante car l’APP relève de l’humain et de la complexité.

2. L’APP, un processus décliné en procédures diverses et variées

2.1 Quelques jalons pour tenter de s’y repérer dans l’existant, en ou autour de l’APP

Lorsque l’on s’intéresse plus finement à l’APP, trois questions peuvent, doivent se poser, que l’on soit cadre, formateur, animateur ou participant.

1. De quel(s) type(s) d’analyse(s) est-il question ?

D’analyse institutionnelle, systémique, psychosociologique, psychopédagogique, sociologique, organisationnelle, de psychanalyse, de socio-psychanalyse, de socio-analyse, d’analyse transactionnelle, interactionnelle, didactique (professionnelle, disciplinaire ou psychanalytique ?), clinique, réflexive,  typologique…

2. Qu’est-ce qui est analysé ?

Un métier, une profession, une personne (mais laquelle ? l’individu et/ou le professionnel ?), un groupe, une situation, une (des) pratique(s), le travail, une tâche, des gestes, une activité, une discipline, un système, une institution, une organisation, un problème, des comportements, des relations, la pédagogie, des émotions, des affects, des réussites, des difficultés…

3. Dans, avec quel(s) objectif(s) ?

Suivant les courants existants de l’APP on trouvera, par exemple, des objectifs d’élucidation, de connaissance, de remédiation, d’approfondissement, de résolution de problème, de formation, de co-développement professionnel, d’aide au changement personnel, d’intervention, de transformation, de recherche, d’évaluation, de thérapie,  de construction de l’identité professionnelle, d’accompagnement… ou encore de développement de compétences telles le « savoir animer » des ateliers d’APP, de métacompétences telles le « savoir-analyser » (Robo, 2013)…

Dans un souci de cohérence, ce n’est, en principe, qu’après avoir trouvé, fourni des réponses à ces questions que devrai(en)t être choisie(s) la (les) modalité(s) à mettre en œuvre pour analyser des pratiques professionnelles, car il n’existe pas « LA » modalité passe-partout pour ce faire. Cette quête de cohérence conduisant corollairement à s’interroger sur ce qui est réellement de l’APP, ce qui n’en est pas et qui pourrait être ou non au service de l’APP, à s’interroger sur des stratégies à développer pour, par exemple à partir de l’étude de cas, faire découvrir progressivement à des étudiants non volontaires l’intérêt de la pratique de l’APP en groupe à partir d’une situation apportée par l’un d’eux.

2.2 Des modalités d’APP ou dites d’APP

Que trouve-t-on aujourd’hui dans les faits et dans la littérature comme modalités ou procédures affichées sous l’étiquette APP16?

On pourra notamment trouver pêle-mêle, des groupes de parole, des études de cas,  l’instruction au sosie, l’auto-confrontation simple ou croisée, les entretiens en visite formative,  l’écriture clinique, la vidéoformation, les histoires de vie, les simulations, les jeux de rôle, l’entretien d’explication, les groupes Balint, les groupes Balint enseignants, les GEASE (Groupe d’Entraînement à l’Analyse de Situations Éducatives), les GEASP (Groupe d’Entraînement à l’Analyse de Situations Professionnelles ou Parentales), les GAP (Groupe d’Approfondissement Professionnel ou Groupe d’Accompagnement Professionnel ou des Pratiques), les GSAS (Groupe de Soutien Au Soutien), l’APPR (Analyse de Pratiques Professionnelles Réflexive),  l’ARPPEGE (Analyse Réflexive de Pratiques Professionnelles en Groupe d’Échange ; voir Vacher, 2015), les SASCO (Séminaires d’Analyse de Situations de Communication), les GMS (Groupes de Mise en Simulation), etc.

Dans cette liste non exhaustive certaines modalités sont directement axées sur de l’analyse de pratique, d’autres non. Ainsi, à titre d’exemples, on peut analyser une situation sans analyser la pratique de l’acteur de cette situation, on peut mener un entretien d’explicitation et se contenter de faire émerger « l’insu17 » d’un vécu professionnel sans analyser la pratique mise en œuvre, on peut faire un jeu de rôle et se contenter de faire jouer des rôles sans mener ensuite une analyse, etc. Il est intéressant, utile, nécessaire de s’y repérer entre ces modalités afin de savoir ce que l’on propose et ainsi d’établir un contrat didactique précis avec les participants… et ne pas dire que l’on fait de l’APP alors que l’on fait de la résolution de problème ou encore de l’apport de savoirs professionnels ou théoriques.

A titre personnel, après en avoir expérimenté plusieurs modalités ci-dessus, je développe depuis de nombreuses années maintenant des GFAPP (Groupes de Formation à et par l’Analyse de Pratiques Professionnelles ; voir Robo, 2003) dans une perspective d’affranchissement des acteurs afin de les aider, par l’acquisition et le développement d’un « savoir analyser », à être en mesure progressivement de pouvoir analyser de manière plus efficiente leurs pratiques, quelles qu’elles soient et sans avoir besoin de faire systématiquement appel à un groupe, à un expert de l’APP qu’il soit « psy » ou non, voire à un coach ou à un pseudo gourou comme on peut en trouver sur le marché et qui font de l’APP (ou pseudo APP) leur fonds de commerce.

Ainsi, dans ma démarche, analyser, savoir analyser des pratiques est un processus lié à un objectif de professionnalisation et d’accompagnement professionnel par une approche clinique collective consistant à ANALYSER avec des dimensions systémique, interactionniste et multiréférentielle, pour tâcher de COMPRENDRE à partir d’une situation vécue dans un passé plus ou moins récent, pour DISCERNER entre toutes les informations recueillies grâce à cette démarche, pour DÉCIDER individuellement de celles que l’on garde comme pertinentes, pour décider de ce que l’on fera dans un à-venir plus ou moins proche afin d’AGIR au niveau de sa pratique professionnelle. Plutôt que d’une simple démarche de résolution immédiate de problème, il s’agit donc davantage d’une dynamique de « projet-visée » et non de « projet-programmatique » au sens où le développait Jacques Ardoino (1984), c’est à dire de « jets en avant », de « pré-visions », de projections, de perspectives que l’on tentera d’atteindre et non de programmations pré-établies. Il s’agit donc, en quelque sorte, davantage d’une obligation de moyen que d’une obligation de résultat.

Ces différents jalons, repères faisant partie de l’actualité de l’APP pourraient, devraient permettre à tout un chacun de savoir, de comprendre, de choisir pourquoi il pratique ou fait pratiquer de l’APP, ou autre chose qui s’en rapproche. D’où l’insistance répétée d’une formation de formateurs qui veulent (doivent) « faire de l’APP » afin d’éviter certaines erreurs, voire dérives involontaires.

3. Prudence et clairvoyance

A la lumière de ce qui précède et face à ce que l’on pourrait nommer « la jungle de l’APP », des précautions s’imposent. Quitte à me répéter j’insisterai sur plusieurs aspects ici, parce qu’il s’agit d’une démarche sensible axée sur des métiers de l’humain :

  • toute analyse de pratiques professionnelles est singulière car unique ; toute analyse devrait être opératoire car objet de raisonnement spéculatif, compréhensive et non explicative, formative et non normative, émancipatrice et non conditionnante, s’inscrire dans la « cré-action » et non dans la reproduction ;
  • toute modalité d’APP mise en œuvre en formation ne devrait l’être que par des formateurs ayant participé ou participant à des dispositifs d’analyse de leurs propres pratiques de formateurs-animateurs, et ayant bénéficié ou bénéficiant de formations spécifiques de formateurs à cet effet ;
  • tout formateur-animateur de dispositifs d’APP devrait pouvoir participer avec des pairs à des dispositifs souvent appelés « groupes de supervision » qui sont des groupes d’accompagnement et de co-formation à l’animation au cours desquels, en même temps que sont analysées des pratiques d’animation de groupes, d’ateliers d’APP, un travail de réflexion en « méta » permet de cheminer et de faire évoluer de telles pratiques, de se professionnaliser, de développer une légitimité en la matière ;
  • tout acteur professionnel participant à un dispositif d’APP devrait être informé au préalable pour savoir ce qui est analysé, dans quel(s) objectif(s), dans quelle approche, avec quelle(s) modalité(s) et quelles sont les références du formateur en la matière ;
  • tout acteur participant devrait pouvoir décider, en connaissance de cause, de participer ou non à une (des) modalité(s) d’APP ;
  • tout responsable, décideur institutionnel, convaincu du bienfondé de l’APP et l’inscrivant dans des formations, devrait accompagner sa mise en œuvre ne serait-ce que par un appui institutionnel, et en connaître les effets fournis par les participants lors d’un bilan final.

Je conclurai simplement ici en disant et redisant : l’analyse de pratiques professionnelles relève de la complexité, de l’humain et donc demande prudence et clairvoyance notamment de la part de ceux qui veulent la mettre en œuvre.

 

Références bibliographiques

Actes DESCO (2002). Analyse de pratiques professionnelles et entrée dans le métier. Versailles : CRDP. Téléchargeable surhttp://eduscol.education.fr/cid46625/actes-du-seminairel-analyse-de-pratiques-professionnelles-et-l-entree-dans-le-metier-les-23-et-24-janvier-2002-a-paris.html.

Actes DESCO (2003). Analyse de pratiques et professionnalité des enseignants. Versailles : CRDP. Téléchargeable sur http://eduscol.education.fr/cid46605/actes-de-l-universite-d-automne-analyse-de-pratiques-et-professionnalite-des-enseignants-les-28-29-30-et-31-octobre-2002-a-paris.html.

Ardoino, J. (1984). Pédagogie du projet ou projet éducatif. In revue Pour : Mars/avril.

Cahiers pédagogiques (2003). Analysons nos pratiques professionnelles 2. N° 416. Paris : CRAP.

Cahiers pédagogiques (1996). Analysons nos pratiques professionnelles. N° 346. Paris : CRAP.

Donnay, J. & Charlier, E. (2008). Apprendre par l’analyse des pratiques. Initiation au compagnonnage réflexif. 2ème édition revue et augmentée.  CRP. Presses Université de Namur.

Lepage, J.-P. et Robo, P. « 3 questions à » in revue DIVERSITÉS n° 177, 3ème trimestre 2014, Canopé.

Robo, P. (2002). L’analyse de pratiques professionnelles : différentes modalités. http://probo.free.fr/ecrits_app/differents_types_d_app.htm.

Robo, P. (2003). Le GFAPP : définition. http://probo.free.fr/ecrits_app/gfapp_definition.pdf.

Robo, P. (2013).Développer le « savoir analyser » pour analyser sa pratique professionnelle. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 1, pp 39-48. http://www.analysedepratique.org/?p=435.

Vacher, Y. (2015). Construire une pratique réflexive. Comprendre et agir. Bruxelles : De Boeck.

Viollet, P. (dir). (2013). Construire la compétence par l’analyse des pratiques professionnelles. Paris : De Boeck.

 

 

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Notes

  1. Formations pour lesquelles je suis sollicité plus particulièrement dans les milieux de l’Education nationale et de la Santé.
  2. Certains éléments de réponse sont consultables sur le site http://gfapp.fr.
  3. Ministère de l’Éducation nationale – circulaire n° 2014-068 du 20-5-2014.
  4. Mis volontairement en gras dans les extraits de textes officiels pour souligner les termes utilisés pour évoquer l’APP.
  5. Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation qui ont remplacé les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres.
  6. Inspecteur de l’Éducation Nationale.
  7. Circulaire n°2001-150 du 27-7-2001.
  8. École supérieure de l’Éducation nationale aujourd’hui appelée ESENESR (Enseignement supérieur et recherche).
  9. Arrêté du 1-7-2013 – J.O. du 18-7-2013.
  10. Extrait de la Note de service n° 94271 du 16-11-1994.
  11. Instituts universitaires de formation des maîtres.
  12. Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier.
  13. Référentiel de formation profession infirmier, p.69.
  14. Ibid p.81.  
  15. Ibid p.77.
  16. Cf. en bibliographie deux n° des cahiers pédagogiques, Viollet (2013) et Robo (2002).
  17. Ce qui n’est pas su de la personne, consciemment ou inconsciemment. En ergonomie du travail on parle de l’inconscient de la pratique.